Film de Sophie Huber. Eagle Vision - Universal. Disponible en DVD et Blue-ray.
Alfred Lion « ne m’a jamais mis la pression », témoigne Herbie Hancock. C’était l’esprit de Blue Note résumé par une de ses signatures les plus illustres.
Dans le film documentaire consacré au label prestigieux à l’occasion de ses 80 ans, les jazzmen se plaisent à mettre en exergue cette liberté d’expression. Co-fondateur de la maison de disques le 25 mars 1939 à New York avec un écrivain, Max Margulis, et un poète, Emmanuel Eisenberg, Alfred Lion sera rejoint quelques mois plus tard par un camarade de jeunesse également berlinois et juif, Francis Wolff. Le duo Lion-Wolff prit totalement les rênes en 1940, en rachetant les parts de Margulis tandis qu’Eisenberg disparaissait dans un accident d’avion.
L’aventure de Blue Note doit aussi beaucoup à deux hommes, Reid Miles, graphiste qui donna un style aux pochettes des albums, et Rudy Van Gelder, ingénieur du son, qui créa son propre studio d’enregistrement.
Les grandes heures du label -qui furent l’objet d’une passionnante somme écrite en 2014*- sont évoquées sur un rythme soutenu par la documentariste Sophie Huber. La cinéaste donne ainsi à voir sur scène et en studio Thelonious Monk, Miles Davis, Art Blakey et à entendre les témoignages d’Herbie Hancock, Wayne Shorter avec une mention spéciale pour Lou Donaldson, nonagénaire facétieux et volubile.
Patron depuis 2012 de Blue Note -désormais dans le giron d’Universal Music- Don Was entend inscrire sa ligne éditoriale dans l’esprit innovateur de ses fondateurs. Le hip-hop a droit de cité chez Blue Note comme fut dans les années 40 le be-bop -Monk y fit ses débuts- et la décennie suivante le hard bop et les expressions les plus modernistes portées par Eric Dolphy, Andrew Hill et autres Grachan Moncur III. Cette filiation est soulignée par des artistes-clés actuels de Blue Note, Robert Glasper et Ambrose Akinmusire. C’est l’un des enseignements majeurs de ce documentaire hautement recommandé.
Jean-Louis Lemarchand
'Blue Note Records: Beyond the Notes' by Sophie Huber :
https://www.youtube.com/watch?v=6D0uVDnCOR4&t=1s
Le Blue Note Festival se tiendra à Paris du 25 au 30 novembre avec notamment Madeleine Peyroux et Sarah McCoy au Trianon (25), J.S.Ondara à l’Elysée Montmartre (27), Gregory Porter à l’Olympia (28).
*’Blue Note, le meilleur du jazz depuis 1939’. Richard Havers, traduction Christian Gauffre. 416 pages, 450 photos et fac-similés. 2014. Editions Textuel.
Avant dernière soirée du festival pour sa 33ème édition et ….programmation de rêve.
Pour démarrer cette soirée à 18h ce n’était ni plus ni moins qu’un trio de très haute volée avec Joe Lovano au sax, Marilyn Crispell au piano et Carmen Castaldi aux drums qui se produisait sur la petite scène du Théâtre dans une ambiance très intimiste de soirée d’automne pour y écouter ce qui pourrait presque s’apparenter à une musique de chambre. Car le trio Tapestry ( chronique dans les DNJ http://lesdnj.over-blog.com/2019/02/joe-lovano-trio-tapestry.html ) est une musique d’écoute et presque de méditation. Une musique exigeante qui demande au public l’effort d’y entrer et de s’en imprégner.
@Maxim François
Et ce concert, retransmis en direct sur les ondes de France Musique a été un moment rare d’échange entre trois musiciens orientés vers le même but, respirant d’une même voix, façonnant le son ensemble entre lignes écrites et improvisations atonales. Le partage de l’espace entre Lovano et Crispell se faisait alors sous la houlette d’un Carmen Castaldi exceptionnel tant il apportait la couleur le liant à l’ensemble.
Sorti de ce concert, c’était dans un état proche de la transcendance zen que le public pouvait se diriger vers « La Maison » où la flûtiste Naissam Jalal récemment primée aux Victoires du Jazz proposait une autre forme de musique méditative inspirée des mélismes orientaux. Entourée de deux musiciens superlatifs ( Claude Tchamitchian à la contrebasse et Leonardo Montana au piano),
@Maxim François
Naissam Jalal donnait une version de son dernier album (« Quest of the Invisible » http://lesdnj.over-blog.com/2019/03/naissam-jalal-quest-of-the-invisible.html ) qui, par rapport à son concert de lancement au Café de la Danse a encore pris une dimension énorme avec là encore une totale entente fusionnelle du trio. La musique et le chant de Naissam Jalal est une invitation à la méditation et à la prière qu’elle soit ou non religieuse. Et c’est un moment de pure beauté auquel il nous a été donné d’assister. En lévitation.
La deuxième partie de ce concert à "La Maison" était plus saignante puisqu’il s’agissait du quartet de Louis Sclavis avec Benjamin Moussay (p), Sarah Murcia (cb) et Christophe, Lavergne à la batterie.
