Il était vraiment temps qu’un ouvrage soit consacré à Henri Texier !
Et cet ouvrage, nous arrive sous la forme d’un petit opuscule sous la forme autobiographique au cours duquel notre immense contrebassiste se raconte au fil de thèmes très variés qui ont marqué sa vie : la contrebasse, le jazz, les rencontres avec certains musiciens, son parcours musical et humain. Au fil de ces micro-chapitres c’est bien de cela qu’il s’agit : d’une vie marquée par les rencontres et une très grande humanité à l’image de son auteur.
Il serait temps que l’on se rende compte que l’on compte en France parmi nos jazzmen, une véritable légende (il détesterait certainement ce terme) qui a traversé les styles ( hard-bop, free, jazz européen - qu’il a contribué à créer-, musique dite « du Monde » et même de Bretagne !), qui a rencontré ou joué avec les plus grandes icônes de cette musique et qui a su s’imposer lui-même au delà de nos frontières, dans le berceau du jazz jusqu’au Village Vanguard. Quelques figures semblent avoir marqué son chemin de musicien : Aldo Romano, Michel Portal, Daniel Humair, Joe Lovano, Stve Swallow etc….
Cet ouvrage s’il se lit vite nous laisse émerveillé. Il est à la dimension de l’homme, écrit avec une très grande humilité, presque en s’excusant de parler de lui-même. Il y a une grande pudeur dans cet exercice qui frôle avec la délicatesse d’un vrai gentleman lui-même toujours émerveillé par son propre parcours. Il y a aussi une forme de vérité. Henri Texier ne se cache pas mais se livre avec générosité. De celle qui, en passionné toujours à l’affût, l’amène aujourd’hui au travers de sa musique à ouvrir ses portes aux nouvelles générations.
A lire absolument pour (essayer de) pénétrer dans l’intime de cet immense musicien qu’est Henri Texier.
La conclusion vient sous la plume de Joe Lovano qui signe la postface : « Le monde de la musique est une bénédiction en soi et faire partie de l’univers d’Henri Texier l’est tout autant pur moi. J’attends désormais avec impatience mes prochaines retrouvailles avec ce grand musicien, ce grand humain qu’est mon ami Henri »
Chef d’œuvre de Malcolm Lowry (1909-1957) au même titre qu’« Au-Dessous du Volcan », aux dires des spécialistes de l’auteur britannique, « LUNAR CAUSTIC », publié de manière posthume en 1963 bénéficie d’une réédition en version poche, assorti de sa première version, datant de 1956. Deux versions sensiblement différentes, notamment pour son dénouement, mais où le jazz tient toujours un rôle.
Le personnage central, incarnation de l’auteur lui-même, raconte sa vie dans un hôpital new yorkais où il est admis pour une cure de désintoxication alcoolique. Dans cet univers d’hallucinations, il est question d’un pianiste qui joue des œuvres du répertoire de Bix Beiderbecke (1903-1931), ‘In a Mist’, ‘Clarinet Marmalade’ ou encore, ‘Singin’the Blues’ (« dans une ancienne version de Frankie Trumbauer, jouée à toute vitesse »).
L’amateur de jazz pourra lors de sa lecture mettre sur sa platine la compilation produite par Dreyfus Jazz, « Bix Beiderbecke, Jazz Me Blues », enregistrements de 1927 qui sont mis en situation par des liner notes de Claude Carrière (« Son jeu au cornet ruisselant de poésie dégageait une immense tendresse »).
Jean-Louis Lemarchand.
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Malcolm Lowry, ‘LUNAR CAUSTIC’, suivi de « Le Caustic lunaire » et « Malcolm, mon ami », avec préface de Maurice Nadeau (1977) et texte de Clarisse Francillon, sa traductrice ...
Éditions Maurice Nadeau, Les lettres nouvelles, Collection Poche. Mai 2022.
ISBN: 978-2-86231-430-3
JAZZ SOUS LES POMMIERS, 41ème édition : la vie d’avant, c’est maintenant !
Que c'était bon de retrouver enfin la vie des festivals à l'occasion de la 41ème édition de Jazz sous les pommiers à Coutances ! La vie qui reprend, du monde aux buvettes, des néophytes curieux qui font la queue pour découvrir des musiques qu'ils ne connaissent pas forcément, des rires, de la joie et du bonheur de retrouver ce monde que nous aimons tant.
