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2 février 2021 2 02 /02 /février /2021 10:17

Florin Niculescu (violon), Hugo Lippi (guitare), Philippe Aerts (basse), Bruno Ziarelli (batterie). Invité : Stochelo Rosenberg (guitare).
Théâtre de Longjumeau, novembre 2019. Label Ouest/L’autre distribution. Sortie le 5 février.

Trente ans déjà que Florin Niculescu arpente la scène française. Le temps du souvenir est arrivé pour le violoniste formé à l’école classique de sa Roumanie natale. Il prend la forme d’un album en petite formation qui rend hommage à ses idoles françaises de l’instrument.

 

Un titre, pièce maîtresse de cet enregistrement, résume cet esprit de révérence, ‘Suite for Michel, Stéphane, Jean-Luc et Didier’.  Dans le livret, Florin s’explique : Michel Warlop* « merveilleux violoniste et concertiste », Stéphane Grappelli* « mon père spirituel », Jean-Luc Ponty « un des premiers à avoir introduit des éléments rock et pop », enfin Didier Lockwood* « avec un système de pédales d’effet, il s’exprime de façon unique ».


Après les mots, les notes. En quelque treize minutes, déroulées en quatre mouvements (The Classician, Swing Wave, The Romantic, The Fusional) Florin Nicolescu retrace ainsi l’histoire du violon jazz à la française. Loin de l’hommage compassé, le violoniste délivre tout au long de ce disque où alternent compositions personnelles et standards (Stardust, The Nearness of You, Fascinating Rhythm) un salut bien vivant à ces maîtres de l’archet qui met en lumière sa virtuosité et sa sensibilité.
Stardust

Le Temps des Violons

 

Dans ce parcours vagabond, Florin Nicolescu peut compter sur deux guitaristes d’excellence, Hugo Lippi (prix Django Reinhardt 2019 de l’Académie du Jazz) et, sur trois titres, Stochelo Rosenberg. Un album qui met en joie ... hautement recommandé.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

Concert de sortie prévu le 23 mars au Studio de l’Ermitage, Paris.

 

SYMPHONIC Violin Jazz Classical Gipsy Tzigane
Florin Niculescu - Opportunity (Grappelli)
Florin Niculescu "La chanson des rues"
Florin Niculescu

 

*Michel Warlop (1911-1947),
Stéphane Grappelli (1908-1997),
Didier Lockwood (1956-2018).

 

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31 janvier 2021 7 31 /01 /janvier /2021 17:44

Rose Kroner, Neïma Naouri, Vanina de Franco, Emmanuel Lanièce, Augustin Ledieu (voix), Sylvain Bellegarde (voix, direction, réalisation), Stéphane Crochet (piano), Gille Naturel, Raphaël Devers (contrebasse), Frédéric Delestré (batterie)

Invité.e.s : Anne-Marie Jean, Chloé Cailleton, Solange Vergara, Emmanuel Inacio, Larry Browne, Edward Randell, Laurent Naouri (voix), Glenn Ferris (trombone), Jean-Loup Longnon (trompette), David Sauzay (saxophone ténor)

Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), Peillac (Morbihan), Verrières-le-Buisson (Essonne), sans date(s)

Black & Blue BB 1085.2 / Socadisc

 

L'hommage des Voice Messengers à leur fondateur et leader, Thierry Lalo, mort en 2018, et qui avait inventé en 1992, et porté avec passion, ce 'big band vocal' unique. Des arrangements qui n'avaient pas été enregistrés sur disque, et des pièces inédites, comme une composition de Vladimir Cosma, extraite de son opéra Marius et Fanny. Au renfort de chanteurs et chanteuses qui participèrent à l'aventure à différentes époques (Anne-Marie Jean, Solange Vergara, Chloé Cailleton, Larry Browne....), ou qui sont de fervents admirateurs (le baryton-basse Laurent Naouri, grand jazzfan devant l'éternel) s'ajoutent des instrumentistes-solistes amis (Jean-Loup Longon -qui signe un arrangement-, Glenn Ferris, David Sauzay). Un pur régal, de plage en plage, avec en apogée Mimi Medley, un florilège des adaptations vocales de Mimi Perrin pour les Double Six (Fascinating Rhythm, Tickle Toe, For Lena and Lennie, Rat Race....). Il en existait une formidable version dans le DVD filmé en concert voici plus de cinq ans -chronique sur le site des DNJ en suivant ce lien-, avec en soliste, notamment, Chloé Cailleton). Celle-ci ne démérite pas, loin de là. Et pour la plage conclusive, la voix de Thierry Lalo, en répétition : hommage à celui qui inventa ce groupe hors du communBref il faut se précipiter vers ce magnifique travail de jazz vocal, ou plutôt de jazz ET de voix. Des concerts avaient été prévus fin janvier pour la sortie du disque, concerts hélas annulés. On attend avec impatience de les retrouver sur scène, où ils donnent à chaque fois une formidable performance de musique intensément VIVANTE !

