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9 mai 2006 2 09 /05 /mai /2006 07:27

JJJJ THOMAS SAVY: « Archipel »

 

 

 

Nocturne 2006

 

 

 

Beaucoup pensent ne pas connaître Thomas Savy qui signe là son premier album. Et beaucoup se trompent. Car Thomas est pour beaucoup de jazzmen l’un des sideman les plus recherché. On le retrouve chez Vincent Artaud, Pierrick Pedron ou Christophe Dal Sasso sans compter le nombre incalculable de prestations en sideman dans les clubs. Et chaque fois cette même constante qui en fait un partenaire particulièrement recherché : le « son » Thomas Savy à la clarinette basse, instrument qu’il s’est approprié au point d’incarner aujourd’hui l’instrument sur la scène française du jazz. Cet élève doué qui a quitté ses études classiques pour rejoindre les bataillons de Jeanneau et Théberge au CNSM a quasiment abandonné tous les autres anches pour ne se consacrer qu’à cet instrument. Au point que l’on croit y entendre à la fois le clarinettiste Jimmy Giuffre dans l’oreille droite et dans les aigus et le sax baryton Pepper Adam dans l’oreille gauche lorsqu’il descend dans les graves. Car Thomas Savy possède cette sorte de respiration profonde et chantante qui le porte à mettre en valeur les structures mélodiques et rythmiques les plus évidentes. Un discours épuré, simple et beau. Le capiteux de la clarinette basse. Le son délicat du bruit des clés. Un art de la mesure en toute chose. Jamais dans la surexpressivité. Un murmure caressant. Les clarinettistes ont parfois de ces pudeurs !

 

 

 

Et pourtant dans « Archipel » Thomas Savy avec Vincent Artaud à la direction artistique se révèle d’une grande audace. Car il est audacieux  de passer, tout en restant cohérent, du rock furieux « ma non troppo » (Rock on où Thomas Savy transcende son instrument) à un classique et très Ravelien Pour Pierre, à un jazz modal pour jus (single track road ) voire plus free (comme le bien nommé Solo) ou encore comme au très Strayhornien 19/08/03 dans lequel Thomas Savy, dans les graves parvient à faire trembler les murs. Le titre éponyme, Archipel, est un des points culminant de l’album, un morceau dans lequel chaque membre de la formation ajoute sa patte pour, en surimpression les uns par rapport aux autres  construire un thème aux arrangements magnifiquement poétiques. Une Exploration Debussienne. L’audace aussi d’insérer dans un disque de jazz une très jolie comptine enfantine à la ligne mélodique simple, aux contrepoints enchevêtrés mais bouleversante d’émotion simple.

 

 

 

La cohésion de cette formation ne contribue pas qu’un peu à la cohérence de cet album mosaïque. Synthèse audacieuse des univers chers au clarinettiste qui signe là toutes les compositions. Audace vagabonde que Thomas Savy peut se permettre dans la mesure où il possède dans le son de sa clarinette basse toute l’histoire de l’instrument dont il porte l’héritage. Ce son magnifique, c’est sa propre cohérence. Jamais dénaturé. Jamais caricaturé. Sorte de fil directeur, d’âme conductrice de cet album merveilleux.

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

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6 mai 2006 6 06 /05 /mai /2006 07:26

