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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 19:35

Deux nouveaux CD, deux rencontres de leaders, et deux albums marquants. Pour OGJB Quartet, c'est le deuxième disque, après « Bamako », enregistré trois ans plus tôt. Et pour l'autre CD, c'est la réunion de trois musiciens qui, à des moments différents, ont été les partenaires de Cecil Taylor

The OGJB QUARTET «Ode to O»

Oliver Lake (saxophones alto & soprano), Graham Haynes (cornet, electronique), Joe Fonda (contrebasse), Barry Altschul (batterie, percussion)

New York, 7 & 8 juin 2019

TUM Records TUM CD 058 / Orkhêstra

 

Chaque membre apporte des compositions, que complètent des titres conçus collectivement. La première plage, qui est le thème-titre de l'album, est signée Barry Altschul. C'est un hommage à Ornette Coleman, dont le souvenir nourrit une partie de cette musique. Au fil des plages tend en effet à prévaloir une conception tendue de la musique, sur le plan mélodique comme dans les harmonies. Et ce goût d'aller loin, jusqu'au bord du point d'équilibre, à la limite entre la continuité du rythme et l'explosion en vol. On trouve aussi, comme chez Ornette, des thèmes lents et mélancoliques, dont les phrases déchirées marquent la fin d'un monde musical et sa mutation. Le tout respirant un esprit de profonde liberté, qui s'épanouit encore dans les deux plages totalement improvisées. C'est à la fois un manifeste pour une histoire assumée (celle du free jazz) et pour son prolongement dans le présent ; et, à ce double titre, précieux.

 

ANDREW CYRILLE, WILLIAM PARKER & ENRICO RAVA «2 Blues for Cecil»

Enrico Rava (bugle), William Parker (contrebasse), Andrew Cyrille (batterie)

Paris, 1er et 2 février 2020

TUM Records TUM CD 059 / Orkhêstra

Enregistré à Paris (studio Ferber), au lendemain d'un concert au festival Sons d'Hiver, ce disque restitue les traces d'une aventure doublement commune : celle que fut, pour chacun d'eux, le fait de jouer avec Cecil Taylor, et celle aussi qui consiste à se rassembler dans le souvenir de ces expériences pour donner naissance à de nouvelles musiques.

©Luciano Rossetti 

 

Quatre improvisations, dont deux blues (hétérodoxes et pourtant reliés à l'esprit de cette musique, et au sens de l'évocation de Cecil Taylor), et deux digressions très libres, chargées de l'esprit du jazz. Et aussi des compositions de chacun d'eux, où l'individualité se fond dans le projet collectif. Pour conclure, ce sera un standard, My Funny Valentine, peuplé par le souvenirs des fantômes (Miles, Chet) et pourtant doté d'une singularité neuve. Le grand art du standard en somme : pétrir le passé pour un horizon encore inédit. Bref ce trio est vraiment une belle rencontre, pour un grand moment de musique.

Xavier Prévost

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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 17:20
LE DON    PABLO CUECO

 

LE DON PABLO CUECO

Dessins de ROCCO

 

Qupé éditions

www.qupe.eu

 

Don mystérieux, Loi unique, Éthique sanguinaire, Mission magnifique, Cycles mortels, Destin impitoyable... Ces mémoires d'un tueur, adepte forcené de la contre-vélorution, enchanterons le mal-pensant qui sommeille en chacun de nous. Un roman noir à l'humour outre-noir.

 

Le Don est un livre original et vraiment très drôle. Jubilatoire même, passée la surprise de premiers chapitres déroutants, voire glaçants qui exposent le “coming out” d’un tueur en série, en masse serait plus juste, qui met au point une école du crime et réussit sa petite entreprise de démolition en chaîne si j’ose dire car cela commence avec l’élimination de la catégorie des cyclistes.

Une sévère opération de nettoyage à sec dès le début et la cadence ne fait que progresser, à force d’ingéniosité et de travail dans une frénésie exponentielle, une folie des grandeurs qui a tout du plan de masse.

Le tableau est saisissant, grinçant, essoré de toute compassion pour les victimes, même innocentes qui ne le  sont peut-être  pas tellement, dans le fond. Et le tueur et son armada a vite des circonstances exténuantes. Se livre-t-il à quelques règlements de compte en dézinguant de plus en plus de socio-types ? 