Xavier Prévost

.

Vous ne saurez jamais, poème de Marguerite Yourcenar, musique de Thierry Lalo

Mimi Medley, version de concert 2015, sur le DVD «Spring Tout Live !»

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23 janvier 2021 6 23 /01 /janvier /2021 10:55

Ayant rencontré Lennie Tristano et étudié avec lui, Lee Konitz entre dans l’orchestre de Claude Thornhill (1947-48), avec qui il enregistre. A New York, il joue au Royal Roost au sein du Tuba Band de Miles Davis et participe aux fameuses « séances Capitol » de “Birth Of The Cool » (1949-50). Parallèlement, il enregistre avec Tristano Intuition, jazz libre avant la lettre (« le premier album de free-jazz », dira-t-il) et se produit en compagnie d’un autre disciple du pianiste, Warne Marsh, avec qui il grave ses première faces en leader (1949). Au fil des années, il jouera avec quasiment tout le ghota du jazz, enregistrant notamment en duo avec Joe Henderson, Richie Kamuca, Jim Hall, Ray Nance, Eddie Gomez, Elvin Jones, Albert Mangelsdorff, Sal Mosca, Red Mitchell, Hal Galper, Jimmy Giuffre, Martial Solal, Karl Berger, Michel Petrucciani, Harold Danko, Franco D’Andrea, Alan Broadbent, Stefano Bollani, Dan Tepfer… En 1988 est présenté à Cannes un film que le Canadien Robert Daudelin lui a consacré : “Portrait Of The Artist As A Saxophonist”.

Curiosité, disponibilité et ouverture d’esprit étaient quelques unes de ses qualités les plus caractéristiques, Lee Konitz n’en finissait pas de se renouveler et de nous surprendre, jusqu’à la date de son décés en 2020, à l’âge de 93 ans.

Cet entretien s’est déroulé le 9 novembre 2006 dans l’après-midi précédant le concert du Lee Konitz New Nonette sous la direction d’Ohad Talmor à la Comète, scène nationale de Châlons-en-Champagne, dans le cadre du Reims Jazz Festival. Je me souviens encore de l’émotion qui s’était emparée de moi à l’écoute de la reprise, en rappel, de l’arrangement historique de Gil Evans sur Moon Dreams (“Birth Of The Cool”) réorchestré pour l’occasion en copié-collé — avec Konitz rejouant note pour note son propre « solo » immortalisé cinquante-six ans plus tôt. Comme si l’histoire et l’actualité balbutiaient et perdaient la tête, en se rejoignant devant nous…

Juan-les-Pins 1974, avec Nils Winther (SteepleChase Records).

N’en avez-vous pas un peu assez, Lee Konitz, qu’on évoque sans cesse « l’école Tristano » à votre propos ?

Uniquement quand je viens de finir de jouer du mieux que je le peux et quelqu’un vient me dire qu’il adorait ma façon de jouer en 1949 ! Mais j’apprécie beaucoup que cela impressionne tellement les gens. Le 3 septembre 2006, le jour de mon anniversaire, je jouais à Chicago et, avant de commencer, une dame est venue au micro dire que le maire de Chicago allait décréter que cette journée deviendrait le “Lee Konitz Day”. Sur le moment, je n’ai pas pensé que j’avais l’opportunité de dire que Lennie Tristano était également de Chicago, qu’il m’avait inspiré et que je désirais partager cette journée avec lui, juste pour lui manifester ma gratitude. J’ai oublié…

Fréquentez-vous sa fille Carol, la drummeuse ?