Ce concert était donné en écho à l’exposition d’ Ernest-Pignon-Ernest (« Characters on a wall ») . C’est sur la base de ce matériau que Sclavis et Moussay ont composé les titres de ce concert, s‘inspirant de l‘oeuvre du plasticien.
Alors forcément la musique y est plus urbaine, plus engagée, plus puissante à l’image de l’énergie habituelle que déploie la saxophoniste à la clarinette basse ( son instrument d’excellence)
@Maxim François
ou à la façon dont Moussay entreprend le piano avec autant de fougue que de presque violence. Il y a du Matthew Shipp chez lui. L’oeuvre d’Ernest-Pignon-Ernest alimente celle de Sclavis depuis de longues années et avait contribué à la création de l’album « Napoli’s wall ». Ici c’est à partir de 8 oeuvres que le concert a été bâti. Il y avait dans ce concert ce qu’il y a dans l’oeuvre c’est à dire autant de violence urbaine que de poésie. Magique.
Et cette avant-dernière soirée de ce festival porté à bout de bras par Roger Fontanel démontrait bien, par la qualité de sa programmation qu’il figure depuis 33 ans parmi les événements majeurs de la scène hexagonale.
Pour la 34ème édition nous serons là. C’est sûr !
Jean-Marc Gelin
C'était un concert en petit comité donné à l'Ambassade de Finlande à Paris.
Le pianiste finandais Iiro Rantala venait y présenter son dernier album (" My Finnish Calendar") publié chez Act cette année.
12 compositions autour des 12 mois de l'année qui donnent l'occasion au pianiste d'exprimer en musique ce que lui inspire sa vie finlandaise.
Derrière l'apparente mélancolie que pourrait inspirer le paysage finlandais (les clichés !), Iiro Rantala jette au contraire un regard aussi drôle qu'acerbe et attendri sur son pays et ceux qui l'habitent.
Totalement iconoclaste, inclassable, la musique de Rantala échappe aux longs travellings que l'on pourrait imaginer sur un paysage désolé pour aller chatouiller les oreilles avec autant de tendresse poétique que de gentilles railleries.
Et c'est un pianiste exceptionnel qui se révèle. Véritable kaléidoscope musical, parfois classique avec des airs de Rachmaninov (Octobre, Décembre) ou de Bernstein et émouvant sur des mélodies romantiques (Mars et Avril) ou brillamment primesautières (Juin) et drôles (May). Parfois flirtant avec le ragtime de Scott Joplin ou jouant avec le piano préparé ou frappé qu'im soit délié ou très percussif, Iiro Rantala est un pianiste libre qui ne se laisse enfermer dans aucun schéma musical.
Le pianiste donne chaque fois l'explication de ce que lui évoque chaque mois de l'année en Finlande. Caustique mais finalement si tendre envers les finlandais qu'Iiro Rantala se donnerait presque des airs de Woody Allen finlandais lorsque le réalisateur jette un regard aussi amusé qu'amoureux sur New-York et les New Yorkais.
Chaque morceau était précédé d'une présentation drôlissime du pianiste décrivant ce que lui inspire chaque mois de l'année en Finlande. Son Excellence riait (jaune) sous cape à l'évocation des névroses finlandaises ( l'argent, le sexe, les saunas, la depression et les vacances !)
Sans aucun cynisme mais avec une bonne dose de facétie (February), le pianiste évoque un brin de colère sombre (magnifique Décembre porteur d'un autre espoir que celui de Noël - bouleversant pour conclure l'album ).
Et malgré ce qu'Iiro Rantala peut dire sur son pays et ses habitants dépressifs et avaricieux, anxieux et parfois futiles, ces douze mois de l'année chargés d'émotions contraires nous invitent à ce voyage intime et nous prennent a rêver une année finlandaise
Brillant !
Jean-Marc Gelin
Voilà un album hommage particulièrement émouvant, de deux musiciens sudistes, ancrés dans leur département et région), Rémi Charmasson ( Gard) et Alain Soler ( Alpes de Haute Provence) qui ont profité des enseignements d’un grand saxophoniste voyageur, plus toujours reconnu à sa juste valeur aujourdhui, André JAUME ( marseillais d'origine). Il fut l’une des figures emblématiques du jazz d’avant-garde des années soixante dix, original dans le meilleur sens duterme. Discret mais tenace, avançant selon son esthétique,“jouant sa musique et celle des autres à sa sauce”, comme le remarque avec pertinence Alain Soler, le saxophoniste a ouvert la voie aux plus jeunes, en faisant des pas de côté décisifs”. D’ailleurs, les deux musiciens de l’album, excellents guitaristes, ont aussi beaucoup voyagé, l’ont accompagné dans de nombreuses tournées et enregistrements dans le monde entier. (Chine, Vietnam, Afrique, Amérique…) et ont retenu ses leçons.