Notre tueur ou plutôt notre auteur excelle à mettre en jeu autant qu’en joue notre histoire sociale. Il parvient à donner forme et épaisseur à un projet extravagant avec une jouissance manifeste quand il va voir du côté de l’humaine condition dans ses aspects les plus tordus. Il y a même du militantisme chez celui qui finit par devenir le Robin des Bois des EHPAD- c’est la cause la plus longuement développée dans ce roman et l’actualité toute récente souligne une certaine justesse de ses observations. Ses petits vieux, vite intouchables, cabossés par la vie et démolis un peu plus en institution, sont bien résolus à ne pas se laisser faire, à mourir dignement c’est-à-dire rapidement et proprement s’ils sont condamnés ou à se battre, en devenant les parfaits disciples du maître. 

La réussite majeure de l'auteur, son tour de force est de se tenir au plus près des émotions et de la colère de son personnage principal. Ce qui fait qu’il n’hésite pas à le rendre tour à tour détestable, déroutant dans son fonctionnement psychologique, et même attachant car il ne ménage pas les rebondissements : il y a du feuilleton dans la succession de ces 41 courts chapitres ( de La révélation première-rien à voir avec Le Don nabokovien, jusqu’à La canonisation précédant L’épilogue logique) avec un suspense appelant la suite.

On sent que Pablo Cueco biche en clignant de l’oeil à ses lecteurs! Il aime le polar, il y a fait ses classes, on le dirait du moins, pourtant ses deux livres précédents n’ont rien à voir avec le genre, Pour la route et Double vue chroniqués sur le site. Dans son petit théâtre social, on voit assez vite où vont ses préférences, car une certaine empathie avec son tueur le mène au choix du “je”. ll devient vite difficile de ne pas éprouver une admiration stupéfaite pour cette mauvaise graine, ce gibier de potence et ses méthodes expéditives, radicales mais si ingénieuses. A la manière d’un Lupin, expert de la rocambole, d’un Lacenaire, il met au point un art du geste parfait qu’il peaufine en permanence.

Comment alors ne pas s’inquiéter de ce qui va lui arriver? On pressent en effet que plus dure sera la chute ( pardon du jeu de mots) et qu’il va se faire prendre, au terme d’une cavale ingénieuse, d’une fuite par les toits qui est proprement cinématographique. Mais par un rebond dont ce maître conteur a le secret, et avec l’aide d’un “bavard” inspiré, on évite un dénouement tragique et moral qui aurait tout gâché! Pablo Cueco dont les convictions anarchistes s’expriment au long du livre mêle finement roman policier à la Jim Thomson (The killer inside me), néo-polar au sens de Manchette auquel on peut penser par la description au scalpel de certaines exécutions, humour noir et révolte sociale.

Le style, vif et musclé ne dédaigne pas les belles phrases et les énumérations à la Perec. Autrement dit, Cueco fait des phrases mais n’oublie pas de raconter une histoire formidablement drôle. Un roman très mauvais genre plus que conseillé de cet artiste qui a toutes les cordes à son arc ( ou son zarb plutôt)!

 

Sophie Chambon

 

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4 février 2022 5 04 /02 /février /2022 09:24

Bill Charlap (piano), Peter Washington (contrebasse), Kenny Washington (batterie).
Studio Sear Sound, New-York. 24-25 mai 2021.
Blue Note/Universal.

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Un quart de siècle! Le pianiste Bill Charlap joue en trio avec Peter Washington, contrebassiste et Kenny Washington, batterie, depuis 1997. Et même s’il n’existe aucun lien de parenté entre Peter, californien, et Kenny, new-yorkais, ces trois là s’entendent et s’écoutent comme « larrons en foire ».

 

Avec le temps, ils sont parvenus à un état de grâce fait de lyrisme, de sensibilité, cet art de dire tant avec si peu. Leur dernier album s’intitule « Street of Dreams », une composition de Victor Young datant de 1932.

