Singulière instrumentation, et musique tout aussi singulière. Ça commence par un blues (tel est son titre), en fait une variation très libre (mais totalement pertinente) autour de ce qui fonde cette forme musicale. Lancinement, retour mélancolique sur le motif, avec parfois la voix (celle de Bruno Ducret doublant sa ligne de basse au violoncelle ; à un autre moment celle probablement d'Élodie Pasquier, tissant furtivement au côté du violon une sorte de contrechant). Les compositions pour la plupart sont de la plume de Clément Janinet, mais ce blues introductif est co-signé par un compagnon de route, le saxophoniste Hugues Mayot, et par la chanteuse malienne Nahawa Doumbia. De plage en plage on effleure une foule d'univers, du jazz aux musiques du monde en passant par un subtil mélange d'abstraction contemporaine, de musique de chambre et de musique répétitive. C'est vivant, surprenant, les solistes sont formidables, et un esprit de groupe et d'écoute mutuelle irradie chaque séquence. Une sorte de traversée d'un paysage qui allie le jazz créatif (depuis la fin des années 50 jusqu'à aujourd'hui) à tous les courants musicaux préoccupés de ce qu'il faut bien appeler une forme d'authenticité, d'évidence presque organique. Un vrai bonheur pour mélomane, jazzophile ou non.
Xavier Prévost
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concert en ligne au Festival Détours de Babel de Grenoble le dimanche 28 mars 2021 à 17h
Avec Kenny Wheeler, Jean-Louis Chautemps, Roger Guérin, Maynard Ferguson, Dusko Goykovic, Toots Thielemans, Sahib Shihab, Albert Mangelsdorff, Mark Murphy, Philly Joe Jones…
Jazzline Classics – D 77091/ Socadisc (3 CD).
Sortie le 26 mars.
Séquence rétro avec cette sélection d’inédits intéressants à trois titres au moins : un grand orchestre européen, un répertoire original différent des Big Bands états-uniens, un programme évoluant sur la période d’activité de la formation (1957-1974).
Extraits des archives de la radio de CologneWestdeutscher Rundfunk (WDR) ces 40 titres viennent (re)mettre en lumière le travail du chef d’orchestre allemand Kurt Edelhagen (1920-1982) caractérisé, aux dires de ses musiciens cités dans le livret, par la discipline et la précision (jusqu’à une douzaine de prises !).
Dans ses œuvres, Kurt Edelhagen, même s’il a invité quelques stars américaines (Philly Joe Jones, Maynard Ferguson, Sahib Shihab, Kenny Wheeler…) s’est appuyé sur les forces vives du vieux continent :
- Des interprètes : son compatriote, le tromboniste Albert Mangelsdorff , les français Jean-Louis Chautemps, saxophone ténor engagé dans le premier groupe à 27 ans, Roger Guérin, trompettiste, et ses confrères l’écossais Jimmy Deuchar et le serbe Dusko Goikovic, Toots Thielemans, harmoniciste belge…
- Des arrangeurs qui le secondaient, comme le belge Francy Boland qui partageait son temps avec le Big Band de l’exilé américain à Paris, Kenny Clarke.
...Une sacrée phalange ! Dix sept personnalités qui devaient être fortes, relevait leur chef, pour jouer en concert à la demande un jour ‘Rhapsody in Blue’, un autre ‘St Louis Blues’. Cette alchimie devait, dans des formations différentes, perdurer une quinzaine d’années, avec un répertoire présenté régulièrement dans des émissions de radio (la WDR) et de télévision, qui donnait aussi bien dans le be-bop, le cool, et même (de manière modérée) le free jazz.
L’avènement du rock’n roll à la fin des années 60 conduisit Kurt Edelhagen à emprunter pour survivre les voies de la musique commerciale et à finalement dissoudre son All stars le 31 décembre 1972 quelque temps après une dernière commande publique pour les J.O de Munich. Reste ici, dans ce coffret finement mitonné, une sélection hautement recommandable d’une époque glorieuse pour les Big Bands.
