Un tout nouveau festival qui se crée en sortie de crise sanitaire ! On prend !
C’est en effet une belle initiative sous l’impulsion de Laurent Miquel que la création de la 1ère édition sur 3 jours de ce Jazz ô Palais à Albi (Lot). Et qui plus audacieux de lancer cette aventure en toute fin de saison, à l'heure où les festivaliers rangent les toms et replient le matos. Et au final une complète réussite avec un festival comble où tout ceux qui veulent encore plus d'été, plus de spectacle vivant, plus de vie se sont précipités.
Tout y est : le lieu (superbe, sur la petite place du Palais d'Albi), une soirée de fin d'été, un son remarquable comme rarement pour ces concerts en plein air, et une programmation qui en veut avec des artistes visiblement heureux d'être là.
Hier soir pour la dernière de ce mini-festival, c'étaient Robin Mc Kelle en 1ère partie et Hugues Coltman en 2ème qui avaient décidé d'embraser le ciel albigeois.Deux parties bourrées d'énergie.
La chanteuse toujours aussi flamboyante dans son répertoire dédié aux chanteuses-compositrices et issu de son dernier album ( « Alterations » sur le label Doxie Records). Avec en point d'orgue (si l'on peut dire) une superbe version jouée seule au piano de You’ve got a friend de Carole king ou encore une magnifique interprétation de River de Joni Mitchell. Et puis Robin décida d'allumer le feu, portée par les envolées de Raphael Debacker à l'orgue hammond et par un Reggie Washington toujours superlatif à la basse. En fin de concert les claviers étaient doublés au piano et Robin mc Kelle parvenait (avec beaucoup de persuasion il est vrai) à faire se lever le public et même à la faire danser.
Puis en 2eme partie Hugh Coltman prenait le relais avec son humour décapant ( so british) et ses allures de dandy. Une ouverture en forme de brass band nouvelle Orleans à l'image de son dernier album ( « who’s happy » enregistré sur les terres de Nola et un morceau au vitriol très drôle en moquerie de son compatriote honni, Boris Johnson. Puisant dans son ancien répertoire (notamment son hommage à Nat King Cole), le chanteur mettait du swing dans son groove élégant et enflammait un Caravan avec Batiste Herbin qui, venu en guest star prenait un solo à tomber par terre.
Le public entièrement conquis avait du mal à quitter les lieux, porté par cette énergie circulante et par la douceur de cette fin d’été.
Ils se promettaient c’est sûr de revenir l’an prochain et regagnaient leur voiture sur un air de « vive le jazz » qui en ces temps de fin de crise nous donnait un sacré baume au cœur.
Avec cette nouvelle création, le pianiste Bruno Angelini revient à ses premières influences musicales, déroulant la spirale de ses souvenirs. Ce répertoire à thèmes célèbre l’Amérique qu’il aime et certaines figures iconiques de cinéastes, écrivains, musiciens, danseurs qui se passent le relais dans l’histoire de l’album, chacune pouvant inciter à se remémorer les autres. Voilà le vrai terrain de jeu, l’espace de cinéma du pianiste (souvenez-vous en 2013 de son Move is) sans qu’il s’agisse d’illustration des photos du livret toujours soigné (c’est la signature du label, avec les couvertures peintes d’Emmanuel Guibert). Quarante pages de photos qui, mieux qu’un long texte introductif, résument les singularités, les partis pris, les champs d’action de militants engagés pour la liberté, le respect des droits civiques et plus récemment l’écologie. Ils forment la mosaïque superbe d’une Amérique digne d’admiration.
L'écriture musicale de Bruno Angelini, inscrite dans la tradition écrite occidentale, puise donc aussi dans l’improvisation et le jazz, sur son piano augmenté d’ effets électroniques et de claviers additionnels.Attiré par les deux cultures, les deux continents, le pianiste confesse avoir des “racines aquatiques”, jolie formule et il se livre volontiers à condition que l’on sache écouter.
Bruno Angelini a formé un trio lyrique de tisseurs de sons et d’alliages, pour amateurs d’élans du coeur et de ces brisures. Le terrain d’entente n’était pas difficile à trouver avec ses deux complices. Le pianiste cherche souvent des façons légères de formuler sa mélancolie, dans des compositions en clair obscur, impressions d’un drame imminent. Il est alors aidé par le son étouffé, étranglé de Fabrice Martinez dont la trompette et le bugle ne soufflent que de la mélodie, s’appuyant sur les plages harmoniques du pianiste, ses ostinatos, et le doux drumming, précis, attentif et toujours stimulant d’Eric Echampard.
