Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
22 mai 2021 6 22 /05 /mai /2021 16:20

Deux disques : un duo avec invité, et un duo stricto sensu

DANIEL ERDMANN & STÉPHANE PAYEN «Bricabracomaniacs»

Daniel Erdmann (saxophone ténor), Stéphane Payen (saxophone alto)

invité sur deux plages : Paul Erdmann (violon alto)

Reims, printemps 2018

Yolk Records J2084 / l'autre distribution

 

Ce n'est probablement pas un hasard si la première plage installe une atmosphère proche des inventions de Bach (d'ailleurs le livret nous dit que c'est conçu, comme une autre plage du CD, d'après le Cantor de Leipzig). Tout le disque paraît élaboré selon un sorte de science de la combinatoire, un jeu de constructions mélodiques, rythmiques et harmoniques qui s'offrent à nous comme un exquis labyrinthe où l'on a plaisir à se perdre. Outre les deux saxophonistes, les autres pourvoyeurs de thèmes sont Doug Hammond, Steve Argüelles et le saxophoniste néerlandais Jorrit Dijkstra. Et tout le répertoire semble procéder de cette démarche en spirales vertigineuses. Cet enregistrement, réalisé au Centre National de Création Musicale Césaré à Reims, nous ouvre les portes d'un univers plein de surprises, de jaillissements, d'harmonie et de tensions, mais abondamment pourvu aussi d'une sensualité musicale palpable. Comme chez Bach, ou pour le jazz chez les héritiers de Tristano (Lee Konitz en duo avec Warne Marsh, parmi d'autres), ce que l'on croirait à tort une pure construction de l'esprit se révèle constamment à l'immédiateté de nos sens. Bref c'est de la vraie Grande Musique.

AKI TAKASE & DANIEL ERDMANN «Isn't It Romantic»

Aki Takase (piano), Daniel Erdmann (saxophones ténor & soprano)

Budapest, 3-4 août 2020

Budapest Music Center BMCCD 301 / Socadisc

 

La formule piano-saxophone, comme le titre de l'album (celui du standard qui conclut les 13 plages) pourrait nous laisser penser qu'il s'agit d'un disque 'à l'ancienne'. Il n'en est évidemment rien, même si l'engagement total dans la musique, dans la substance mélodique comme dans la sensualité du timbre, peut nous rappeler des émois du passé. C'est comme une joute, un dialogue qui tourne au défi, mais se résout dans la convergence musicale, dans la subtilité des nuances et dans une forme de sensualité suscitée par le timbre du saxophone, et sublimée par la palette harmonique du piano. Daniel Erdmann est, comme sa partenaire Aki Takase, rompu à tous les langages.Tout le vingtième siècle constitue le spectre de cet univers, du jazz presque classique aux improvisations les plus libres, avec aussi à quelques rythmes qui rappellent Stravinski, quelques lignes mélodiques sinueuses qui nous entraînent du côté de Bartók, sans parler d'instants lyriques qui feraient revivre Berg, et d'un dépouillement qui ferait rêver à Satie. Vous penserez que je fantasme, et vous aurez sans doute raison. Comme (presque) tout le monde, j'écoute la musique avec ma mémoire, même quand elle m'entraîne sur un sentier inconnu. Bref cette musique m'a emporté loin de mes bases. C'est signe sans doute que c'est de la très très bonne musique.

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr du duo Aki Takase – Daniel Erdmann sur Youtube

Partager cet article
Repost0
21 mai 2021 5 21 /05 /mai /2021 20:08

Esaie Cid (saxophone alto, clarinette), Jerry Edwards (trombone), Gilles Réa (guitare), Samuel Hubert  (contrebasse) et Mourad Benhamou (batterie).
Studio Piccolo, Paris, 15 octobre 2020.

Swing Alley, Fresh Sound/Socadisc


Grâce au saxophoniste Esaie Cid, la compositrice Katherine Faulkner Swift (1897-1993), plus connue sous son nom d’artiste Kay Swift, gagne une reconnaissance posthume et amplement justifiée.

Si l’histoire du spectacle a retenu sa romance avec George Gershwin (qui fit scandale pour une femme mariée à un banquier et mère de trois enfants), elle aura été la première femme à composer pour Broadway avec le show ''Fine and Dandy'', présenté en 1930. Après le décès de George Gershwin, son contemporain (1898-1937), Kay Swift continua à composer notamment en compagnie du frère de George, Ira Gershwin.