 

Les autres titres enregistrés fleurent bon aussi le répertoire classique du jazz et des musiques improvisées, relevant ainsi de l’univers de Duke Ellington (Day Dream, œuvre co-signée avec Billy Strayhorn, et The Duke, hommage de Dave Brubeck) ou de Michel Legrand (What Are You Doing The Rest of Your Life, de la bande originale de The Happy Ending en 1969).

 

Tout effet est banni dans cet enregistrement soigné par un ingénieur du son de référence (James Farber), on se laisse emporter au fil des notes. Que demander de plus ?

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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2 février 2022 3 02 /02 /février /2022 21:23

Joe McPhee (saxophones ténor & soprano), voix), Michael Bisio (contrebasse), Fred Lonberg-Holm (violoncelle), Juma Sultan (percussions)

 Hurley (État de New York), 26 janvier 2021

Rogue Art ROG-0114 CD

https://roguart.com/product/the-sweet-spot/182

 

Comme une explosion cathartique après la contention provoquée par la pandémie. Dès la première plage, percussions et pizzicati donnent le ton d'un courant libérateur qui va circuler tout au long du disque, puis le sax soprano fait une entrée en jubilation. Le ton est donné, la musique se libère, une fois de plus, d'un joug temporaire (un temps très long....). Le titre de l'album suggère que l'on se trouve au point d'écoute optimal. Effectivement, on est aux premières loges pour déguster cette énergie créative et musicale. Improvisations bien sûr, mais aussi thèmes proposés par les membres du groupe, et aussi des emprunts aux musiciens révérés. Après une impro en trio sans le le sax, le quartette joue un thème de Charlie Haden, structuré de bout en bout autour d'un capiteux son de basse. À la plage suivante le violoncelle prend la main et entraîne ses partenaires à sa suite. Vient le thème-titre, où la voix et le saxophone de Joe McPhee se font incantatoires. Et le CD se conclut par une composition en hommage à Django, signée Henry Grimes qui avait enregistré ce titre en 1965 pour le label ESP avec Perry Robinson et Tom Price : éloge de la liberté, de la première à la dernière plage. 

Simultanément Rogue Art assure la diffusion dans notre pays d'un disque du tromboniste Steve Swell, sous le label Silkheart, en Hommage à Luciano Berio, entre liberté absolue et cadre formel élaboré. Avec lui la vocaliste Ellen Christi, les saxophones de Marty Ehrlich & Sam Newsome, le marimba de Jim Pugliese, et la batterie de Gerald Cleaver. Autre manière de dire la liberté en musique

https://roguart.com/product/steve-swells-hommage-x-3/188

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Xavier Prévost

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1 février 2022 2 01 /02 /février /2022 09:53

Editions Les Soleils bleus. Novembre 2021.
Couverture de Philippe Ghielmetti.

« Le vent du jazz m’emportait déjà au large ». Ainsi s’achève « De la musique plein la tête », chronique échevelée des années pop, funk et discos vécues par Pierre de Chocqueuse, dans le désordre batteur amateur pour soirées mondaines, chroniqueur dans des journaux spécialisés, attaché de presse, responsable de label. A cette époque là, à grands traits du milieu des sixties à la fin des seventies, l’actuel auteur infatigable du Blog de choc (blogdechoc.fr) respecté et craint dans la jazzosphère et pilier de l’Académie du Jazz au poste-vigie de secrétaire général, naviguait (et pas seulement à Paris) dans cet univers des musiques populaires anglo-saxonnes.

Le récit donné à la première personne, savoureux, drôle, nous fait découvrir un jeune homme de bonne famille déroutant, désespérant son père par sa vie bohème sur les bancs des écoles privées (on pense au film-culte de Claude Zidi, les Sous doués), et de l’université (le droit à Nanterre après 68).

 

Son entrée dans « le monde de l’entreprise » nous permet de pénétrer dans les coulisses des médias (Best, Rock & Folk), les bureaux des maisons de disques (Polydor). Autant d’occasions d’évoquer des rencontres souvent épiques (Amanda Lear, Gloria Gaynor, Ringo Starr), pleine d’imprévu, et d’approcher la drôle de mécanique de la fabrique des succès.