De notre côté nous avions ciblé les deux derniers jours du festival où un jeune artiste était en résidence : le tromboniste Fidel Fourneyron.
Ben, tiens justement puisqu’on en parle.....
Vendredi 27
Fidel Fourneyron (création : Cuatro Camino)
Fidel Fourneyron (tb), Vincent Peirani (acc), Ana Carla Maza (cello, voix), Arnaud Dolmen (dms)
Le tromboniste nous proposait ici de découvrir un instrumentum très original (accordéon, violoncelle, trombone et batterie) pour un quartet totalement inédit qui n'avait jamais joué ensemble. Sur la base de composition de chacun, les quatre jouent sur les harmonies douces des motifs gorgées de soleil caribéen ou sud-américain. Et cela fonctionne à merveille.C'est délicieux de bout en bout. Enchanteur et presque joyeux. Remède absolu à la déprime ambiante. Dans cette histoire, la violoncelliste cubaine Ana Carla Maza ( qui pour l'occasion fait jouer Fidel, ça ne s’invente pas !), occupe la scène avec un charisme lumineux.Le public est conquis et sous le charme de cette magnifique création où les timbres se mêlent sur le groove tranquille d'Arnaud Dolmen. Un bonbon pour commencer notre tournée des concerts !
Tigran Hamasyan
Tigran Hamasyan (p), Matt Brewer (cb), Justin Brown (dms)
L'affiche annonçait Brad Mehldau mais suite à un empêchement du pianiste, c'en est un autre qui est venu occuper la salle Marcel Hélie, le pianiste arménien Tigran Hamasyan. Accompagné de Matt Brewer à la contrebasse et de Justin Brown à la batterie ils venaient jouer le dernier album du pianiste autour des grands standards (Laura, I didn't know what time it was, Softly as in a morning sunrise etc.....). Ce fut alors un exercice de style brillantissime de réinvention, de recherches harmoniques le tout dans une débauche de virtuosité et de digressions. Peut-être trop d'ailleurs d'autant que la prise de son (notamment de Matt Brewer) venait un peu gâcher la fête et qu'au-delà de l'émerveillement devant tant de technique et d'intelligence musicale, l'émotion laissait place à la contemplation admirative d'un exercice de style bluffant mais un peu froid.
Autant le dire tout de suite : nous avions été si conquis par son dernier album ("Fraya") que nos attentes étaient à la hauteur de ce concert qui se tenait au cinéma de Coutances. Et elles furent totalement comblées. D'abord par l'écriture de la saxophoniste néerlandaise qui navigue entre l'esprit d'Ornette Coleman des premiers quartets et les structures d'un autre Coleman (Steve). Totalement fascinante, sa musique parvenait à capter un public pourtant pas forcément averti et dont les habitudes de l'easy listening se trouvaient ici bousculées. Sa thématique, autour des déesses et des femmes de la mythologie ou de l'histoire antique allant de Freya déesse de la fertilité à Aspasie, la femme de Périclès offre un continuum entre quatre musiciens télépathiques et une vraie exploration musicale. Le quartet pianoless fonctionnait à merveille porté notamment par un contrebassiste hyper impliqué et d’une folle énergie et un batteur ultra concentré et coloriste. Hildegunn Øiseth à la trompette remplaçait ici Ralph Alessi et, malgré une entame en demi-teinte affichait par la suite un son et une personnalité aussi frêle qu’émouvante.Tineke Postma joua aussi quelques morceaux de son futur album à paraître. Et l’on quittait les lieu avec une envie folle de le découvrir très vite.
A l’heure du déjeuner, pour commencer la journée, c’est au Magic Mirrors que nous entrons pour une série de trois concerts dédiés à la jeune scène du jazz.
Et pour commencer, c’est dans une atmosphère feutrée, de jazz de chambre entre musique contemporaine et classique que nous découvrons Suzanne, ce trio guitare-clarinette-alto. La musique est subtile entre mezzo voce et forte, susurrant les silences et jouant avec les imbrications des timbres. La musique est conceptuelle et laisse place à l’imaginaire poétique. Un forme de déstructuration là encore fascinante où les sens restent toujours en éveil. Puis en guise de rappel, un blues des bayous où, pour l’occasion le tromboniste Robinson Khoury venait prêter main forte et jouer les contrepoints à la voix de Pierre Tereygeol.