Non, nous avons eu des mots ensemble il a longtemps. J’ai eu le malheur de dire un jour que Tristano aimait fumer des pétards et elle a répondu : « Jamais il n’a fait ça ! ». Nous avions pourtant l’habitude de fumer ensemble, il s’en est suivi une amusante petite conversation avec elle…

Et le saxophoniste Lenny Popkin ?

Un jour, j’ai déclaré à la radio que les aficionados de Tristano avaient tendance à être un peu maniérés au sujet de leur musique, à ne pas en sortir et ne pas jouer à l’extérieur de leur cercle. Le téléphone a sonné immédiatement et il m’a dit « Va te faire foutre ! ». Récemment, je jouais au Sunset à Paris avec François Théberge, Popkin était là, il avait grossi, ça faisait longtemps que je ne l’avais vu, il était très amical et j’ai apprécié que nous puissions parler ensemble finalement.

Et n’êtes-vous pas fatigué de lire continuellement que vous êtes le premier alto à ne pas avoir joué comme Charlie Parker dans les années 40–50 ?

Non, l’intention qui est derrière le propos, plutôt que le propos lui-même, est plutot bien. Le fait est que, dans l’environnement de Tristano, on ne m’encourageait pas à aller dans cette direction et à aller étudier avec Charlie Parker. Bien sûr c’était le maître, mais je ne pouvais pas m’identifier à ce genre d’expression, ça ne fait pas partie de mes gènes.

Êtiez-vous proche de Warne Marsh ?

Pas tellement sur un plan personnel, nous étions parfois très proches musicalement, ce qui ressemblait à un miracle pour moi car je pense qu’il était vraiment l’improvisateur le plus pur de tous. Beaucoup de musiciens que j’ai entendus et que j’adore ont atteint des moments de pureté comme Lester Young avec Count Basie et Charlie Parker dans ses premiers enregistrements en particulier. Mais Warne, chaque fols que je l’écoute, j’ai une impression de grande capacité d’improvisation, de composition, de compréhension de ce qu’il fait. Bien sûr, nous sommes très peu à le savoir, même son nom, on l’orthographie mal, on l’appelle parfois “Wayne” Marsh. Mais, dans un siècle, comme Bach ou Mendelssohn, on dira : « Marsh ? Il est très bon, pas mal du tout… »

Juan-les-Pins 1974, avec Daniel Humair, Martial Solal, N.H.O.P.

Vous avez plusieurs fois travaillé avec le guitariste Derek Bailey…

Oui, brièvement, à des époques différentes. Au début [NDLR : en 1966, à l’occasion d’une tournée en Angleterre], nous avons joué All The Things You Are avec Gavin Brars et Tony 0xley, ils me suivaient d’une certaine manière sur ce que je pouvais jouer, j’aurais aimé en faire davantage, ça a passé tellement vite. Puis Derek a suivi sa voie, il m’a demandé de me joindre à lui. Ce fut une expérience unique. Il semblait souffrir beaucoup. Un jour, j’ai joué avec lui à Anvers [NDLR : en 1991 à DeSingel], je crois que j’ai commencé à faire une danse à claquettes, à faire des mouvements sur scène ou quelque chose de ce genre, je n’avais pas de mauvaises intentions du tout, c’était juste quelque chose de spontané, il avait l’air d’être offensé, j’ai entendu dire qu’il s’était plaint. C’était peut-être à cause d’autre chose, je ne sais pas. En tous cas je n’ai plus jamais joué avec lui après ça, il ne m’a plus invité.

Jazzklub de Lauwe (Belgique) 1991, avec Misha Mengelberg.

Vous avez aussi joué avec Misha Mengelberg…

Plusieurs fois, oui. Un jour, nous jouions en Hollande et il a commencé à jouer de longues lignes que je n’avais jamais entendues auparavant, je lui ai fait remarquer qu’il n’y avait pas d’espace du tout pour moi mais il a continué, si bien que je n’ai fait que l’écouter. Ça m’a bien plu, je ne l’avais jamais entendu faire ça, ce sont des types très bien, lui et Han Bennink.