Un exemple parfait, ce“Mal’s Flowers” dans un hommage qui n’est plus déguisé à ce maître du silence (“All alone, “Left Alone” ) qui a connu des duos d’accord parfait, de Billie Holiday à Jeanne Lee. Il n’oublie pas que Mal Waldron a écrit, entre autre, “Flower is a lovesome thing” dans un de ses nombreux albums, souvent en duo avec Steve Lacy. Bruno Angelini retrouve alors ces motifs obsédants, la réitération des notes, ces insistances qui colorent sombrement l’accompagnement. On n’en finirait pas de s’extasier sur les raffinements et autres nuances de la palette de Fabrice Martinez. Il ne nous rappelle personne en particulier et c’est ce qui le rend précieux. Impressionnante est son imagination, son aisance, sur tempo rapide où il maintient une articulation du phrasé. Pianiste et trompettiste se partagent le jaillissement mélodique, le discours de l’un soutenant, voire prolongeant le propos de l’autre.
Le pianiste ne quitte jamais la mélodie mais s’autorise des écarts, des fulgurances, surtout quand il s’agit de la violence de la ségrégation auquel répond alors le déluge de la batterie. On retrouve alors la force de frappe d’Echampard, pilonnant le terrain et réveillant dans nos mémoires les terribles images de lances à incendie et des chiens policiers envoyés contre les manifestants luttant pour les Droits civiques. Sensations physiques, rage plus ou moins rentrée, dans un espace d’improvisation modale avec cet autre thème, “Peaceful warrior”: autre jaillissement de la batterie sur Sitting Bull, le Sioux,” du peuple amérindien, hélas décimé. Ainsi ce sont les ambiances, les couleurs de ces scènes que se représente Angelini dans son film imaginaire, son cinéma intérieur où il bat la campagne, les espaces de la wilderness américaine.
Le cadre posé, l’intention définie par le compositeur leader, ses deux complices se lancent dans une improvisation précise, brossant une fresque collective, un portrait vibrant de l’Amérique, et de ses contradictions, de ses losers magnifiques à ses forces vives, positives, énergiques. Ainsi en est-il des mouvements contestataires qui ont toujours irrigué la contre-culture, la “civil disobedience”, la littérature sociale de Jack London, les musiciens qui ont innové comme John Cage. Et totalement actuel, un coup de chapeau sur “A Butterfly can save a tree”, à l’activiste Julia Butterfly Hill, luttant pour la protection des séquoïas. Bruno Angelini pense alors à la dégradation du climat : sur un ostinato au piano se développe le chant du bugle doux et plaintif, déchirant qui se brise, marquant l’anéantissement programmé. Empreint de gravité, ce voyage aux habiles transitions, n’empêche pas la cohésion du parcours d'un trio qui montre une belle vitalité.
Thibault Walter (piano électro-acoustique préparé), Jean-Luc Ponthieux (contrebasse), Pablo Cueco (zarb)
Avril 2021
Élément 124 / Inouïe Distribution
Un trio très singulier, à bien des égards. D'abord le choix du piano, un Yamaha CP 70, survivant né voici un demi siècle, un instrument à cordes amplifiées, et ici avec des préparations qui le font sortir des souvenirs sonores qu'il a laissés dans le rock, progressif ou pas, et le jazz fusion. Et puis l'instrumentation, autour de la contrebasse, pôle d'identité jazzistique, avec ce piano presque insolite, et le zarb dans un rôle habituellement dévolu à la batterie. Et il faut le dire tout net : ça marche, et même plus que cela. On est transporté dans un univers où la pulsation du jazz, avec quelques-uns de ses schémas canoniques, se trouve confrontée à des choix sonores, des singularités de timbres, des audaces harmoniques ou rythmiques qui nous entraînent dans une sorte d'ailleurs de cette musique que l'on croyait connaître. Et avec une liberté d'improvisation qui renforce encore ce léger sentiment d'étrangeté. Singulier donc, et en ce sens totalement abouti. Une vraie réussite !
