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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 19:43

Claude Carrière et Rebecca Cavanaugh, Montpellier 25 juillet 2014

 

Quand j'écris ces lignes, le dimanche 21 février, Claude est mort depuis un peu plus de 24 heures. J'ai appris la sombre nouvelle dans le métro qui me conduisait à la Maison de la Radio pour un concert à huis-clos, avec en première partie le quartette de Géraldine Laurent (une musicienne que Claude contribua largement à faire connaître au début de sa carrière), et en seconde partie le quintette d'Olivier Ker Ourio. Cette seconde partie étant en direct sur France Musique, dans l'émission 'Jazz Club', inventée en 1982 par Claude Carrière et Jean Delmas, qui la co-produisirent jusqu'en 2008. Funeste coïncidence. Me reviennent aujourd'hui à propos de Claude une foule de souvenirs, d'amateur d'abord, à l'écoute de France Musique, puis de collègue, et d'ami.

J'avais écouté avec passion, à la fin des années 70, les premières années de la série 'Tout Duke', dont Claude produisit pour France Musique quelque 400 épisodes. Et j'avais lu ses articles dans Jazz Hot, même si mes goûts et autres choix idéologico-esthétiques me rattachaient à la 'famille' de Jazz Magazine. J'ai rencontré Claude et Jean Delmas (et aussi André Francis) en juillet 1981 au festival de Nice. Je faisais des émissions de jazz sur Radio K, une radio francophone basée à San Remo. Station à la naissance de laquelle j'avais très activement participé : un ministre de Giscard avait déclaré (révélations du Canard Enchaîné) que nous étions «un poignée d'aventuriers gauchistes». Pas faux. Contact très amical avec Claude et Jean, manifestement très intéressés par notre démarche libertaire (et puis, une radio où il y a plusieurs émissions de jazz chaque semaine, ça leur parlait !).

En janvier 1982, alors que je dînais seul après mon émission dans la cuisine de notre hôtel transformé en station de radio, j'ai écouté un des premiers 'Jazz Club' sur France Musique avec Barney Wilen. Or peu avant Barney, que j'avais rencontré à Nice, et qui était venu improviser en direct pour nous pendant trois heures sur des mixages de musiques et autres divagations sonores, m'avait ouvert les portes de Jazz Magazine, conseillant à Philippe Carles de me recruter. J'étais avant cela à Lille, et je n'aurais pas postulé à JazzMag, par égard pour mon pote Gérard Rouy qui officiait déjà depuis plus de 10 ans dans ces colonnes. Encore une rencontre, encore une chance. Le mois suivant, après la fermeture de Radio K, venu à Paris rejoindre ma petite amie, je cherche du boulot. René Koering (celui-là même qui avait accepté l'idée du 'Jazz Club'), cherche de nouvelles voix pour France Musique. Fin février, je suis reçu par Koering, qui a bien aimé l'enregistrement du direct avec Barney (je lui ai bien dit que je n'avais fait que concrétiser une idée du saxophoniste....), et cinq semaines plus tard je fais mes débuts sur France Musique le samedi matin dans l'émission de Philippe Caloni consacrée à l'actualité du disque, et où je vais succéder à Lucien Malson pour traiter l'actualité phonographique de ma musique préférée. Pour le petit gars de province que très peu de gens dans la micro-jazzosphère connaissaient, encore un coup de chance.

 

Et l'évocation de Philippe Caloni ravive un autre souvenir. En juillet 1982, toute l'antenne de France Musique est au festival d'Aix-en-Provence, y compris les jazzeux, et je fais quotidiennement à Aix une émission que j'aurais pu faire dans les studios de Paris. Nous sommes sur une terrasse, devant l'Institut d'Études Politiques où sont nos studios provisoires, à l'heure du pastis, et nous chantons à tue-tête (à peu près juste et en place....), le thème Hot House, composé par Tadd Dameron et immortalisé par Gillespie et Parker. Joyeuse tablée avec Caloni, Claude, le réalisateur Michel Gache, Jean-Paul Beaugelet-un technicien féru de jazz-, et quelques autres dont votre serviteur....

Une foule d'autres souvenirs au fil des années, comme ce soir où deux jeunes producteurs de France Musique avaient organisé une soirée privée entre nous, hors antenne, au studio 106, où ceux et celles qui le souhaitaient (productrices et producteurs, réalisatrices et réalisateurs, technicien.ne.s, attaché.e.s de production....) étaient convié.e.s à jouer pour leurs collègues. On écouta ce soir-là un mouvement de sonate pour violon & piano de Brahms, un quatre mains sur quelques danses hongroises du même, une mélodie de Rachmaninov, et les jazzeux ne furent pas de reste, au piano : Arnaud Merlin joua en trio Israel de Johnny Carisi, Yvan Amar nous offrit un solo improvisé d'une insolente sinuosité harmonique, Claude était attendu en milieu de programme pour jouer Ellington ou Strayhorn, et votre serviteur devait intervenir en fin de soirée. Mais Claude était en retard : on me demanda d'anticiper ma prestation. Et pendant que je me livrais à une variation sauvage intitulée Le chien d'Igor aboie et la caravane passe, massacrant les accords du Sacre, et aussi un court fragment mélodique de L'Oiseau de feu, avant de glisser vers les harmonies de Caravan (une des rares tonalité où je puis, très sommairement, improviser....), Claude fit une magistrale entrée en haut du gradin du studio. Le voyant, je fus pris d'une panique insondable, comme un délinquant pris sur le fait : massacrer le Duke devant la Statue du Commandeur des Ellingtonophiles, c'était un crime de lèse majesté ! Mais le piano du studio 106 (un Steinway 'D' de Hambourg de la fin des années 90) était d'une telle qualité, c'était un tel plaisir que de le maltraiter, que j'ai accompli mon forfait jusqu'à l'ultime accord (de Fa, très altéré). Claude, toujours bon camarade, et naturellement bienveillant, ne fit aucun commentaire désobligeant à propos de mon sacrilège....