@Jmgelin
Nefertiti
Deplhine Deau (p), Camille Maussion (ss), Pedro Ferreira (cb), Pierre demange (dms)
( « Framless » - Neuklang )
Nous étions impatients et curieux de découvrir ce tout jeune groupe, lauréat de Jazz Migration qui venait tout juste de sortir un nouvel album ( « Framless" - Neuklang). Le résultat nous a scotché : intelligence de l’écriture, jeu ciselé de la formidable pianiste ( Delphine Deau) qui nous fait penser à celui d’un Cecil Taylor ou d’une Myra Melford, flamboyance du soprano de Camille Maussion véritablement volcanique ! un pur moment d’extase et une superbe découverte. Et comme tous se connaissent, Robinson Khoury (encore) et Pierre Tereygeol venaient sur scène parfaire le tableau pour un morceau en commun.
Pas la peine de quitter la scène pour Robinson qui enchaînait dans la foulée avec le 3eme concert…..
Robinson Khoury
Robinson Khoury (tb), Pierre Tereygeol (g), Mark Priore (p), Etienne Renard (cb), Elie Martin-Charrière (dms)
Salué par la critique pour la parution récente de son deuxième album ( « Broken lines » - Gaya), le tromboniste, chaud comme les braises venait donc clôturer cette session avec son groupe. Musique inventive, timbres, growl puissant et subtil à la fois et moments d’explosions rock : une vraie cohésion de groupe. La musique, qui revendique de s’inspirer du cubisme ( mouvement pictural du début du XXèmle siècle) semble ouvrir des portes par l’imbrication des thèmes, des timbres et des genres. De celui à casser les lignes droites pour en faire un ouvrage aussi cohérent que complexe sur fond de groove toujours présent.
@Jmgelin
Avant de passer à d’autres réjouissances, juste le temps pour nous de faire une pause au bar à huitres (superlatives !) sur la place centrale et de rejoindre le plus baroque des spectacles, celui de la battle
animé par Nathalie Piolé et Alex Dutilh ( France Musique)
La première battle ( déjà animée par Alex Dutilh) remontait à 10 ans (2012). On avait donc hâte de retrouver ce moment totalement foutraque où le jazz prend son air drôle et clownesque. Pas question d’envisager ici un concert ( au sens traditionnel), ni une joute musicale mais plutôt une grande déconnade sous la houlette de Nathalie Piolé et d’Alex Dutilh en maître de cérémonie drôles, complices et facétieux et d’un public assumant totalement sa partialité pro-bigoudins.
Le principe de la battle : un thème choisi au hasard et inconnu des deux groupes + une contrainte.Et dans le genre contrainte, on peut dire que nos deux animateurs se sont lâchés : jouer à genoux, jouer d’une seule main, chanter son instrument sur le thème choisi, jouer avec des gants Mappa etc….!
Et le tout avec un « Médo » (Mederic Collignon) totalement déjanté et trop heureux de faire le spectacle ( ah ce grand moment où Collignon abandonne la trompette pour….un tuyau d’arrosage).
Alex Dutilh avait l’immense courtoisie de terminer la séance à temps pour que les amateurs de rugby puissent assister à la victoire de La Rochelle ( merci Alex !) et ensuite de filer au dernier concert qui venait quasiment clôturer le festival.
Avishai Cohen
Avishai Cohen (cb), Echin Shirinov (p), Roni Kaspi (dms)
Et quelle clôture ! Alors qu’on avait un peu perdu le contrebassiste israélien lorsqu’il se mettait à chanter, le voilà revenu avec un formidable power trio à l’occasion de la sortie de son nouvel album ( « Shiffting sands » - Naïve). Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce power trio est….puissant ! Grand, grand concert d’un trio qui fonctionne à merveille, impliqué dans tous les registres du jeu et élevant celui-ci à de très hauts niveaux. Pourtant chaque membre du trio a une personnalité affirmée. Le contrebassiste tout d’abord ( l’un des plus grand actuellement), vivant son instrument avec passion, comme s’il s’agissait d’une femme entre ses bras. A la fois tendre et direct mais faisant chanter aussi sa contrebasse en contrepoint avec le désir de porter l’instrument au rôle de soliste à part entière. Et son jeu d’archet est, de la même façon aussi incisif que mélodique. Totalement engagé. Echin Shirinov : ce sont les phrases mélodiques qui coulent naturellement sous ses doigts, tout en maîtrise, maniant les silences et les stop chorus pour mieux faire résonner les douces harmonies de son jeu. Et puis il y a la découverte de cette jeune batteuse israélienne d’à peine 21 ans, débordante d’inventivité et de relances rythmiques et qui lors de son solo fit basculer la salle marcel Helie dans une 3ème dimension. Le public ovationne et Avishai Cohen en guise de rappel décide de se faire plaisir pour chanter, seul et à l’archet une version tripale du standard « sometimes i feel like a motherless child ».