La première période de la carrière de la songwriter avait été proposée par Esaïe Cid, saxophoniste alto et clarinettiste, dans un album sorti en 2019*.

Le jazzman barcelonais installé à Paris depuis deux décennies nous présente aujourd’hui une suite avec une sélection d’œuvres inédites écrites par Kay entre 1930 et 1970 pour ses proches ou pour des shows qui eurent peu de succès ou restèrent simplement à l’état de projet. On y retrouve ainsi ‘’A Moonlight Memory’’ écrit en 1933 avec Edward Heyman, l’auteur de Body & Soul.  


Esaie Cid a réalisé des arrangements sur ces œuvres et les interprète avec son quintet de cœur (Jerry Edwards, Gilles Réa, Samuel Hubert et Mourad Benhamou). Cette formation sans piano évolue avec élégance et déploie une couleur sonore très West Coast des années 50. Un charme indéniable allié à une sensibilité authentique qui séduit tout au long des 45 minutes de cet album tout à fait recommandable.

A relever un livret signé de la petite fille de Kay Swift, Katharine Weber qui maintient sa mémoire, (KaySwift).

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

SBVOL.2


* Esaie Cid, ‘’The Kay Swift songbook’’. 2019
Swing Alley, Fresh Sound/Socadisc.

 

©photo Patrick Martineau, Dominique Rimbault et X. (D.R.)

 

Partager cet article
Repost0
17 mai 2021 1 17 /05 /mai /2021 23:04

Dominique Sampiero (poèmes), Sylvie Serprix (dessins), Sébastien Texier (saxophone alto, clarinette, composition), Manu Codjia (guitare électrique), François Thuillier (tuba), Christophe Marguet (batterie, composition)

Livre-disque Phonofaune, 2021

 

Sous-titré We Celebrate Freedom Fighters, c'est un manifeste en forme d'hommage à des combattant.e.s de la liberté : les Indiens Yanomami d'Amazonie et Claudia Andujar, Aimé Césaire, l'inconnu de la Place Tian'anmen, James Baldwin, Louis Coquillet, Gisèle Halimi, Rosa Parks, Sitting Bull, Olympe de Gouges, Simone Weil (la philosophe) et Simone Veil (la rescapée des camps et femme politique). L'écrivain et poète Dominique Sampiero, convié par Sébastien Texier à se joindre à cette aventure, pose sur ces figures exemplaires des poémaroïdes aussi lyriques que combatifs. Les dessins de Sylvie Serprix mêlent à ce combat une pointe de poésie graphique où affleure parfois l'humour, et la musique, alternativement composée par Christophe Marguet et Sébastien Texier, porte la marque de ces mélodies lyriques qui gardent le poing levé (comme le fait de longtemps Henri Texier, avec qui l'un et l'autre ont abondamment partagé la scène). Sans détailler (ce serait stérile) les convergences entre les figures évoquées (invoquées ?) et les musiques qui soulignent chaque séquence, toujours la pertinence saute à l'oreille. Plaisir du texte, des yeux et des oreilles, plaisir souvent grave mais non exempt de jubilation ; et incantation finale du poète « Liberté, liberté chérie, je suis sur des braises en attendant ton retour ». Et pour conclure je m'en remettrai à un extrait de la postface signée Dominique Sampiero : « Le jazz existe pour ne plus s'appeler jazz mais juste vision du monde. Sensation, intuition, amour sans objet. Quête absolue de l'absolu. On parle sans mot. On est avec ». Musique de combat et de résistance. Le jazz en somme.