Vers la même époque un directeur de France Musique voulut faire une grande opération en direct du Jazz Club de Méridien (baptisé à l'époque 'Jazz Club Lionel Hampton') car le grand Lionel lui-même devait y donner un concert. Ce n'était pas un vendredi, mais le directeur voulait que Carrière et Delmas en fissent une soirée spéciale de l'émission 'Jazz Club'. Nous pensions tous que le grand Lionel Hampton, alors âgé de 92 ans, n'était plus à l'époque musicalement qu'un pâle reflet de son considérable talent passé. Ce ne fut donc pas un 'Jazz Club' spécial, mais une soirée exceptionnelle de France Musique. Depuis deux ans j'avais la responsabilité du Bureau du Jazz, Claude et moi avions comme activité principale, et presque exclusive, la radio. Il nous fallut donc avaler la couleuvre et faire ensemble ce direct. Le directeur savait que ce serait, médiatiquement (sinon musicalement....), un événement, et quelques jours plus tard il exhibait triomphalement un argus de la presse (photocopie des tous les articles de presse, avant et après cette soirée) de plus d'un kilo ! Manifestement lui et nous n'avions pas la même conception de notre métier. Nous fîmes vaillamment ce direct, avec des invités (donc certains 'suggérés' par la direction) qui parlèrent surtout d'eux-mêmes, et assez peu, et peu pertinemment, de Lionel Hampton. Lequel joua, comme il put. Souffrance pour une partie des présents, et des auditeurs de France Musique, et aussi manifestement pour les musiciens qui l'accompagnaient, qui tenaient à conserver un autre souvenir de ce héros du jazz. Le seul bon souvenir de cette pénible soirée, ce fut Sacha Distel, très affable, qui parla brillamment de Lionel Hampton, de ses émois d'amateur, et de l'enregistrement qu'il avait fait pour Barclay avec Hampton en 1955. Sacha fut le seul qui vint à la fin du direct nous saluer. Je ne le connaissais pas personnellement, mais pour moi il était le guitariste d'un très beau disque avec John Lewis et Barney Wilen, en 1956, et l'homme confirmait mon préjugé favorable.

 Le Jazz Chamber Quintet, pendant la répétition, 25 juillet 2014

 

Je vais clore là cette litanie des souvenirs professionnels qui m'ont lié à Claude Carrière, alors qu'il en est bien d'autres. Mais je voudrais conclure par celui qui, peut-être, me tient le plus à cœur. Nous sommes en juillet 2014. Claude a été écarté de France Musique en 2008, et il a mal vécu cette injuste éviction. J'ai moi-même appris deux mois plus tôt que Radio France ne renouvelle pas mes contrats. J'ai encaissé mais je n'en mène pas large. Pour la programmation de jazz du festival de Radio France et Montpellier Languedoc-Roussillon j'ai conçu une série de concert où figuraient le trio de Manuel Rocheman, le quartette de Boris Blanchet, beaucoup d'autres, dont Dominique Pifarély qui conclurait le festival, et qui serait mon ultime production pour Radio France après 32 ans de présence. Et le 25 juillet, veille de ma dernière prestation, j'accueillais le formidable 'Chamber Jazz Quintet' avec en invité André Villéger. Le groupe rassemblait la chanteuse Rebecca Cavanaugh, Frédéric Loiseau, Marie-Christine Dacqui, Bruno Ziarelli.... et au piano Claude Carrière. J'écris formidable pas seulement en pensant à l'adjectif que Claude utilisait volontiers, mais parce que j'aimais beaucoup ce groupe. Juste avant d'entrer sur scène, alors qu'en coulisse je m'apprêtais à faire l'annonce de présentation avant de laisser place aux artistes, Claude semblait paniqué à l'idée de jouer devant ce très nombreux public (plus de 1.500 spectateurs dans l'Amphi d'O), et les micros de notre chère radio en prime. Le doute et l'angoisse de celui qui était pourtant plus que légitime. Claude entra vaillamment sur scène avec ses amis. Le concert commençait avec une composition à lui dédiée par son ami le guitariste Frédéric Loiseau, Blues for C. Introduction par le piano seul. Claude avait vaincu le démon furtif de l'angoisse d'avant-scène. L'intro était magnifique. Le concert le fut tout autant. Il fut diffusé à la rentrée par une consœur de France Musique. C'est ainsi que l'Ami Claude fut un repère dans ma vie de radioteur occupé de jazz, de ses prémices jusqu'à sa conclusion. Merci Claude !

Xavier Prévost

L'Amphi d'O à Montpellier, photo Luc Jennepin

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21 février 2021 7 21 /02 /février /2021 11:46
BLACK AND BLUE : adieu à Claude Carrière, passeur de jazz.

BLACK AND BLUE : adieu à Claude Carrière, passeur de jazz.

 

 

J’ai appris la nouvelle lors du passage d’antenne hier soir sur France Musique entre Jérôme Badini des Légendes du jazz et Yvan Amar du Jazz Club. Ce dernier a rendu hommage à Claude Carrière, journaliste et producteur, le créateur avec Jean Delmas, de la formule en 1982 avec ces concerts retransmis avec les aléas du direct.

J’ai bien conscience que toute une génération tire sa révérence et cela fait mal. Ce sens de la perte est aussi aggravé en cette période anxiogène. Comme si on perdait ses repères. Je me souviens de Claude Carrière, mon “papa de jazz” comme j’aimais à l’appeler, dont la voix si particulière ( mais il y en avait d’autres à l’antenne à l’époque, Alain Gerber, Lucien Malson, Daniel Nevers, sans parler d’Henri Renaud ou André Francis) me révéla Tout Duke dans cette formidable série, dont chaque épisode, toujours trop court, passait à 12h 05 sur les ondes, si ma mémoire ne me joue pas des tours. Heure tout à fait improbable, mais possible pour une lycéenne malade qui s’était trompée de fréquence, délaissant France Inter que sa mère écoutait toute la journée à partir du “Bonjour” tonique et décontracté de Bouteiller.

Nous étions en 1977, cela je m’en souviens parfaitement. Si j’écoutais dans la discothèque familiale Gershwin et Armstrong sur des LP Brunswick épais noir réglisse, j’allais avec les émissions de Claude Carrière et ses extraits généreux que j’enregistrais frénétiquement sur des Sony chrome vertes très résistantes que m’avait rapporté mon père, entrer dans le monde du Duke et de Billy Strayhorn, apprendre qui était le “lapin” Johnny Hodges, le voluptueux Harry Carney ( "Frustration"), le trompettiste Cootie Williams qui eut droit à son concerto, le clarinettiste Barney Bigard ou le tromboniste Juan Tizol ("Caravan")… Il n’ y avait pas internet, j’entendais des noms dont l’orthographe me paraissait approximative (Joe Tricky Sam Nanton !) et je repassais les extraits sans fin.

Ma connaissance et mon amour du jazz ont été “déformés” ainsi alors que la musique pop, rock, le free vivaient des heures excitantes. J’écoutais d’autres musiques mais quand on en venait sur le terrain du jazz, c’était le classique des grands orchestres…

Je ne lisais pas encore la presse spécialisée, et je me fichais bien de Jazz Hot, Jazz Magazine, Rock and Folk ou Best. Je lisais plutôt du cinéma. Mais je dois à la radio cet apprentissage, ce voyage initiatique dans le temps et la musique.

