Une gourmandise pour secouer la torpeur d’août : un disque publié fin mai, et qu’avait submergé le raz-de-marée des parutions qui se sont bousculées avant l’été. L’accordéoniste est aussi compositeur, et tout le disque est de sa plume, sauf deux titres, dont une relecture très personnelle de La Bohème de Charles Aznavour. Il en donne une version enrichie d’harmonisation, de mélodie parallèle, de contre-chant, et il fait de cette déjà belle chanson une œuvre singulière. On est ici en présence d’un musicien qui joue, compose, improvise, et réinvente aussi la musique quand il l’emprunte à d’autres. Il existe des accordéonistes qui utilisent le jazz sans jamais le tutoyer vraiment (et là je ne parle pas de Vincent Peirani, que j’admire profondément, ni de Marcel Azzola, que j’appréciais infiniment, mais de quelques autres….). On l’avait compris naguère en l‘écoutant avec Denis Leloup, Jean-Christophe Cholet ou David Linx : David Venitucci parle couramment le jazz, en termes de nuances, de liberté, de subtilité, et il fomente un univers singulier où la composition se mêle à l’improvisation, où les langages harmoniques se télescopent en douceur. Et il nous livre ici une très belle musique, en équilibre entre toutes ces couleurs où le jazz, assurément, a sa place.
Cette nouvelle soirée gersoise avait pourtant mal commencée puisque le public du chapiteau apprenait l'annulation du concert de Gregory Porter en 2eme partie, le chanteur étant bloqué en Bulgarie pour d'obscures raisons administratives. Mais la soirée de toute façon s'annonçait fort belle avec cette première partie bien intrigante sur le papier.
PIANOFORTE Baptiste Trotignon (p, fender), Bojan Z (p, fender), Pierre de Bethman (p, fender), Eric Legnini (p, fender).
Le programme était alléchant et suscitait en effet une grande curiosité : 8 mains pour 4 claviers (deux acoustiques et deux électriques) !
Les 4 héros du soir alternaient et passaient du Steinway au Fender Rhodes, jouant tous les 4 ensembles ou parfois en duo. Cet ensemble totalement inédit déroulait alors des compositions de chacun ou bien des standards dans un exercice totalement équilibriste où l'écoute mutuelle des autres était un gage de réussite. A ce titre-là le pari fut gagné par ces 4 monstres sacrés du piano. On était en revanche un peu moins convaincus par la densité de la musique et par le son qui brouillait un peu l'espace sonore que l'on aurait voulu parfois plus épuré. Il faut dire que l'on avait affaire à 4 génies de l'improvisation, se jouant chacun des harmonies pour réinventer la musique. Cela ne prenait pas des allures de battle mais peu s'en fallait tout de même. Dans les conditions de prise de son, on se prenait à regretter qu'il n'y ait pas eu qu'un seul fender Rhodes pour tapisser les nappes de basse ( 2 fendre en même temps se révélant un pari un peu gourmand). Le son des 4 réunis était en effet un peu étouffé au point que l'on peinait parfois à distinguer qui jouait quoi. Restaient de sublimes moments comme sur ce thème d'Egberto Gismonti, ce Caravan échevelé ou cette belle version de It could happen to you en duo. Au rappel, les 4 se lançaient dans une version "clin d'oeil" de We are the champion qui, bien sûr faisait se pâmer et chanter le public du chapiteau.
Ce public en resta là et malgré la belle initiative du festival de diffuser un concert de Gregory Porter de 2019, il préféra dans sa grande majorité rentrer et rejoindre les bars à salsa du village. Histoire de prolonger un peu la soirée.