Le répertoire reprend des thèmes de Jaume comme “Beguin”, “Heavy’s”, “Marratxi”, souvent sortis sur le label CELP, quatre thèmes du dieu Django ( guitare oblige et on ne s’en plaindra pas), une composition du musicien préféré d’André Jaume, Jimmy Giuffre “River Chant” qu’il a accompagné et suivi de près, dans ses années free...et dont il sait évoquer la mémoire avec passion ; une reprise du “Girl” des Beatles. On le voit, un répertoire fait de choix décidés selon des convictions, des goûts réels, un éclectisme de bon aloi. Car ces compositions ont un potentiel immense, plein de nuances, se révélant un excellent terrain de jeu pour ces orfèvres de la six cordes, pincées, frottées, brossées…qui ont aussi proposé des compositions de leur cru. La première et forte sensation à l’écoute de cette musique qui s’écoute d’un trait, déroulant un groove envoûtant, persistant, est l’absolue cohérence du chant intérieur, épuré, essentiel qui anime le duo.En fait, si André Jaume est un soufflant polyinstrumentiste doué, il n’était pas question detransposer pour guitaristes même si les amoureux de l’instrument seront comblés. C’est un disque complet, pour musiciensselon l’expression consacréemais aussi, plus simplement pour ceux qui aiment la musique, toutes les “bonnes” musiques du jazz à la pop et au rock.
Cet hommage démontre avec brio que la passion du jazz se prête à toutes les fantaisies, se moque des frontières de styles, d’instruments, car on apprend et partage tant d’aventures sonores avec des “frères de son”. Et assurément, Rémi Charmasson et Alain Soler le sont. Ce portrait recomposé n’est ni complaisant ni nostalgique. André Jaume qui s’est retiré en Corse et va fêter en 2020, ses quatre vingt ans, sera fier de l’élégance, l’énergie, la joie profonde et l’intelligence de ce duo parfaitement accordé, libre et audacieux.
Pas besoin de plus grands discours : "let’s play the music"….ou encore mieux "let’s face the music and danse".
Plus qu'un rituel, presque une manie pour le plumitif qui fréquente le festival depuis plus de trente ans. Et chaque fois l'occasion d'un émoi automnal et ligérien (autrement dit kiffer les bords de Loire au 11 novembre !)
Le chroniqueur est arrivé après la soirée d'ouverture, celle du samedi 9 novembre, qui a commencé vers 18h30 au Théâtre municipal, et s'est prolongée dès 20h30 à la Maison (que la nomenclature officielle n'ose plus appeler 'de la Culture', alors qu'elle le mérite....). Élogieux échos des présents, tant à propos du Trio Viret au théâtre qu'au sujet d'Éric Le Lann-Paul Lay en duo, puis du quintette de Charles Lloyd à la Maison.... de la Culture ! On en profita pour honorer ce dernier dans l'Ordre des Arts et Lettres : ce dont, témoignent les présents, il fut ravi.
Le dimanche 10 novembre, c'est théâtre, avec une très belle surprise, un spectacle autour de Nina Simone par Ludmilla Dabo et David Lescot, spectacle qui a déjà beaucoup tourné dans les circuits théâtreux, et qui sera repris du 13 au 21 décembre à Paris au Théâtre des Abesses, dans le giron du Théâtre de la Ville. Le spectacle s'intitule Portait de Ludmilla en Nina Simone. L'auteur-metteur en scène (et aussi musicien) David Lescot ,est familier des connexions avec le jazz : que l'on se rappelle L'instrument à pression (avec Médéric Collignon et Jacques Bonnafé) et La chose commune (avec Emmanuel Bex, Élise Caron, Géraldine Laurent, Simon Goubert....). Ayant reçu commande d'un portrait de personnage célèbre, il souhaitait consacrer un spectacle à Nina Simone.
Il s'est mis en quête d'une comédienne également chanteuse et s'est tourné vers Ludmilla Dabo, laquelle dans ses années au Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique, avait esquissé un travail autour de cette chanteuse qu'elle admire. De leur rencontre est né un dialogue, dont l'auteur a fait un spectacle, et qui évoque des moments de la vie de Nina Simone. Dispositif scénique minimal, et grande intensité dès la première minute. Dans l'obscurité, battements de pieds et claquements de mains distribuent rythme et syncopes. Puis en pleine lumière le partenaire-enquêteur et accompagnateur (guitare, ukulélé) interroge l'histoire de Nina : la comédienne répond en chantant, d'une voix magnifiquement habitée par l'âme de la soul music.
Ainsi se déroule, sur un rythme d'une précision incroyable, un échange entre un texte narratif, des dialogues, et des chansons tout aussi chargées d'histoire(s). C'est un tourbillon d'émotions fortes qui traverse la vie de Nina, sa vie de femme en butte aux violences de toute sorte, le naufrage de ses rêves de jeunesse (devenir la première concertiste classique noire des U.S.A.), mais aussi ses combats pour les droits civiques, le tout nourri de quelques chansons de la grande Nina, chantées sans aucun mimétisme (sauf le clin d'œil à Ne me quitte pas), mais à un niveau de vocalité et d'interprétation qui place la barre très très haut, et nous révèle en Ludmilla Dabo une grande chanteuse. Par une sorte de mise en abyme l'expérience personnelle de Ludmilla s'insère dans la dramaturgie, en parallèle à l'évocation des luttes afro-américaines.