Initialement prévu pour une publication en février 2020, ce disque enregistré en 2012 arrive enfin jusqu'à nos oreilles toujours attentives aux pérégrinations musicales du Maestro transalpin. Cette fois, c'est une libre déambulation en solo, au piano (et un peu au célesta), un libre parcours musical suscité par les impressions, les émotions et les fulgurances produites par la peinture dans l'esprit et l'action du pianiste qui regarde le cadre, la forme. On n'est manifestement pas dans une simple démarche de correspondances telles qu'envisagées par Baudelaire. Ni dans l'optique de la synesthésie qui associerait les couleurs des œuvres à une transposition musicale. On semble ici se trouver en présence d'une libre (très libre) expression. Le lancer de couleurs de Jackson Pollock, après des escapades très escarpées, va déboucher sur un blues d'un absolu dépouillement, et d'un feeling étourdissant. Gustav Klimt sera gratifié de jaillissements post-romantiques. Edward Hopper n'échappera pas à ses figures obsessionnelles, avec résolution dans une sorte de blues hétérodoxe fourmillant de tensions harmoniques. Pablo Picasso et Paul Klee suggéreront au pianiste une sorte d'éloge du discontinu, tandis que Mark Rothko fera emprunter à Enrico Pieranunzi des sinuosités sans terme identifiable. Des variations chromatiques pour Henri Matisse et un boogie woogie futuriste pour Piet Mondrian complètent le tableau général, où s'inscrivent en prime quelques variations personnelles du pianiste en bleu, noir, gris, vert, jaune et rouge. Mais j'insiste, pas de correspondances oniriques ou synesthésiques, rien que la liberté d'un musicien qui m'a entraîné dans son univers, guidé par le fil de ses sensations. Et se laisser guider par cette liberté en action fut un réel bonheur.
Enrico Pieranunzi jouera en, duo avec Diego Imbert, les 26 & 27 août 2021 à Paris au Sunside, puis en trio le 28 août au festival 'Jazz en Sol Mineur' à Hussigny-Godbrange (Meurthe-et-Moselle)
Une musique d'une absolue singularité, que n'éclaire pas le discours d'escorte, fait d'analogies. Le thème-titre (l'ultime plage), sur un texte de l'écrivain et metteur en scène Falk Richter, dit furtivement ceci «Avant je voulais changer le monde, mais maintenant je ne pense qu'à ma place de parking (…) Avant je voulais changer le monde, j'ai commencé à tellement changer que j'ai oublié qui j'étais...». Et ce que semble nous dire la musique, par-delà le labyrinthe des titres allusifs (Il a plu, Peut-être es-tu immobile à la fenêtre, Les êtres en quête, Des paysages qui attendent, Dis simplement quelque chose, Faire s’écrouler des choses....), c'est le mouvement d'une forme en perpétuelle transformation, un flux nourri d'interactions, de timbres inouïs, d'éclats soudains et de retraits méditatifs. Et la force du dialogue entre la voix (en ses métamorphoses) et les instruments (eux aussi porteurs d'une foule d'avatars). C'est intense de bout en bout, jusque dans la réserve et le chuchotement. C'est tout simplement beau. Et comme l'écrivait le poète : «Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme, Ô Beauté ! ». Une formidable réussite de musique, d'expression et d'aventure créative.
Xavier Prévost
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Le trio sera en concert le 22 août à 14h30 au Paris Jazz Festival, Parc Floral de Paris, Bois de Vincennes
Enrico Pieranunzi (piano), Thomas Fonnesbæk (contrebasse)
Copenhague, juillet 2020
Stunt Records STUCD20132 / UVM distribution
Me revient en mémoire ma première chronique d'un disque d'Enrico Pieranunzi, dans un magazine spécialisé : c'était vers 1985, «New Lands», en trio. Et j'avais alors (lourdement ? ) insisté sur la référence à l'univers de Bill Evans. Effectivement le pianiste italien voue un culte à Bill Evans, auquel il a consacré un formidable livre, traduit en français par Danièle Robert (Bill Evans, Portrait de l'artiste au piano, éd. Rouge profond, collection Birdland, 2014). Et il a souvent joué, et enregistré, avec Marc Johnson, ultime bassiste de Bill. Pourtant, pour l'avoir écouté dans des dizaines de ses disques, et sur scène, en solo, duo, trio.... j'ai souvent constaté qu'Enrico Pieranunzi avait son propre univers. Mais cette fois la référence est explicite : le choix de deux thèmes de son illustre prédécesseur, et de nombreuses allusions (non seulement dans les titres-Bill and Bach , qui évolue du phrasé jazz au contrepoint baroque– mais aussi par le style, l'atmosphère, le phrasé, le choix des trames harmoniques), signent l'hommage. Et au détour d'une plage, on se rappelle qu'à la fin des années cinquante, Bill Evans était un admirateur de Lennie Tristano. Enrico Pieranunzi avait déjà publié un duo avec Thomas Fonnesbæk, enregistré en club en 2017 (et chroniqué ici). À la faveur de nouveaux concerts au Danemark ils sont entrés en studio pour enregistrer ce chant d'amour au Grand Bill. Le contrebassiste dialogue avec le pianiste, dans un esprit qui rappelle l'univers de référence, et tout cela est d'une grande beauté : on succombe, sans résistance aucune....