Mais le jazz commençait à instiller son venin dans la tête (et le cœur) de notre chroniqueur. Il avait rencontré en 1977 Maurice Cullaz (« petit monsieur rondouillard aux yeux rieurs ») vendant Jazz Hot sur le trottoir de la salle Pleyel où se produisait Al Jarreau, ne se doutant nullement qu’il présidait alors l’Académie du Jazz. Il avait donné le bras à Ella Fitzgerald pour monter sur scène au Palais des Congrès.

Passant de l’écoute aux actes, il concocta pour Polydor une sélection, « The Jazz Rock Album » (1979) comprenant la crème du genre (Return to Forever avec Chick Corea et Stanley Clarke, George Benson, Tony Williams, John McLaughlin…). L’aventure chez Polydor prenait fin, notre témoin-acteur pouvait à loisir entamer sa période « jazz à 100  % » toujours en cours au début de cet an 2022. Et ce (l’auteur de ces lignes peut en témoigner), sans abandonner cet « esprit rock » qui s’exprime tout au long de ce périple de 259 pages (index bien utile compris).

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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29 janvier 2022 6 29 /01 /janvier /2022 17:42
BENOIT MOREAU TRIO          REVE PARTY

 

BENOIT MOREAU TRIO REVE PARTY

 

Sortie 21 janvier 2022

Inouïe Distribution

 

Benoît Moreau guitare/compositions  Olivier Pinto contrebasse Raphaël Sonntag batterie

Issus du Conservatoire National à Rayonnement Régional Pierre Barbizet de la cité phocéenne, les musiciens du trio du guitariste Benoît Moreau, connus de la scène Marseillaise, sont les acteurs d’un premier album prometteur Rêve Party.

On est vite frappé par l’homogénéité du son, l’équilibre constant des voix, le souci d’un chant mélodieux, dans ce triangle équilatéral parfait (guitare,contrebasse, batterie ) dès le “Stellar” originel qui prend jusqu’au crescendo final. Tout semble couler de source sous les doigts du guitariste qui sait doser les effets de réverb et de saturation, ne jouant jamais d’éclats trop tranchants ni de riffs torturés fréquents avec l’électrique.

Benoît Moreau installe avec cette suite de huit morceaux qui évoluent sans se perdre comme dans cet “Encore” qui débute pop pour virer à un rock plus énergique, ou flottant comme dans la ballade étrange, suspendue “Aurinko”. “Day Fever” est contre toute attente plutôt raisonnable, alors que le titre qui sonne résolument jazz est ce “Blues boppers” dansant de façon plus endiablée.

Si le guitariste est un passionné et virtuose du skate, il semble loin des acrobates-joueurs un peu trop impulsifs. Peut-être compulsif dans l’utilisation de tout un jeu de figures dans l’espace sonore ( l’équivalent des “tricks”du skate), il exploite les silences, occupant l’espace sonore avec des variations subtiles d’intensité.

La musique de ce Rêve Party a un style certain, une  qualité introspective traversée d’un souffle original. C'est une épure accrocheuse par la clarté des plans et des traits, les articulations soigneusement amenées, la fluidité et sophistication du phrasé.

Ce disque d’une juste durée, cohérent dans l’enchaînement des titres, creuse une veine souvent instrospective, jamais froide, ni sentimentale, distillant un climat onirique, aux effets souvent hypnotiques. La rythmique n’y est pas étrangère : jamais dans l’énergie brute, elle suit, soutient, relance en parfait accord. La pulse est tenue vigoureusement mais avec finesse tout du long, le tempo se nourrit d’un groove moelleux, délicieusement triste parfois (“5321”), la contrebasse sinue souterrainement sans précipitation avec une intensité palpable, magnétisante.

Doté d’une musicalité certaine jouant de l' alliage heureux des timbres, cette première réalisation est une réussite. L’album se referme avec une douceur et une grâce qui détourne astucieusement le titre “She says I talk too much about my music”.

 

 

Sophie Chambon

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28 janvier 2022 5 28 /01 /janvier /2022 09:44

Fred Hersch (piano, compositions), Drew Gress (contrebasse), Jochen Rueckert (batterie), Regento Boccato (percussions) et le Crosby Street String Quartet (Joyce Hammann, Laura Seaton, violons; Lois Martin, alto; Jody Redhage Ferber, violoncelle).
Samuraï Hotel. Astoria (NY) août 2021.
Palmetto Records/L’autre distribution.
Sortie le 28 janvier en cd et vinyl.
En concert au Bal Blomet (75015) du 11 au 14 mai.