Plus tard, j’ai retrouvé Claude Carrière, l’homme du label CRISTAL, et je me suis régalée à lire ses livrets aux notes de pochette si érudites. Tout un art de la synthèse pour présenter une compo, un musicien, un thème. Je me suis constituée toute la série des Original Sound de Luxe, collection qu’il dirigea à partir de 2007, aujourd’hui bien rangée dans ma discothèque. Albums de référence que j’ai chroniqués sur ce site très régulièrement, par ailleurs. Claude Carrière | Un artiste du label Cristal Records

avec toutes ces pochettes merveilleusement dessinées par Christian Cailleaux, après une sélection rigoureuse en fonction de chaque thème.

Comme Claude Carrière était pianiste, il enregistra aussi sur Black and Blue deux albums : 

Rebecca CAVANAUGH/LOISEAU/CARRIERE/DACQUI: "Looking Back" - les dernières nouvelles du jazz (over-blog.com)

THE CHAMBER JAZZ QUINTET MEETS ANDRE VILLEGER :"For all we know" - les dernières nouvelles du jazz (over-blog.com)

 

A lire aussi le témoignage de Franck Bergerot Claude Carrière – Reminiscing in Tempo – Jazz Magazine et évidemment l’hommage de Jean Louis Lemarchand sur notre site des DNJ.

Sophie Chambon

 

 

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Published by Sophie Chambon - dans Evènements
20 février 2021 6 20 /02 /février /2021 20:55

Héraut du jazz un demi-siècle durant, producteur de radio, directeur de collection discographique, président de l’Académie du Jazz (1993-2004), pianiste, Claude Carrière décédé le 20 février à Paris d’un malaise cardiaque à l’âge de 81 ans, restera dans l’histoire de « la plus populaire des musiques savantes » comme l’infatigable admirateur de Duke Ellington.

 

L’une des dernières œuvres de cet aveyronnais de Rodez « monté » à Paris dans les années 50, aura d’ailleurs été la réalisation d’albums d’inédits d’Ellington pour la Maison du Duke, association dont il assurait la présidence, succédant à un autre fan du compositeur, Christian Bonnet.
Sa légitimité était incontestable. Claude Carrière avait, entre 1976 et 1984, diffusé en 400 épisodes l’œuvre intégrale de Duke Ellington sur les ondes de Radio France avec son émission simplement baptisée « Tout Duke ». Et c’est tout naturellement que Christian Bonnet et l’éditeur Slatkine lui avaient demandé de préfacer la version française de l’autobiographie du Duke (Music is my mistress, Mémoires inédits. Duke Ellington. 2016).

 

Mais il ne limitait pas sa passion du Duke à ces hommages de producteur et journaliste. Claude Carrière aimait à jouer la musique du Duke –et de son complice Billy Strayhorn- notamment en compagnie de la chanteuse Rebecca Cavanaugh et du guitariste Fred Loiseau (en attestent deux albums sous le label Black & Blue, ‘Looking Back' et ‘For all we know’).

 

Si le Duke était son idole, Claude Carrière n’aura cessé de prêter oreille à ce que le jazz pouvait apporter de vivant et surtout d’authentique et de lui donner droit de cité dans une émission unique en son genre, Jazz Club. Le tandem formé avec Jean Delmas présentera pas moins de 1150 émissions entre janvier 1982 et juin 2008 sur France Musique. Le concept, accepté par le directeur de l’époque de la station, René Koering, était révolutionnaire : inviter chaque vendredi soir pendant deux heures l’auditeur au cœur d’un club, ce « véritable laboratoire du jazz », selon l’expression de Claude Carrière.

« Sa principale qualité était que, comme il était lui-même musicien, il parlait d’égal à égal avec les musiciens, explique Arnaud Merlin, producteur à France Musique et programmateur de la série des concerts "Jazz sur le vif" à Radio France. Ce n’était pas un théoricien, il était de plain-pied avec la musique. » « Il avait une justesse de jugement sur les musiciens, j’oserais même dire une infaillibilité, qui m’étonnait en permanence » souligne Jean Delmas.

 

Le livre d’or de l’émission qui s’ouvrait sur un générique composé par le pianiste-chanteur Bob Dorough comprend le gotha du jazz planétaire : Dizzy Gillespie, Chet Baker, Elvin Jones, Roy Haynes, Milt Jackson, Brad Mehldau, Martial Solal, Jim Hall… Mais peut-être ce dont Carrière et Delmas étaient les plus fiers, c’est d’avoir ouvert leur micro à des jeunes musiciens, le guitariste Biréli Lagrène en 1982 (il avait 16 ans), le pianiste Manuel Rocheman en 1986 ou la saxophoniste Géraldine Laurent en 2007.

 

Cette passion pour le jazz, Claude Carrière la fera partager également aux lecteurs des magazines spécialisés ( Jazz Hot, Jazzman, Jazz Magazine) et aux collectionneurs de disques avec son travail pour plusieurs labels, dont RCA, Vogue, Dreyfus Jazz, Cristal Records.

« Le jazz est une musique fragile, nous confiait en 2007 Claude Carrière, il faut le soutenir » ... Mission accomplie par un amoureux du jazz, érudit (sans pontifier) et chaleureux, qui savait à merveille transmettre sa passion.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo Jean-Louis Lemarchand
 

 

 

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20 février 2021 6 20 /02 /février /2021 11:18
MARC COPLAND   PIANO SOLO     JOHN

MARC COPLAND  PIANO SOLO

JOHN

Illusions Mirage / L’autre Distribution

www.illusionsmirage.com

www.illusionsmusic.fr

www.marccopland.com

You ‘re just sort of searching for this thing, and sometimes you get it and sometimes you don’t .

John Abercrombie

 

C’est à la détermination du producteur français Philippe Ghielmetti que l’on a assisté à l’émergence sur la scène de jazz hexagonale de Marc Copland pour le label Sketch, avec Poetic Motion en 2006. Se livrant jusqu’alors à l’exercice délicat et parfois ingrat d’accompagnateur, la relecture des standards en trio ou en quintet, Marc Copland réinvestissait alors l’art du piano solo qui était l’une des signatures du regretté label Sketch. Marc Copland devait prendre goût à l’exercice et renouvela l’expérience à de nombreuses reprises jusqu’à ce nouvel album so(m)brement intitulé John.

S’il est un terme qui vient immédiatement à l'esprit quand on évoque le pianiste new yorkais, c’est la fidélité. L’amitié comme équipage. Il est resté fidèle à ses engagements, à sa conception de la musique, aux valeurs que lui a transmises le guitariste, à Philippe Ghielmetti qui, avec Stéphane Oskeritzian ne sont pas les derniers à entretenir un lien fort. Puisque ce sont les producteurs de ce dernier album sorti sur [ ILLUSIONS] MIRAGE, enregistré à la Buissonne évidemment, sous la houlette de Gérard de Haro, autre partenaire, complice de longue date. Gageons que Marc Copland aura reconnu la qualité du ce merveilleux Steinway, lui qui est sensible à la façon dont l’instrument résonne à chaque fois!