D'abord une rencontre, en 2002, au Festival Banlieues Bleues, avec Jim Baker qui jouait dans un autre groupe. Puis plusieurs concerts avec lui, dans divers lieux (Chicago, Arles....), et enfin, à la faveur du passage à Chicago de Bernard Santacruz et Samuel Silvant avec un autre groupe, dans le cadre de 'The Bridge', l'occasion d'enregistrer en trio en 2015. Bernard Santacruz joue la contrebasse de Malachi Favors, prêtée par le contrebassiste Harrison Bankhead.
Et cet enregistrement, enfin, voit le jour. Un titre d'album, et des intitulés de plages, qui fragmentent un passage de L'Esprit des lois de Montesquieu (livre XII, chapitre V, 'De certaines accusations qui ont particulièrement besoin de modération et de prudence').
En écoutant ce disque, je retrouve des sensations et des émotions ressenties, lorsque j'étais adolescent puis jeune adulte, à l'écoute des disques de Paul Bley, ceux de la période qui va du début des années 60 au milieu des années 70. Non que je cède à un passéisme bêlant, ni davantage à la nostalgie du vieil amateur qui se raccroche in extremis à ses passions de jeunesse. Simplement la sensation de percevoir un instant neuf, une bribe d'inédit, un souffle d'aventure. Trois pensées musicales en dialogue, en accord ou en tension, agissant sur la matière sonore qui sourd de leurs instruments, matière qui devient forme, idées qui s'incarnent dans la texture. La musique comme objet matériel sublimé par des mains habitées de pensées et d'émotions. L'enfance de l'Art, en quelque sorte.... Et, pour conclure, un superbe Solar (thème de Miles Davis), abordé directement par l'improvisation, libre mais idiomatique, pour finalement avouer l'exposé, qui sera laissé en suspens. Comme pour nous rappeler que le jazz, comme la mer du cimetière marin de Sète selon Paul Valéry, est toujours recommencé....
On n’y croyait plus, après une année blanche due à cette terrible pandémie, et une crise sérieuse au sein de l’association, cette reprise est providentielle. Cette manifestation sudiste si chaleureuse organisait chaque année un concours européen intercalé dans un festival de jazz, au début du mois d'août, hors des hordes théâtrales. C’est à ce moment que l’association du Tremplin Jazz propose dans le cadre exceptionnel du cloître des Carmes, concerts et tremplin européen. Moins prestigieux que la Cour d’Honneur, certes, ce lieu de concert en plein air est idéal pour sa jauge raisonnable et son acoustique servie par un sonorisateur et un éclairagiste à l’écoute du lieu et des musiciens.
Le Tremplin reprend donc sa belle aventure en 2021, sans le festival hélas, soutenu par l' équipe de bénévoles que l’on retrouve et que j'aimerais tous citer, des chauffeurs ( Dominique, Serge) aux photographes ( Claude, Marianne, Sylvie), du catering ( Cyrille...) toujours fidèles, en dépit des années, des inévitables et sérieux problèmes d’organisation, entourés de partenaires qui ne sont pas moins engagés à faire repartir la machine. Une générosité de l'accueil exemplaire, voilà l'une des composantes de marque de cette manifestation que soulignent tous les candidats, ravis de se retrouver dans la cité papale et de jouer dans de telles conditions.
A nouveau sur le pont, Michel Eymenier, l’un des membres fondateurs en 1992, avec Jean Paul Ricard, fondateur de l’Ajmi .... en 1978 et Alain Pasquier, le troisième homme, saxophoniste.
Rappelons que six groupes européens entrent en lice pour avoir le privilège d’enregistrer un album au studio de La Buissonne de Gérard de Haro et de Nicolas Baillard. Cette année encore le Tremplin va jouer son rôle de révélateur de talents. Des propositions différentes, des univers musicaux qui s’exaltent avec les conditions du live, toujours exceptionnelles. Des groupes déjà professionnels, très matures, dont les recherches musicales cohérentes répondent à une ligne assumée, souvent originale.