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Nous étions en novembre 2017. Fred Hersch nous confiait : « J’ai 62 ans. Je n’ai plus rien à prouver à qui que ce soit. Je fais seulement ce que je fais ». Serein, épanoui, le pianiste américain n’a rien perdu de son état d’âme durant la (trop) longue période de confinement entamée voici deux ans.


Seul à son domicile rural de l’état de New York, Fred Hersch avait donné rendez-vous chaque soir à ses fans sur la toile pour un concert intime, enregistrements publiés en 2020 ("Songs from Home" -Palmetto). Un exercice qui passe aujourd’hui pour une mise en oreille quand sort une suite composée dans le même environnement bénéficiant d’un quatuor à cordes. Le pianiste se souvient de ses jeunes années où à Cincinnati il écoutait le prestigieux Quatuor Lassalle et de sa formation initiale qui le conduisit plus tard à consacrer un album ("The French Collection : Jazz Impressions of French Classics". Angel/EMI) à Ravel, Debussy, Fauré ou encore Satie.

Que le lecteur-auditeur ne se méprenne pas. The Sati Suite ne constitue pas un hommage au compositeur des Gymnopédies et autres Enfantillages pittoresques. Fred Hersch a trouvé son inspiration dans la méditation bouddhique Vipassana où le terme sati correspond à la pleine conscience. Les huit mouvements proposés, de sa propre main, sont autant d’incitations à la réflexion, à la méthode nécessaire pour y parvenir, en contrôlant notamment sa respiration dans le titre « Breath by Breath ». Cette introspection à laquelle nous invite Fred Hersch se conclut par un hommage à Robert Schumann, titré Pastorale.

Inclassable, aérien, intime, d’un charme par moment suranné, « Breath by Breath » révèle une autre facette de la personnalité de Fred Hersch, musicien rare.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

En concert au Bal Blomet (75015) du 11 au 14 mai.
Artiste en résidence en mars à Leuven (Belgique) www.leuvenjazz.be, Fred Hersch se produira également en Italie notamment en duo avec le trompettiste Enrico Rava en mars (Bergame, le 18 et Rome le 20).

 

©photo X. (D.R.)

 

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23 janvier 2022 7 23 /01 /janvier /2022 17:00
RHODA SCOTT   LADY ALL STARS
RHODA SCOTT   LADY ALL STARS

RHODA SCOTT LADY ALL STARS

 

Sortie d’album le 15 janvier 2022

Label SUNSET RECORDS/ BACO

 

Un septet féminin qui entoure la célèbre organiste? On croit rêver, la chose est assez rare pour qu’on s’interroge une fois encore sur la place des femmes dans le jazz. Les musiciens de jazz ont toujours aimé les femmes auxquelles ils ont consacré fort aimablement de nombreuses compositions, cherchant celles qui font rêver ou qui sont inspiratrices. Sans vraiment leur laisser une autre place. Dans l’histoire du jazz, il y eut pourtant des femmes formidables, souvent pianistes, car il faut bien l’admettre, les anches et les cuivres n’étaient pas prédominantes. Si on admet que la femme est un homme comme les autres, dans cet univers masculin pour ne pas dire machiste, les choses évoluent et les jazzwomen n’ont rien à envier à leur petits camarades.