Fidèle à son ami de quarante ans, le guitariste John Abercrombie qu’il n’a jamais vraiment quitté depuis leur première rencontre dans le groupe du batteur Chico Hamilton quand Marc jouait du sax. Du début des seventies jusqu’au dernier quartet du guitariste en 2016, un long et fécond compagnonnage en jazz, avec un “interplay” qui trahit et traduit une écoute attentive, un niveau exceptionnel d’improvisation et de concentration.

Ce piano solo est une sorte de “tombeau”, d’un genre particulier puisqu’il s’agit de réinventer neuf compositions du guitariste depuis l’avant-gardiste “Timeless” (premier album éponyme ECM en 1974) jusqu’à “Flip Side” du dernier quartet.

Le piano se prête plus facilement peut être à l’exercice du solo mais avec l’envergure de Marc Copland, le risque est très mesuré. Comme à chaque nouvelle aventure en solo, il place l’expression, la fluidité, le développement créatif et l’improvisation dans son carnet de route. Il prend son temps au fil des morceaux, amplement développés : de ballades rêveuses “Sad Song” ( joué par le quartet de John avec le violoniste Mark Feldman), en valses tristes(“Avenue”, “School”), brisures rythmiques, glissements mélodiques en nerveuses oppositions, son phrasé volontiers flottant déroule des accents intimistes, en traduisant la fragilité de l’instant recomposé. Les notes en pluie, le martèlement audacieux du clavier composent un chant grave et précis; par ses harmoniques et son chromatisme, cette musique distille le plus souvent une mélancolie liée à un art poétique élégiaque. Marc Copland renvoie aux délicates impressions, au ressenti mémoriel. On pourra réentendre des thèmes choisis avec une attention particulière d’autant plus difficiles que ces pièces furent composés pour des duos ou des formations étoffées : ainsi d’Isla” pour le duo avec le guitariste Ralph Towner ou de “Remember Hymn” où brillait Michael Brecker.

Cette musique pour John dresse en même temps un portrait du pianiste. Ce qui confère à cette suite de pièces une continuité assez remarquable, toute en retenue et émotion jusqu’ à la mise en danger du “Vertigo” final apparu sur 39 Steps (quelle science du titre!), hommage à Hitchcock, maître du suspense, exactement comme dans cette composition de 39 mesures, où Copland harmonise ses propres déséquilibres. Il faudra réécouter cette musique du coeur avec la plus grande vigilance pour en saisir les finesses, pour se laisser prendre par cette tendre insistance.

Sophie Chambon

 

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18 février 2021 4 18 /02 /février /2021 15:20

Benoît Delbecq (piano préparé)

Meudon, 12-13 mars 2020

Pyroclastic Records PR 13

https://benoitdelbecqpyroclastic.bandcamp.com/album/the-weight-of-light

 

Troisième disque en solo de Benoît Delbecq, et même quatrième si l'on prend en compte «AJMILIVE#17», enregistré voici quatre ans à l'AJMI d'Avignon lors d'un concert, et seulement publié en téléchargement (pas un disque au sens concret, donc). On y trouvait d'ailleurs un thème qui figure sur la dernière plage du nouveau disque : Broken World. Un thème souvent joué par le pianiste dans des contextes divers (Quartette avec Mark Turner, trio avec le batteur Jonas Burgwinkel, duo avec le clarinettiste François Houle....). Si d'entrée je fais allusion à ces versions plurielles (une partie du disque, mais pas la totalité me semble-t-il), c'est qu'il y là un caractère propre au jazz, où les versions peuvent se multiplier en se renouvelant, et que c'est donc la marque d'une véritable singularité, essentielle au jazz quand il est à son plus vif. La toute première plage, The Loop of Chicago, était elle aussi sur le disque «Spots On Stripes» avec Mark Turner. Tout comme sur le récent disque du trio 'Deep Ford'. Et chaque fois s'illustre cette singularité qui fait que l'on est en pleine métamorphose. On passe d'une version collective, incarnée d'une certaine manière, à une version plus abstraite. Pourtant la musique n'est pas de pur esprit. Sa matière ici n'est pas seulement le corps musicien mais aussi le corps sonore, la stricte densité du son, sa matérialité. Ici la matière se fond à l'esprit, dans des jeux de timbres et de rythmes. Sur la pochette du disque un dessin du pianiste évoquant les mobiles qui, enfant, le fascinaient. La musique que l'on écoute est composée à partir de représentations graphiques, conçues par lui, de cercles de tailles différentes, en intersections. Et ces images vont produire un univers musical où le piano préparé, et ses effets de timbres et de percussions inouïs, alterne avec l'instrument dans sa sonorité première. Alterne d'une plage à l'autre, ou dans une même plage, les deux mains du pianiste jouant alors le rôle d'arbitre entre les deux modalités sonores. Les rythmes sont complexes et croisés, impression renforcée par des effets de polyvitesse qui nous plongent dans un vertige perceptif. En écoutant, je pense à György Ligeti, souvent cité par Benoît Delbecq, et aussi à Paul Bley, pour un certain dépouillement, des intervalles distendus et des audaces qui transgressent les frontières du jazz sans en quitter l'horizon. Le jeu rythmique de la plage intitulée Pair et impair est très représentatif de la démarche du pianiste. Vertige assuré. Comme il le dit dans le documentaire d'Igor Juget, Benoît Delbecq-The Weight of Light (lien ci-après), il choisit de «donner à l'auditeur le choix de sa pulsation». D'autres plages, plus anciennes, comme Family Trees, reposent sur les sources immémoriales des musiques traditionnelles. Parfois utilisé seulement dans son mode 'naturel' (sans accessoires de préparation), comme dans Dripping Stones, le piano révèle alors d'autres horizons. Mais la singularité du pianiste est toujours là. On est en tension permanente entre le discontinu (les irrégularités apparentes des séquences, la fragmentation) et le continu, l'unité de la plage en cours, ou du disque en son entier.

Le documentaire d'Igor Juget

( https://vimeo.com/484796833 , 54 minutes)

en français avec sous-titres en anglais, présente les séances de préparation puis d'enregistrement, au studio de Meudon, et les paroles du pianiste sur son travail, recueillie à son domicile, à Bondy. Documentaire où l'on entend de très larges extraits de la musique, et qui inclut également un entretien en anglais, via internet, avec Kevin Legendre demeuré à Londres. Dialogue très pédagogique, notamment sur les accessoires de préparation du piano, et sur la démarche créative nourrie d'influences. Le disque et le documentaire sont passionnants : on se précipite !

