Interview du pianiste Nico Morelli
Quel est ce parcours avant que tu arrives en France en 1999 ?
J’ai commencé à jouer vers l’âge de 7 ans. Mes parents n’étaient pas musiciens, mais un jour ils m’ont donné un petit accordéon en jouet et à partir de ce jour là je me suis enfermé dan ma chambre pour jouer et jouer encore. Et quand ils ont vu que j’avais ce rapport à la musique, très jeune ils m’ont offert un piano. A 15 ans j’ai commencé à jouer dans des groupes de rock. En fait j’étais très déçu par les études classiques car j’étais déçu par l’enseignement qu’on y professait.
A cette époque j’étais fan de Pino Daniele. C’est un joueur de blues napolitain qui chante en dialecte. Dans ses disques, il invitait parfois des gens du jazz comme Wayne Shorter, Pat Metheny ou Chick Corea. Moi, à l’époque, je reproduisais à l’oreille les chorus de ces gens là qui me fascinaient. Et j’avais du mal à comprendre leur construction harmonique. Du coup, je me suis plongé dans le jazz rock de l’époque (Weather Report ou Steps Ahead). J’étais surtout branché sur le jazz électrique. Mais de fil en aiguille, j’ai atterri du côté de l’acoustique au point de tomber sur un album de Oscar Peterson qui est tombé comme une révélation. Je n’arrivais pas à croire qu’un être humain puisse jouer comme cela.
A 18 ans, j’ai vraiment décidé que je voulais devenir musicien (pas de jazz à l’époque). Et du coup comme j’étais, en Italie, trop âgé pour entrer dans un conservatoire j’ai fait mes études à l’extérieur mais tout en m’inscrivant chaque année aux épreuves des examens du conservatoire. J’étais assez motivé pour faire en 5 ans le cursus classique qui en principe en demande 10.
Cet apprentissage du piano a-t-il aussi été douloureux ?
Je l’ai pris comme une discipline très stricte et pendant 5 ans j’ai perdu tous mes amis, toutes mes relations et je travaillais de 8h du matin jusqu’à 11h le soir. Mes voisins étaient fous…. Mais c’était le seul but de ma vie même si pour moi à 18 ans, commencer du classique c’était déjà bien trop tard si l’on en juge par les gamins de 15 ou 16 ans qui deviennent très tôt des petits génies. Quand au jazz, il n’y avait pas vraiment d’écoles pour cela. Après mes années d’étude, j’ai fait quelques concerts de classique mais je continuais surtout à faire des masters class. Après mes études, en 1990 j’ai fait une audition pour un cours de formation au jazz qui durait deux ans dans une ville à côté de l’endroit où j’habitais (dans les Pouilles). Et parmi les invités du big band de la formation il y a eu des gens comme Steve Lacy, Glenn Ferris ou Paolo Fresu. A ce moment là, je ne jouais que dans les Pouilles. Dans ma région. En 1993/1994, j’avais déjà écrit quelques compositions et j’ai rencontré un saxophoniste italien avec qui on a eu la chance de faire un premier disque en 1993. C’était un groupe drumless. C’est ce premier groupe qui m’a fait mettre un peu le nez dehors et jouer un peu dans des festivals dans d’autres régions. J’ai commencé alors à véritablement côtoyer le milieu du jazz (musiciens, journalistes, éditeurs etc.…). J’ai alors pu jouer avec d’autres musiciens qui étaient bien plus avancés que moi dans leur carrière.
Puis en 1998 on m’a proposé un disque avec le très grand Marc Johnson à la contrebasse et Roberto Gatto à la batterie.
Ça doit être émouvant de jouer avec le dernier contrebassiste de Bill Evans On doit se sentir tout petit ?
En fait oui, mais il fallait que je dépasse la dimension du personnage parce que c’était mon projet, mes compositions, mon groupe. Il fallait que je me transcende. Mais jamais Marc Johnson ne m’a fait sentir le poids de sa notoriété. Extrêmement humble, il m’a énormément encouragé. Le jour du premier concert il y a eu un retard de son avion qui venait de New York et on a presque annulé le concert. Il est arrivé à Rome juste une heure avant le concert. Pas le temps de répéter. J’imaginais alors qu’il n’y avait rien d’autre à faire qu’une sorte de jam session avec simplement des standards. Il est arrivé juste sur scène le temps de mettre le jack et tout a marché comme sur des roulettes tout simplement parce qu’il avait travaillé de son côté toutes mes compositions. Et il les connaissait par cœur. Et tout a été parfait !
Après cette expérience j’ai remonté mon propre trio avec des musiciens peut être moins célèbres mais avec qui je pouvais tourner plus souvent. On a alors beaucoup tourné et même gagné un concours international en 1998. On s’est à cette occasion trouvé sur scène avec Herbie Hancock, Dee Dee Bridgewater, Tom Harrell et là on a gagné le premier prix ! Du coup on est passé à la Télé et tu n’imagines pas ce qui m’est tombé dessus. Moi qui venais de mon village des Pouilles, on me reconnaissait dans la rue !
En octobre 1998, je n’avais pas beaucoup d’engagements en Italie et Flavio Boltro m’a proposé de venir en France. J’ai saisi l’occasion de venir faire un tour pour les vacances tout en profitant de cette occasion pour jouer un peu. Mais je n’avais pas l’intention de rester. Et de fil en aiguilles, j’ai rencontré pas mal de musiciens français et j’ai vite eu des engagements dans des clubs. Mais mon arrivée à Paris a été en fait mon premier contact avec une grande ville. C’était la première fois que j’habitais dans une mégapole. Et pour l’activité de musicien il y a une telle activité dans les clubs à Paris que tout s’est enchaîné. Et là j’ai d’un seul coup été confronté avec plein de musiciens qui ne me connaissaient pas forcément et qui m’invitaient de partout. Et surtout j’étais confronté avec des musiciens de tous les niveaux. Avec des bons et des mauvais musiciens. Je me rends compte que l’on progresse autant avec les premiers qu’avec les seconds.