L’organiste aux pieds nus, Rhoda Scott, plus de quatre vingt ans, installée en France depuis 1968, est l’une de ces pionnières qui continua d’innover en créant dès 2004 un premier Lady Quartet, avec Sophie Alour au saxophone tenor, Airelle Besson à la trompette et Julie Saury à la batterie. Puis l’arrivée de la saxophoniste alto Lisa Cat Berro, se substituant à Airelle Besson, transforma le groupe en un quartet à deux saxophones. Ces musiciennes ayant l’étoffe de leaders, avec des projets définis et leur propre groupe, la formation devint un collectif selon les disponibilités de chacune, accueillant de nouvelles venues, Géraldine Laurent et Anne Pacéo, puisque l’idée était de garder un personnel exclusivement féminin. Du souffle et une puissante rythmique! Cet septet girl power accompagnant une véritable lady du jazz, qui prit des leçons d’harmonie et de contrepoint auprès de la grande Nadia Boulanger, fut nommé Lady All Star par Stéphane Portet, le patron du club Sunset/ Sunside de la mythique rue des Lombards. Ce club ouvert en 1982, essentiel à la jazzosphère, pas simplement hexagonale, ouvert 7 jours sur 7, fête fin janvier ses 40 ans au Châtelet, et dans ce qui sera une fête illuminant comme dans le standard (sublimé par Fred Astaire, Chet Baker) "the night and the music", le groupe de Rhoda Scott a sa place!

Rhoda Scott qui a toujours ses entrées au club a d’aillleurs joué en quartet le 31 décembre dernier. Et c’est sur le label du Sunset que fut enregistré en live cette formation cuivrée et musclée, qui ne manque pas de charme, tant il est vrai que cet équipage a toutes les qualités, bousculant joyeusement un certain ordre établi sans renoncer à la tradition du jazz dans l’interplay et l’improvisation collective.

Ecoutons donc cette wild party de  HUIT musiciennes qui font le jazz français actuel. L’album est emblématique de sensibilités et de jeux différents et complémentaires qui concourent à une mise en oeuvre collective autour de huit compositions sans recyclage, un matériau neuf pour cette rencontre au sommet de musiciennes aguerries, Rhoda Scott et Lisa Cat-Berro apportant deux titres, Julie Saury, Sophie Alour, Airelle Besson et Paceo Anne un seul, sans oublier les interventions décisives des saxophonistes baryton et alto, Céline Bonacina et Géraldine Laurent. Un mariage des timbres des plus heureux que tous ces cuivres, anches donc bois qui se réajustent en permanence. Les musiciennes surgissent, se glissent et se fondent, plus qu’elles ne s’effacent dans la masse orchestrale. Nous ayant définitivement conquis, elles emmènent sans effort, partageant l’affiche de la barefoot contessa, avec une complicité et un respect mutuels concourant à la réussite musicale de l’ensemble. Du lyrisme certes mais du rythme et de la vigueur impulsée aussi par nos deux batteuses, complétée par les ponctuations du baryton et le jeu de la ligne de basse de l’orgue Hammond grâce au pédalier. Pas vraiment de ballades sentimentales, seuls “Les châteaux de sable” d’Anne Paceo introduisent un climat délectable mais élégiaque. Les thèmes, accrocheurs, sont d’une efficacité certaine, mélodies lumineuses à la tension très moderne, que l’on a envie très vite de retenir et de fredonner. On aime toutes ces compositions sans distinguo “City of the rising sun”, “Escapade”, “I wanna move” qui contribuent au bel équilibre de l’album. Rhoda Scott ouvre le bal avec un premier thème de son cru, “R&R” où sa vitalité et sa créativité sont intactes, son chant hérité du blues et du gospel privilégiant conviction et urgence qui fusionnent en harmonie. Elle ferme la marche avec un “Short Night Blues”, où elle se déchaîne, soutenue par de subtils unissons et des chorus toujours vifs. C’est enlevé, allègre et ça swingue du tonnerre avec l’orgue qui ronfle de plaisir. Plus que réjouissant et hautement conseillé pour oublier ces temps difficiles!

 

Sophie Chambon

 

 

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18 janvier 2022 2 18 /01 /janvier /2022 18:02
OLIVIER RENAULT    JOHN LEE HOOKER Boogie-Woogie anyhow


OLIVIER RENAULT

JOHN LEE HOOKER
Boogie-Woogie anyhow

 

Editions le Mot et le Reste

Harry and Dolly - John Lee Hooker & Miles Davis - Bing video


Grâce à Olivier Renault, on prend le train en marche du blues, en suivant l’itinéraire particulier d’un drôle de hobo, un musicien chantant, voire déchantant qui a éclairé l’histoire du blues, John Lee Hooker :
avec sa façon de prendre la tangente, de foncer sans se retourner... il quitte, a été quitté. Il saura dégager pour se dégager...  en prenant le train en marche…