Pour sa 44ème édition JAZZ IN MARCIAC retrouve ses couleurs d'avant ..... et c'est bon ! Vendredi 29 juillet 1ère partie : EMILE PARISIEN QUINTET Emile Parisien (ss), Théo Crocker (tp), Roberto Negro (p), Manu Codjia (g), Nasheet Waits (dms), Joe Martin (cb)
Emile Parisien ne compte plus ses apparitions au festival gersois. C'est l'enfant du pays, celui qui a fait ses tous premiers pas à Marciac qui l'a vu grandir. Et maintenant qu'il a créé son propre all-stars franco- americano-italien c'est toujours avec le même plaisir qu'il semble aborder la grande scène du chapiteau. Un peu comme jouer à domicile. Un peu en famille. Pour cette soirée, le saxophoniste avait réuni la formation de son dernier album ( "Louise" paru cette année sur le label ACT),. C'est d'ailleurs avec le titre éponyme qu'Emile Parisien lanca le concert ouvert par un magnifique solo sur lequel la formation au complet embraya. Comme pour l'album le groupe égrenait les superbes compostions collectivement apportées par le groupe dont notamment Jojo un hommage endiablé au pianiste Joachim Khun ( avait lequel Parisien a d'ailleurs enregistré un autre album) ou encore Madagscar, un thème de Joe Zawinul sur lequel Roberto Negro se lançait dans une improvisation énervée qui faisait lever le public. Véritable lien dans cette formation, le guitariste Manu Codjia dans un très très grand soir se transformait en créateur de palettes harmoniques en véritable coloriste du groupe. Même si Theo Crocker semblait un peu en retrait, Emile Parisien avec sa générosité habituelle envoyait ses improvisations virtuoses en plein ciel et bien sûr faisait chavirer le public pour qui le saxophoniste a depuis toujours une tendresse particulière et qui découvrait ici un quintet de très haute envergure. Le groupe finissait le concert par une composition du trompettiste ( Prayer 4 peace) en forme de conclusion méditative qui nous mettait la tête dans les étoiles.
Le public qui voyait bien que la barre était mise très haute et qui s'accordait une pause pour accueillir le contrebassiste Avishai Cohen. 2ème partie : AVISHAI COHEN TRIO Avishai Cohen (cb), Elchin Shirinov (p), Roni Kaspi (dms) Lui aussi, c'est un habitué des lieux puisqu'il nous avouait en montant sur scène le plaisir qu'il avait en venant ici pour la... 8ème fois.
Poursuivant sa tournée, le contrebassiste israélien venait présenter son dernier album ( « Shifting sounds » paru sur le label Naïve) avec son nouveau trio, certainement l’un des plus beau qu’il ait eu jusqu’à présent. Trio inattendu puisque si Avishai Cohen et Elchin Shirinov se connaissent depuis longtemps, c’est sur internet et lors d’un concert virtuel pendant le confinement que le contrebassiste et batteuse se sont rencontrés (!). Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce trio fonctionne à merveille. Chacun des membres du groupe affiche une réelle personnalité musicale bien différente de celle des deux autres sans que cela ne nuise à la formidable unité fusionnelle de l’ensemble. Avishai Cohen comme a son habitude affiche sa volonté de faire de la contrebasse un instrument soliste à part entière, assumant sa fortement sa part mélodique. Le pianiste azerbaïdjanais s’impose en maître des tournures simples et déliées mettant une forme de légèreté à l’ensemble. Quant à Roni Kaspi, elle s’impose comme une véritable révélation dans l’inventivité de son jeu qui apporte puissance et percussivité et nous gratifiant (comme elle l’avait fait à Coutances) d’un solo stratosphérique qui faisait mugir de plaisir le chapiteau tout entier. Et c’est un power trio qui émerge, presque chantant tant la mélodie en est le socle ( Seattle, Below, Joy, Video games etc…).
Comme toujours, Avishai Cohen ne résiste pas à l’appel du micro et, en guise de rappel se fait chanteur et multiplie les rappels avec deux chansons issues de la tradition ( El Hatzi por, Shalom aleichem) ou cette sublime version de Alfonsina ( de Violeta Parra). Et enfin, comme il le fait souvent chantant Sometimes I feel like a motherless child dans une version sur laquelle la contrebassiste, une fois n’est pas coutume s’accompagnait seul au piano.