Le jeune accordéoniste Noé Clerc, encore auréolé du prix d’instrumentiste à La Défense, en juin dernier, installe en cette heure bleue, alors que la nuit prend son temps pour tomber, dès les premières notes de sa composition “Arapkirbar”, cette atmosphère intimiste de Secret Place, le tout récent et premier cd de ce jeune trio (2018) sorti chez No Mad Music. Le trio travaille et raisonne couleurs, des couleurs de porcelaine qui vont s’intensifier avec l’entrée de la rythmique, Clément Daldosso et Elie Martin Charrière, jeune batteur bourguignon ( lire le portrait toujours sensible de Pascal Anquetil sur Tempo du Centre Régional du Jazz en Bourgogne ) https://tempowebzine.fr/elie-martin-charriere/
Si l’accordéoniste a été adoubé par Vincent Peirani, directeur artistique pour Secret places, c’est le saxophoniste Pierrick Pédron qui a reconnu le talent du batteur, l’engageant dans son dernier quartet; le batteur fait encore partie du deuxième volet, français de l’aventure Fifty Fifty, qui sort en octobre sur le label Gazebo.
On part dans les Balkans, avec ces musiques "trad" inspirées d’Arménie et de mer noire, de Bulgarie dès ces “Premières pluies” et “Faces of the river”. Les compositions de l’accordéoniste, travaillées de près, sont mélodiques, dépaysantes, d'une certaine continuité thématique, accrocheuses, entraînantes comme le sont les bonnes musiques de films : soufflantes harmonies, envolées de l'accordéon en cette année Piazzola, force sereine de la rythmique, ça fonctionne!
Le changement de plateau fournit une pause bienvenue pour échanger nos premières impressions : nous sommes tellement heureux de retrouver l’écrin du Cloître des Carmes, cette jauge parfaite sous la nuit qui remue tous ces souvenirs (de vingt années pour moi). Le Tremplin a bien commencé.
STRUCTUCTURE (ALLEMAGNE)
Non, ce n’est pas une coquille, mais le nom de scène de ce quartet allemand de l’école de Cologne qui va, une fois encore, montrer l’efficacité des jeunes musiciens d’outre-Rhin, champions d’un syncrétisme musical parfaitement maîtrisé!
Emmené par le contrebassiste Roger Kintopf, si la rythmique assure, posant un socle souple et flottant, l’étonnement admiratif qui va gagner l’ensemble du jury provient de la façon dont les deux saxophonistes se répartissent le jeu, en des interventions et des unissons impeccables qui n’en sont presque plus, tant ils font glisser, attrapent en vol et échangent leurs flux. Une telle osmose est exceptionnelle! Une musique riche d' influences parfaitement maîtrisées qui vont peut être voir du côté de Shepp années soixante, du Rova Saxophone quartet, d'Ellery Eskelin selon Franck Bergerot . Des interventions maîtrisées qui ne sont jamais gratuites, un interplay intelligent et poétique, une circulation parfaite pour une musique contemporaine. On décèle ce qui manquait aux Français précédents, une musique qui flotte élégamment, respire au sein d’une structure jamais rigide, une tension tout en souplesse de la rythmique . La concentration est absolue, les egos s’effacent derrière la recherche sonore.
Les compos sont remarquables, on retient le nom de la deuxième, pourtant peu porteur, “Parch Fathoms” ou “Damn morning coffee”. Et puis quelle aisance "pro" de la part de ces jeunes instrumentistes pour présenter leur groupe : avec talent, le jeune altiste, danois d’origine, Asger Nissen s'interrompt sans arrêter pour autant la dernière composition, pour représenter la formation.
(Marianne MAYEN)
On sait déjà qu’aucun de ces quatre musiciens ne peut avoir le prix du meilleur instrumentiste tant ils avancent ensemble, soudés pour faire vivre leur collectif. Un “nous” fédérateur, totalement complice qui ne rejette ni ne met personne en avant. On les suit sur leur chemin singulier d'une envoûtante légèreté, aux arrière-plans apaisés. Assurance, intelligence, inventivité, raffinement. Des épithètes laudateurs mais vérifiez sur Cd....