Dans ce nouvel ouvrage de la collection Musiques du Mot et du Reste -les éditions marseillaises que l’on ne présente plus, d' un éclairage très pertinent, s' appuyant sur une documentation précise, fouillée dans ses sources, l’auteur réussit le portrait saisissant de ce personnage complexe, mystérieux qui a su créer un mythe en brouillant les pistes.
Dès les premières pages de ce qui se lit comme une histoire, on est fasciné par certaines ambiguités et incertitudes dans le parcours du musicien. Une seule chose est sûre, John Lee Hooker s’affranchit de tout dès qu’il comprend qu’il est fait pour autre chose. Cette détermination farouche, il ne s’en départira jamais; c’est ce qui le dirige dès qu'il est sûr de sa vocation de musicien.

Dans cet essai précis et vagabond, sans se lasser comme John Lee Hooker lui même, Olivier Renault commente son parcours, donnant une discographie sélective, car Hook fait partie des bluesmen qui ont le plus enregistré-on comprendra pourquoi il est utile de ne pas se perdre dans le nombre de références. 

On ignore encore à quelle date il vit le jour et le moins que l’on puisse dire est que John Lee Hooker n’a pas rendu la tâche facile à ses rares biographes. Ce n’est pas donc pas une biographie de plus, elle manquait vraiment même si sa vie est moins dramatique que nombre de musiciens, elle mérite d’être racontée, en cinq chapitres, de son enfance dans le Delta jusqu’aux dernières années toujours actives (il est mort  paisiblement dans son sommeil en juin 2001). Il a connu une certaine face du rêve américain mais aussi le racisme, les tromperies de producteurs qui en trafiquant ses contrats ne lui donnèrent jamais accès à ses substantiels droits d’auteur. S’il a fini dans une relative aisance, il a joué sans fin, ne se payant que sur ses concerts!

Ce que l’auteur nous donne à voir et à entendre, c’est la musique de John Lee Hooker : un jeu de guitare original combiné à une voix rauque et âpre, un style inimitable mêlant boogie et blues en ont fait une légende de la musique américaine. Mais que sait-on de lui au juste? Qu’il est né en 1910, ou 1912 ou même en 1923 dans ce Deep South hostile, au Nord Ouest du Mississipi. Bien sûr que tu as le blues quand tu es né là bas”.

Une seule chose est sûre, il sait très vite qu’il ne sera pas métayer comme son père et qu’il vivra de LA musique. Il ravit très tôt son auditoire quand il chante, il est fait pour cette musique du diable, s’opposant à son père preacher. Il fugue à 14 ou 18 ans, prenant la tangente vers le Nord, Memphis, Cincinnati, Detroit et enfin Chicago, la Mecque du blues pour réaliser son rêve. Même à Detroit, la Motor town, il est ouvrier la journée chez Ford pour pouvoir jouer la nuit, et ses premiers enregistrements en 1948 révèlent déjà un style peu académique qu’il cultivera toute sa longue carrière. Il joue un blues poignant et un boogie plus rapide ( pas le boogie woogie qu’on joue au piano dans les honky tonks mais une adaptation à la guitare). Plus tard  dans les années soixante, il s’essaiera au folk, car il sait sentir les changements de tendance. Il chante sa vie, sa misère et celle des autres, de sa voix rauque, persuadé qu’on guérit sa douleur par le blues d’où le titre d’un de ses plus grands succès “The healer” en 1989! Il est l’auteur de thèmes qu’il a joué tout au long de sa carrière dès son tout premier single “Boogie Chillen”,“Crawling King Snake” jusqu'à “Boom Boom” de 1992 .

Il a su donner au blues un son qui lui est propre, en renonçant au traditionnel 12 mesures pour un groove funky intense et profond. Quatre fois lauréat d’un Grammy Award, ce guitariste improbable, ce type analphabète mais rusé a su forger sa légende.
Il connaît assez vite le succès et  dès 1951, “I’ m in the mood” est l’occasion d’une première grande tournée avec le fidèle et dévoué Eddie Kirkland.
Ses premiers succès ne l’ont pas rendu riche, il doit multiplier les enregistrements pour s’en sortir, sous divers pseudonymes, n’ayant jamais pu toucher ses droits d’auteur. Toute sa vie, il jouera, gravera des enregistrements et fera des tournées pour vivre et assurer la matérielle. Il connaîtra une longue suite d’errances, toujours sur les routes en France, en Europe dans les années 70 pour se payer les grosses voitures, les costumes bien taillés qu’il affectionne.   