Pour la deuxième fois de la soirée, le public réservait une standing ovation au trio et s’en allait bercé par une bien belle douce soirée d’été avant d’aller jouer les prolongations autour d’un verre ( au moins) d’Armagnac sur la place du village.
Intitulée « Retour vers l’Angleterre », la 29e édition du festival « Jazz à Junas » a présenté durant cinq jours, dans le très beau site des Carrières, la crème du jazz anglais et non pas la crème anglaise du jazz !
Pour cette dernière partie du festival (22 et 23 juillet) de la cité gardoise, celui-ci a dû faire face à deux défections majeures. D’abord, celle de la pianiste italienne Rita Marcotulli - qui devait se produire en duo avec le saxophoniste Andy Sheppard et a été remplacée au pied levé par le contrebassiste français Michel Benita – et, ensuite, du collectif anglais Nubiyan Twist - attendu pour un final explosif et qui a cédé sa place - pour des raisons de Covid 19 - au clarinettiste Yom (ndlr : qui n’étant pas de nationalité britannique ne sera pas ici chroniqué).
Andy Sheppard (saxophone ténor & soprano) / Michel Benita (contrebasse) :
Ce duo improvisé d'improvisateurs a été un grand moment d'échanges, de communication et de complicité.
D'un côté, un saxophoniste habitué depuis plus de trente ans aux différents big bands de Carla Bley (86 ans, qui selon ses dires est malheureusement atteinte de la maladie d'Alzheimer). De l'autre, un contrebassiste français virtuose, courtisé par tout le gratin européen.
Le tout formant un étonnant tandem de solistes à l'écoute l'un de l'autre, capable de dégager un jazz d'une très grande sensibilité, poétique, parfois magique, souvent minimaliste mais toujours d'un grand lyrisme sur des compositions originales, des reprises, comme celle d'un morceau d'Elvis Costello, et une succession de ballades.
Une incroyable rencontre à la fois démonstrative et contrôlée du souffle et des cordes !
GoGo Penguin :
Chris Illingworth (piano)
Nick Blacka (contrebasse)
John Scott (battterie)
Qu'ils soient de Londres - Portico Quartet - ou de Manchester - GoGo Penguin - les groupes de jazz britanniques semblent n'avoir qu'une seule devise, celle des supporteurs de Liverpool (si chère à G. Darmanin !) notamment : "You'll Never Walk Alone" ! (Tu ne marcheras jamais seul).
Car les deux formations sont avant tout des collectifs qui jouent une musique collective.
Le premier défie toutes les catégories musicales avec pourtant un penchant pour un jazz aux accents rock très british façon Soft Machine ou Matching Mole des années 1960/70, le tout avec un zest prononcé pour l'acid jazz voire l'électro jazz. Et ce mode hyper répétitif, toujours planant, dont on attend vainement qu'il touche terre à nouveau à la fin de chaque morceau tant il est en suspension.
Le second quant à lui a également choisi un style de jazz répétitif et méditatif, aux rythmes saccadés et cassés, aux contretemps décalés assez déconcertants, toujours interprétés sur le même mode et les mêmes structures harmoniques et mélodiques.
Et comme pour le Portico Quartet, sans l'intervention d'un soliste pour improviser sur les thèmes. Toute la musique se conjugue ensemble.
A noter qu'un nouvel EP du groupe vient de paraître, "Between Two Waves" (XXIM Records), qui laisse une large place aux claviers en tout genre.