Alors que Stéphane Oliva et François Raulin sortent un «Echoes of Spring» en hommage aux pianistes de stride, revenir sur Ellington s’impose régulièrement comme un passage obligé bien que risqué. Avec "Echoes of Ellington", le hautboïste Jean Luc Fillon, musicien au parcours original, qui a toujours souhaité faire se croiser les chemins de la musique, est allé braconner sur les terres voisines de l'improvisation. Après un remarqué Oboa, où il tentait déjà le passage, il sort résolument du répertoire de son instrument et s‘attaque à un des géants du jazz classique. Reprendre Duke Ellington n’est jamais facile, car dans l’œuvre démesurée du Duke ne retrouve-t-on pas le jazz dans son intégralité ? L’instrumentation mérite une mention particulière : le cor anglais -encore plus rare en jazz que le hautbois, est un instrument étrange encore plus qu’étranger : ni cor ni anglais, il fait partie des vents, anche double qui sonne aussi une quinte au-dessous du hautbois. Le hautbois n’a pas en général les faveurs du grand public (le son parfois décrié comme aigrelet et nasillard, se rapproche tout de même du soprano) : instrument noble -il donne le "la" à l’orchestre- fragile et complexe, il lui faut s’adapter aux paysages du jazz avant de prétendre à une légitimité qu’il peut acquérir avec l’adaptation des classiques du grand orchestre de Duke. Claude Carrière, le génial producteur sur France musique, de la série des « Tout Duke », ne s’y est pas trompé : dans des notes de pochette impeccables, il présente le travail précis, original et néanmoins fidèle à l’esprit de ces thèmes éternels qui retraversent une bonne partie de l’histoire du jazz : de l’inoxydable « The mooche » (1928) à « Wig wise » de 1962 qui marque la rencontre "moderne" de Duke avec Mingus et Roach, excusez du peu. Comme le chef savait écrire pour « ses » hommes, les Cootie Williams, Johnny Hodges, Lawrence Brown, Ray Nance et braquer les projecteurs sur eux, ces partitions redonnent la part belle à des « solistes » brillants. Le trombone velouté, enjôleur de Glenn Ferris assure l’alliage-alliance rutilant autant qu'indispensable, tout en virevoltes et caresses. Il peut aussi reprendre avec vigueur et jubilation « Caravan » et « Perdido » , les chevaux de bataille de Juan Tizol avec une rythmique entraînée à jouer ces compositions rendues "simples" par un swing imparable (l’impeccable contrebassiste Jean Jacques Avenel et le percutant Tony Rabeson entretiennent une belle tension ). Le pianiste coloriste, fidèle complice de JL Fillon, le portugais Joao Paulo prend de belles échappées en duo sur « I got it bad » ou dans le final « Warm valley ».
 Jean Luc Fillon montre qu’il sait s’emparer d’une forme musicale en plasticien stylé, user de la paraphrase et de la variation, s’inspirer tout en détournant de façon pertinente, revivifier de façon astucieuse la tradition sans que l’on puisse un seul instant oublier l’original (« I'm beginning to see the light »). Car si rejouer serait contraire à l’esprit du jazz, phagocyter les thèmes ellingtoniens est impossible. Cette relecture de toute une époque dans une perspective moderne, qui n’oublie pas la lisibilité, est le coup de chapeau d‘un arrangeur qui sait aussi s’effacer devant son héros.
La caravane continuera de passer longtemps.

 

 

 

Sophie Chambon

 

 

 

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3 mai 2006 3 03 /05 /mai /2006 07:35
Interview du pianiste Nico Morelli

 

 

 

 

Quel est ce parcours avant que tu arrives en France en 1999 ?

 

J’ai commencé à jouer vers l’âge de 7 ans. Mes parents n’étaient pas musiciens, mais un jour ils m’ont donné un petit accordéon en jouet et à partir de ce jour là je me suis enfermé dan ma chambre pour jouer et jouer encore. Et quand ils ont vu que j’avais ce rapport à la musique, très jeune ils m’ont offert un piano. A 15 ans j’ai commencé à jouer dans des groupes de rock. En fait j’étais très déçu par les études classiques car j’étais déçu par l’enseignement qu’on y professait.

 

A cette époque j’étais fan de Pino Daniele. C’est un joueur de blues napolitain qui chante en dialecte. Dans ses disques, il invitait parfois des gens du jazz comme Wayne Shorter, Pat Metheny ou Chick Corea. Moi, à l’époque, je reproduisais à l’oreille les chorus de ces gens là qui me fascinaient. Et j’avais du mal à comprendre leur construction harmonique. Du coup, je me suis plongé dans le jazz rock de l’époque (Weather Report ou Steps Ahead). J’étais surtout branché sur le jazz électrique. Mais de fil en aiguille, j’ai atterri du côté de l’acoustique au point de tomber sur un album de Oscar Peterson qui est tombé comme une révélation. Je n’arrivais pas à croire qu’un être humain puisse jouer comme cela.

 

A 18 ans, j’ai vraiment décidé que je voulais devenir musicien (pas de jazz à l’époque). Et du coup comme j’étais, en Italie, trop âgé pour entrer dans un conservatoire j’ai fait mes études à l’extérieur mais tout en m’inscrivant chaque année aux épreuves des examens du conservatoire. J’étais assez motivé pour faire en 5 ans le cursus classique qui en principe en demande 10.

 

 

Cet apprentissage du piano a-t-il aussi été douloureux ?