Et en rappel un épisode époustouflant nous offre la grande scène d'Arnolphe et Agnès dans L'École des femmes de Molière, qui dérive progressivement de grande tradition du théâtre classique vers une version en prosodie syncopée, accompagnée par l'ukulélé, et soulignée d'une danse voluptueuse de la chanteuse comédienne : grand moment de liberté théâtrale, et de musique. Le Théâtre municipal de Nevers, belle salle à l'italienne, est assurément l'écrin idéal pour un tel spectacle. Et un festival de jazz l'endroit rêvé pour le faire découvrir. On rêverait que d'autres programmateurs de jazz aient aussi la bonne idée d'offrir à leur public ce très beau spectacle.
Le lendemain, promenade de santé par un 11 novembre qui s'ensoleille vers le théâtre (le concert de midi y a été déplacé). En chemin, l'arrière de la Maison (de la culture) en travaux.
Je passe devant la Maison des Sports, qui n'a pas peur de dire son nom (je me rappelle une commune où il y avait une direction des sports et de la culture, dans cet ordre....). En contournant le bâtiment en travaux, je découvre l'appellation désormais officielle.
En montant vers le Palais Ducal et le théâtre, je découvre cette appellation obstinée jusque dans la signalétique.
Et j'arrive enfin au théâtre pour découvrir sur scène le cymbalum de 'Bartók Impressions'. Le groupe a publié voici un an un CD justement remarqué («Bartók Impressions», BMC / l'autre distribution). C'est un trio en nom collectif, sans leader, mais le contrebassiste Matyas Szandai a imprudemment accepté un concert avec un autre groupe le même jour.... Pas rancuniers, ses partenaires le mentionneront en fin de concert pour rappeler que cette musique est celle d'un trio. Ce sera donc un duo : Mathias Lévy au violon, et Miklós Lukács au cymbalum.
Maxim François, à gauche, en chasseur d'images
Le concert commence vers 12h15. La musique s'organise autour des pièces de Bartók, librement traitées dans l'exécution comme dans l'improvisation. Elles sont empruntées au recueil de piano Mikrokosmos, et à diverses autres compositions, notamment celles inspirées à Bartók par les musiques traditionnelles balkaniques. C'est vif, emporté, l'échange entre violon et cymbalum est permanent, souvent ludique. Les modes de jeu sont assez libres, avec recours à des artifices dictés par l'urgence de l'improvisation.
À 15h30 c'est dans la petite salle de la Maison (de la culture....) que se produit le trio 'Un Poco Loco', rassemblé par le tromboniste Fidel Fourneyron, avec Geoffroy Gesser au sax ténor (et à la clarinette), et Sébastien Belliah à la contrebasse. Ils jouent leur nouveau programme intitulé Ornithologie, et consacré non aux oiseaux mais à Charlie 'Bird' Parker. C'est un pari que de jouer ce répertoire de manière innovante sans en altérer ni la densité musicale ni la force expressive. Pari gagné, haut la main, en déstructurant/recomposant chaque thème avec un mélange de fraîcheur et de science musicale qui force l'admiration. Chacun des membres du trio a contribué à l'arrangement du répertoire : Shaw Nuff, Anthropology, Salt Peanuts, Donna Lee, et bien d'autres, et aussi une très belle relecture du standard Everything Happens To Me inspirée par la version avec orchestre à cordes de Charlie Parker. Comme toujours avec le trio 'Un Poco Loco' un grand moment de musique, de prise de risque et d'expressivité.
Retour au Théâtre municipal vers 18h30 pour écouter le saxophoniste Éric Séva avec son nouveau groupe 'Mother of Pearl'. C'est un projet inspiré par la rencontre en 1974 de Gerry Mulligan et Astor Piazzolla. Le saxophoniste a fait le choix de l'accordéon plutôt que du bandonéon, en s'associant avec un musicien qu'il connaît de longtemps : Daniel Mille. Christophe Wallemme à la contrebasse, Alfio Origlio au piano (et piano électrique) et Zaza Desiderio à la batterie complètent le quintette. Les compostions originales du saxophoniste sont conçues sur mesure pour cette instrumentation, avec une dominante mélancolique, sans exclusivité toutefois. Deux thèmes de Piazzolla s'insèrent dans le programme. Et après une cavalcade collective en 6/8, c'est un duo accordéon-sax baryton sur une belle composition inspirée par le village d'Eus, dans les Pyrénées-Orientales, avant un quintette conclusif. Un disque, déjà enregistré, paraîtra au printemps prochain.