Jean-Charles Richard (saxophones baryton & soprano), Marc Copland (piano), Claudia Solal (voix), Vincent Segal (violoncelle)
Pernes-les-Fontaines, janvier 2022
Label La Buissonne RJAL 397042 / PIAS
Une œuvre d’une troublante, singulière et mélancolique beauté. Un quatuor plutôt qu’un quartette, un esprit chambriste assumé et même, semble-t-il, revendiqué. Le désir qu’avait Jean-Charles Richard de travailler avec le pianiste Marc Copland se concrétise dans ce parcours, qui mêle quelques emblèmes de la culture européenne : Shakespeare, Rimbaud, Moussorgski, Olivier Messiaen (et Thomas d’Aquin) ou la lettre de prison de l’écrivain Isaac Babel. L’instrumentation est déjà comme un manifeste. Et la passion des nuances, poussée à l’extrême par chaque membre du groupe, signe l’enjeu d’une musique qu’il faut recevoir avec le recueillement qui s’impose. Créée à Giverny au Musée des impressionnistes, cette œuvre recèle le caractère diaphane, insaisissable et pourtant d’une telle force, qui prévalait dans cet univers. «Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est enveloppée dans un somme….», comme le dit Prospero dans La Tempête (traduction de Victor Hugo, 1865). L’itinéraire conduit de la mort d’Ophélie, telle que contée par la Reine Gertrude dans Hamlet, à l’évocation qu’en fit Arthur Rimbaud. Et le disque se conclut par un ultime chant du saxophone baryton évoquant les larmes du ruisseauoù périt la pâle et blonde Ophélie.En se plaçant délibérément sur plusieurs territoires : la ‘grande musique’ et ‘les autres musique’ (jazz, improvisation….), le saxophoniste et ses partenaires démontrent, une fois de plus, qu’il n’est qu’une seule musique : celle qui conjugue la sensibilité, la cohérence, l’aventure et l’intégrité. Magnifique !
Comme tous les ans, le Paris Jazz Festival du Parc Floral de Vincennes ouvrait hier ses portes au soleil, aux nappes à carreaux des familles venues déjeuner sur l'herbe, aux enfants gambadants et.... au jazz. Et pour l'ouverture Danièle GAMBINO, la programmatrice du festival avait choisi de placer la journée sous le signe des femmes cubaines.
ANA CARLA MAZA
@photo fournie par le festiva
C'est tout d'abord Ana Carla Maza qui ouvrit les festivités dans l'exercice périlleux d'un solo au violoncelle. Pas gagné sur le papier pour emballer les foules. Mais la cubaine sait y faire ! Avec une présence lumineuse et une joie de vivre éclatante, Ana Carla Maza nous faisait voyager sur tout le continent Sud Americain et racontait son île, La Havane, le Bresil, l'Argentine (bel hommage à Astor Piazzola), et même le Perou pré-colombien (!). La violoncelliste-chanteuse qui présentait son dernier album (Bahia) et jouait avec toutes les facettes de son instrument. A l'archet, en pizzicato, en percussion sur le bois ou en lignes de basse, Ana Carla Maza faisait varier mille couleurs entre salsa, mélopées poétiques et même rock sombre. Charismatique et mutine, la cubaine embarquait son public dans un voyage de vie joyeuse et joueuse.
YISSY GARCÌA Y BANDACHA... [....] Yissy García (dms), Rolando Luna – (Piano), Yaroldy Abreu (Percus), Gaston Joya (Bass), Olivier Miconi (Tp)
@ photo fournie par le festival
Changement d'ambiance radical avec la batteuse Yissy Garcìa et son (nouveau) quintet. Nouveau car son quintet n'est pas celui avec lequel elle a enregistré mais une nouvelle formation de circonstance. On restait bien sûr à Cuba au bois de Vincennes mais dans un exercice totalement novateur entre salsa et funky music. La batteuse, nominée aux Grammy Awards est en effet une compositrice audacieuse qui réinvente le genre comme si Dizzy Gillespie avait rencontré Robert Glasper. Festin de polyrythmie entre la batteuse et la percussioniste, groove assuré et assumé aux claviers et à la basse et surbrillance d'un Olivier Miconi étincelant et bluffant à la trompette. Les nappes électriques de Rolando Lùna tapissaient les pas de salsa et la batteuse invitait le public à ponctuer des mains un rythme infaisable (pour les non-initiés) ou l'invitait à chanter des motifs (plus simples, quoique...). Formidable actualité d'une salsa modernisée.