Xavier Prévost

Partager cet article
Repost0
15 mai 2021 6 15 /05 /mai /2021 21:36

Franck Assemat (saxophone baryton), Christiane Bopp (trombone, saqueboute), Xavier Bornens (trompette & bugle), Morgane Carnet (saxophone ténor), Sophia Domancich (pianos, piano électrique), Michel Edelin (flûtes), Jean-Marc Foussat (synthétiseur, voix), Dominique Lemerle (contrebasse), Christian Lété (batterie), Rasul Siddik (trompette, percussions, voix), Sylvain Kassap (clarinettes), Jean-François Pauvros (guitare, voix) & Gérard Terronès (présence)

Paris, sans date

Le Générateur LG451 / l'autre distribution

 

Ce disque est le témoignage et l'aboutissement d'une folle aventure qui vit le jour voici une dizaine d'années, par la grâce d'une conversation entre Jean-François Pauvros et Gérard Terronès. Ainsi naquit l'idée d'un grand orchestre rassemblant des improvisateurs et improvisatrices des générations qui se sont succédées depuis le début des années 70 jusqu'aux années 2000. Gérard Terronès, activiste de la scène et du disque (avec notamment les labels Futura, Marge, puis Futura Marge) fut un acteur majeur des années free. Et Jean-François Pauvros fut l'un des musiciens les plus engagés dans les musiques de l'extrême. C'est dire que, de ce projet commun, ne pouvait surgir que des musiques fécondes et des émois d'une belle intensité. J'ai le souvenir d'avoir assisté à plusieurs des concerts du cycle 'Jazz à La Java', rue du Faubourg du Temple, entre 2012 et 2016. Et sous l'œil bienveillant et l'oreille attentive de Gérard Terronès, c'est un 'Jazz en liberté' qui pouvait chaque fois éclore, comme un écho au titre de l'émission qu'il a longtemps proposée sur Radio Libertaire. Au fil des rencontres, entre les débuts de l'orchestre et ce disque, Futura Expérience a vu passer, en plus des personnes citées plus haut, Leïla Martial, Pierrick Pédron, Claude Barthélémy, Ramón López, Bobby Few, Alexandra Grimal, et beaucoup d'autres qu'il serait vain de vouloir citer de manière exhaustive (d'ailleurs, j'en suis bien incapable....).

Puis est venu le temps d'enregistrer pour aboutir au disque. Gérard Terronès n'a pas vu la fin de cette aventure, mais la liste des membres du groupe se termine ainsi : Gérard Terronès, présence. Plus qu'un symbole, un manifeste.

Mais parlons du disque. Il commence par une étonnante version de Lonely Woman avec, sur une rythmique binaire appuyée, un exposé du thème, lent et majestueux comme une prière, ou un chant rituel, dans un tutti d'où émergent les singularités instrumentales. C'est fort et beau, le décor est dressé. Puis c'est une composition de Jean-François Pauvros, Opale, ressurgie du passé («Hamster Attack», Londres,1988), évocation mélancolique du rivage pas-de-calaisien de la Mer du Nord, rivage cher à son cœur. Retour à Ornette ensuite, avec Sadness. Éclats de liberté sur un canevas qui, décidément, reste sombre. Puis Retrospect de Sun Râ commence par une digression très libre, et très intense, de Sophia Domancich, digression attisée par Sylvain Kassap, Xavier Bornens, Michel Edelin et les autres, sur fond de tambours éloquents. Et le thème s'épanouit, prend ses aises, et s'ouvre aux multiples improvisations ; c'est la plus longue plage du disque, et l'on est embarqué. Fables of Faubus commence sur un monologue rythmé par un piano manifestement choisi pour son désaccord profond. Puis le lancinement historique de ce célèbre thème de combat emporte tout sur son passage. Maintenant c'est Machine Gun (pas celui de Peter Brötzmann, celui de Jimi Hendrix), et ça barde, mais avec une verve lyrique. Puis c'est Totem, signé Michel Edelin, emprunté au répertoire du groupe 'Flûtes rencontre', mais aussi pour nous tous (eux les artistes, nous les amateurs), le souvenir d'un club du treizième arrondissement de Paris, le Totem, où Gérard Terronès fit entendre de très belles musiques, dont certaines immortalisées au disque (Archie Shepp avec Siggy Kessler, Raymond Boni / Gérard Marais Duo, le groupe Perception autour de Didier Levallet.....). Et pour conclure retour à un thème (et à la voix) de Jean-François Pauvros pour Memorias del Olvido, issu du disque «Buenaventura Durruti» (nato, 1996). Un disque fort comme l'amitié et le goût de l'aventure. Bravo les gars et les filles, Gérard aurait aimé ce disque. Je crois même qu'il aurait aimé le produire.

Xavier Prévost

.