https://www.youtube.com/watch?v=bcRmNUu3rn0
MALSTROM (ALLEMAGNE)
On sait déjà que la suite va être difficile après l’éblouissement du deuxième groupe; et pourtant on n’est pas au bout de nos surprises quand déboule le troisième groupe, un triangle vite explosif dans la lignée des "power trio", avec un saxophoniste “multi tâches” selon l’expression d’un des membres du jury qui doit contrecarrer la puissance de feu d’un tout petit guitariste à l’allure aussi improbable que spectaculaire. S’il n’est pas la réincarnation du bassiste de Z.Z Top, il le rappelle furieusement, avec une gestuelle toute personnelle, parfois entravée par sa barbe . Pour le reste, il a une curieuse guitare baryton à 8 cordes et il en tire des sons aussi puissants que subtils! On pourrait presque dire que sa musique ne ressemble pas tout à fait à son allure. On peut entendre des effluves King Crimsoniennes mais ce serait réducteur que de le comparer à un guitar hero ou même à Zappa, qu’il m’avouera aimer infiniment. Cette rage de métal et de rock and roll n’exclut pas une exultation où le jazz tient son rôle ( le ténor, Florian Walter, très Zornien ).
Leur set est magnifiquement construit, une architecture complexe et singulière où malgré la longueur des compositions et la fin de la soirée, ils embarquent tout le monde, jury et public. Une énergie irrésistible où tout paraît brut, spontané, il ne faudrait pas s’y tromper, avec une déroutante et délicieuse rigueur! Cette génération veille sur la flamme. Quand je lui demanderai comment ils procèdent pour jouer une musique dont l'identité est si différente des propositions françaises par exemple, il me confiera que n'ayant pas un héritage musical à poursuivre, "il n’existe pas de jazz véritablement allemand", historique s'entend, ils sont donc obligés de s’approprier cette musique, d'extraire leur jus à partir d'une sérieuse mâche des sources.
(Marianne Mayen)
Pour la reprise du tremplin, soulignons la qualité exceptionnelle de la pré-sélection, un exercice toujours délicat particulièrement réussi; pour avoir testé l’ancienne formule qui consistait en une écoute unique, en aveugle, de tous les groupes, en une journée, le changement est radical: avec l’usage du cloud, les sélectionneurs ont tout loisir d’ écouter tranquillement ( près de 150 groupes ont fait leur demande) et de faire leur choix.
A la fin de la première soirée, les trois premiers groupes ont rempli toutes nos attentes. La partie sera serrée, mais ne préjugeons de rien.
Mardi 3 Août, 20h 30, Cloître des Carmes.
JOHANNA KLEIN QUARTET (ALLEMAGNE)
(Marianne Mayen)
Pour cette dernière soirée, le groupe emmené par la jeune saxophoniste a concocté un programme tout en douceur, véritable éloge de la lenteur. Rien ne presse semble t-il quand on s’éloigne des tendances furieusement mode. Le répertoire a de quoi charmer : un jazz de chambre délicat comme son interprète, nuancé : un phrasé élégant comme son timbre, une mise en place originale. Elle tient son groupe, aidé d’un batteur équilibriste qui assume au démarrage cet aspect déglingué, désarticulé. Jamais intrusive, la saxophoniste conduit avec une douceur extrême, voire une touche de mélancolie, une musique sensuelle, déroutante, énigmatique au début du moins, comme indécise. Rien de spectaculaire mais un sens certain, sinueux de la composition : on retient “Deimos”, “Phobos”. Puis la surprise est au rendez vous quand la cadence s’accélère et le trio guitare, batterie, contrebasse s’enflamme dans des échappées nettement plus free. Notre belle, imperturbable, veille au grain et le set s’achève, nous plongeant dans l’embarras. Le niveau n’a pas faibli!
GASPARD BARADEL QUARTET ( FRANCE )
( Marianne Mayen)
Le dernier groupe français de la sélection vient de Clermont-Ferrand et de nos régions au goût de terroir. N’ y voyez pas de chauvinisme exagéré mais on retrouve cette saveur dans des mélodies recherchées, ne venant pas nécessairement du fond d’un cratère endormi ; plus classique peut être mais qu’importe, une musique assimilée ( une relecture de Cherokee, le tube de Ray Noble), de la conviction, un batteur volcanique Josselin Hazard qui se secoue avec une belle énergie, tirant sur le versant d’Elvin Jones. Le leader saxophoniste alto et soprano joue avec une intensité touchante. Vibrant et passionné.