 

Je l’ai pris comme une discipline très stricte et pendant 5 ans j’ai perdu tous mes amis, toutes mes relations et je travaillais de 8h du matin jusqu’à 11h le soir. Mes voisins étaient fous…. Mais c’était le seul but de ma vie même si pour moi à 18 ans, commencer du classique c’était déjà bien trop tard si l’on en juge par les gamins de 15 ou 16 ans qui deviennent très tôt des petits génies. Quand au jazz, il n’y avait pas vraiment d’écoles pour cela. Après mes années d’étude, j’ai fait quelques concerts de classique mais je continuais surtout à faire des masters class. Après mes études, en 1990 j’ai fait une audition pour un  cours de formation au jazz  qui durait deux ans dans une ville à côté de l’endroit où j’habitais (dans les Pouilles). Et parmi les invités du big band de la formation il y a eu des gens comme Steve Lacy, Glenn Ferris ou Paolo Fresu. A ce moment là, je ne jouais que dans les Pouilles. Dans ma région. En 1993/1994, j’avais déjà écrit quelques compositions et j’ai rencontré un saxophoniste italien avec qui on a eu la chance de faire un premier disque en 1993. C’était un groupe drumless. C’est ce premier groupe qui m’a fait mettre un peu le nez dehors et jouer un peu dans des festivals dans d’autres régions. J’ai commencé alors à véritablement côtoyer le milieu du jazz (musiciens, journalistes, éditeurs etc.…). J’ai alors pu jouer avec d’autres musiciens qui étaient bien plus avancés que moi dans leur carrière.

 

Puis en 1998 on m’a proposé un disque avec le très grand Marc Johnson à la contrebasse et Roberto Gatto à la batterie.

 

 

Ça doit être émouvant de jouer avec le dernier contrebassiste de Bill Evans On doit se sentir tout petit ?

 

En fait oui, mais il fallait que je dépasse la dimension du personnage parce que c’était mon projet, mes compositions, mon groupe. Il fallait que je me transcende. Mais jamais Marc Johnson ne m’a fait sentir le poids de sa notoriété. Extrêmement humble,  il m’a énormément encouragé. Le jour du premier concert il y a eu un retard de son avion qui venait de New York et on a presque annulé le concert. Il est arrivé à Rome juste une heure avant le concert. Pas le temps de répéter. J’imaginais alors qu’il n’y avait rien d’autre à faire qu’une sorte de jam session avec simplement des standards. Il est arrivé juste sur scène le temps de mettre le jack et tout a marché comme sur des roulettes tout simplement parce qu’il avait travaillé de son côté toutes mes compositions. Et il les connaissait par cœur. Et tout a été parfait !

 

Après cette expérience j’ai remonté mon propre trio avec des musiciens peut être moins célèbres mais avec qui je pouvais tourner plus souvent. On a alors beaucoup tourné et même gagné un concours international en 1998. On s’est à cette occasion trouvé sur scène avec Herbie Hancock, Dee Dee Bridgewater, Tom Harrell et là on a gagné le premier prix ! Du coup on est passé à la Télé et tu n’imagines pas ce qui m’est tombé dessus. Moi qui venais de mon village des Pouilles, on me reconnaissait dans la rue !

 

En octobre 1998, je n’avais pas beaucoup d’engagements en Italie et Flavio Boltro m’a proposé de venir en France. J’ai saisi l’occasion de venir faire un tour pour les vacances tout en profitant de cette occasion pour jouer un peu. Mais je n’avais pas l’intention de rester. Et de fil en aiguilles, j’ai rencontré pas mal de musiciens français et j’ai vite eu des engagements dans des clubs. Mais mon arrivée à Paris a été en fait mon premier contact avec une grande ville. C’était la première fois que j’habitais dans une mégapole. Et pour l’activité de musicien il y a une telle activité dans les clubs à Paris que tout s’est enchaîné. Et là j’ai d’un seul coup été confronté avec plein de musiciens qui ne me connaissaient pas forcément et qui m’invitaient de partout. Et surtout j’étais confronté avec des musiciens de tous les niveaux. Avec des bons et des mauvais musiciens. Je me rends compte que l’on progresse autant avec les premiers qu’avec les seconds.

 

 

En venant en France, tu es venu avec ton bagage universel, celui de la musique du jazz qui te permet de communiquer avec tout le monde. Est ce que cela a été aussi l’occasion de te confronter avec d’autres cultures musicales que tu ignorais ?

