Héraut du jazz un demi-siècle durant, producteur de radio, directeur de collection discographique, président de l’Académie du Jazz (1993-2004), pianiste, Claude Carrière décédé le 20 février à Paris d’un malaise cardiaque à l’âge de 81 ans, restera dans l’histoire de « la plus populaire des musiques savantes » comme l’infatigable admirateur de Duke Ellington.
L’une des dernières œuvres de cet aveyronnais de Rodez « monté » à Paris dans les années 50, aura d’ailleurs été la réalisation d’albums d’inédits d’Ellington pour la Maison du Duke, association dont il assurait la présidence, succédant à un autre fan du compositeur, Christian Bonnet.
Sa légitimité était incontestable. Claude Carrière avait, entre 1976 et 1984, diffusé en 400 épisodes l’œuvre intégrale de Duke Ellington sur les ondes de Radio France avec son émission simplement baptisée « Tout Duke ». Et c’est tout naturellement que Christian Bonnet et l’éditeur Slatkine lui avaient demandé de préfacer la version française de l’autobiographie du Duke (Music is my mistress, Mémoires inédits. Duke Ellington. 2016).
Mais il ne limitait pas sa passion du Duke à ces hommages de producteur et journaliste. Claude Carrière aimait à jouer la musique du Duke –et de son complice Billy Strayhorn- notamment en compagnie de la chanteuse Rebecca Cavanaugh et du guitariste Fred Loiseau (en attestent deux albums sous le label Black & Blue, ‘Looking Back' et ‘For all we know’).
Si le Duke était son idole, Claude Carrière n’aura cessé de prêter oreille à ce que le jazz pouvait apporter de vivant et surtout d’authentique et de lui donner droit de cité dans une émission unique en son genre, Jazz Club. Le tandem formé avec Jean Delmas présentera pas moins de 1150 émissions entre janvier 1982 et juin 2008 sur France Musique. Le concept, accepté par le directeur de l’époque de la station, René Koering, était révolutionnaire : inviter chaque vendredi soir pendant deux heures l’auditeur au cœur d’un club, ce « véritable laboratoire du jazz », selon l’expression de Claude Carrière.
« Sa principale qualité était que, comme il était lui-même musicien, il parlait d’égal à égal avec les musiciens, explique Arnaud Merlin, producteur à France Musique et programmateur de la série des concerts "Jazz sur le vif" à Radio France. Ce n’était pas un théoricien, il était de plain-pied avec la musique. » « Il avait une justesse de jugement sur les musiciens, j’oserais même dire une infaillibilité, qui m’étonnait en permanence » souligne Jean Delmas.
Le livre d’or de l’émission qui s’ouvrait sur un générique composé par le pianiste-chanteur Bob Dorough comprend le gotha du jazz planétaire : Dizzy Gillespie, Chet Baker, Elvin Jones, Roy Haynes, Milt Jackson, Brad Mehldau, Martial Solal, Jim Hall… Mais peut-être ce dont Carrière et Delmas étaient les plus fiers, c’est d’avoir ouvert leur micro à des jeunes musiciens, le guitariste Biréli Lagrène en 1982 (il avait 16 ans), le pianiste Manuel Rocheman en 1986 ou la saxophoniste Géraldine Laurent en 2007.
Cette passion pour le jazz, Claude Carrière la fera partager également aux lecteurs des magazines spécialisés ( Jazz Hot, Jazzman, Jazz Magazine) et aux collectionneurs de disques avec son travail pour plusieurs labels, dont RCA, Vogue, Dreyfus Jazz, Cristal Records.
« Le jazz est une musique fragile, nous confiait en 2007 Claude Carrière, il faut le soutenir » ... Mission accomplie par un amoureux du jazz, érudit (sans pontifier) et chaleureux, qui savait à merveille transmettre sa passion.
Jean-Louis Lemarchand.
©photo Jean-Louis Lemarchand