PENTADOX TRIO (BELGIQUE )
Nos amis belges ferment le concours et cette place finale ne leur sera pas favorable. Ils ne font aucune concession à l’heure et à la fatigue qui gagne et jouent leur musique, cérébrale, lancinante mais fluide, celle d’un quartet résolument contemporain qui fait la part belle aux motifs répétés et aussi à l’improvisation. Ils sont parfaitement entraînés à allier maîtrise et lâcher prise. Un équilibre délicat pour une musique osée, inventive qui suit quelque système à la Tim Berne. Une rêverie inspirée, étirée qui aurait gagnée à être plus courte cependant, s'arrêtant à la première suite. Mais ils cultivent l'étrange, comme dans ce jeu de mot bizarre du titre entre Panda tox(ique) et Penta(tonique) (para) dox. Surréelle toujours, la "Belgian touch". Sans jamais déplaire, la musique du quartet belge peine pourtant à captiver sur la longueur, en dépit de la finesse de ses tuilages.
Il est tard quand le jury "historique" se retire mais la délibération ne sera ni longue ni houleuse: un accord parfait, amical pour sceller des retrouvailles très attendues. Trois prix qui récompenseront les trois groupes allemands. Le prix du public, amplement mérité, ira au groupe arverne qui sauve l’honneur.
Les partenaires ont joué le jeu et permettent d’offrir à ces jeunes un encouragement à la hauteur de leur talent et leur engagement!
PALMARES de la 29 ème édition :
Prix de la meilleure composition RENAULT AVIGNON JOHANNA KLEIN (ALLEMAGNE)
Prix du meilleur instrumentiste HOTEL DE L'HORLOGE AXEL JAZAC ( ALLEMAGNE)
Prix du Public CHAPOUTIER GASPARD BARADEL TRIO (FRANCE )
GRAND PRIX DU JURY STUDIO LA BUISSONNE ( STRUCTUCTURE) (ALLEMAGNE)
C’est ce que l’on aime dans ce tremplin unique, atypique, qu’il tente de donner leur chance à des musiciens qui débutent, en pariant sur la découverte de jeunes qui suivent des sentiers moins balisés sans oublier pour autant d’où ils viennent.
On attend maintenant de pied ferme la 30ème édition anniversaire, avec le retour du festival poursuivant cette aventure musicale. ALL THAT JAZZ!
A la veille de ses 90 ans (le 6 août) Jean-Louis Chautemps a ouvert son livre de souvenirs. Dans une longue et riche interview à Matthieu Jaffré accordée le 7 avril dernier en son appartement de Montparnasse, et disponible sur Youtube, (Jazz Archive*) le saxophoniste parisien passe en revue une grande partie de sa carrière.
(27 janvier 2020, Pan Piper, remise des prix de l’Académie du Jazz, Palmarès 2019).
Tout au long de ces 75 minutes de confidences, le lauréat 1965 du prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz évoque pêle-mêle ses déboires d’écolier (renvoyé du lycée Buffon, de l’Ecole Alsacienne), ses jeunes années avec son grand-père, Jules Rais, écrivain-éditeur, bibliothécaire en chef de la Chambre des Députés qui mourut à Auschwitz en 1943, son épouse, Ludmila Savitsky (1881-1957) née en Russie et traductrice de Joyce et Isherwood (Adieu à Berlin), ou encore leur fille Nicole Védrès, écrivaine (1911-1965) et réalisatrice en 1950 d’un film-documentaire La vie commence demain, où figurent Picasso, Gide, Le Corbusier, Prévert…Il aurait pu aussi bien parler de sa famille paternelle (un père médecin, des oncles, Emile et Camille, ministres de la III ème République).
Mais bien sûr l’essentiel de son « retour sur images » concerne le jazz. Jean-Louis Chautemps précise comment il apprit à « jouer en mesure » lors d’une saison estivale de deux mois en 1950 au casino de la station balnéaire de Veules-les-Roses (aujourd’hui en Seine Maritime) où il était sur scène -aux côtés du trompettiste Jean Liesse- en après-midi et en soirée sur un répertoire de danse des plus variés.
Rompu aux règles du métier, le saxophoniste ténor est bientôt embauché par Claude Bolling… pour jouer du baryton. Le voilà lancé comme musicien professionnel. Les engagements (« les affaires » dans le langage de l’époque) se multiplient dans les studios (du jazz, de la variété où il côtoie des musiciens « de haut niveau ») les clubs. « Le chômage n’existe pas » pour le saxophoniste (ténor, soprano, baryton) qui pratique aussi clarinette flûte et trompette, et entreprend des études d’harmonie. C’est une époque bénie où Jean-Louis Chautemps enregistre avec Django Reinhardt en compagnie d’un jeune Martial Solal dont avoue-t-il en riant « j’avais du mal à comprendre ce qu’il faisait », part en tournée avec un « charmant » Chet Baker, ou encore rejoint le Big Band très européen de Kurt Edelhagen à la radio de Cologne (la WDR).