 

Ce qui est sûr c’est que j’ai retrouvé en France d’autres façons d’aborder la musique. A Paris il y a une multi ethnie bien plus importante qu’en Italie. J’ai donc pu confronter mes idées avec des musiciens Africains, Argentins, avec plein de musiciens qui ne sont pas forcément de jazz mais qui m’ont appris de nouveaux langages et qui m’ont donné de nouvelles ouvertures propices à ma propre musique

 

 

Dans ton gotha en matière de piano, quel et celui ou ceux qui t’influencent le plus ?

 

C’est un parcours. J’ai commencé avec Chick Corea, Herbie Hancock, Oscar Peterson pour arriver finalement à Art Tatum. Même si quelqu’un qui a dit que Art Tatum n’était pas un musicien de jazz sous prétexte qu’il faisait des variations et n’était pas réellement un improvisateur. C’est un musicien fondamental pour moi.

 

 

Cette référence n’est pas étonnante. Dans ton dernier album il y a c’est vrai dans ta façon de jouer celle d’un mort de faim, une sorte d’expression vitale et une énergie désespérée que l’on retrouve un peu aussi chez Tatum.

 

C’est vrai que lorsque j’ai enregistré mon dernier disque c’était l’un des moment les plus beaux de ma vie. Il est différent des disques précédents. Dans ce disque c’est un rêve de musicien ? Quelqu’un est venu me voir et m’a demandé d’enregistrer pour lui. Ce disque était une énergie plus qu’un projet. Et puis j’ai eu la chance d’avoir pour cet album Marc Burronfosse et Stéphane Kérécki, Aldo Romano et Stefano di Battista.

 

 

Tu aimes visiblement composer. As-tu beaucoup de demandes ?

 

Composer c’est aussi un défi, mais il ne faut pas le mettre à côté et ne jouer que des standards. Je regrette par exemple que quelqu’un comme Jarrett ne compose plus. C’est pour moi une expression intime essentielle de l’artiste.

 

 

 

 

Quelle est ton actualité ?

 

Je travaille sur ce film qui me prend pas mal de temps. Depuis mai 2004, un réalisateur m’a appelé pour me proposer de faire un film sur ma vie. J’ai raccroché en pensant que c’était une blague ; mais en fait il a rappelé ensuite et m’a donné rendez vous dans un  café. Il m’a exposé son idée. Ce sera un documentaire- fiction. Dans la partie fiction il y aura des acteurs. Par exemple Il y aura un enfant qui fera moi quand j’avais 3 ans, ou un acteur qui jouera mon rôle à l’âge de 15 ans et puis il y aura aussi de faux parents. Ça c’est pour la partie fiction. Pour la partie documentaire il y aura des invités, des musiciens avec qui j’ai collaboré, des interviews etc…. En fait l’équipe de réalisation me suit partout, filme mes concerts. Le film sortira avec le prochain disque que j’enregistrerai chez Cristal. Il sera aussi diffusé sur les chaînes de télé, Arte, Mezzo, la Raï.

 

 

Il y a donc un nouvel album en préparation

 

Je ne suis pas encore rentré en studio. Je rentrerai début 2006 pour une sortie en octobre 2006. Mais tant que cela n’est pas fait je ne veux pas trop en parler. Ce sera avec un groupe de jazz qui s’intègrera à d’autres éléments.

 

 

Dans tes rêves de musicien, avec qui rêverais-tu de jouer ?

 

Je crois que j’adorerais jouer avec Lee Konitz car c’est un musicien pur. J’adore cette école tristaniene. Dans le phrasé de Konitz il invente toujours des choses. Il ne retombe jamais sur les phrases qu’il a déjà joué.  Quand à Tristano c’est une musique sans compromis. Il est quasiment dans les mathématiques dans sa construction. La signification est purement dans les notes. Je pense que Tristano a inventé le free dans le sens où ils ont inventé des structures libres. Il y a un disque de Tristano qui s’appelle «  Descent into the maelstrom » c’est un disque qu’il a fait en superposant des bandes de piano. C’est encore plus avancé que le free. C’est incroyablement moderne pour l’époque. C’est ce que l’on fait aujourd’hui en électro mais à l’époque il le faisait en acoustique. Il était extrêmement moderne.

 

 

Tu écoutes quoi en ce moment ?

 

Ce matin j’écoutais « New Conception » de Bill Evans. J’adore sa notion du trio.