Un extrait sur le site du Festival Sons d'Hiver 

La bande annonce du documentaire Futura Expérience de Rémi Vinet 

Concert au Théâtre Berthelot de Montreuil-sous-Bois le 20 octobre 2017, 7 mois après la disparition de Gérard Terronès 

Partager cet article
Repost0
13 mai 2021 4 13 /05 /mai /2021 19:19
Mauro GARGANO Alessandro SGOBBIO Christophe MARGUET  FEED

Mauro GARGANO Alessandro SGOBBIO Christophe MARGUET

FEED

DIGGIN MUSIC PROD /ABSILONE SOCADISC

SORTIE 7 MAI 2021


Au vu de sa discographie, on connaît surtout Mauro GARGANO comme l’indispensable accompagnateur de musiciens avec lesquels il a su tisser des liens indéfectibles. Il a néanmoins créé en 2009 son premier groupe Mo’Avast ( “ça suffit” dans le dialecte des Pouilles), ce qui n’est pas un détail.

Il revient avec une nouvelle formation et un album, simplement intitulé FEED, conçu en plein Covid, entre avril et septembre 20. Alors que beaucoup d’artistes confinés se réservaient en solo, le contrebassiste est la pierre angulaire d’un trio inspiré qui se réinvente au fil des morceaux, huit pièces vibrantes qui donnent à ces “nourritures” une cohérence rare. S’il rend justice à certaines influences (dans “Feed”, il suit Craig Taborn qui privilégie la basse comme ligne principale de la mélodie), le contrebassiste donne une interprétation libre et rigoureuse qui doit beaucoup à la performance collective, à l’alliage efficace des timbres, à une fusion dans le flow de l’improvisation, à une vision d’ensemble clairement exposée. La musique suit une ligne imaginaire reliant rock prog, fragments de folk (“Lost wishes”), chanson italienne, harmonies municipales pendant les processions de Pâques (“Ilva’s Dilemma”) mais aussi le contemporain et le jazz qui s'exprime parfois en "petits motifs rythmiques, répétés avec de petites variations", sorte de haïkus musicaux.

Communiant fiévreusement avec les rythmes jamais ralentis d’un Christophe Marguet qui s’épanouit dans les crescendos, la pulsation demeure l’élément dominant du trio, avec du tranchant et une détermination que l’on peut après coup, associer au danger de l’orange de la pochette, couleur radioactive”, criminelle et polluante. Pas de sentimentalisme ni d’autofiction dans cette musique qui chante par ailleurs l’amour des Pouilles natales, l’attachement à une certaine culture.

Son “message” fait remonter une émotion vive, une rage devant l’injustice que font endurer aux plus faibles les puissants. Par deux fois, Arcelor Mittal est désigné comme le responsable hautement criminel dans Ilva’s dilemma” et “The red road”, une histoire dramatiquement actuelle qui nous est racontée par la musique. Le contrebassiste réfléchit encore à cette période étrange du confinement (“Keep Distance”) où il fallut recoller les morceaux d’un moi brisé, rassembler les fragments épars, regarder au delà, pour ne pas perdre pied, comme dans ce “Look Beyond The Window” dans une spirale qui aspire jusqu’au vertige, avec un batteur lui aussi imprégné de cet esprit de Résistance .

Feed alterne aussi des moments élégants, de répit, teintés de mélancolie, frémissements où le pianiste Alessandro Sgobbio détache les notes du silence. La musique composée par Mauro Gargano a la juste gravité pour exalter ce “soulèvement” émotionnel. Tout ce qui lui importe est d’aller au bout de son idée. Et il atteint son but puisqu’elle résonne encore fort dans notre conscience, longtemps après l’avoir écoutée.

 

Sophie Chambon


 

Partager cet article
Repost0
13 mai 2021 4 13 /05 /mai /2021 12:37

Jérôme Etcheberry (trompette, arrangements), Malo Mazurié (trompette), César Poirier (saxophone ténor, clarinette), Benjamin Dousteyssier (saxophones alto & baryton), Félix Hunot (guitare), Sébastien Girardot (contrebasse), David Grébil (batterie)

Meudon, octobre-novembre 2020

Camille Productions MS102020CD / Socadisc

 