Xavier Prévost

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Un bref aperçu de la séance d'enregistrement, en anglais

https://vimeo.com/464682247

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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 15:25
Oui, c'était tout ça Chick!
Oui, c'était tout ça Chick!

 

 

Chick Corea oui, c’ était tout ça Chick!

 

Tout le week end, les hommages ont afflué pour célébrer l’une des légendes du jazz des cinquante dernières années. Il a traversé toutes les esthétiques : d'une solide culture classique, amoureux du bop (Bud Powell), il devint le héros du jazz rock et de la fusion à son acme, et  il n'en a pas moins flirté un temps avec le free.

Passons sur les innombrables messages sur les réseaux sociaux, souvent dispensables, même si on pourrait me rétorquer que le ressenti ne ment pas, forcément subjectif,  pas moins “communicable” et “partageable”. 

Revenons plutôt sur les radios qui ont joué leur rôle, enfin surtout France Musique. Mais on n’en attendait pas moins de nos émissions préférées sur cette antenne qui sont revenues sobrement sur sa carrière, illustrées- et c’est ce qui importe, de généreux extraits musicaux. 

Notre Jean Marc Gelin des DNJ a bouleversé sa programmation sur Radio Aligre FM, 93.1, pour évoquer avec aisance, en une petite heure, trop courte, le pianiste.

Les journaux de la presse nationale se sont livrés au passage obligé, le “marronnier” de la nécrologie. C’est drôlement difficile de faire une bonne nécro, cela demande talent, connaissances et de partager son sentiment, forcément subjectif. J’ y reviens décidément, un ressenti qui serait universel, ou simplement intersubjectif?

Sur le blog de Jazz Magazine, Franck Bergerot nous a livré, dans Bonus, sa recollection de Now He Sings, Now He Sobs, sorti initialement sur Solid State. Bonne pioche. Il a découvert le disque, comme il le fallait, à sa sortie, il y a cinquante deux ans mais il cite encore l’article de 1971 d’Alain Gerber que j’aimerais bien lire…. sur Jazz Magazine n°171, d’octobre 1969. C’est ça qu’est Chick. Et dont je m'inspire car je n’ai jamais su trouver de titre accrocheur! 

J’ai acheté le même disque, ressorti sur Blue Note, bien des années après, mais à “mon” époque, je n’ai guère écouté de Chick Corea que l’incontournable Return to Forever, comme un torrent d'énergie  avec ses espagnolades, sans nuance péjorative de ma part, je précise.

C’est la dernière émission de Laurent Valéro, “Repassez-moi le standard”, hier soir à 19h, toujours sur France Musique, qui m’a donné envie de faire le point. Il nous fit entendre les thèmes obligés devenus cultes, mais aussi les standards ( émission oblige) aux quels, comme tout grand du jazz, Chick s’est frotté avec bonheur, éternelles compositions de jazz ou de la pop. En cherchant dans mes papiers, je n’ose dire “archives”, j’ai retrouvé une chronique que j’avais écrite, en 2002, témoignage d’une époque passée, où ECM se livrait déjà à une compilation, pas “dégoutante” du tout!

 

 

Dans son anthologie ECM RARUM, 2002, Chick Corea a choisi 13 titres de 6 albums et 3 groupes dont le mythique Return To Forever. Nostalgie oblige, il choisit de commencer avec la suite de 1972, qui évoquait déjà un monde idéal “Sometime ago” et “La Fiesta”. Qu’on nous pardonne d’écouter encore avec quelque émotion ces plages datées aujourd’hui, qui mettent en évidence le talent du flûtiste et saxophoniste soprano Joe Farrell, le percussionniste Airto Moreira transformé en batteur pour la circonstance, la voix perchée de Flora Purim et l’enthousiasme contagieux de Chick Corea au piano électrique, instrument adopté à l’époque pour faire sonner cette musique d’inspiration diverse, à la fois classique, jazz et brésilienne. Changement d’ambiance avec les délicats duos piano-vibraphone avec son pote de toujours Gary Burton, ou encore un live à Zurich en 1979, “Desert Air” choisi sur le remarquable Crystal Silence.

Mais la crème de la crème reste tout de même le trio avec Miroslav Vitous et Roy Haynes, “Now he sings, now he sobs” dans certaine reprise de Monk “Rhythm-ning” ou dans le final d’un live à Willisau en 1984 “Summer night/ Night and Day”: 14’22 de pur plaisir avec le trio : swing impressionnant, rythme intense, mélodies recherchées!

Corea a une qualité rare, il laisse ses partenaires suffisamment libres dans des échanges qui prennent leur temps et tout leur sens. Immense soliste, il sait aussi être un accompagnateur de premier ordre. Constamment en recherche, il a changé de direction maintes fois dans sa vie et il faudrait plus que cette première compil pour rendre compte de toutes les influences qui l’ont traversé et qu’il a su transcender. La carrière de Corea est si fertile que l’on attend avec impatience un nouvel opus: il faut en effet réentendre le soliste des Children songs, ou des Piano Improvisations, le révolutionnaire créateur de l’ensemble Circle. Oui Corea , c'est vraiment un chic type….

Sophie Chambon

Oui, c'était tout ça Chick!
Oui, c'était tout ça Chick!
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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 11:29

NOTHING BUT LOVE «The Music of FRANK LOWE»

Kelley Hurt (voix), Chad Fowler (saxophones ténor & soprano), Christopher Parker (piano), Bernard Santacruz (contrebasse), Anders Griffen (batterie & trompette)

invité sur une plage : Bobby Lavell (saxophone ténor)

Brooklyn, juin 2019

Mahakala Music MAHA-07 / https://mahakalamusic.com/

https://musicoffranklowe.bandcamp.com/album/nothing-but-love

 

La premier écho est un disque reçu récemment de Bernard Santacruz. Le contrebassiste était en 2019 à New York pour le Vision Festival, et le batteur Anders Griffen lui propose d'enregistrer les compositions de Frank Lowe avec des musiciens qui, comme lui, ont côtoyé le saxophoniste disparu en 2003. Bernard Santacruz a fait plusieurs disques, et beaucoup de concerts, avec Frank Lowe. C'est donc une sorte d'hommage collectif par des proches de l'artiste. Le nom du groupe, Nothing But Love, est un clin d'œil à Frank Lowe qui a composé le thème Nothing But Love au titre en forme d'auto-calembour, une composition qu'il a enregistrée sous son nom, et aussi avec le quintette de Billy Bang. Le groupe est au rendez-vous de l'extrême lyrisme qui caractérisait le dédicataire. On est au cœur même de cette effervescence qui vit le jour à l'orée des années 60, et qui se prolonge avec une mélange d'audace et de ferveur, d'intensité et de recueillement. La voix de la chanteuse Kelley Hurt se fond dans les lignes du saxophone avant de s'évader. Chad Fowler prend son essor sur une pulsation irrépressible, et l'on est dès la première plage dans le plus vif du sujet. Le free jazz n'est pas rejoué, il est vécu comme au premier jour. Les compositions sont empruntées à une longue histoire : In Trane's Name, que Frank Lowe avait gravé dans son premier disque en 1973, renaît avec le concours de l'invité, Bobby Javell. On aborde aussi des thèmes du début des années 80, et de plus récents. À chaque fois c'est l'occasion de ranimer le feu sacré d'une musique que certains auraient bien aimé mettre sous le boisseau. On ressent aussi la poésie surgie des mirages anciens (la trompette jouée par le batteur). Avec, comme à la grande époque, des unissons flottants : jouissif, de bout en bout.