On reconnaît tout de suite sa signature, son style inimitable, il est l’esprit du blues du delta. Il ne respecte pas les règles, suit son rythme intérieur, chante les accords quand et comme il le sent, s’adapte continuellement, n’hésitant pas à reprendre inlassablement ses titres puisqu’il les joue différemment,  se révélant un grand improvisateur, les “hookerisant”. Il joue sans mediator, à la pulpe des doigts, des riffs bien à lui. S’il n’a pas inventé le blues, il l’a doté d’une grammaire et d’un vocabulaire originaux, une langue assez subtile pour l’assurer que personne ne la maîtrise mieux que lui. Et d’ailleurs, il aime jouer seul. S ’il n’aime pas les groupes, il les utilise de façon originale, laissant ses musiciens libres avant ou après qu’il ne monte sur scène, car alors, ils doivent jouer pour lui et s’adapter!               
Outre ses tubes, son influence fut grande : Miles Davis l’admirait " You are the funkiest man alive” et ils firent la B.O du film de Dennis Hopper The Hot Spot. Hooker fit partie des Blues Brothers de John Landis  chantant  "Boom Boom" et "Boogen Chillen" , sans pour autant être crédités dans l'album qui sortit de la musique du film. Encore une occasion en or qu'il a laissée filer... Admiré de toute la jeune scène britannique rock qui va devenir "blues crazy" en 1962, lors d'une tournée qui passe par Manchester, Eric Clapton, les Animals d'Eric Burdon, le Spencer Davies group, John Mayall, tous reprennent des titres de John Lee quand ils ne jouent pas avec lui. Il inspira autant Canned Heat que Keith Richards et les Stones, Jimmy Page et les Yardbirds, Bowie, Peter Townshend... 

Partageant sa passion pour la littérature, Olivier Renault, libraire dans le 14ème arrondissement parisien, complète en l' élargissant sa recherche en faisant quelques pas de côté, dans des chapitres passionnants comme le Delta où il plante le décor ou celui sur Detroit, la ville où Ford établit son usine en 1903.


Sophie Chambon
 

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16 janvier 2022 7 16 /01 /janvier /2022 16:47

Tim Berne (saxophone alto, composition), Gregg Belisle-Tchi (guitare acoustique)

Woodstock, 15 mai 2021

Intakt Records CD 374 / Orkhêstra

 

Un disque très singulier, et qui frappe dès les premières notes par l'excellence de la composition comme de l'interprétation-improvisation. Le guitariste Gregg Belisle-Tchi avait enregistré en 2020 un disque en solo consacré aux compositions de Tim Berne («Koi», Screwgun Records). Il est cette fois son partenaire pour un duo, sur des compositions du saxophoniste, arrangées conjointement. Comme toujours, les thèmes de Tim Berne nous embarquent dans des lignes vertigineuses d'une absolue rigueur. Et comme toujours on se demande comment cette indiscutable rigueur peut contenir, et produire, autant de liberté : liberté d'interprétation, liberté d'expression, ou plutôt d'expressivité. David Torn, producteur artistique de la séance, commente dans le livret du CD : «Musique de l'espace ? Non. Musique terrienne ? Oui, vraiment. Folk Music ? Je ne sais pas...». Et pourtant à l'écoute, renouvelée, attentive, c'est bien cette dernière hypothèse qui va prévaloir. Une sorte de Folk Music du futur, imprégnée des libertés tonales de la musique dite contemporaine, et irradiée, d'un bout à l'autre, d'un lyrisme qui ne désempare pas. Il y a même une espèce de blues dévoyé. Magnifiquement beau, d'une beauté neuve, comme en distille si souvent Tim Berne. À découvrir avec le degré d'attention et de réceptivité qui s'impose. Et pour ce qui me concerne, avec une sorte d'émerveillement.

Xavier Prévost

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