Eh bien non, Avishai, tu n’es pas seul, tout le public de Coutances est derrière toi, debout et chaviré.
(NB : ce concert sera à la réécoute sur le Jazz Club d’Yvan Amar sur France Musique.)
Voilà, ce festival est terminé. Pour sa 41ème édition, Denis Le Bas (qui fêtait à l’occasion sa 60ème) a fait le plein : 42 concerts payants sur les 61 programmés ont joué à guichets fermés. La fréquentation de cette édition 2022 a été très proche de 2019 avec plus de 90% de taux de remplissage des salles.
Grâce à Denis Le Bas, Gégé Collet, Severine Hedouin et tous les bénévoles du festival, on s’est senti revivre.
Label Kapitaine Phoenix KCP 2020346 / l’autre distribution
Une fois de plus Marjolaine Reymond nous surprend, nous étonne, et même nous éblouit par son talent, tellement singulier : conjuguer les univers du jazz, de la musique contemporaine, de la vocalité expressive et de la poésie. Tout cela en s’entourant de musiciens aussi aventureux que talentueux, qui se fondent dans son univers et le parent d’arrangements audacieux (Christophe Monniot) et d’improvisations hardies. Des emprunts à la poésie anglaise (Elizabeth Browning, Emily Brontë, William Wordsworth) et au Cantique des Cantiques. En référence à Splendour in the Grass (poème de Wordsworth, mais aussi magnifique mélo d’Elia Kazan – personnellement le seul film du cinéaste que j’aie vraiment aimé -) , la chanteuse-compositrice décline les couleurs de l’amour–passion, en le parant métaphoriquement des attributs du sang : Sang Passion, Sang Genèse, Sang Sacrifice, Sang Éternité, le tout se résolvant dans le projet global : «Splendour of Blood».
La diversité des langages musicaux utilisés ne doit pas oblitérer une sorte d’unité d’inspiration, conjugaison subtile d’ambition musicale, d’inventivité et de force expressive. La voix, aux multiples couleurs, s’épanouit dans un environnement orchestral finement élaboré, et magnifié par ses interprètes-solistes, de premier ordre. Bref ce fut pour moi un pur régal musical/artistique, suscité par une sorte d’Art Total qui prend force et forme dans l’audace du projet comme dans la richesse des collaborations convoquées. À écouter, et réécouter, pour en approcher tous les secrets, tous les émois.
Le ZOOT COLLECTIF est apparu sur les écrans radars en 2016, à Alfortville (94140), impulsé par le saxophoniste Neil SAIDI et quelques complices, et a mené à bien des projets originaux au nombre desquels la ZOOT SUITE (Vol.1 et 2)*, PANNONICA**, dans le même temps qu’il préparait la première édition de son festival ‘ZOOTFEST’ (novembre 2021).
Les deux années de restrictions pandémiques que nous venons de subir ont permis à Neil, au trompettiste Noé CODJIA et au batteur David PAYCHA de se consacrer au projet un peu fou (mais tellement bien mené) de Jazz Symphonique qu’ils nous présentent aujourd’hui.
Associer Jazz et Musique Classique, l’idée n’est pas neuve ! nombre de musiciens et de courants s’y sont frottés, à commencer par le Third Stream des années 50/60, pensé par les Gunther Schuller, George Russell, John Lewis et autres Georges Handy, Jimmy Giuffre, Charles Mingus ... et Ran Blake, qui mine de rien, étendra plus tard le concept au mélange de tout genre musical avec le Jazz !
La genèse du ZOOT SYMPHO qui nous est ici proposé débute en novembre 2019, lorsque Neil Saidi commence à composer une pièce symphonique pour octet de jazz et orchestre, comme ça, pour le plaisir ! Le hasard statistique (dans sa plus banale acception) lui fait croiser d’anciens camarades du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSM) qui le persuadent de l’intérêt de la chose, et de fil en aiguille, après avoir ramené Noé Codjia et David Paycha dans ses filets et les avoir convaincus de se joindre à lui pour l’aventure, le projet se structure. Au bout de la route, une suite symphonique en trois mouvements, composés par …
*2017/2018, Associant le ZOOT Octet et un Quatuor à Cordes.