Plaisir de retrouver Jérôme Etcheberry, que j'ai entendu sur disque, et aussi sur scène, dans des contextes très différents (Duke Orchestra, avec Louis Mazetier, ou dans le groupe du chanteur Hugh Coltman), et que j'avais même accueilli à Radio France pour un concert 'Jazz sur le Vif' au sein du 'Kcombo6' de Philippe Milanta... Plaisir aussi de retrouver, dans ce 'Popstet' à la gloire de Louis 'Pops-Satchmo' Armstrong des musiciens que j'avais écouté dans d'autres contextes : Malo Mazurié avec le Gil Evans Workshop de Laurent Cugny, Ludovic Alainmat au sein du big band de Jean-Loup Longnon, ou encore Benjamin Dousteyssier que j'avais accueilli dans un trio avec Paul Lay et Fidel Founeyron pour une musique inspirée par Lennie Tristano. Bref un authentique bonheur, pour l'amateur que je suis, de constater que le jazz se joue des frontières stylistiques.

Cela dit, c'est bien de la musique de Satchmo qu'il est ici question, avec un titre en forme d'emblème. Et le répertoire du Grand Louis, brillamment arrangé pour octet dans l'esprit des grands orchestres de la fin des années 20 et du début des années 30. Tous ces thèmes , souvent créés dans des effectifs plus succincts (et même en duo pour le fameux Weather Bird, dont la version avec Earl Hines est une pièce d'anthologie), sont servis par des solistes qui mêlent le son d'époque et l'éternelle jeunesse. Les deux trompettistes sont à la hauteur de l'enjeu, et si en juillet prochain on va commémorer le cinquantenaire de la mort de Stachmo, l'esprit est là, Still Alive, and Well !

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr sur Youtube 

Un extrait 

Partager cet article
Repost0
11 mai 2021 2 11 /05 /mai /2021 11:16

Enregistré en direct à la Salle Gaveau (75008). 23 janvier 2019. Challenge Records / DistrArt Musique. Sortie le 12 mai.

 

Le Tout-Paris du jazz s’était donné rendez-vous ce 23 janvier 2019 Salle Gaveau. On y programmait Martial Solal en solo.

Un retour sur la scène dévouée à la musique classique pour le pianiste qui s’y était produit pour la première fois en 1962, en trio (Guy Pedersen, basse, Daniel Humair, batterie) … et en smoking. « Martial Solal improvise », annonçait l’affiche. Un exercice familier pour l’artiste depuis les années 50 mais auquel il s’était préparé depuis plusieurs mois pour « être en doigts ».  Les spectateurs privilégiés n’allaient pas être déçus. Martial Solal n’aura peut-être jamais été plus libre que ce soir-là. Jouant, comme il le précise dans le livret du disque, « sur les mélanges de tonalités, de rythmes, de durée, de style ».

Le répertoire comprenait des standards éternels (My Funny Valentine, I’ll Remember April, Lover Man, Tea for Two…), des compositions personnelles (dont Coming Yesterday qui donne son titre à l’album) pièce maîtresse de ses concerts, un medley d’Ellington, et un air habituel des fêtes, Happy Birthday. Du haut de ses 91 printemps, Martial Solal se montrait impérial, facétieux, guilleret, cassant les codes, surprenant, inclassable. Une forme qui se manifestait aussi dans ses échanges avec le public entre les morceaux. La preuve que l’on peut jouer sérieusement sans se prendre au sérieux.

Ce soir-là, Martial Solal, ovationné, donnait une leçon de jazz et de vie. Il nous révèle dans le livret accompagnant l’album qu’il s’agissait de son dernier concert public. « J’ai l’impression d’avoir pendant ce concert semé un brin d’herbe indiquant une direction que j’aimerais voir se poursuivre ».  C’est une sorte de testament musical qui nous est donc livré. En attendant des inédits qui devraient nous éclairer un peu plus encore sur le « mystère » Solal.