La soirée se termine à la Maison (de la culture....) avec le MegaOctet d'Andy Emler. C'est le programme anniversaire (30 ans!) d'un orchestre né à l'extrême fin de 1989, et dont la naissance officielle fut constatée en janvier 1990 au Sceaux What, aux Gémeaux de Sceaux (Hauts-de-Seine). Ce programme avait été inauguré le 12 octobre dernier lors d'un concert Jazz sur le Vif à la Maison e la Radio. Pour avoir assisté au deux concerts, j'ai été épaté par le fait que, jouant le même programme, l'orchestre a donné un concert différent, et toujours du même niveau musical, avec cette prise de risque et cette confiance mutuelle des musiciens qui font que, vraiment, tout semble permis. La première partie nous a donné le répertoire du disque paru à l'automne 2018 («A Moment For...», La Buissonne/Pias). Tous sont des solistes de haut vol, à commencer par les historiques, François Verly, percussions, et Philippe Sellam, saxophone alto : ils étaient tous deux dans le MegaOctet des origines. Claude Tchamitchian, contrebasse, avec Éric Échampard, sont les partenaires habituels du trio d'Andy Emler, et cela contribue largement à l'assise du groupe. Laurent Blondiau (trompette), FrançoisThuillier (tuba), Laurent Dehors (sax ténor et cornemuse), et Guillaume Orti (sax alto) complète l'équipe, et tous nous ont transportés par leur insolent liberté musicale.
Après l'entracte l'orchestre est rejoint par trois musiciens qui eurent partie liée avec l'histoire du groupe : le guitariste Nguyên Lê (qui était dans le MegaOtet à sa création), et les imprévisibles Médéric Collignon (cornet, voix, human beatbox....) et Thomas de Pourquery (sax alto et voix).
Ce fut un festival d'envolées périlleuses, de rétablissements virtuoses, et de surprises en cascade.
Tous les musiciens se sont éclatés, et le public en fut conquis. Rappel aussi insistant que chaleureux, et fin de soirée dans la joie d'un moment exceptionnel.
LONGBOARD : « Being wild »
Yolk Music 2019
Alban Darche ( sax, cl, clv, compos), Matthieu Donarier (sax, cl, compos), Meivelyan Jacquot (dms)
C’est un album très bel album protéiforme que signe le trio. Foisonnant d’idées, ce Longboard, jamais linéraire il dessine des contours et des sons pour former un imaginaire en mouvement.
Des flottements et des tensions lunaires côtoient des lignes mélodiques et des enchevêtrements. Des moments de rare poésie (Beauty and sadness ou Embrace the grace) emportent dans un imaginaire éthéré.
Alban Darche et Matthieu Donarier sont des souffleurs de rêves qui jouent avec les silences et les courbes de la musique. Elle caresse mais elle cogne aussi parfois ( The thin ice). Mais surtout dans cet album il y a aussi un sens du spectacle et de la mise en scène presque baroque (Elevation) dans une sorte de souffle continu.
Ces acteurs sont des acteurs. Et des acteurs danseurs qui jouent des pantomimes sonores.
Alban Darche et Matthieu Donarier se connaissent bien. Ils sont des piliers du label nantais Yolk qu’ils ont contribué à porter haut depuis près de 20 ans déjà avec Sebastien Boisseau ( récent recipiendaire mérité - mais honteusement en catimini - d’une récente Victoire du jazz). Les deux saxophonistes ( dont la proximité géographique n’a d’égale que celle esthétique) partagent le même goût de la complexité. Celle de géniaux compositeurs comme John Hollenbeck ou Steve Coleman (Cairo hipster). Mais à laquelle ils apportent un soin de calligraphe, comme des dessinateurs au ciel. Et c’est avec cette art de la composition protéiforme ( on l’a dit) qu’ils créent des moments de douceurs où au delà de la mélodie il y a la façon dont les saxophonistes dessinent le son comme s'ils maniaient l'art du pinceau. Comme par exemple sur cette émouvante Boite à musique qui égrène le temps dans une infinie douceur nostalgique.
Et Meivelyan Jacquot, l’autre nantais de la bande y apporte le liant, le relief et parfois la rugosité avec un talent fou.
Captivant de bout en bout, Longboard refuse de se laisse enfermer dans un schéma musical pour nous captiver du début à la fin. C’est certainement ce que cela veut dire pour eux : being wild.
Jean-Marc Gelin
(à l’occasion de la sortie du coffret ‘Nat King Cole « Incomparable »’ réalisé par Claude Carrière pour Cristal Records*)
Star éternelle du Louvre, Mona Lisa, œuvre de Léonard de Vinci (1452-1519), n’a pas seulement inspiré Marcel Duchamp qui l’affubla, en 1919, d’une moustache pour une toile baptisée L.H.O.O.Q. –titre dérisoire bien dans l’esprit du dadaïsme - longtemps propriété du Parti Communiste Français. La florentine au sourire étrange donna naissance, trente ans plus tard, à une chanson qui contribua largement au succès populaire de Nat « King » Cole, né cette même année 1919 (le 17 mars).
La genèse de ce titre Mona Lisa mérite d’être contée. Un metteur en scène d’Hollywood, Mitchell Leisen, avait passé commande en 1949 à un tandem déjà bien connu, Jay Livingstone (compositeur) et Ray Evans (auteur) d’un air devant illustrer une séquence d’un film d’espionnage située en Italie. Admiratrice du tableau de Léonard de Vinci, l’épouse de Ray Evans aurait, dit-on, soufflé l’idée d’évoquer cette jeune femme au sourire mystérieux («est-ce une manière de tenter un amoureux ou une façon de cacher un cœur brisé» dit notamment le texte**).