 

 

Justement, alors que Bill Evans semblait toujours mal à l’aise avec la place de la batterie, toi tu sembles t’appuyer beaucoup sur le drumming

 

Moi j’adore les batteurs qui donnent de l’énergie. J’adore cet échange d’énergie entre le batteur et le piano. Les bassistes tiennent la barque mais l’échange de l’énergie c’est pour moi entre le piano et la batterie. Il doit y avoir beaucoup d’intelligence de la part des batteurs pour comprendre et soutenir l’esprit d’un morceau. J’adore les batteurs comme Roy Haynes ou Tony Williams.

 

 

Sur ton île déserte tu emporterais quoi ?

 

Pour la musique c’est Keith Jarrett en live avec De Johnette et Peacock «  Still live » (ECM 1986). Sinon j’emmènerais un livre de James Redfield : «  la prophétie des Andes ». Et puis sinon un bateau.

 

Propos recueillis par jean marc Gelin

 

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3 mai 2006 3 03 /05 /mai /2006 07:31

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2 mai 2006 2 02 /05 /mai /2006 08:01

Miracle céleste ! Accomplissement divin ! L’autre jour un des reporters des DNJ qui a ses entrées un peu partout et notamment au paradis des musiciens surprit du côté de chez Saint Pierre cette conversation entre Ellington et Basie : « t’as entendu ce Badini et sa sacrée machine à swinguer ! Quand tu penses que c’est moi qui lui ait tout appris ! ». « Mais non pas du tout répondit le Duke, c’est moi. D’ailleurs t’as qu’à voir, dès que j’ai eu le dos tourné il s’est empressé de me piquer Sam Woodyard, mon batteur ». «  Il n’empêche, interrompit Basie, ce gars là à fait trop de bonnes choses pour le swing, je crois qu’il mérite qu’on lui fasse un petit cadeau ». Et les deux hommes de sa taper dans la paluche et de se renvoyer mutuellement leur clin d’œil.

 

 

Sur ces entre faits, alors que le gars Badini dormait bien profondément chez lui du côté de Deauville, il se réveilla en pleine nuit pour aller pisser mais ne parvint plus à retrouver le sommeil. Un nom lui revenait en tête, Scriabine, Scriabine, Scriabine ! C’est curieux parce que ce compositeur est un contemporain de Debussy sur qui Badini avait déjà travaillé et que dans les projets de Gérard il y avait plutôt Ravel. Mais non, ce Scriabine lui revenait tout le temps en tête. Alors il se plongea la tête la première dans l’œuvre du compositeur et y découvrit de pure merveilles. Au petit matin, alors qu’il n’avait toujours pas remarqué l’auréole qui flottait au dessus de sa tête il se précipita sur le téléphone et appela son copain Stan (Lafferière) et lui demanda de rappliquer illico en prenant au passage notre Paul Gonsalves national, André Villeger, parce que là il y avait du boulot, du génie à moudre.

 

 

Et le résultat vous l’avez là devant vous. Un cadeau du ciel. Un bijou. Un pur chef d’œuvre !

 

 

Gérard Badini et sa super swing machine se lancent âmes et flammes sur les traces du compositeur russe. Avec un délicieux souci de lisibilité et pour bien nous faire saisir leur travail chaque morceau est précédé de la version « originale » interprétée par le jeune prodige russe Igor Tchetuev. Chaque fois avec l’aide de Stan Lafferière sont mis en places des phrases interludes qui poursuivent le fil classique et préparent leur entrée au répertoire jazz. La reprise de ces opus mis en regard nous montrent de manière limpide tout le travail de Badini. Quel travail d’arrangement ! Quel swing ! Quels solistes nom d’un petit bonhomme. Il faudrait citer Villeger bien sûr mais aussi Michel Pastre, Sylvain Gontard, le génial Jerry Edwards, Pierre Christophe sans oublier le jeune Olivier Zanot et tous les autres.

 

 

Le big band de Badini c’est l’intelligence de Ellington et le son de Basie.

 

 

Rarement nous avons été conquis à ce point. Jubilant d’un instant à l’autre de ce chef d’œuvre. Et Badini ne nous fait pas que swinguer du feu de Dieu, il nous donne en plus et aussi l’envie de nous plonger aussi dans l’oeuvre de Scriabine.