Le All Stars de Kurt Edelhagen n’avait pas à rougir face au grand orchestre de Thad Jones - Mel Lewis, Comme en témoigne non sans humour le tromboniste américain Jiggs Whigham, invité du groupe dans les années 70 : « Un jazz band allemand qui avait le sens du groove et du swing, c’était assez unique ».
Autant le dire tout de suite : GRAND DISQUE ! Indépendamment du concept un peu décoratif qui fait référence à la Théorie Du Tout (qu'on l'envisage sur le plan de la physique comme de la philosophie) et qui fait office de discours d'escorte, ce qui tend à prévaloir c'est le caractère éminemment collectif de cette création musicale. À partir de séquences de travail en duo s'est élaborée une œuvre commune, où chacun au fil des plages joue un rôle de compositeur. Le tout repose sur des paramètres majeurs : la complexité rythmique qui s'aventure parfois vers les constructions les plus folles ; le travail sur le son de tous les instruments ; et pour finir dans chaque titre l'élaboration d'une forme lisible à son terme, quand son déroulement nous a déroutés, séduits, bouleversés. Et des instrumentistes qui sont constamment solistes, tant chaque note, chaque son, chaque rythme, contribue à la cohérence globale. Par rapport au très très bon disque précédent (chronique sur ce site en suivant ce lien), dont le saxophoniste était Jacques Schwarz-Bart, il y aurait comme un saut qualitatif, produit par l'aboutissement d'un projet, d'une méthode de travail (pour éviter le mot de concept). C'est un peu comme si Weather Report était passé dans la centrifugeuse M'Base. Grand disque, donc !
Grâce à l’ami Jean Buzelin, fin connaisseur de toutes sortes de musiques dont le jazz, le gospel, le blues et la chanson française, Rosetta Tharpe a enfin sa biographie en français.
Voilà un petit livre formidable, sorti chez les éditions Ampelos qui réhabilite Sister Rosetta Tharpe (1915-1973) qui a subi une traversée du désert de plus d’un quart de siècle. Enfin intronisée au Rock And Hall of Fame en 2018, les sept volumes de son intégrale sont parus chez Frémeaux& Associés qui fait un travail remarquable dans la conservation du patrimoine musical.
Qui était Sister Rosetta Tharpe? L’une des plus grandes chanteuses de gospel, rivale de la grande Mahalia Jackson, qui débuta, en pure autodidacte, aux côtés de sa mère dans des tournées d’évangélisation, en s’accompagnant de sa guitare.
Son originalité est d’avoir su relier le gospel au blues et au jazz puisqu’elle se lança un temps dans une carrière profane, débutant au Cotton Club avec Cab Calloway, ou sur la scène de l’Apollo de Harlem où elle introduisit des chants sacrés. Elle rejoint un tempsl’orchestre de Count Basie et tourne aux côtés de Benny Goodman! Elle accompagne son chant d’un jeu de guitare mordant, très rythmiqueet à la sonorité presque rock and roll avant la lettre. En 1939, le magazine Life titre “la chanteuse qui swingue les mêmes chansons à l’église et au cabaret”.
Elle parvient en effet à swinguer le gospel mettant à profit son expérience sur la scène jazz. Elle devient très vite la première vedette du disque de gospel et enregistrera pour Decca, Verve, Mercury, connaissant une célébrité nationale.
Bien que créatrice d’une nouvelle expression vocale populaire, issue de ce double apport religieux et profane “a secular gospel music”, elle sera obligée d'abandonner sa carrière profane mais elle réussit cependant à garder son autonomie de holly roller singer et parvient à ne pas changer son style bluesy et swingant. Au sommet de sa gloire entre 47 et 51, l’âge d’or du gospel, elle tourne avec son quartet de Rosettes dans le sud ségrégationniste avec un chauffeur blanc pour contrer les lois Jim Crow ( on se croirait dans le film Green Book). Ambassadrice du gospel en Europe, elle vit une aventure triomphale et en France, chante même en première partie de Trenet en 1958! Son influence sur les chanteurs de rock des années cinquante (blancs et noirs ) et sur la génération des groupes de rock britanniques des années soixante, passionnés de blues, explique sa réputation de “marraine du rock and roll”.