Dans le film de la Paramount, sorti en 1950 sous le titre ‘Captain Carey, USA’, avec Alan Ladd dans le rôle principal, la composition est jouée par le grand orchestre du trompettiste Charlie Spivak, la partie chantée étant assurée par Tommy Lynn. Le tandem Livingstone-Evans devait être fier de leur œuvre commune puisqu’ils la confièrent à Nat « King » Cole, pianiste et chanteur de haut vol adulé dans le milieu musical, et pas seulement du jazz, avec un trio au format inhabituel (guitare et basse). Une confiance guère partagée -au début- par le chanteur : le titre ne figure que sur la face B -la moins noble- du 78 tours enregistré le 11 mars 1950 à Los Angeles, qui propose en face A The Greatest Inventor. La maison de disques, Capitol, n’a pas perdu son temps : le film est sorti sur les écrans à peine trois semaines auparavant.
Réticent puis charmé
Le charme de Mona Lisa va une nouvelle fois opérer. Une fois le disque pressé, les deux compères font le tour des stations de radio -une vingtaine- pour en assurer la promotion. Le succès ne tarda pas saluant ce mariage entre la voix de velours de Nathaniel Cole et l’arrangement d’un jeune prometteur, Nelson Riddle, pour le grand orchestre de Les Baxter. Dans les bacs dès le mois de mai, Mona Lisa demeurera en tête des ventes pendant huit semaines, selon le classement du magazine Billboard.
La vogue ne se démentira pas, ‘Mona Lisa’ décrochant l’Oscar 1950 de la meilleure chanson pour un film, le deuxième, pour le duo Livingstone-Evans (après ‘Buttons and Bows’ en 1948), qui en décrochera un troisième en 1955 avec ‘Que Sera, Sera’, chantée par Doris Day dans 'L’homme qui en savait trop' d’Alfred Hitchcock.
Dès lors, Mona Lisa gagne une place de choix dans le répertoire vocal de Nat King Cole, géant à double titre (185 cm sous la toise) aux côtés de Nature Boy, enregistré en 1947, Unforgettable (1951), Blue Gardenia (1953) ou encore Quizas, Quizas, Quizas (1958).
En 1992, Mona Lisa entrera au Grammy Hall of Fame, récompense suprême et posthume pour Nat King Cole, disparu le 15 février 1965 à 45 ans. Le titre reste également comme l’une des réussites les plus populaires du tandem Livingstone-Evans dont 26 chansons dépassèrent le cap du million de ventes au cours d’une carrière de plus de soixante ans (Livingstone décéda en 2001 et Evans en 2007). Quant à la famille Cole, elle restera fidèle à Mona Lisa, son frère Freddy et sa fille Natalie ne manquant jamais de chanter « cet énigmatique sourire ».
Mona Lisa et les autres chansons citées sont proposées dans leur première version en studio dans un coffret de trois cd ‘Nat King Cole « Incomparable »’ réalisé par Claude Carrière* ... Une sélection de 60 titres donnant à entendre Nat King Cole comme chanteur accompagné d’orchestres divers, à la tête de son trio et enfin uniquement comme instrumentiste.
Jean-Louis Lemarchand.
* ‘Nat King Cole « Incomparable »’, coffret composé par Claude Carrière. Sortie le 15 novembre 2019. Cristal Records - CR 301-02-03.
**Do you smile to tempt a lover, mona lisa? or is this your way to hide a broken heart?
Franck Woeste (p, fder) feat Rick Marguitza (ts), Bohan Z (p), Gilad Hekselman (g) Franck Agulhon
(dms), Walter Smith III (ts), Nelson Veras (g), Ryan Keberle (tb), Lage Lund (g), Eric Legnini (fder), Stephane Galland (dms)
Et voilà, pour le volume 2 de ces dialogues organisés par le pianiste allemand Franck Woeste, un petit bijou que vous aller placer bien haut dans la liste de vos favoris ! dans le genre d’expérience qui va vous fasciner d’un bout à l’autre de son écoute.
Il est en effet des pianistes qui sortent des albums de duos sans grande inspiration avec en tête l’idée de faire du name dropping avec des artistes tendance. Mais il en est d’autres, comme Franck Woeste qui sont animés d’un vrai projet. Pour qui dialoguer représente un vrai travail musical à la fois d’écriture mais aussi d’échange plus ou moins improvisés.
Les duos que propose ici le pianiste s’inscrivent tous au rang de master piece. Chaque morceau est un vrai moment de fusion entre deux musiciens de très haute volée, entre lesquels la règle du jeu est de limiter au maximum les arrangements.
Assurément protéiforme, l’album rassemble des moments de pur jazz acoustique à côté d’échappées électriques, des moments plus pops et de sublimes évanescences comme ce duo lunaire avec le guitariste Gilad Hekselman où tout est dans le flottement des harmonies. Dans cet album les invités, tous exceptionnels façonnent les sons à 4 mains. Ainsi de ce tissage fender/piano entre Woeste et Bojan Z dans une sorte de chassé-croisé aérien. Ou alors avec Legnini où le son vous enveloppe dans une sorte de brume electrique electro-jazz.