 

 

Alors si nous devions alors prononcer le mot de la fin nous ne dirions que deux mots : «  Victoires, victoires ! »

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:42

Éditorial AVRIL

 

 

 

 

 

 

 

Je ne sais pas si vous aviez des doutes mais nous on peut vous rassurer. La musique est une affaire de professionnels pour professionnels. Il y a des sachants qui causent entre eux et s’échangent leur savoir entre eux, pour que vous, public béat et spectateurs éclairés vous puissiez écouter sagement et sans mot dire ce que l’on vous propose. Quand à laisser des espaces de création, des passages de témoins aux amateurs, c’est une toute autre histoire.

 

 

C’est en tous cas ce que doit penser l’Ariam (Association régionale d’information et d’actions musicales) qui vient de décider après plus de 15 années d’ateliers ouverts aux amateurs, de les supprimer tout bonnement et de faire de cette noble institution un lieu exclusivement réservé à la formation pour formateurs. Que l’élite reste ente elle. L’école c’est pour les gens qui veulent en faire leur métier, pas leur passion ! Cette décision est brutale pour les centaines d’élèves amateurs qui trouvaient là un espace d’apprentissage que leur refusent souvent les conservatoires, fermés au public adulte. Elle l’est tout autant pour les enseignants qui tous affirment la magie qui régnait dans ces lieux d’échange. Lieux de passion pour passionnés. Lieux de flammes partagées.

 

 

 

 

Il y a selon nous dans cette décision une grande stupidité. D’abord parce qu’on ne forme pas des formateurs en ayant perdu tout contact avec les élèves, fussent ils de simples amateurs.

 

 

Ensuite parce qu’il y a dans cette décision une indicible ignorance de ce que doit être la transmission de la connaissance. L’ignorance de ce que le meilleur des maîtres ne se nourrit pas que de son propre savoir mais aussi de l’échange avec celui qui ne sait pas. Qu’il se nourrit autant de ses connaissances que de l’esprit critique qu’il créé chez son disciple. La grand philosophe George Steiner : « La libido sciendi, la soif de connaissance, le besoin ardent de comprendre, sont inscrits dans le meilleur des hommes et des femmes. Comme l’est la vocation d’enseignant. Il n’est pas de métier plus privilégié […]. Fût-ce à un humble niveau, celui du maître d’école, enseigner, bien enseigner, c’est se rendre complice du possible transcendant »

 

 

Mais plus généralement alors que certains élus en France se battent pour instaurer une démocratie participative, et offrir aux citoyens des lieux d’expression, d’action et d’interaction, la décision de l’Ariam de fermer ses portes au peuple des citoyens de la musique nous semble extraordinairement rétrograde. Cette décision qui, paraît il n’a rien de financier mais procède juste d’une volonté politique va à l’encontre de ce qui se dit ailleurs, dans la rue. Avec la véhémence que l’on sait.

 

 

Le risque est alors de voir un grand nombre d’amateurs se détourner de l’art qui les anime faute de lieu d’apprentissage et par là même d’expression. Et c’est alors casser une des chaînes de la transmission du savoir. Celle qui va de l’enseignant à l’élève (ici l’amateur souvent adulte) et donc à l’enfant. Et c’est  cloisonner encore un peu plus les structures sociales dans lesquelles nous évoluons et dont nous aspirons à sortir un peu comme une bouffée d’oxygène indispensable à la cohérence du corps social par ailleurs bien fragilisé. On ne sait pas trop ce que la musique peut à gagner là dedans. On voit simplement ce que la culture en particulier et la société en général  ont à y perdre.

 

 

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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:41