Jean Buzelin donne à voir en quoi une communauté s’est inventée un mode de vie dont la religion est essentielle dans la construction de soi. Femme noire et chanteuse dans une de ces églises noires, souvent très conservatrices et puritaines, n’était pas une position facile. Elle fut souvent tiraillée entre ses racines, sa foi évangélisatrice et une nature très spontanée, la chair (trois mariages) et l’esprit, la lutte collective et une carrière indépendante. Sa quête demeura cependant spirituelle, guidée par un chant lumineux et des qualités réelles de musicienne.
Appuyant sa recherche sur une documentation précise dont une interview de François Postif pour Jazz Magazinen°35 et le travail de Jacques Demêtre pour Jazz Hot, Jean Buzelin réussit un portrait saisissant de vitalité et rend justice au talent de cette femme forte, déterminée, à la personnalité solaire. On croit entendre la voix de cette Sister “admirablement placée”, soprano légère, entre foi, enthousiasme et vigilance.
Un livre absolument recommandé pour pénétrer la complexité des musiques noires et se familiariser avec le gospel en particulier.
La musique surgit d'un lieu singulier, fait de nature et d'intervention humaine (culture autrement dit). Tout ici paraît mystère, magie, surgissement de l'inattendu. Et nous voilà embarqués. Le sax soprano survole un paysage de fréquences presque surnaturelles et de métallisations de synthèse. Puis la voix chuchote des mots d'outre-monde, jusqu'à un seuil de crissements qui se perdent dans le silence. D'autres sons, d'autres mystères, une mélopée qui pourrait avoir des siècles, ou tout aussi bien naître de l'instant. Des textes d'Alexandra Grimal croisent des extraits du livret d'Antoine Cegarra pour La vapeur au-dessus du riz, 'opéra clandestin' donné sur scène à Orléans en 2017, et récemment publié sur disque (Ovni records 2020). La musique et les sons tutoient les limites, toujours à la recherche de l'inouï, qui est bel et bien là. Ça bouge, ça s'emballe, puis ça se fond dans une aura de mélancolie. Dépaysement assuré, avec les émois qui s'imposent. Comme je disais dès l'abord, on est embarqué. Très beau voyage, qui semble nous ramener pour conclure aux premiers grondements de l'univers. Beau travail sur le son. Bienvenue à bord. Attention au départ !
Enregistré en janvier 2020, en quartet, à New York avec la fine fleur de la rythmique américaine, ce CD fait partie d’un “faux-double” album, puisque fin 2018, pour les cinquante ans du saxophoniste alto Pierrick Pédron, fut gravé un autre CD, à Paris cette fois, toujours en quartet mais avec une instrumentation différente (clavier, sax, tp, batterie).
Cet album de l’équilibre, ce que souligne la photo de Pierrick sur les rails, a été enregistré sur Gazebo, le label de Laurent de Wilde qui ne peut résister à “un vrai disque de jazz”. Il fut conçu avec la complicité constante du producteur et ami Daniel Yvinek, sous la houlette de James Farber, le sixième homme de la formation, qui a enregistré le son sur 2 pistes en direct.
Je me souviens encore de ma rencontre musicale avec Pierrick Pedron pour son troisième album en 2005, qui rendait hommage aux standards, Deep in a dream, déjà enregistré aux Usa, avec le pianiste Mulgrew Miller. Cette fois, ce sont des compositions originales, denses et inventives avec leurs modulations brusques, leurs variations de temps, et toujours cette ferveur.