Avec les batteurs aussi Franck Woeste dialogue aussi et chaque fois dans un esprit totalement différent que ce soit avec une profondeur poétique comme avec Fanck Agulhon ou avec l’explosif Stephane Galland qui met le feu sur Mars.
On pourrait bien sûr s’arrêter sur tous les duos mais sachez que chacun porte une forme d’incandescence, d’urgence.
On le répète il y a de la pop dans cet album ( Radiohead pas loin) et des brumes électro-jazz qui montrent des chemins e ouvrent les portes d’un jazz d’aujourd’hui dont les influences sont si diverses et multiples qu’elles excitent toutes les curiosités. Mais il y a aussi une forme de retour aux sources avec ces duos de saxophonistes, tant avec le superlatif Walter Smith III qu’avec un Rick Marguitza au sommet. Quand à la rencontre entre le pianiste et le tromboniste Ryan Keberle ( écouter son dernier album avec le groupe Catharsis).
Et dans tout ça, Franck Woeste. Et bien le pianiste multi instrumentiste se transforme en grand ordonnateur du Son. en grand manitou avec des airs de Shiva aux bras multiples qui fait jaillir de l’or dans chacune de ses interventions. Franck Woeste est un magicien qui porte chacune de ces rencontre à un sommet rarement égalé.
Et puis non, Franck Woeste n’est pas un magicien. C’est un sorcier qui avec sa cape de musique, va vous envoûter.
jean-Marc Gelin
De la Nouvelle Orléans à la Nouvelle Aquitaine (1859-2019 )
EDITIONS CONFLUENCES, Bordeaux.
Formidable ouvrage de 192 pages, véritable somme sur l’histoire du jazz en Nouvelle Aquitaine, jamais chapitré de façon docte et professorale, ce livre aborde le monde musical du jazz en région, sous tous ses aspects : culture, histoire, géographie physique et administrative, économie d’un secteur vue selon le filtre des acteurs privés et publics, des structures, de la scène, des festivals, de l’enregistrement.
Le jazz avant le jazz, désastre et music hall (1914-1945), de la scène à la cire ( 1945-1960), création et patrimoine (1960-1980), du bebop au hip hop (1980- 2019), la place de la Nouvelle Aquitaine aujourd’hui, découpent la chronologie riche mais compliquée d’une région qui tient son rôle dans l'évolution de cette musique. Bordeaux est vite inscrite dans le discours critique du jazz, un terreau de choix qui vit naître l’un des premiers Hot Clubs régionaux, alors que Pau vire au blues, et que Limoges devient un bastion du jazz hot. Dans les années soixante dix, la ville devient capitale, sous l’impulsion de Roger Lafosse, à la pointe de la réflexion sur la place de l’art et de la culture dans la société, qui crée un événement unique, SIGMA qui mit en contact le public avec l’esprit du temps au risque de le surprendre, de la brusquer.
L’originalité de ce beau livre est due au double regard, celui de la journaliste de Sud Ouest, Emmanuelle Debur qui fait oeuvre d’historienne avec la rigueur d’une enquête sur les hauts faits, les périodes sombres mais actives de l’occupation, les querelles fratricides entre raisins verts et figues moisies de Charles Delaunay et Hugues Panassié, la guerre des jazz(s), les “chapelles” trop nombreuses encore aujourd’hui, l’essor des festivals. Le raisonnement est clair, les exemples concrets, nombreux et illustrés de passionnants témoignages (anecdotes, illustrations trop méconnues comme les pochettes de Pierre Merlin, photos rares, originales, magnifiques comme celle d’Ellery Eskelin par Bruce Milpied).
C’est aussi trente ans de la vie d’une musique en région, une mise en désir musical d’un territoire plutôt large qui couvre les départements de Gironde, Pyrénées Atlantiques, Gers ( le cas exemplaire de Marciac), va de Bayonne à Andernos sur le Bassin, Bordeaux évidemment, l'arrière-pays montagneux, le Piémont pyrénéen, le Béarn, le pays Basque et Itxassou, Luz St Sauveur dans les Pyrénées centrales. Sans oublier Souillac (46) limitrophe, avec Sim Copans qui s’attacha à illustrer au mieux ce que le jazz contient d’innovation mais aussi de conservation.
Racontée autrement, par un personnage parfois difficile à cerner, courant d’une identité à l’autre : enseignant, philosophe, journaliste, acteur, photographe à ses heures, programmateur, collectionneur fou. Ceci n’est pas négligeable, y-a-t-il en musique un équivalent à ces cinéphiles (de la génération de Bertrand Tavernier) qui ont subordonné leur vie à une passion dévorante, exclusive qui leur permit néanmoins de découvrir la vie différemment, sans routine? Ce n’est jamais triste, car le principe de plaisir se propage tout au long de ses pages, de son expérience. La part autobiographique de l’ouvrage, de ses mémoires en jazz, est détaillée avec franchise, constituant l’autre face de ce document précieux. Histoire et histoires, soitdeux voletscomplémentaires, d’une couleur légèrement différente qui partagent le livre et que l’on peut livre indifféremment. Sans oublier des annexes soignées, une chronologie originale, la bibliographie d’un amateur plus qu’éclairé!