 

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo Xavier Prévost

©couverture Anna Solal

 

Partager cet article
Repost0
10 mai 2021 1 10 /05 /mai /2021 11:23

Gary Brunton (contrebasse, composition), Bojan Z (piano), Simon Goubert (batterie)

Malakoff, 9-10 décembre 2020

Juste une Trace / Socadisc

 

Une sorte de cri d'amour pour le jazz de stricte obédience par trois musiciens qui n'en ont pas une conception étroite et qui, chacun dans son parcours individuel, ont visité bien des univers musicaux. C'est la suite du disque publié voici bientôt deux ans sous le titre «Night Bus», qui devient la raison sociale du trio. «Second Voyage» parcourt des compositions de Gary Brunton, leader de fait (même si la pochette affiche les trois noms en plus du nom du trio, Night Bus, et du titre de l'album. Les thèmes conçus par le bassiste favorisent les développements sur tempo vif, sans pour autant négliger la délicatesse (Two Wrongs Don't Make A Right). Dans les deux cas, Bojan Z et Simon Goubert font merveille, habités qu'ils sont par le sens du jeu collectif et le goût de porter loin l'inventivité du jazz. Un hommage à Charles Mingus, en trio, fait la part belle aux évocations du passé, et à la manière qu'avait Mingus de saisir la contrebasse, et la musique, à bras-le-corps. Deux évocations de l'univers de David Bowie (Ashes To Ashes, en solo de basse, et Moonage Daydream, en trio) révèlent le goût du contrebassiste britannique (installé dans notre pays depuis des lustres) pour l'identité culturelle du pays qui l'a vu naître. Un formidable duo contrebasse-batterie, intitulé Red Mitchell, dit aussi le goût du musicien pour un autre maître de l'instrument. Et un duo avec le piano, sur le seul standard 'à l'ancienne' (si les Bowie relèvent du standard, ils sont d'une autre planète musicale), How Deep Is The Ocean, permet à Bojan Z de donner libre court à son lyrisme. Bref, de la première à la dernière plage, c'est un très très bon disque de jazz, ouvert sur la diversité musicale, et puissamment mû par le plaisir de jouer. On ne saurait y résister.

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr sur Youtube 

 

Une présentation sur Facebook 

https://www.facebook.com/watch/?v=162308181991602

 

Le trio sera en concert le 29 mai à 19h à l'Espace Bernard Mantienne de Verrières-le -Buisson

.

 

Partager cet article
Repost0
6 mai 2021 4 06 /05 /mai /2021 21:18

Coup de tonnerre dans le monde de la musique au printemps 1948 : Columbia annonce le lancement d’un produit destiné à remplacer le 78 tours en gomme laque (shellac).

 

Annoncé comme « révolutionnaire » ce disque, le 33 tours 1/3 (sa vitesse de rotation par minute) doit permettre sur une matière réputée incassable, le vinyle, de proposer jusqu’à 30 minutes et plus de musique, six fois plus que le 78 tours, avec une qualité de son incomparable, la haute fidélité. La surprise est totale même si les ingénieurs de Columbia avaient travaillé sur le procédé avant d’interrompre leurs études au début de la guerre de 39.

Va dès lors s’engager une « guerre » commerciale entre Columbia et l’autre géant américain du secteur, RCA, même si les protagonistes refusent d’employer le terme. Le récit détaillé de cet épisode crucial dans l’histoire de la musique enregistrée est présenté par Daniel Richard sur son site d’informations www.Jazzinfrance.com (Facts & Sources) sous le titre ‘’The Modern L.P, A transitional period’’.

 

Fruit d’une enquête de bénédictin, ce travail propose une chronique portant sur la période 1948-1951, émanant d’extraits de journaux et magazines spécialisés et généralistes. Pas moins de 184 textes, présentés de manière chronologique, en anglo-américain, dans leur version originale.  Résultat, des faits, des faits, des faits : des chiffres et des déclarations qui suffisent à mesurer l’enjeu de cette révolution.

 

Quand Columbia révèle son innovation, le marché du disque aux Etats-Unis accuse une baisse de régime, les ventes étant tombées en 1947 à 250 millions d’unités contre 300 millions l’année précédente. Lancer un nouveau support pourrait bien être l’occasion d’un rebond des achats du public. L’argument commercial avancé doit séduire : 4,85 dollars pour un disque présentant une symphonie contre 7,25 dollars pour le même enregistrement proposé sous le format du 78 tours.  Bien sûr, il faudra faire l’acquisition d’un adaptateur (environ 30 dollars) pour le tourne-disque qui équipe alors quinze millions de foyers américains ou mieux acheter un nouvel appareil. Qu’importe. Les dirigeants de Columbia publient dès l’été 48 un catalogue de 325 références, étant bien persuadés que le jeu en vaut la chandelle.