Bien que fidèle au bop (de ses débuts au Petit Op’ aujourd’hui disparu), amoureux de Charlie Parker mais aussi de Sonny Stitt, Pierrick Pédron ne veut pas se focaliser sur ce style, son carburant, il reste ouvert aux influences, aussi bien jazz que pop et rock, comme il l’a prouvé dans toute sa discographie!
Pierrick raconte comment il s’y est pris pour composer : parti d’improvisations libres, aléatoires sur dictaphone, sans cellule rythmique ni structures harmoniques, une fois les thèmes non harmonisés choisis, il les a soumis à Laurent Courthaliac, pianiste expert en be bop, s’il en est, qui a su retravailler ces morceaux "éclatés".
Dans ce retour aux sources, qui est tout sauf rétro, on le retrouve comme on l’aime, du vif argent, dès le démarrage comme un boulet de canon, avec ce “Bullet T”. Si certains prenaient le “A train” dans le passé, le quartet a gagné encore en vitesse, en prenant le Shinkansen. Et ça dégage! Pierrick Pédron a une passion pour le Japon, terre de jazz par excellence, beaucoup de ses thèmes ont ce parfum d’origine dans leur titre de “Bullet T” ( le shinkansen) à “Origami”, “Mr.Takagi”, “Mizue”, sans oublier les cerisiers qui sont roses dans le pays du soleil levant, les “Sakura” évidemment!
Toujours aussi généreux dans l’engagement, donnant toute sa puissance, il est soucieux de mélodie, du phrasé et de rythme, mais il sait se faire tendre, lové dans une rythmique soyeuse, dans les ballades alternées finement dans le programme. “Sakura”, après une introduction stimulante de près de 2 minutes au piano, fait entendre un alto sensible, jamais éploré. Pierrick Pedron s’y fait chanteur, souple et éloquent. La pulse ne cesse jamais, même dans ce mouvement plus voluptueux. L’esprit de la danse tantôt alanguie, tantôt débordante d’énergie infuse tout l’ album. Avec un entraînant “Boom” aux réminiscences monkiennes, Pierrick n’attend pas que le monde vienne à lui, sa séduction n’est ni tranquille ni douce, elle emporte l’adhésion par une urgence, une intensité, jamais fabriquées. C’est qu’en prenant des risques, il se livre. C’était assurément un nouveau challenge que de travailler avec ces trois Américains à la complicité indiscutable. Pierrick qui aime se mettre en danger, a su très vite s’imposer, conquérir l’équipe qu’il avait "castée", Sullivan Fortner au piano, Larry Grenadier à la basse, Marcus Gilmore aux drums (le petit fils de Roy Haynes !). Il a trouvé des partenaires qui l’ont suivi, en donnant le meilleur d’eux mêmes pour une musique qu’ils connaissent presqu’instinctivement. Les voix dialoguent et/ou fusionnent dans un souci constant d’équilibre; on ressent parfaitement l’énergie live de cette session unique au Studio. Après une bonne préparation des compositions, Pierrick est suffisamment chaud, il a “le jargon dans les pattes”, et c’est gagné comme il dit dans la belle interview de JM Gelin sur Radio Jazz Aligre, 93.1.
Avec ces fines gâchettes du cru, il s’est offert une expérience tonique, une cure de jouvence. Une recette infaillible jouée avec conviction et foi. Que demander de plus?