Ce qui nous retient dans les pages intimistes de ce journal en jazz, est l’itinéraire d’un esprit ouvert, curieux, d’une intelligence analytique, toujours en mouvement. Philippe Méziat, dans des fragments émouvants, retrace l’ample récit d’une vie consacrée au jazz depuis la découverte émerveillée (par l’intermédiaire de frères plus âgés) jusqu’ à la mise en place pendant huit ans d’un festival, le BJF. Soixante ans d’amour indéfectible pour une musique et un style qui ont conditionné une “attitude” de vie, trente ans de “professionnalisation” depuis 1989. Au fil des pages, on se familiarise avec les structures culturelles, la vie d’un grand journal régional SUD OUEST qui en fit un envoyé spécial, très spécial même puisque cet enseignant en philosophie devint journaliste. Les années défilent, c’est la vie même qui va, qui respire en ses pages et insuffle son rythme et ses climats changeants avec de grands joies, les concerts et happenings de Sigma, les collaborations fructueuses avec les acteurs du monde du jazz, “mundillo” si fermé et complexe, des festivals AFIJMA à Musiques de Nuit... Il y eut les rencontres marquantes dues souvent au “hasard objectif”, le compagnonnage avec les frères en jazz, aujourdhui disparus, JP Moussaron et Xavier Mathyssens, confrères à Jazzmagazine, la découverte émerveillée de la photographie avec Le Querrec ou GLQ de Magnum, les musiciens qu’il a pu approcher de près, Abbey Lincoln, Lionel Hampton, Ellery Eskellin, Uri Caine, Benat Achary…sans oublier les incontournables Bernard Lubat, Michel Portal qui ont gardé leurs attaches girondines ou bayonnaises.
Moins malhabile même s’il est perpétuellement convaincu de l’être, Philippe Méziat n’en demeure pas moins un observateur attentif, vigilant mais débordé parfois par les événements, critique envers les institutions dont il a pu, non seulement observer souvent les partis pris inconsidérés, mais aussi vivre cruellement, de l’intérieur, l’abandon.
Il y a des "écrivants" qui rendent compte, écrivent, même très bien ce qui advient. Et ceux qui ne peuvent s’empêcher de penser/panser leur maux, de réfléchir et de se demander comment ça marche.
Coup d’essai, synthèse nécessaire, coup de maître. Indispensable pour ceux qui aiment le jazz ou s’y intéressent, le jazz, cette musique savante, fondation musicale, la seule du XXème. (JP Moussaron)
ACEL & Attention Fragile AC5LSA387 / l'autre distribution
Le disque commence avec Satin Doll, dans un arrangement très renouvelé, et par la voix de Chloé Cailleton, qui dose avec une grande pertinence la fragilité et l'assurance. Ce début n'est évidemment pas un hasard. Leïla Olivesi adore la musique d'Ellington et Strayhorn, à laquelle d'ailleurs elle a consacré quelques belles conférences, en compagnie de Claude Carrière, dans le cadre de la Maison du Duke. Et c'est plus qu'un hasard sans doute si Carrière signe le texte du livret, qui éclaire très bien la singularité de cette musique. Le reste du disque est composé par la pianiste, et l'on n'est pas surpris de constater que cet univers est habitée de sinuosités mélodico-harmoniques qui évoquent un peu la musique de Strayhorn, tout en œuvrant pleinement dans le langage d'aujourd'hui. D'ailleurs je soupçonne Leïla Olivesi d'avoir, plus encore que pour le Duke, une passion secrète pour Sweet Pea, comme l'appelaient ses amis musiciens. C'est brillamment composé, avec un indéniable sens de la forme, et pensé en relation exacte avec les personnalités des musiciens sollicités : belle brochette de grands solistes, que l'on sent motivés par la qualité de l'écriture, et qui s'ébattent aussi avec une grande liberté dans les improvisations. Au centre du répertoire une suite qui fait écho aux eaux turquoises de la Mer d'Andaman, au large de la Thaïlande de la Malaisie. Une partition que l'on avait découverte voici plus d'un an en club, et en quintette, et qui dans l'orchestration étendue tient ses promesses. Dans une courte plage en solo, la pianiste fait revivre l'esprit des méditations ellingtoniennes, avant que le disque ne bifurque vers l'Afrique et ses déserts. En cours de route on avait croisé un bel hommage à la grande musicienne qu'était Geri Allen, et en coda du CD une mélancolie qui remue en moi le souvenir de Goodbye Pork Pie Hat. Bref c'est une vraie belle œuvre d'artiste, que l'on sent méditée de longtemps, et qui s'épanouit dans l'effervescence du partage musical et de l'improvisation. Grande réussite, dont on espère qu'elle viendra jusqu'aux oreilles, parfois un peu distraites, ou paresseuses, des notabilités festivalières....
Xavier Prévost
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Le groupe au grand complet jouera le 6 novembre 2019 à Paris, au Studio de l'Ermitage