**2019/2020, avec Natalie DESSAY, narratrice, dans le rôle de la baronne du Jazz, spectacle créé à la Seine Musicale en 2019.
°Le Zoot Symphonic Orchestra est un jeune orchestre indépendant, né sous l’impulsion du Zoot Collectif et qui regroupe 70 jeunes musiciens parmi les plus talentueux de leur génération, dont la plupart se sont rencontrés sur les bancs du CNSM de Paris et débutent de brillantes carrières en tant que solistes, en musique de chambre, ou au sein d’orchestres prestigieux (Orchestre de Paris, Orchestre de Radio France, ONDIF).
https://www.zootcollectif.com/
https://www.zootcollectif.com/zoot-octet-1
*°L’album et son complément DVD éponymes paraitront le lendemain du concert, le 8 juin, sur le label ZOOT RECORDS..
Ben Sidran (piano), Billy Peterson (contrebasse), Leo Sidran (batterie)
Madison (Wisconsin), 25-26 août 2021
Bonsaï / l’autre distribution
Le chanteur-pianiste (mais aussi chroniqueur, interviewer, analyste du jazz, producteur, auteur et compositeur) se fait ici, pour la première fois sur disque semble-t-il, pianiste en trio, délaissant sa voix et son phrasé si particulier pour se pencher, avec ce qu’il faut de nostalgie raisonnée, sur les pianistes (et les trios) qu’il aimait, dans sa jeunesse : Horace Silver, Bobby Timmons, Bud Powell, Sonny Clark…. «Aujourd’hui, dit-il, soixante ans plus tard, je voulais vivre ce que ces musiciens ressentaient à cette époque lorsqu’ils jouaient dans ce type de formation. Je sais que je ne peux pas jouer comme eux, mais je peux en revanche me sentir comme eux. C’est ce que j’appelle donc le ‘Swing State’». Et c’est exactement ce que nous livre, amoureusement, le musicien qui choisit ici de n’être ‘que’ pianiste, soutenu dans son entreprise, à la basse, par son fidèle compagnon de route Billy Peterson, et à la batterie par son fils Leo Sidran.
Le répertoire est celui transmis par son père, qui travaillait comme pianiste dans les années 30 : un recueil non-officiel des partitions de standards, recueil sur lequel Ben Sidran avait fait ses premières armes. Des thèmes qui ont traversé l’histoire, celle de la culture occidentale, et aussi celle du jazz. Et c’est ce jazz, dans toute la simplicité feinte de ses roueries, que nous offre le pianiste : swing implacable, tempo décontracté, liberté mélodique, c’est un régal de bout en bout. Déconstruction de Laura (2 prises) en doux déhanchement, un peu à la manière de Garner dans l’étirement des phrases ; traitement soul jazz from the fifties pour Lullaby of the Leaves ou Tuxedo Junction (qui pourtant datent de l’avant-guerre) ; le pont de Over the Rainbow, qui fait clignoter ses deux notes comme une sirène d’ambulance (vieille blague de musiciens) ; Ain’t Misbehavin’ et Stompin’ at the Savoy rajeunis tout en conservant le caractère de l’époque ; et un thème original, un peu ‘à la Bobby Timmons’, qui donne à l’album son titre.
Et peut-être pour rappeler l’époque où la qualité des instruments n’était pas toujours irréprochable pour le jazz, en studio comme un concert, un piano dont l’accord est loin d’être parfait ; mais cela contribue à l’indiscutable charme de l’ensemble….