BERNARD SANTACRUZ-MICHAEL ZERANG «Cardinal Point»

Bernard Santacruz (contrebasse), Michael Zerang (batterie)

Pernes-les-Fontaines, 14 octobre 2019

fsrecords FSR 27-2020 / https://fsrecords.net/catalogue/cardinal-point/

 

Nous retrouvons Bernard Santacruz pour un autre disque dont la genèse n'est pas étrangère au disque précédent : en 2001, le contrebassiste joue au festival Banlieues Bleues en duo avec Frank Lowe, en première partie du 'Peter Brötzmann Chicago Tentet' dans lequel joue.... Michael Zerang. Ils sympathisent, et après de multiples collaborations dans divers groupes, sur scène et sur disque, ils se retrouvent en studio pour ce duo. Quatre compositions-improvisations conjointes, plus un thème du batteur et deux du bassiste, constituent la matière du CD.

Dès la première plage, c'est une démarche conjointe, ouverte par une séquence rythmique qui offre à chacun le territoire d'une expression, autant individuelle que duale. Et c'est dès l'abord une aventure partagée, entre risque et plaisir. Suit un thème de contrebasse, récurrent et soutenu par des frottements de percussions qui enflamment le lyrisme, sans éclats, mais avec force. Vient alors la batterie, seule, dans une pétition de singularité. Pour la quatrième plage, on retrouve le dialogue : propositions/ponctuations/échanges et autres miracles de l'expressivité. Puis c'est un thème de Bernard Santacruz, sobrement commenté par Michael Zerang. Et pour conclure une version en duo de White Horses, thème que le contrebassiste avait enregistré en solo pour son disque «Lenox Avenue», après une version en trio, avec Jeff Parker et Michael Zerang, en 2001. Sans vous lasser d'intentions descriptives, je voulais simplement souligner la force d'un duo fondé sur l'équilibre, ou plutôt une forme d'équité qui permet, à deux seulement, de composer un beau paysage d'expression collective.

SOUCHAL-NICK-LAZRO-CAPPOZZO «Neigen»

Nicolas Souchal (trompette, bugle), Michael Nick (violons), Daunik Lazro (saxophones ténor & baryton), Jean-Luc Cappozzo (trompette, bugle, objets sonores)

Luzillé (Indre-et-Loire), 30 janvier-2 février 2020

ayler records AYLCD-162 / Orkhêstra

http://www.ayler.com/cappozzo-lazro-nick-souchal-neigen.html

https://ayler-records.bandcamp.com/album/neigen

 

Ce troisième écho nous permet de retrouver quatre orfèvres de l'improvisation radicale, celle où «un coup de dés jamais n'abolira le hasard», où tout est cependant concertation, connivence, communauté. Un son, une note, un appel lancés à l'entour, et l'improvisation prend vie, et la musique avec elle. Du 'je ne sais quoi' et du 'presque rien' vont surgir des horizons, des objets sonores, des univers, avec évidemment les sensations et les émotions qui les accompagnent. Les improvisateurs cheminent de proposition en perception, d'écoute en expression, et nous avec eux, pas à pas. Petits pas ? Grands pas ? C'est selon l'instant, et surtout selon notre faculté à écouter au-delà d'entendre, à imaginer plutôt que subir. Comme le livre s'écrit dans le cheminement du lecteur, la musique improvisée s'invente encore dans l'oreille qui la reçoit. Une expérience pour ceux qui jouent, partagée, ou transformée en une autre expérience pour ceux qui l'écoutent. Il suffit pour cela de s'immerger. D'écouter. D'écouter vraiment.

Xavier Prévost

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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 09:40
JEAN PAUL RICARD & JEAN BUZELIN  JAZZ LADIES THE SINGING PIANISTS (1926-1961)


 

JEAN PAUL RICARD & JEAN BUZELIN

JAZZ LADIES THE SINGING PIANISTS (1926-1961)

FREMEAUX & ASSOCIES

Coffret 3CDs
 

Jazz ladies - the singing pianists 1926-1961 - Aretha franklin • camille howard • shirley horn • nina simone • rose murphy • cleo brown • julia lee • blossom dearie - Jazz - La Librairie Sonore

Nous avions salué comme il le méritait, le coffret (Jazz Ladies 1924/1962, FA 5663) de 3 CDs chez Frémeaux & Associés qui redonnait enfin aux femmes dans le jazz un rôle plus conséquent et une plus juste place. Jean Paul Ricard, un ardent défenseur des femmes dans le jazz, persiste et signe avec son copain Jean Buzelin, spécialiste de blues, mais aussi du Montmartre fin XIXème, de l’entre-deux guerres, période exceptionnelle avec des chanteuses de l’envergure d’une Damia, Frehel, Lys Gauty, Marie Dubas.

Second volet de la série Jazz Ladies, cette anthologie rassemble cette fois les pianistes chanteuses. Il est vrai que les femmes qui chantent, les canaris qui se tiennent près du piano, n’ont jamais eu par le passé et jusqu’à aujourd’hui, de problème de visibilité. Jean Paul Ricard et Jean Buzelin couvrent à eux deux toutes les chanteuses pianistes en jazz, blues, rhythm & blues, gospel sur la période qui va de 1926 à 1961, dans les respect des droits, selon une législation injuste du domaine public. Nos deux experts nous invitent à l’écoute, pour notre plus grand plaisir d’un second coffret de 3 Cds qui ne laisse aucune musicienne sur le bord de la route, et Dieu sait que ce fut «une longue marche» comme le souligne joliment JP Ricard. C’est une réévaluation de ces jazz women, souvent inconnues qui ont défriché le terrain pour les musiciennes d’aujourd’hui. Merci pour elles !