Oui, encore une chose, le deuxième volet, français, à sortir cet automne…
Airelle Besson (trompette), Isabel Sörling (voix), Benjamin Moussay (piano, piano électrique, synthétiseur), Fabrice Moreau (batterie)
Pernes-les-Fontaines, août 2020
Papillon Jaune ATJ 250119 / l'autre distribution
Le retour du groupe de l'album «Radio One» (Naïve Jazz) enregistré en 2015. Avec le bénéfice de l'expérience produite par de nombreux concerts. Et toujours cette atmosphère où se mêlent des rêves de chansons sophistiquées, des impressions furtives d'évasions hors du cadre, et la constance de deux chants : celui de la trompette, limpide et droit ; et celui d'une voix plus troublée que trouble, riche de mille frémissements, et qui porte dans ses envols maîtrisés ce qu'il faut d'incertitude pour nous rappeler que l'expression est bien là. D'un thème à l'autre, la simplicité peut faire place à une grande sophistication musicale sans que jamais le chant ne se dérobe. Claviers et batterie jouent le jeu de cette atmosphère qui va d'une joyeuse insouciance pop à d'insondables profondeurs mélancoliques. Bien des plages sont autant de petites fictions où le cadre va changer, d'un plan à l'autre, d'une phrase à l'autre, faisant évoluer (Wild Animals) en moins de quatre minutes ce que l'on aurait cru ritournelle vers une forme mouvante. Beau travail d'Airelle Besson et de ses fidèles partenaires sur ce que peut être un disque entendu comme un récit pluriel, un objet ductile qui trompe nos repères et nos certitudes.
De Tony Hymas, j'ai la tentation de dire, d'abord, qu'il est résolument inclassable. Facilité ? Lieu commun ? J'assume. C'est que je garde le souvenir ému d'un jour ancien (deuxième moitié des années 90) : je venais de diffuser sur France Musique, à la fin d'une émission dite de jazz, un mouvement de sa Symphony (disque éponyme, KPM 280 CD) par le London Symphony Orchestra, symphonie en 5 mouvements dirigée par ses soins. C'est Jean Rochard qui m'avait donné ce disque. Le claveciniste et chef d'orchestre Hervé Niquet, spécialiste de la musique baroque, me succédait à l'antenne. Très intéressé par cette musique, il me demanda de lui confier le disque, ce que je fis avec d'autant plus de plaisir qu'il eut le bon goût de me le rendre quelques semaines plus tard. J'avais déjà écouté Tony Hymas dans toutes sortes de configurations, sur disque et en concert. J'avais diffusé sa musique, et d'autres auxquelles il participait pleinement, dans mes émissions, et j'aurais, en 2010, le plaisir de l'accueillir en trio (avec Bruno Chevillon & Éric Échampard) pour un concert 'Jazz sur le Vif' célébrant les 30 ans du label nato. Autant dire que le retrouver sur ce disque est plus qu'une joie. Il s'agit ici d'une exploration de la mémoire musicale, dont la première étape est un hymne delphique du deuxième siècle avant notre ère, et l'ultime une composition du violoniste Jacky Molard publiée en 2007. Le pianiste parcourt allègrement les territoires de ses multiples tropismes sous le signe de la singularité et de la liberté. Côté piano du vingtième siècle Debussy et Satie croisent Cécile Chaminade, Marie Jaëll, Mel Bonis et Leos Janácek. Un blues immortalisé par Leadbelly (et arrangé par le pianiste et compositeur Frederic Rzewski) fait écho à Si tu vois ma mère de Sidney Bechet, et des évocations de la Résistance et de la Commune de Paris côtoient un souvenir des Gitans d'Avignon avec le groupe Ursus Minor. L'unité de tout cela, c'est la densité musicale, la liberté d'un musicien qui creuse profondément le sillon de la musique jusqu'au cœur du sens. Impressionnant de musicalité, de maîtrise, de force et de nuances. On s'abandonne avec enthousiasme !
Drôle de titre, car on avait tellement aimé le premier Hymne à l’amour, sorti en 2018, que l’on donnerait à ces deux là une éternelle chance de retour. Le duo formé par l’accordéoniste basque Didier Ithursarry et le saxophoniste normand Christophe Monniot revient en effet, toujours sur le label Emouvance et continue à égrener ses chansons d’amour, un peu étranges forcément, bizarres, pas banales. Détournement de sens mais avec cette paire d’as, il faut s’attendre à tout.
“Tel le foie et le confit dans la toupine, les deux amis font bloc. Dans leur mêlée liée serrée, épaule contre épaule, ils font corps inventant tout à la fois leur musique et leur genre musical”. On ne saurait mieux dire que l’accordéoniste Marc Perrone, lui même mélodiste hors pair.