En venant en France, tu es venu avec ton bagage universel, celui de la musique du jazz qui te permet de communiquer avec tout le monde. Est ce que cela a été aussi l’occasion de te confronter avec d’autres cultures musicales que tu ignorais ?
Ce qui est sûr c’est que j’ai retrouvé en France d’autres façons d’aborder la musique. A Paris il y a une multi ethnie bien plus importante qu’en Italie. J’ai donc pu confronter mes idées avec des musiciens Africains, Argentins, avec plein de musiciens qui ne sont pas forcément de jazz mais qui m’ont appris de nouveaux langages et qui m’ont donné de nouvelles ouvertures propices à ma propre musique
Dans ton gotha en matière de piano, quel et celui ou ceux qui t’influencent le plus ?
C’est un parcours. J’ai commencé avec Chick Corea, Herbie Hancock, Oscar Peterson pour arriver finalement à Art Tatum. Même si quelqu’un qui a dit que Art Tatum n’était pas un musicien de jazz sous prétexte qu’il faisait des variations et n’était pas réellement un improvisateur. C’est un musicien fondamental pour moi.
Cette référence n’est pas étonnante. Dans ton dernier album il y a c’est vrai dans ta façon de jouer celle d’un mort de faim, une sorte d’expression vitale et une énergie désespérée que l’on retrouve un peu aussi chez Tatum.
C’est vrai que lorsque j’ai enregistré mon dernier disque c’était l’un des moment les plus beaux de ma vie. Il est différent des disques précédents. Dans ce disque c’est un rêve de musicien ? Quelqu’un est venu me voir et m’a demandé d’enregistrer pour lui. Ce disque était une énergie plus qu’un projet. Et puis j’ai eu la chance d’avoir pour cet album Marc Burronfosse et Stéphane Kérécki, Aldo Romano et Stefano di Battista.
Tu aimes visiblement composer. As-tu beaucoup de demandes ?
Composer c’est aussi un défi, mais il ne faut pas le mettre à côté et ne jouer que des standards. Je regrette par exemple que quelqu’un comme Jarrett ne compose plus. C’est pour moi une expression intime essentielle de l’artiste.
Quelle est ton actualité ?
Je travaille sur ce film qui me prend pas mal de temps. Depuis mai 2004, un réalisateur m’a appelé pour me proposer de faire un film sur ma vie. J’ai raccroché en pensant que c’était une blague ; mais en fait il a rappelé ensuite et m’a donné rendez vous dans un café. Il m’a exposé son idée. Ce sera un documentaire- fiction. Dans la partie fiction il y aura des acteurs. Par exemple Il y aura un enfant qui fera moi quand j’avais 3 ans, ou un acteur qui jouera mon rôle à l’âge de 15 ans et puis il y aura aussi de faux parents. Ça c’est pour la partie fiction. Pour la partie documentaire il y aura des invités, des musiciens avec qui j’ai collaboré, des interviews etc…. En fait l’équipe de réalisation me suit partout, filme mes concerts. Le film sortira avec le prochain disque que j’enregistrerai chez Cristal. Il sera aussi diffusé sur les chaînes de télé, Arte, Mezzo, la Raï.
Il y a donc un nouvel album en préparation
Je ne suis pas encore rentré en studio. Je rentrerai début 2006 pour une sortie en octobre 2006. Mais tant que cela n’est pas fait je ne veux pas trop en parler. Ce sera avec un groupe de jazz qui s’intègrera à d’autres éléments.
Dans tes rêves de musicien, avec qui rêverais-tu de jouer ?
Je crois que j’adorerais jouer avec Lee Konitz car c’est un musicien pur. J’adore cette école tristaniene. Dans le phrasé de Konitz il invente toujours des choses. Il ne retombe jamais sur les phrases qu’il a déjà joué. Quand à Tristano c’est une musique sans compromis. Il est quasiment dans les mathématiques dans sa construction. La signification est purement dans les notes. Je pense que Tristano a inventé le free dans le sens où ils ont inventé des structures libres. Il y a un disque de Tristano qui s’appelle « Descent into the maelstrom » c’est un disque qu’il a fait en superposant des bandes de piano. C’est encore plus avancé que le free. C’est incroyablement moderne pour l’époque. C’est ce que l’on fait aujourd’hui en électro mais à l’époque il le faisait en acoustique. Il était extrêmement moderne.
Tu écoutes quoi en ce moment ?
Ce matin j’écoutais « New Conception » de Bill Evans. J’adore sa notion du trio.
Justement, alors que Bill Evans semblait toujours mal à l’aise avec la place de la batterie, toi tu sembles t’appuyer beaucoup sur le drumming
Moi j’adore les batteurs qui donnent de l’énergie. J’adore cet échange d’énergie entre le batteur et le piano. Les bassistes tiennent la barque mais l’échange de l’énergie c’est pour moi entre le piano et la batterie. Il doit y avoir beaucoup d’intelligence de la part des batteurs pour comprendre et soutenir l’esprit d’un morceau. J’adore les batteurs comme Roy Haynes ou Tony Williams.
Sur ton île déserte tu emporterais quoi ?
Pour la musique c’est Keith Jarrett en live avec De Johnette et Peacock « Still live » (ECM 1986). Sinon j’emmènerais un livre de James Redfield : « la prophétie des Andes ». Et puis sinon un bateau.
Propos recueillis par jean marc Gelin