30 artistes et 76 plages à écouter, un livret de 24 pages de notes érudites avec les biographies des musiciennes sélectionnées : un travail de bénédictin qui n’omet rien du contexte de l’enregistrement, dates et personnel de la séance pour chaque titre. Un travail de mémoire et de réhabilitation de ces formidables musiciennes dont pour au moins 5 d’entre elles, on ne dispose même pas de leurs dates biographiques. Citons par exemple La Vergne Smith (CD2) autodidacte qui n’a enregistré que 3 albums et qui donne des versions du magnifique «Blues in the night» et de cette torchsong «One for the road» lancée par Fred Astaire dans The Sky’s the Limit, film de 1943, par ailleurs dispensable et immortalisée surtout par Sinatra.

Nos deux auteurs, chacun de leur côté, ont puisé dans leur vaste collection de LPs, et après un examen comparatif, ont déterminé les titres les plus représentatifs de chacune des chanteuses retenues, avant de monter à Paris au studio d’enregistrement pour la préparation du coffret, validé après restauration, mastering et une dernière écoute de la maquette. Du travail de pro !

La thématique choisie et l’époque nous font remonter aux musiques sources du jazz : les cinq dernières plages de chaque Cd sont respectivement dédiées au gospel, blues et boogie-woogie roots. A noter une curiosité Arizona Dranes, pianiste aveugle et son «It’s all right now», le titre le plus ancien, de 1926, mix de ragtime et barrellwoogie. Assurément un document!

Autre originalité de la sélection qui sort des sentiers battus, aucune chanson de la triade capitoline, des divas du jazz (Ella, Sarah, Billie) ni même de la petite cinquantaine de chanteuses que l’on liste souvent dans les magazines de jazz. On découvre des chanteuses qui, au piano s’illustrent dans le stride, le boogie, le blues, viennent de Kansas City, ont été repérées par Fats Waller. Ou ont un style original.

Ainsi, dans le premier CD (1926-1961) quelques belles découvertes, des pépites qui donnent envie de se remuer et de claquer des doigts avec une Cleo Brown très fraîche qui swingue dès l’ouverture dans le délicieux«Lookie, Lookie, Lookie, Here comes Cookie» (1935-1936) qui vous reste en tête toute la journée, une Lil Hardin plutôt gouailleuse qui eut sur la carrière de son mari Louis Armstrong une certaine influence (elle apparaît d’abord sous le nom d’Armstrong avec un Swing orchestra en 1938, puis sous son nom en 1961). Una Mae Carlisle de 1938 à 1944, repérée par Fats Waller qui balance des petites chansons formatées, à moins de 3’ souvent lestes. Et aussi un merveilleux «I met you then, I know you know»accompagnée de Slam Stewart et Zutty Singleton.Rien que ça et cet air aussi reste en mémoire... Avec Julia Lee, sur la couverture du coffret, on se paie une bonne tranche de blues, de boogie en trio ou avec ses Boy Friends (!) entre 1945 et 1947 «Nobody knows you when you are down and out». Impressionnante découverte, Camille Howard et Roy Milton & his Solid Senders dans un «Thrill me» sans équivoque en 1947 ou encore «You don’t love me»!

Le deuxième CD (1930-1961) varie aussi les styles, après la révélation d’une Martha Davis ou d’une La Vergne Smith, comment résister à la tornade, au débit aussi vif qu’humoristique, Nellie Lutcher dont on aime sa version de «Sleepy Lagoon». Rose Murphy est évidemment en plein contraste: voix de gamine, la «chee chee girl» créa «I wanna be loved by you» que devait lui chiper, et reprendre avec le succès que l’on connaît, Marylin.

Le dernier CD (1944-1961) évoque une période plus récente (!) et accueille d’ incontournables stars comme Shirley Horn toujours sur le fil, en équilibre instable, voix modulant entre grave et aigu, velouté et rauque ; la grande Nina Simone, éblouissante au piano qui aurait mérité en effet d’avoir une carrière de concertiste classique. Blossom Dearie qui rejoint la catégorie des voix juvéniles, acidulées, savait s’entourer de musiciens hors pair ( Herb Ellis, Ray Brown, Jo Jones, excusez du peu) pour recréer son univers intimiste. On peut préférer des voix plus «adultes», sans affectation, à l’énonciation parfaite comme celles de Jeri Southern «I don’t know where to turn» ou de cette Audrey Morris avec ses Bistro Ballads et un mémorable «Good Morning Heartache». On comprend que Billie et Duke soient allés l’écouter!

Guidés par l’expertise de tels connaisseurs, qui se sont livrés à ce «labour of love», non seulement l’amateur se régale mais se constitue ainsi un bréviaire du jazz, une discothèque vocale idéale et exhaustive de tous les styles de chanteuses-pianistes de cette période. Une anthologie précise, précieuse et indispensable pour l’histoire de la musique. Chapeau bas,Messieurs!

Sophie Chambon
 

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7 février 2021 7 07 /02 /février /2021 15:37
LALO SCHIFRIN FOR MANDOLIN  Sonata del Sur –Fantaisie & Works of Nicolas Mazmanian

 

LALO SCHIFRIN FOR MANDOLIN

Sonata del Sur –Fantaisie & Works of Nicolas Mazmanian

Sortie le 1er février 2021 LABEL LA MAISON BLEUE/SOCADISC

Vincent Beer-Demander (mandoline), Nicolas Mazmanian (piano)Gregory Daltin (accordéon)


compagnievbd.org

 

Compositions : Lalo SCHIFRIN

Sonata del Sur for mandolin & piano (2017) – 22’35, dedicated to Vincent Beer-Demander

Fantaisie pour mandoline & accordéon (2019) – 11’16, dedicated to Vincent Beer-Demander & Grégory Daltin

Compositions : Nicolas MAZMANIAN

Variations on a theme of Lalo Schifrin for mandolin & piano (2018) – 12’25 Dedicated to Lalo Schifrin

Fantaisie concertante « L.A » for mandolin & piano (2016) – 14’31 Dedicated to Vincent Beer-Demander

 

Présentation et interview de Lalo Schifrin

 

Vincent Beer Demander fait souffler un air de nouveauté sur le répertoire de la mandoline, instrument baroque du XVIIème, “a petite soeur de la guitare” à la tessiture du violon ( du sol grave au la suraigu). Les sonorités, le style évoluent. La rencontre avec Vladimir Cosma qui a pu composer une symphonie, une fugue, une chanson, un thème jazz, lui a ouvert de nouvelles perspectives et il a sollicité alors cet autre compositeur de musiques de films, tout autant éclectique, Lalo Schifrin. D’une brève rencontre à Paris en 2016, est né le projet d’un Concerto pour mandoline. Schifrin s’est pris au jeu: d’une grande curiosité, il n’a jamais écarté aucun instrument, et a utilisé, parfois en les isolant ou en les mettant en valeur la flûte dans The Fox, le basson dans The Kid of Cincinnati, ou encore le cymbalum dans Le Village des Damnés. Alors pourquoi pas la mandoline, même si ce qui l’intéresse est la forme du concerto, son organicité. De retour à Los Angeles, Lalo Schifrin compose le «Concierto Del Sur» pour mandoline et orchestre, créé l’année suivante au Festival de Chaillol en France puis à Washington et dans le Maryland aux États Unis.