Pour une ouverture du festival l'exercice était donc totalement réussi et nous donnait envie de revenir pour une programmation qui, cette année encore s'annonce de très belle facture avec, entre autres :
- Ambrose Akinmusire le 9 juillet - Shai Maestro le 16 juillet - Sons of Kemet le 17 juillet - Marion Rampal et Cecile Mc Lorin Salvant le 21 (nocturne) - Brad Mehldau le 25 (nocturne)
Louis Sclavis (clarinettes), Annabelle Luis & Bruno Ducret (violoncelles), Keyvan Chemirani (zarb & daf)
Pernes-les-Fontaines, avril 2021 , Paris Février 2022
JMS 123-2 / PIAS
Un nouveau ‘pas de côté’ de Louis Sclavis qui, prolongeant deux parutionsprécédentes sous le label JMS («La moitié du monde», «Frontières») fait aussi retour sur des rencontres : avec la violoncelliste Annabelle Luis («Inspiration baroque», avec l’Ensemble Amarillis), Bruno Ducret (avec lequel il joue en duo), etKeyvan Chemirani (dans divers contextes). Un ami et partenaire musical est aussi présent en filigrane, puisque le disque intègre un thème composé conjointement par Sclavis et Dominique Pifarély. Les autres compositions sont signées par le clarinettiste, sauf deux conçues par Bruno Ducret. Ce répertoire a été inspiré à Louis Sclavis par un recueil de photographies de Frédéric Lecloux, L’Usure du monde (un aperçu ici), lui même inspiré par le livre L’Usage du monde de Nicolas Bouvier, récit d’un voyage aventureux, au début des années cinquante, entre la Yougoslavie et l’Afghanistan. Cette musique de chambre, de jazz et d’improvisation, de quatuor autant que de quartette, reflète des pérégrinations esthétiques dans le vaste monde. Pas nécessairement celui qui produit ce qu’il est convenu d’appeler les ‘musiques du monde’, mais peut-être plutôt un monde d’imaginaire, de rêves lointains et d’émois proches. Ce n’est sans doute pas un hasard si, voici plus de quarante ans, le clarinettiste a surgi dans nos vies d’amateurs de-jazz-et-de-musique-improvisée au sein d’un collectif qui s’annonçait comme l’Association à le Recherche d’une Folklore Imaginaire. Ce fécond mélange de sons, d’instruments, de mélodies et de rythmes surgis de multiples traditions aura été pour moi, dès la première écoute, un enchantement.
RICHARD BONNET, TONY MALABY, SYLVAIN DARRIFOURCQ, LOUIS SCLAVIS «Depuis longtemps»
Richard Bonnet (guitare), Tony Malaby (saxophones ténor & soprano), Sylvain Darrifourcq (batterie), Louis Sclavis (clarinette & clarinette basse)
Strasbourg, 15 mai 2018
Jazzdoor Series 12 / l’autre distribution
L’histoire d’une rencontre : ‘depuis longtemps’ le saxophoniste américain souhaitait «faire quelque chose» avec le clarinettiste français. À la faveur d’une tournée du trio rassemblé par le guitariste Richard Bonnet, un impromptu fut imaginé dans la saison Jazzdor du festival strasbourgeois du même nom, pour un concert au Fossé des Treize. Et c’est une vraie rencontre. Le trio régulier, rassemblé autour du guitariste Richard Bonnet, propose trois compositions du guitariste, et une du saxophoniste. Et le clarinettiste invité paraît chez lui dans cet univers qui va de la sérénité assumée à l’effervescence la plus vive. Les dialogues sont permanents et croisés entre les quatre partenaires, la musique est d’autant plus vivante qu’elle a été captée sur le vif. Une belle prise de son, suivie d’un mixage états-unien, rend pleinement justice à cette rencontre éminemment féconde, et d’une grande beauté.
Ouverture de la 41ème édition de Jazz à Vienne : MC statique mais Cullum, Atomique !