De leur engagement, coeur à corps, on retient les huit compositions fournies à parité, l’énergie irrésistible de l’improvisation, une complicité patente et un sens de la belle mélodie qui touche son noir de cible dans ce rêve de “ Lilia” vaguement inquiétant, mélancolique assurément.
Et puis soudain sans transition, on est dans l’”East side” et quand on arrive en ville… point de quiétude, ça klaxonne au saxophone alto et dérape au final avec “l’allumé du dépliant” sur les trottoirs de la mégalopole.
Toujours au service d’une musique proche des racines populaires, ils n’oublient jamais d’où vient le souffle: ils ne manquent pas d’air, celui des Balkans dans le traditionnel bulgare “Vetcherai Rado”. Ou celui du basque bondissant “Banako”, volontairement sur tempo ralenti, pour se jouer des clichés. Ils arrivent souvent à une épure, et pourtant l’émotion affleure vite : enchantement avec ce “Dede” et émouvante valse à l’ami “Pierre qui vole” tout là-haut, libre désormais?
C’est éminemment virtuose sans en avoir trop l’air, pourtant on sait de quoi ils sont capables. On savoure la vélocité, l’entrain de Didier qui n’a jamais mieux fait résonner sa “boîte à frissons”. Monniot est le compagnon idéal, oiseau qui roucoule et pousse ses gammes au sopranino, nous transportant dans la nature. A l’alto, son timbre particulier fait merveille. Ces deux là savent s’écouter et se répondre, rebondir sans cesse à de nouvelles idées. Changements de rythme, climats alternés se succèdent, éclairant comme autant de tableaux sonores; ce n’est pourtant pas une musique illustrative, mais elle réveille notre imaginaire. Et le corps qui n’oublie pas de danser. D’ailleurs l’album finit sur une interrogation, invitant à “la dernière valse? Nous, on espère encore un prochain tour!
Une saxophoniste, Sophie Alour, et une cheffe d’orchestre, Maria Schneider, ont obtenu les récompenses les plus prestigieuses décernées par l’Académie du Jazz dans son palmarès 2020 dévoilé le 10 mars.
Le Prix Django Reinhardt, du musicien français de l’année, est allé à l’instrumentiste qui rejoint ainsi sur les tablettes de l’institution ses consœurs de la jazzosphère, Cécile McLorin Salvant (chant, 2017), Airelle Besson (trompette, 2014), Géraldine Laurent (saxophone, 2008), Sophie Domancich (piano,1999).
Saxophoniste et flutiste, Sophie Alour (46 ans) qui compte déjà une riche carrière depuis ses débuts sur scène au début des années 2000. s’est illustrée l’an passé par son dernier album, Joy (Music From Source) une rencontre entre jazz et musiques orientales avec la participation de joueurs d’oud (Mohamed Abozekry) et de derbouka (Wassim Halal).
Le Grand Prix de l’Académie (le meilleur disque de l’année) a consacré une œuvre magistrale, « Data Lords » (ArtistShare), double album composé et joué par le grand orchestre de la jazzwoman américaine Maria Schneider, évocation du monde actuel en deux parties (le monde naturel et le monde digital).
Une autre Jazzwoman s'est invitée au palmarès, la saxophoniste Tineke Postma, couronnée par le Prix du Musicien Européen de l'Année.
L’Académie du Jazz a également récompensé du Prix du Disque Français l’album Interplay (Trebim Music/L’autre distribution) de Diego Imbert (basse) et Alain Jean-Marie (piano) pour un hommage à Bill Evans et Scott LaFaro, et du Prix du Jazz Vocal, le chanteur franco-belge David Linx pour « Skin in the Game » (Cristal / Sony Music) qui a devancé les chanteuses Kandace Springs et Anne Ducros.