Tel est aussi l’avis de RCA qui décide de riposter… sur un autre terrain en annonçant la sortie de disques de même qualité (le vinyle) mais disposant d’une vitesse supérieure (45 tours/minute). La compagnie entend également compenser le format plus modeste du disque (de 7 pouces ou 17 centimètres contre 10 pouces ou 25 centimètres et même 12 pouces ou 30 centimètres) par une autre innovation, un système équipant le tourne-disque permettant de jouer de manière automatique jusqu’à 8 disques soit une durée totale de 42 minutes. Les disques sont empilés sur le plateau de l’appareil autour d’un pivot central et à la fin de chaque disque, le bras de lecture revient au point de départ le temps que l’album suivant se mette en position.

Devant de tels bouleversements, les amateurs de musique restent un moment désorientés mais l’engouement pour ces nouveautés l’emporte. En 1950, les ventes globales aux Etats-Unis des vinyles (33 tours et 45 tours) rattrapent déjà le niveau des 78 tours. Les deux nouveaux formats se répartissent, avec des volumes de ventes équivalents, le marché : le 33 tours LP (Long Play) pour la musique classique et de plus en plus le jazz, le 45 tours, de plus courte durée, pour la chanson et notamment le rock & roll naissant. Nous sommes en 1951 et la trêve peut dès lors s’installer de facto entre Columbia et RCA.


Une page de l’histoire de la musique enregistrée se tourne. Bientôt le 78 tours va disparaître :

Jazz in France

L’amateur pourra profiter de sa visite sur le site pour lire le récit de la première venue de Thelonious Monk à Paris (31 mai au 10 Juin 1954).

 

Jean-Louis Lemarchand.    

 

©photo Daniel Richard/jazzinfrance.com

Partager cet article
Repost0
6 mai 2021 4 06 /05 /mai /2021 17:08

Michael Wollny (synthétiseur, piano électrique, piano), Émile Parisien (saxophone soprano), Tim Lefebvre (guitare basse, électronique), Christian Lillinger (batterie & percussion)

Berlin, décembre 2019

ACT Music 9924-2 / PIAS

 

Un groupe rassemblé par le pianiste allemand Michael Wollny, et qui assemble trois musiciens avec lesquels il a joué, individuellement. Quatre musiciens dont c'est la première rencontre sur scène. Quatre soirées dans un club berlinois du quartier de Charlottenburg, le 'A-Trane', sur la très bourgeoise Bleibtreustraßepas très loin de la gare de Savignyplatz.

On n'est pas aux Instants Chavirés ni au Studio de l'Ermitage, mais la musique n'est pas pour autant collet monté. Elle est même assez offensive, totalement improvisée, assumant les effets électroniques dès l'abord (le son du soprano sur la première plage), mais on n'est pas du tout dans un registre technologique et désincarné. C'est même tout le contraire : l'expression, et même un certain expressionnisme (le syndrome berlinois ?) prévalent, sur une pulsation forte, un groove qui lamine toute tentation d'académisme ou d'afféterie. C'est puissant, ça déménage, et pourtant mille détails révèlent l'intensité de l'écoute interactive, de la créativité mélodique et sonore, et du désir de porter loin, jusqu'à une forme d'extase, le goût du risque. La pochette du disque représente la structure moléculaire de la psilocybine, substance psychotrope contenue dans le psilocybe, minuscule champignon que l'on trouve dans les prés où paissent les vaches, près des rivières (le Nord de la France en regorge à l'automne). Une substance dont certains croient qu'elle est hallucinogène. Après en avoir consommé, j'ai pleuré d'émotion en écoutant un concert de Sam Rivers (avec Dave Holland et Barry Altschul) : je témoignerai donc qu'elle exacerbe simplement l'émotivité....

(photo Tambour Management)

Avec également, de loin en loin, des épisodes d'un calme et serein lyrisme, lequel se résout évidemment en tensions sonore et rythmique. Et aussi, dans une plage, un furtif échantillonnage d'une pièce et jouée par un ensemble à vent de Norvège. Le tout assemblé comme un continuum insécable qui nous entraîne jusqu'au terme de 42 minutes d'intensité musicale, après un solo de claviers de Michael Wollny. Nous sommes bousculés, remués, émus et ravis !

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr sur Youtube

Partager cet article
Repost0