MC SOLAAR le 29/06
Pour cette ouverture de la 41ème édition du festival de Jazz à Vienne, et dans un choix de programmation décalé, le théâtre antique accueillait MC Solaar pour son grand come-back. Le chanteur-rappeur qui avait un peu disparu des radars revenait d'une tournée qui l'avait mené aux Franco Folies de Montréal puis à New-York, en guise de tours de chauffe. Autant dire qu'il était particulièrement bien rodé pour proposer une relecture de ses grands tubes arrangés par Issam Krimi et son grand ensemble. MC Solaar enquillait alors ses chansons mythiques (" Caroline", " Victime de la mode", " Bouge de là", " Nouveau western" etc....) dans un exercice sur lequel l'énergie semblait lui manquer un peu, peut-être marqué la lassitude de répéter ainsi son bréviaire. Sur une orchestration du pianiste (auquel l'orchestre régional de Savoie prêtait ses cordes), le chanteur, micro dans une main et l'autre dans la poche faisait les 100 pas sur scène et déambulait de long en large avec l'impression d'être venu ici faire le taff. Sans un seul mot pour le public médusé mais content de retrouver ses airs de jeunesse, MC Solaar emballait très mollement le public bienveillant et sortait de scène d'un petit geste de la main et toujours sans un mot. A la sortie on retenait surtout de ce concert la poésie et l'actualité des textes du chanteur. Pour une ouverture du festival, nous étions peu convaincus.
Et le lendemain.... ce fut un contraste saisissant.
JAMIE CULLUM le 30/06
Alors que le ciel grondait d'orage sur Vienne, 6000 personnes se pressaient au concert de Jamie Cullum qui, tel un sorcier faisait alors, et par magie cesser la pluie le temps d'un concert atomique ! Avec une énergie qui n'a d'égal que son énorme générosité, le chanteur britannique branché sur 3000 volts mettait le feu au théâtre antique, entre pop anglaise, rock et standards de jazz, sautant sur son piano et bondissant sur scène tel un bad boy exalté et heureux.
Passant en revue ses grands classiques ( don't stop the music), reprenant Ed Sheeran (Shape of you), jouant en combo quelques standards (I get a kick) ou enchantant avec une sensualité lascive (et malicieuse) un singin in the rain fort à propos, Jamie Cullum transformait ensuite les arènes en un gigantesque dance floor bouillonnant et faisait se lever 6000 personnes prêtes à danser jusqu'au bout de la nuit. 6000 personnes qui sortaient de là, juste heureux. La pluie se remettait alors à tomber. Mais tout le monde s'en foutait. On était bien et totalement galvanisés !
Le disque commence par un arrangement de Julien Lourau, manière de signifier que l’on est en territoire de passerelle : entre deux générations, entre différentes approches du jazz en son pluriel. Ce thème, P.P.D.Q., enregistré par le quartette de base en pleine pandémie, quand il était interdit de se réunir à plus de quatre (Pas Plus De Quatre!), révèle comme une source. Les compositions sont signées par Antoine Berjeaut, et si le discours d’escorte nous invite à prendre en compte le titre du disque comme un concept ou un projet (la chromesthésie, forme de synesthésie qui produit une perception subjective des couleurs par le son), la musique se libère de son programme qui demeure comme un flux subliminal. Très grande attention à la texture des sons de tous les instruments, à leur assemblage, dans un mouvement qui porte le soliste (à la trompette ou au bugle : la sonorité est toujours magnifique). Et pourtant la musique demeure foncièrement collective, dans ce flot qui nous porte. Je ne sais pas si mes oreilles ont vu des couleurs, mais en ce territoire de correspondances assumées Baudelaire me revient en mémoire. Pas celui du poème Correspondances, mais le rêveur qui écrit Harmonie du soir : «Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir». Il y a , dans cette musique, un vrai pouvoir de fascination, et l’on ne saurait dire si c’est magie ou sorcellerie ; en tout cas, une belle réussite.