Jazzklub de Lauwe (Belgique) 1991, avec Han Bennink.

Quelles sont vos relations avec Anthony Braxton ?

J’ai participé à un blindfold test pour un magaine anglais un jour, le type m’avait passé une série de disques que je n’aimais pas tellement, mais je ne tenais pas à expliquer en détail pourquoi je ne les aimais pas. Il y avait un disque de Sun Ra, je lui ai dit quelque chose sur le fait que je n’aimais pas trop, puis il a passé un disque de Charlie Parker de 1942 je crois qui jouait Cherokee et j’ai dit que j’adorais ça. Ensuite il a passé un disque d’Anthony Braxton qui jouait une ligne de Tristano. Je me suis senti outragé et j’ai dit : « Entre nous, il ne swingue pas, il n’a pas un beau son et il n’a pas d’idées sur ce type de musique ». Et bien sûr ça a été publié. Je lui ai envoyé un mot finalement quelques années plus tard auquel il n’a jamais répondu, car il avait toujours dit des choses gentilles à mon égard. Je faisais seulement référence à l’univers de Tristano auquel j’avais le sentiment qu’il n’avait du tout rendu hommage, c’était visiblement son hommage car il prétendait adorer Warne Marsch et Lennie mais il ne faisait que jouer les phrases plus vite que nous le faisions, puis il partait dans des cris perçants et des couinements. Ce n’est pas ce dont il s’agit, Anthony, il s’agit de swinguer et de jouer de belles notes avec une superbe sonorité, c’est ce que nous avons travaillé tout au long de notre vie, ainsi que Lennie. C’était une manière d’éluder la question et d’éviter de dire que nous avions lui et moi joué quelques morceaux un jour sur un disque de Dave Brubeck [NDLR : “All The Things You Are”, Atlantic, 1976],  c’est à cette occasion que je l’ai entendu jouer le mieux dans le style, mais on sentait tout de même que ce n’était pas sa musique principale…

Nice 1978, avec Red Mitchell.

Pourquoi avez-vous cessé d’électrifier votre saxophone dans les années 60 ?

C’était amusant pendant un moment, j’ai joué du Varitone et ce genre de choses. Je me souviens que j’en ai joué au Montmartre à Copenhague, Dexter Gordon était assis au bar et j’ai pensé :  « Oh mon Dieu ! ». Il est venu vers moi, m’a regardé de haut en disant : « Qu’est-ce que c’est que cette électronique ? » Je lui ai répondu que j’avais l’impression d’être plus fort et il a éclaté de rire. Je ne pouvais en tirer un son noble mais, quand je l’éteignais, ma sonorité normale avait l’air tout étriquée. Je l’ai donc mis dans un placard à New York et j’ai cessé d’en jouer.

Vous n’avez jamais été tenté par l’EWI ?

Non, je sais que Michael Brecker en jouait. Vous savez, j’essaie encore d’obtenir le son que je cherche, le saxophone est probablement l’instrument le plus flexible, on peut moduler le son en fonction du souffle, des anches dures ou des anches faibles etc., c’est ce que j’essaie de faire. Parfois, on vient me voir en me disant que ma sonorité était meilleure dans les années 40, je réponds : « Merci beaucoup, mais voilà la sonorité que j’ai maintenant ! »

Nice 1980, avec Jimmy Raney.

Jouez-vous encore du soprano ?

J’aime beaucoup jouer du soprano, j’avais pensé le prendre cette fois-ci en tournée, mais comme je dois voyager le plus léger possible, je ne prends que l’alto. De plus, je n’aime pas vraiment changer d’instrument, c’est comme si le son changeait d’un seul coup. Pourtant, j’ai commencé à la clarinette et au soprano. J’aimerais aussi jouer du ténor, mais c’est vraiment trop lourd à porter. Dans les disques que j’ai faits au ténor, je pense qu’on retrouve ma voix.

Dans le disque "Gil Evans and Ten”, vous êtes crédité sous le nom de Zeke Tolin. C’était pour des raisons contractuelles ?