Changement de rythme avec l’arrivée du free jazz, souligne-t-il, de nombreux jazzmen « devenant professeurs ». Lui-même va enseigner dans ce Quartier Latin qu’il n’a guère quitté depuis son enfance, à l’Ecole Alsacienne (un retour par la grande porte) et même à la Sorbonne tout en continuant de se produire sur scène jusqu’au milieu des années 2010 dans le jazz (Quatuor de saxophones) et la musique contemporaine (L’ensemble Intercontemporain).
(22 janvier 2017, Pan Piper, remise des prix de l’Académie du Jazz, Palmarès 2016).
Quels enseignements tire-t-il aujourd’hui de ces 70 ans de musique, interprète et compositeur ? Jean-Louis Chautemps se refuse à toute conclusion, évoquant plutôt un projet en cours sur Nietzsche et révélant seulement -sourire aux lèvres- le secret de son jeu au saxophone : « petite bouche, grande gorge ».
Jean-Louis Lemarchand.
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*La vie commence demain. Entretien de Matthieu Jaffré avec Jean-Louis Chautemps. Jazz Archive. Avril 2021 :La vie commence demain
Plein Sud (pour le Nordiste que je suis) ça commence en Bourgogne, au festival Jazz à Couches, renaissant comme beaucoup après une année blanche (ou plutôt une année noire, sans festival).
Le 7 juillet, l'Orchestre de Jeunes de l'O.N.J., sous la direction conjointe de Jean-Charles Richard et Franck Tortiller, (re)joue le répertoire composé/arrangé par le second durant son mandat à la tête de l'Orchestre National de Jazz (2005-2008).
Belle aventure dont on avait eu la primeur en janvier avec une vidéo confinée (plaisir d'époque, lien ici). Des jeunes musicien.ne.s de France, et d'ailleurs en Europe, très investi.e.s, et belle brochette de solistes (ici je fais l'économie de l'écriture inclusive....). Le prochain O.N.J. des Jeunes sera, en 2022, dirigé par Denis Badault, avec le répertoire qu'il avait composé durant son mandat à la tête de l'O.N.J. (1991-1994)
Une halte à Jazz à Sète, le 13 juillet, pour la journée Jazz Marathon, avec concerts gratuits dans toute la ville, de 8h30 à 22h30, un prélude en attendant deux jours plus tard les grands concerts du Théâtre de la Mer. Beau moment de musique avec le Naïma Quartet de la contrebassiste-chanteuse Naïma Girou, devant le bar-restaurant The Rio, Quai Léopold Suquet, malgré le vent ; les rafales dissuasives n'ont altéré ni la passion des artistes ni l'écoute du public.
L'Amphithéâtre du Domaine d'O en 2019
Et le 'gros morceau', pour moi qui ai radiophoniquement produit et présenté ces concerts publics durant 29 ans (favoritisme que, j'espère, vous me pardonnerez....), ce furent les concerts de jazz du festival Radio France Occitanie Montpellier dans l'Amphithéâtre du Domaine d'O : 11 soirées (du 14 au 24 juillet), programmées par Pascal Rozat, que je ne détaillerai pas mais dont je retiendrai (luxe subjectif du chroniqueur bénévole), dans des registres très différents :
Ces concerts ont été diffusés en direct, ou seront accessibles en différé, sur France Musique au cours de l'été. Les liens ou infos figurent à chaque fois ci-dessus
Et chaque début de soirée (sauf le week-end), à 20h, quelque 200 mètres en contrebas, à l'ombre des micocouliers, des groupes de la région (avec des artistes qui pour certains ont une carrière nationale et au-delà). Beaucoup de belles musiques, dont je retiendrai, tout aussi subjectivement :
-le groupe vocal Celestial Q-Tips (Hervé Aknin, Sylvain Bellegarde, Émilienne Chouadossi, Kevin Norwood....)
-et le trio Marlboro Bled (Fred Gastard, Bruno Ducret....)
Et le 21 juillet j'ai déserté pour une soirée Montpellier, et je suis allé vers Jazz à Junas afin d'écouter, dans le magnifique décor naturel des anciennes carrières, le Collectif La Boutique, dirigé par Fabrice Martinez, avec en invité Vincent Peirani : grand moment de musique.
Quatre heures plus tôt j'écoutais sur la place du village le groupe 'Identités' du saxophoniste Gaël Horellou
Juillet fut fécond mais l'été n'est pas terminé : peut-être encore quelques escapades....