Ben Sidran jouera, et chantera, 4 soirs consécutifs à Paris au Sunside, du 25 au 28 mai, en quartette, d’abord avec Rick Margitza (25-26) puis avec Stéphane Guillaume (27-28)
Mark Turner (saxophone ténor), Jason Palmer (trompette), Joe Martin (contrebasse), Jonathan Pinson (batterie)
New York, novembre 2019
ECM 2684 / Universal
Des compositions extrêmement élaborées, sur le plan de la forme comme de l’harmonie, avec un espace de tensions qui magnifie les lignes mélodiques. Et par-dessus tout une extraordinaire interaction, dans l’écrit comme dans l’improvisé. L’effervescence rythmique, constante, jamais n’oblitère la richesse des lignes. Elle tend au contraire à la magnifier, par une sorte de parti pris de tension généralisée. Et la beauté des thèmes n’est pas un refuge mais au contraire une rampe de lancement pour ce fameux interplay, omniprésent : c’est entre les quatre membres du groupe que s’édifie ce mystère qui fonde toute musique digne de la plus grande attention. Il s’agit là de l’un de ces albums qui doivent s’écouter, et se réécouter, pour livrer tous leurs sortilèges. En cette matière Mark Turner est de longtemps passé Maître, Maître d’un grand Art qui force l’admiration. Les ingrédients d’un chef d’œuvre, en somme.
Une escale de deux jours au Festival ‘Jazz in Arles’, après une édition annulée (2020) puis une autre décalée en juillet, et dans un autre lieu. Retour bienvenu dans la magnifique Chapelle du Méjan, son intimité, son acoustique et son très bon piano.
Le festival avait commencé par un prélude les 10 & 11 mai, et entreprenait cette fois son rush conclusif
Le 17 mai fut la soirée du grand retour de ‘Yes Is A Pleasant Country’, le trio qui associe depuis maintenant vingt années la chanteuse Jeanne Added, le saxophoniste Vincent Lê Quang et le pianiste Bruno Ruder.
Trois personnalités musicales fortes, tant par leur maîtrise que par leur liberté et leur créativité. On a peu entendu le trio en concert depuis que la chanteuse a entrepris sous son nom une autre carrière dans un univers musical différent, avec l’exigence artistique et le succès que l’on sait. Les écouter à nouveau était déjà une promesse, et l’attente fut comblée. Depuis le disque de 2008, le répertoire a évolué : de nouvelles compositions, et des standards différents de ceux adoptés antérieurement, mais toujours quelques-uns des poèmes de Yeats et Cummings qui constituaient le socle du répertoire originel. Le concert commence avec Goodbye, magnifique standard, un chef-d’œuvre du genre, qui sera traité avec ce niveau d’expressivité et d’inventivité qui est la marque de ce trio hors-norme. Fats Waller, et d’autres, seront remodelés avec la même insolente créativité. Et les thèmes originaux seront tous l’objet d’interprétations-improvisations qui chaque fois franchissent avec brio la balustrade des possibles. Vous l’aurez compris : ce fut un pur enchantement !
Le 18 mai le festival accueillait ‘Pronto !’, le groupe codirigé par le saxophoniste ténorDaniel Erdmann et le batteur Christophe Marguet, et qui les associe à la contrebassiste Hélène Labarrière et au pianiste Bruno Angelini.
Le groupe ‘Pronto !’ joue le répertoire du disque éponyme, paru récemment. La version de concert est sensiblement différente, plus sujette encore aux emportements, aux dialogues virulents, à la prise de risque et au vertige de contrastes dynamiques violents. Le saxophone part en douceur, dans une sonorité et un idiome qui nous rappelle la transition entre le jazz classique et le jazz moderne, et bien vite les dialogues croisés deviennent intenses, entre tous les membres du quartette. Le batteur joue à main nue, comme il aime à le faire (il y excelle !), la basse apporte un soutient tellurique qui n’empêche pas les escapades, le piano s’évade et s’enflamme volontiers, et le saxophone déploie de multiples palettes avec une maestria incroyable. L’idiome et le rythme sont en vue, mais les escapades sont nombreuses : ce sera le cas tout au long du concert, oscillation presque constante entre intensité extrême et infinies nuances, avec un sens remarquable du collectif. Nous sommes transportés par cette effervescence, jusqu’au rappel, qui évoluera d’un thème lent et lyrique jusqu’à un crescendo rythmique et dynamique qui confirmera, s’il en était besoin, la soif d’urgence de ce beau quartette.
Je quitte à regret les rives du Grand Rhône, mais d’autres concerts, d’autres chroniques, m’appellent ailleurs. Les jours suivants Jazz in Arles accueillera le pianiste Jeb Patton, Claude Tchamitchian en solo, Émile Parisien en sextette et Géraldine Laurent en quartette….