Vincent Beer Demander fait alors entrer dans le mouvement son collègue enseignant pianiste du conservatoire Nicolas MAZMANIAN ( l’un des derniers élèves de Pierre Barbizet), et lui fait rencontrer à U.C.L.A, Schifrin lors de la création pour le Concierto del Sur. Il s’ensuivra 2 deux pièces inspirées de Lalo Schifrin dont

Variations on a theme of Lalo Schifrin for mandolin & piano (2018) – 12’25 Dedicated to Lalo Schifrin qui débutent le CD.

Les Variations sont un hommage d’un compositeur à un autre, à l’image de celles de Beethoven pour Diabelli. Ou celles de Brahms pour Paganini. La musique créée retraverse la vie du compositeur argentin Lalo Schifrin à travers le choix d’un thème qui fit sa renommée, celui de la série Mission : impossible. De manière plus ou moins évidente, le thème va revenir dans les 7 parties de cette composition. Ce qui paraît intéressant dans la démarche de Nicolas Mazmanian est d’avoir amené toutes ses variations vers le thème et non l’inverse qui est appliqué d’ordinaire.Argentina” pose le cadre, le tango emblématique des origines, “Nostalgia” évoque directement le thème, mais pas à la manière d’une poursuite comme dans la série : la mandoline, d’une délicatesse extrême étire le temps, l’instant seul compte. Puis, on retrouve les trois premières notes dans un “Preludio” inpiré de Bach piano arpégé; “Cancion” ouvre plus gaiement avant “la vida coloreada” aux rythmes sud américaines tout en effets percussifs. “Armonizacion” s’inspire des couleurs et modes du maître Messiaen. Et la conclusion est sans appel : le thème que tous connaissent et aiment, y compris les plus jeunes, aujourd’hui encore, celui de la série, sortie en 1967!

 

La Sonata del Sur, for mandolin and piano ( 2017) de plus de 22 minutes, en 3 mouvements, remaniée par Lalo Schifrin à partir de son Concerto créé en 2017 est le morceau de bravoure du CD, bien plus qu’une réduction piano de l’orchestre, une oeuvre de musique de chambre, écrin aux performances des deux instrumentistes. On est très vite perdus dans un mouvement fluctuant sans cesse, des métamorphoses qui s’enchaînent, ne ménageant aucun répit aux spectateurs et plus encore aux instrumentistes. Comme dans une oeuvre classique, trois mouvements se succèdent : une Fantasia joyeuse, Balada, sur un tempo plus lent, a l’atmosphère d’une sérénade donnée sur une gondole glissant mystérieusement sur le Gran Canal. Des ruptures de ton, des passages très brefs d’une mandoline endiablée. Le dernier mouvement Fuego est en correspondance avec son titre, une musique solaire du sud, que ce soit Marseille et la Méditerranée ou L.A et la Californie, plus rapide et excitant, souligné plus par les aspects dynamiques et percussifs que par des dissonances.

Jeux de miroir, de doubles entre mandoline et piano, deux voix, plusieurs lignes mélodiques qui ne se jouent pas souvent en même temps, qui montrent toutes les possibilités de la mandoline, d’une grande palette expressive. On joue sur une corde, ou sur les doubles, usant du trémolo tenu ; on pousse les notes au plectre entre pouce et index, on peut aussi faire entrer en résonance tout l’instrument pour produire le son de la table d’harmonie au dos de l’instrument.

On entend ensuite la Fantaisie Concertante L .A for mandolin et piano, la première composition écrite pour Vincent Beer Demander par Nicolas Mazmanian.

Une forme libre qui fait se succéder le motifs, cousus et recousus, pour solistes. C’est un exercice de style en hommage au mandoliniste à son énergie indomitable et son humour avec trois mouvements : un prélude à la manière de musique ancienne, avec des trémolos vifs; un “humoreske” appuyé et saccadé marche rock pour finir par une “Rêverie” plus “classique mais d’une énergie fluide.

Le CD se termine avec une dernière pièce de Lalo Schifrin très originale et qui porte pourtant sa griffe, la Fantaisie pour mandoline et accordéon de 2019 qui met en en valeur l’alliage des timbres de la mandoline et de l’accordéon; on retient particulièrement un chorus d’accordéon sur fond d’ostinato de mandoline, mais aussi les qualités percussives des deux instruments.
 

Ce CD est une double découverte : un instrument, la mandoline dans un contexte insolite, et des instrumentistes classiques, jeunes et passionnés des musiques de Lalo Schifrin. Tout le monde a entendu en effet ses musiques de séries ou de films, mais les amateurs de jazz le connaissent évidemment pour son parcours jazz qui a commencé avec Dizzy Gillespie.
 

Sophie CHAMBON

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7 février 2021 7 07 /02 /février /2021 11:32

Clément Janinet (violons), Clément Petit (violoncelle), Benjamin Flament (percussions)

Nantes, sans date

Green Lab Records GLR 001SPG1 / Muséa

 

Trois esprits libres portés par le désir ardent de faire musique sans œillères ; et surtout les oreilles grandes ouvertes sur les bruits du monde (monde musical, mais pas que....). Le disque a paru en novembre, et j'attendais chaque fois pour le chroniquer de pouvoir en même temps annoncer les concerts prévus (Pantin, Nevers, Besançon, Paris....). Tous annulés/reportés, hélas ! Alors j'ose partager mes (très bonnes) impressions à l'écoute de ce disque. Ces trois francs-tireurs ont plus d'une cartouche dans leurs besaces respectives, et c'est ce qui fait le charme, et la force, de ce CD. L'intitulé est déjà une pétition de singularité : les galvachers étaient les charretiers itinérant du Morvan, qui jadis mettaient leurs attelées de bœufs au service du débardage. Charretier de l'espace : vaste programme qui ouvre toutes les portes de l'imaginaire. Et l'imagination ne fait pas défaut. On circule librement entre une foule de traditions musicales, des pulsations fragmentées d'un instrumentarium éclaté à un paysage extrême-oriental en passant par la continuité feinte d'une ligne de basse (enfin de violoncelle) comme le jazz se plaît à en sécréter. La musique répétitive rôde aussi dans les parages. Le tout servi par une précision instrumentale qui fait merveille, dans l'improvisé comme dans le préconçu. Tous les instruments circulent librement de l'acoustique à l'électronique. Beaucoup de sonorités littéralement inouïes, dans un parcours aussi libre que cohérent. On se précipite !

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

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