Deux géants disparus du jazz sont également à l’honneur du palmarès 2020 : Charles Mingus (Prix du Meilleur Inédit pour « Bremen 1964 & 1975 » Sunnyside / Socadisc), et Dexter Gordon (Prix du Livre de jazz pour « Dexter Gordon Sophisticated Giant » signé de sa veuve Maxine Gordon et publié dans sa version française aux Éditions Lenka Lente).
Crise sanitaire oblige, le vote des académiciens (près de 50 participants) s’est opéré par internet à la fin janvier. Quant à la cérémonie traditionnelle de remise des prix, donnant lieu à des prestations musicales des lauréats en présence d’invités de la communauté du jazz (en 2020 au Pan Piper, en 2019 à la Seine Musicale) elle a été remplacée par une présentation du palmarès lors d’une émission spéciale de Jazz à FIP à laquelle participait le Président de l’Académie du Jazz, François Lacharme. Hommage a été rendu à cette occasion à Claude Carrière, décédé le 20 février dernier, et qui présida l’Académie de 1993 à 2004.
Prix Django Reinhardt (musicien.ne français.e de l’année) SOPHIE ALOUR, saxophoniste.
Finalistes : Benjamin Moussay, Grégory Privat.
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Grand Prix de l’Académie du Jazz (meilleur disque de l’année) : Maria SCHNEIDER ORCHESTRA pour « Data Lords » (ArtistShare).
Finalistes : Joshua Redman / Brad Mehldau / Christian McBride / Brian Blade « Round Again » (Nonesuch / Warner Music) et Fred Hersch « Songs from Home » (Palmetto / L’autre distribution).
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Prix du Disque Français (meilleur disque enregistré par un musicien français) : Diego IMBERT / Alain JEAN-MARIE pour « Interplay » (Trebim Music / L’autre distribution).
Finalistes : Pierre de Bethmann « Essais / Volume 4 » (Aléa / Socadisc), Multiquarium Big Band (Charlier / Sourisse) « Remembering Jaco » (Naïve / Believe).
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Prix du Musicien Européen (récompensé pour son œuvre ou son actualité récente) : TINEKE POSTMA (saxophoniste néerlandaise).
Finalistes : Matthieu Michel, Andreas Schaerer.
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Prix du Meilleur Inédit : CHARLES MINGUS pour « Bremen 1964 & 1975 » (Sunnyside / Socadisc) .
Finalistes : Paul Desmond « The Complete 1975 Toronto Recordings » (Mosaïc), Art Blakey & The Jazz Messengers « Just Coolin’ » (Blue Note / Universal).
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Prix du Jazz Classique : GUILLAUME NOUAUX & THE STRIDE PIANO KINGS (Autoproduction).
Finalistes : Hot Sugar Band & Nicolle Rochelle « Eleanora, The Early Years of Billie Holiday » (CQFD / L’autre distribution), Dave Blenkhorn / Harry Allen « Under a Blanket of Blue » (GAC Records).
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Prix du Jazz Vocal : DAVID LINX pour « Skin in the Game » (Cristal / Sony Music).
Finalistes : Kandace Springs « The Woman who Raised Me » (Blue Note / Universal), Anne Ducros « Something » (Sunset Records / L’autre distribution).
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Prix Soul : DON BRYANT pour « You Make Me Feel » (Fat Possum).
Finalistes : Robert Cray « That’s What I Heard » (Thirty Tigers), Izo FiztRoy « How The Mighty Fall » (Jalapeno).
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Prix Blues : ANDREW ALLI pour « Hard Workin’ Man » (EllerSoul).
Finalistes : Shemekia Copeland « Uncivil War » (Alligator / Socadisc), Jimmy Johnson « Every Day Of Your Life » (Delmark / Socadisc).
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Prix du Livre de Jazz : MAXINE GORDON, Pour « Dexter Gordon Sophisticated Giant » (Éditions Lenka Lente).
Finalistes : David Koperhant / Bruno Guermonprez / Rebecca Zissmann « 59 rue des Archives » (Éditions ActuSF), Robert Palmer « Deep Blues» (Éditions Allia).