Un deuxième album toujours sur CAM JAZZ après le duo de Flavio BOLTRO et Fabio GIACHINO qui lui aussi ne manque pas de souffle avec ce live, le troisième du pianiste italien, icône du jazz transalpin, dans la Mecque du jazz, le Village Vanguard. Précisons que c’est à la demande de sa propriétaire, Lorraine Gordon, aujourd’hui disparue, qu’il put réaliser son rêve d’Européen, un Italien qui joue à New York.
Car ce nouvel enregistrement de 2016 souligne l’appétence du pianiste pour l’aventure américaine, sa soif de rencontre et de partage musical. Au sein de ce temple du jazz, il suit les traces du pianiste qu’il a révéré au point de lui dédier un livre en l’inoubliable Bill Evans. Nul doute que des frissons doivent le traverser à chaque fois dans ce lieu mythique mais Enrico Pieranunzi ne joue pas à l’exégèse, ne fait pas du Bill Evans en trio, il est le pianiste leader, volontiers accompagnateur, partie intégrante de la rythmique au sein d’un quintet survitaminé post bop, une jazz machine parfaitement huilée qui joue très librement les sept thèmes, tous de sa plume. S’il aime les ballades, il n’en abusera pas ici mais“The real you” a une élégance discrète.
The Extra something confirme la classe d’Enrico Pierannunzi qui se fond avec une aisance peu commune dans cet équipage cent pour cent ricain qui joue les codes du genre. Il a toujours cette obsession du plein sans saturation cependant, le sens de l’espace.
Un jazz accessible mais exigeant dont l’énergie suffirait à en garantir la cohérence. Si la tension ne baisse pas une seconde, la répétition des écoutes révèle plus qu’un hommage fougueux au jazz des années soixante. Enrico Pierannunzi poussant plus loin les transmutations, combinaisons de styles, variations et contrepoints classiques. Des motifs qui viennent rejoindre les partitions plus attendues d’un trompettiste éclatant qui manie aussi le trombone, l’Argentin Diego Urcola et d’un saxophoniste ténor, intense Seamus Blake. La rythmique composée du contrebassiste Ben Street et du batteur Adam Cruz n’est jamais en reste, solide et carrée, ardente dans ses emportements même. Comme la formation soudée, combative et habitée qui fait résonner de belle façon les murs du Vanguard qui pourtant en ont entendu d’autres.
‘CASSISTANBUL’* est le dernier en date des albums de Philippe GAILLOT (et Dieu sait qu’il ne nous les dispense qu’au compte-goutte !), guitariste, compositeur, improvisateur multi-instrumentiste installé à Pompignan (30170), à une portée de lance-pierre de Montpellier, dans un terroir dont on peut difficilement se passer, une fois que l’on y a goûté !
C’est là que la fine fleur du jazz hexagonal et d’ailleurs se retrouve, s’installe (se vautre ?), tant il est agréable de vivre et de jouer dans ce délicieux endroit qu’est le Mas de Quintanel, où le maître des lieux a installé l’un des plus fameux studios d’enregistrement du pays** ! Hé oui, le bougre ne se contente pas de jouer sa propre musique, il est aussi un ingénieur du son hors pair.
‘CASSISTANBUL’, donc, est un album patchwork dont Philippe est le fil conducteur ; il s’y ballade en maître des lieux, avec des formations à géométrie variable, du duo (Soriba) au Septet (Lady Stroyed, African Trip), du quartet (Cassistanboul) au sextet (For Emma), en se jouant des atmosphères, pour la plupart d’allure festive, mais où l’affectif affleure, toujours présent (il s’en explique dans les notes de livret). On y côtoie beaucoup de noms connus, Jacky Terrasson, Mike Stern, Stéphane Belmondo, Pierre de Bethmann, Eric Serra ... Mais aussi des complices de longue date, les membres de son groupe EPICUREAN COLONY, dont Gérard Couderc (saxophones), Claude Bey (trompette & bugle), Emmanuel Beer (Orgue & Fender Rhodes), Philippe Panel (basse), Quentin Boursy (batterie, percussions) et nombre d’autres superbes musiciens, Jérome Dufour, Seda Seck, Roberto Valverde, Yoann Schmidt ... et c’est cette diversité qui fait l’unité de l’album !
Alors, plutôt que d’essayer de coller une étiquette (Jazzfusion, électrique, world music ...) sur ce que vous entendez, ne vous fiez qu’à ce qui se passe entre vos deux feuilles et savourez-en donc les ambiances et les méandres, en même temps qu’un flacon de Pic Saint-Loup ... vous serez encore plus près de Pompignan !