Poursuivant l’aventure de Flench Wok, le guitariste sudiste Jean Philippe Muvien persiste, et signe Air libre (titre de Daniel Humair) sur le nouveau label Algorythm qu'il a créé et que distribue Abeille.
Dès les premières secondes, on reconnaît la batterie de Daniel Humair qui continue à enregistrer aux côtés de jeunes musiciens avec lesquels il partage le bonheur du collectif.
Le graphisme sort directement de l’atelier de Philippe Ghielmetti qui ne perd jamais de vue les artistes qu’il aime… et Humair est du nombre. Le batteur comptait en effet parmi les artistes emblématiques du label Sketch, depuis le premier album triple jamais sorti en France Hum en 1999. Gageons qu’à présent le guitariste fait partie des musiciens de la « famille ».
Sans piano, mais avec "des" noms, cette formation pluri-générationnelle illustre le niveau de création auquel sont parvenus les musiciens actuels. Comme les formations régulières sont rares, habitude est prise de s’inviter les uns les autres… et de tracer son sillon. A la paire initiale composée de Humair et Muvien viennent donc s’ajouter de vieux complices du batteur, les maîtres Celéa à la contrebasse et Sclavis aux clarinettes. Ils se glissent partout où il peuvent, et l’espace ne manque pas dans cette musique à la fois construite et ouverte. Les autres invités, plus jeunes, ne sont pas en reste, apportant chacun leur contribution et leurs timbres originaux : finesse et délié du phrasé de Vincent le Quang au soprano, accords mélancoliques de Vincent Peirani à l’accordéon (avouons une préférence pour la couleur "bleue" de ses interventions). Il y a aussi Maja Pavloska instrumentalisant sa voix sur les deux derniers titres, Vlada et ce Drôle d’endroit qui conclut le disque en feu d’artifice. Les irisations de la guitare de Jean Philippe Muvien comblent largement l’absence de piano. Il joue sur l’éclat, entre vivacité cinglante et harmonies décalées. Son phrasé plus harmonique que mélodique, se combine aux emportements plus mélodiques des souffleurs. C'est bien sa propre voix que nous entendons à chaque occasion, au fil de ses rencontres, faisant passer la recherche du son avant l'affirmation de soi.
Huit compositions particulièrement enlevées, souvent co-écrites par le guitariste et le batteur, tiennent sur une longueur quasi-idéale de 46 minutes. Deux d’entre elles rendent hommage au pianiste intense Joachim Kühn, partenaire d’un autre trio historique autant qu'éphémère, le "Triple entente" de Humair-Kühn-Jenny-Clark.
Jean Philippe Muvien parvient à donner consistance à son projet de concilier liberté, invention et respect des règles du rebondissement. Du free son, des accents rock tels que nous les aimons avec une batterie plus subtile : une musique qui respire, électrisante, impatiente et souvent fébrile.
Le guitariste a trouvé en Daniel Humair un partenaire idéal. Les entendre jouer de concert est un régal, car ils ont l'art de nous entraîner à leur suite dans une course folle.
Rien n’est imposé… vous êtes prévenus… seul vous est offert le plaisir de s’abandonner au travail de l’ensemble.

 

 

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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:38

Le dernier album de Paul Motian est vraiment gonflé. Sur la forme Motian ose une formule inédite avec 2 sax ténors (remarquables Chris Cheek avec le sublime et délicat Tony Malaby) + 3 guitares + une basse + une batterie. Il ouvre l’album en s’attaquant avec ce format inédit à deux morceaux légendaires de Mingus dont le réputé très difficile Pithecantropus Erectus et le blues plus que lent Goodbye Pork Pie hat et réussit à faire revivre ces thèmes avec une lecture aussi originale qu’intelligente.  L’association de Tony Malaby et de Chris Potter est exceptionnelle. Chacun des deux au sax ténor apporte une sonorité différente, créent donc de faux unissons ou chacun jouant la même partition fait entendre deux voix différentes et pourtant harmonieuses, jouent en surimpression l’un de l’autre  Les 3 guitares, rarement sur l’avant scène, apportent une sorte de tapis moelleux à l’ensemble dans une sorte de conception nouvelle d’une rythmique évanescente. Mais surtout cet album est un véritable album de batteur où Motian y tient comme à son habitude un rôle époustouflant. Là encore il invente la notion du contrepoint rythmique dévolu à la batterie. Il n’est que d’entendre cette mélodie répétitive, Mesmer, où Motian  joue tout sauf ce que l’on attendrait d’un batteur classique. On le sait Motian est avant tout un coloriste qui dépasse l’instrument et lui donne une réelle place instrumentale. Avec un art consommé de l’architecture, Motian commence et termine l’album avec quatre grands thèmes du jazz, place au milieu  un émouvant Bill de Jérome Kern que l’on imagine dédié à son regretté compagnon, Bill Evans et nous livre 7 compositions allant des plus simples aux plus complexes, montrant encore une fois un sens de l’écriture fait de profondeur que d’évanescences subtiles. Avec un très parkerien Cheryl en fin d’album contrastant avec les couleurs éthérées de l’ensemble, Motian sait aussi brouiller les pistes et jouer la carte de l’éclectisme histoire de rallier les malheureux sceptiques.

 

 

 

Cet album représente un vrai point d’étape dans la construction moderne du jazz. Inventif sur la forme et le fond il représente un passage fondamental dans l’œuvre de Motian. Dont il faut découvrir et déceler toute l’inventivité et de pas refermer trop vite cette page si bien écrite. Qui pourrait bien ouvrir de larges espaces au jazz moderne.

