OLIVIER RENAULT
JOHN LEE HOOKER
Boogie-Woogie anyhow
Editions le Mot et le Reste
Harry and Dolly - John Lee Hooker & Miles Davis - Bing video
Grâce à Olivier Renault, on prend le train en marche du blues, en suivant l’itinéraire particulier d’un drôle de hobo, un musicien chantant, voire déchantant qui a éclairé l’histoire du blues, John Lee Hooker :
avec sa façon de prendre la tangente, de foncer sans se retourner... il quitte, a été quitté. Il saura dégager pour se dégager... en prenant le train en marche…
Dans ce nouvel ouvrage de la collection Musiques du Mot et du Reste -les éditions marseillaises que l’on ne présente plus, d' un éclairage très pertinent, s' appuyant sur une documentation précise, fouillée dans ses sources, l’auteur réussit le portrait saisissant de ce personnage complexe, mystérieux qui a su créer un mythe en brouillant les pistes.
Dès les premières pages de ce qui se lit comme une histoire, on est fasciné par certaines ambiguités et incertitudes dans le parcours du musicien. Une seule chose est sûre, John Lee Hooker s’affranchit de tout dès qu’il comprend qu’il est fait pour autre chose. Cette détermination farouche, il ne s’en départira jamais; c’est ce qui le dirige dès qu'il est sûr de sa vocation de musicien.
Dans cet essai précis et vagabond, sans se lasser comme John Lee Hooker lui même, Olivier Renault commente son parcours, donnant une discographie sélective, car Hook fait partie des bluesmen qui ont le plus enregistré-on comprendra pourquoi il est utile de ne pas se perdre dans le nombre de références.
On ignore encore à quelle date il vit le jour et le moins que l’on puisse dire est que John Lee Hooker n’a pas rendu la tâche facile à ses rares biographes. Ce n’est pas donc pas une biographie de plus, elle manquait vraiment même si sa vie est moins dramatique que nombre de musiciens, elle mérite d’être racontée, en cinq chapitres, de son enfance dans le Delta jusqu’aux dernières années toujours actives (il est mort paisiblement dans son sommeil en juin 2001). Il a connu une certaine face du rêve américain mais aussi le racisme, les tromperies de producteurs qui en trafiquant ses contrats ne lui donnèrent jamais accès à ses substantiels droits d’auteur. S’il a fini dans une relative aisance, il a joué sans fin, ne se payant que sur ses concerts!
Ce que l’auteur nous donne à voir et à entendre, c’est la musique de John Lee Hooker : un jeu de guitare original combiné à une voix rauque et âpre, un style inimitable mêlant boogie et blues en ont fait une légende de la musique américaine. Mais que sait-on de lui au juste? Qu’il est né en 1910, ou 1912 ou même en 1923 dans ce Deep South hostile, au Nord Ouest du Mississipi. “Bien sûr que tu as le blues quand tu es né là bas”.
Une seule chose est sûre, il sait très vite qu’il ne sera pas métayer comme son père et qu’il vivra de LA musique. Il ravit très tôt son auditoire quand il chante, il est fait pour cette musique du diable, s’opposant à son père preacher. Il fugue à 14 ou 18 ans, prenant la tangente vers le Nord, Memphis, Cincinnati, Detroit et enfin Chicago, la Mecque du blues pour réaliser son rêve. Même à Detroit, la Motor town, il est ouvrier la journée chez Ford pour pouvoir jouer la nuit, et ses premiers enregistrements en 1948 révèlent déjà un style peu académique qu’il cultivera toute sa longue carrière. Il joue un blues poignant et un boogie plus rapide ( pas le boogie woogie qu’on joue au piano dans les honky tonks mais une adaptation à la guitare). Plus tard dans les années soixante, il s’essaiera au folk, car il sait sentir les changements de tendance. Il chante sa vie, sa misère et celle des autres, de sa voix rauque, persuadé qu’on guérit sa douleur par le blues d’où le titre d’un de ses plus grands succès “The healer” en 1989! Il est l’auteur de thèmes qu’il a joué tout au long de sa carrière dès son tout premier single “Boogie Chillen”,“Crawling King Snake” jusqu'à “Boom Boom” de 1992 .
Il a su donner au blues un son qui lui est propre, en renonçant au traditionnel 12 mesures pour un groove funky intense et profond. Quatre fois lauréat d’un Grammy Award, ce guitariste improbable, ce type analphabète mais rusé a su forger sa légende.
Il connaît assez vite le succès et dès 1951, “I’ m in the mood” est l’occasion d’une première grande tournée avec le fidèle et dévoué Eddie Kirkland.
Ses premiers succès ne l’ont pas rendu riche, il doit multiplier les enregistrements pour s’en sortir, sous divers pseudonymes, n’ayant jamais pu toucher ses droits d’auteur. Toute sa vie, il jouera, gravera des enregistrements et fera des tournées pour vivre et assurer la matérielle. Il connaîtra une longue suite d’errances, toujours sur les routes en France, en Europe dans les années 70 pour se payer les grosses voitures, les costumes bien taillés qu’il affectionne.
On reconnaît tout de suite sa signature, son style inimitable, il est l’esprit du blues du delta. Il ne respecte pas les règles, suit son rythme intérieur, chante les accords quand et comme il le sent, s’adapte continuellement, n’hésitant pas à reprendre inlassablement ses titres puisqu’il les joue différemment, se révélant un grand improvisateur, les “hookerisant”. Il joue sans mediator, à la pulpe des doigts, des riffs bien à lui. S’il n’a pas inventé le blues, il l’a doté d’une grammaire et d’un vocabulaire originaux, une langue assez subtile pour l’assurer que personne ne la maîtrise mieux que lui. Et d’ailleurs, il aime jouer seul. S ’il n’aime pas les groupes, il les utilise de façon originale, laissant ses musiciens libres avant ou après qu’il ne monte sur scène, car alors, ils doivent jouer pour lui et s’adapter!
Outre ses tubes, son influence fut grande : Miles Davis l’admirait " You are the funkiest man alive” et ils firent la B.O du film de Dennis Hopper The Hot Spot. Hooker fit partie des Blues Brothers de John Landis chantant "Boom Boom" et "Boogen Chillen" , sans pour autant être crédités dans l'album qui sortit de la musique du film. Encore une occasion en or qu'il a laissée filer... Admiré de toute la jeune scène britannique rock qui va devenir "blues crazy" en 1962, lors d'une tournée qui passe par Manchester, Eric Clapton, les Animals d'Eric Burdon, le Spencer Davies group, John Mayall, tous reprennent des titres de John Lee quand ils ne jouent pas avec lui. Il inspira autant Canned Heat que Keith Richards et les Stones, Jimmy Page et les Yardbirds, Bowie, Peter Townshend...
Partageant sa passion pour la littérature, Olivier Renault, libraire dans le 14ème arrondissement parisien, complète en l' élargissant sa recherche en faisant quelques pas de côté, dans des chapitres passionnants comme le Delta où il plante le décor ou celui sur Detroit, la ville où Ford établit son usine en 1903.
Sophie Chambon