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

 

 

 

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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:36

Le label Cam Jazz sait y faire en matière de duos. Souvenez vous il nous avait gratifié le mois dernier d’un beau duo entre le guitariste Jim Hall et la pianiste Enrico Pieranunzi.

 Dans l’album entre Solal et Douglas il y a un peu le même esprit qui flotte en studio. Celui d’une vraie rencontre, d’un vrai dialogue. Entre les complexités harmoniques de Martial Solal et les abstractions Zorniennes de Dave Douglas, les deux hommes ont trouvé ici un terrain d’entente évident sur des thèmes  originaux (chacun a apporté trois compositions de son cru) autant que sur les standards qui viennent conclure le dernier tiers de l’album. Il y a chez Solal un amusement évident dans sa façon de suivre le trompettiste, de faire la course en tête, de l’anticiper ou de jouer des Walkin bass, à se transformer seul en une vraie section rythmique. Douglas de son côté n’a jamais été aussi Bix Beiderbecke que jamais. L’hommage que les deux hommes rendent à Steve Lacy dans Blues for Steve Lacy est un des moments poignantissime de cet album où la sonorité de Dave Douglas avec un son feutré arrache des phrases perçantes et torturées. A cet instant on pense justement au fameux duo de Mal Waldron avec le regretté saxophoniste soprano. Elk’s club est un des points culminant de l’album d’improvisation/dialogue.  On croirait les entendre commenter une sorte de film muet. Comme s’ils voyaient les mêmes images au même moment. Et nous avec. Il y a beaucoup de respect dans cet album lorsque l’on sait par exemple que Dave Douglas sur For Suzannah alors qu’il devait rejoindre le pianiste après son intro préféra s’adosser au piano et écouter le maître. Et comme l’on sort des sonorités bixiennes de Douglas on pense inévitablement sur ce morceau à la possible inspiration de In a Mist. Et lorsque les deux hommes en viennent aux standards c’est avec un réel bonheur. Loin des expériences du Massada de John Zorn, Dave Douglas montre un réel amour du répertoire et les versions de Body and Soul, Here’s that rainy day ou All the things you are sont absolument admirables.  Un beau moment d’échange de haute volée. Reste à savoir si Martial Solal qui se dit plutôt incompris par les amateurs de jazz a réalisé cet album pour se faire réellement plaisir ou pour se réconcilier avec une partie du public qui l’a toujours boudé. On se gardera bien de trancher dans ce débat pour ne garder qu’une chose, le sentiment qu’au-delà de toutes les polémiques les deux hommes retrouvent dans un partage d’amour les digressions mélodiques avec un sens commun de l’émotion profonde ou joyeuse.

 

 

 

 

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

 

 

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30 avril 2006 7 30 /04 /avril /2006 17:36

Le saxophoniste Laurent Bardaine, le guitariste Maxime Delpierre et le batteur David Ankin doivent partager une sorte de vision cinématographique de la musique. Car avec Limousine, le groupe qu’ils ont fondé, les trois hommes créent un véritable climat, un univers presque irréel entre les grands espaces à la Wim Wenders et les no man’s land d’un Jim Jarmusch. Par touches délicatement insensées, Limousine à chaque morceau nous raconte une séquence. Une sorte de road movie. Lente déambulation de somnambules dans des paysages éthérés où les rencontres les plus fantasmagoriques deviennent possibles au détour du chemin ou à l’occasion d’un interstice subrepticement ouvert. A coup de grands travellings musicaux les trois musiciens sillonnent des espaces oniriques, des univers en apesanteur où l’on croise même des petits bals où se dansent parfois des petites valses dérisoires (Valse, Patinages). Une mélodie triste à trois notes tourne inlassablement sur elle même (Les Noces). Des silences de fin du monde s’installent (Lilas) suivis de petites mélodies enfantines. Bardaine alterne le sax avec les claviers tandis qu’il émerge de la guitare de Delpierre des harmonies subtiles de guitare folk métallisées à la Ry Cooder. Il y a une force incroyable de cet album dans lequel il ne se passe pas rien. Éloge de la lenteur et de l’espace vide- habité  où les trois hommes déroulent la toile avec une infinie patience.  Pas de musiciens performants lançés dans de vains chorus. Juste une pâte sonore faite à petites touches sensibles. Magnifique poésie cinématographique de cet album à l’ineffable  mélancolie.

 

 

Jean Marc Gelin

 

 

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