C’était une anagramme, je crois que j’étais sous contrat avec Verve à l’époque et j’ai précisé qu’il valait mieux que je ne prenne pas de solo, d’ailleurs Steve [Lacy] joue très bien dans le disque. C’est Gil qui a trouvé cette anagramme. Vous connaissez bien sûr l’anagramme de Gil Evans, Svengali ? Et connaissez-vous l’anagramme de listen [écouter] ? silent [silencieux] !, C’est moi qui l’ai trouvée celle-là…

Zurich 1994, avec Michel Petrucciani.

Avez-vous joué avec Thelonious Monk ?

Malheureusement non, je me suis toujours dit que jaurais dû. Je n’ai jamais tellement joué ses morceaux, bien qu’il ait joué des standards. Je me disais que ça serait amusant de jouer avec sa manière d’accompagner, mais je ne connaissais pas très bien ses morceaux, et ça aurait été un problème. Steve Lacy était un érudit de Monk, et Monk l’a fait jouer avec lui dans certaines circonstances.

Y a-t-il d’autres musiclens avec qui vous regrettez de ne pas avoir joué ?

J’aurais aimé jouer avec Herbie Hancock dans une situation comparable, j’aimerais faire le boeuf avec le groupe de Wayne Shorter, la manière dont ils improvisent aujourd’hui me semble très intéressante.

Bruxelles 1978, avec Martial Solal.

Et parmi les musiciens plus âgés ?

Qui est plus âgé de nos jours ? Je n’ai jamais pensé que je pourrais être compatible avec McCoy Tyner… Ils l’appellent Mac Coy Tyner ici dans le programme à Châlons-en-Champagne, je me demande toujours comment on va orthographier mon nom. Cette fois-ci c’était correct !

Et Charlie Parker, vous avez joué avec lui ?

Pas vraiment, nous avons fait partie d’une même tournée mais nous n’avons pas vraiment joué ensemble, si ce n’est dans sa chambre d’hôtel. J’avais une chambre contiguë à la sienne, je me chauffais un peu avant le concert et il m’a invité dans sa chambre, il était dans les vapes, nous avons essayé de jouer Donna Lee mais il n’a pas réussi. Le lendemain, je sais qu’ils ont essayé d’enfoncer sa porte pour le réveiller avant le concert. C’était un homme malade, un grand homme, mais il a payé cher pour ça. Chaque fois que j’occasion d’en parler, je délivre mon message : ma seule expérience avec la drogue fut avec la marijuana, ce qui était suffisant pour avoir un effet sur ce que j’étais en train de faire sur le moment. Avec des cotés très négatifs aussi, c’est pourquoi j’ai arrêté il a longtemps.

Travaillez-vous encore avec Paul Motian ?

Comme vous le savez sans doute, Paul ne peut plus prendre l’avion. Il joue avec différents musiciens à New York et il est très content. Chaque fois que je l’entends, il joue de manière magnifique. J’ai joué avec lui à New York en compagnie de Jason Moran et de la violoniste Jenn Scheinman. Il a 77 ans et ressemble à un jeune homme, tout comme Roy Haynes qui a 82 ans et qui joue lui aussi très bien. Quand j’étais à New York, c’est amusant, j’ai entendu Roy deux fois, il a un très bon altiste  [NDLR : Jaleel Shaw] et un bon pianiste cubain je crois [Martin Bejerano]. Je les ai entendu deux fois au Dizzy’s Club Coca Cola. La première fois, Roy était très calme sur scène, mais la seconde fois, à la fin d’un grand set il est venu au micro : tout le monde attendait qu’il présente les musiciens et il a commencé à se plaindre de quelqu’un qui prenait des photos et ça a duré longtemps. Il s’en est pris au patron du club en hurlant qu’on ne l’avait pas prévenu. Nous avons un mot en yiddish pour ça : “kwetching”, il est parti dans son délire “kwetch”…

Anvers 1979, Lee Konitz Nonet, avec Ronnie Cuber, Red Rodney...

Savez-vous que Sonny Rollins a rompu son contrat avec Milestone et a monté son propre label Doxy Music Records ?

Non je ne le savais pas, je suis content de l’apprendre.

Que pense-vous de l’industrie du disque ? Êtes-vous encore sous contrat ?

Non. Personnellement je ne me plains pas, j’ai suffisamment de travail et j’ai du temps pour me détendre à la maison. J’ai entendu parler de l’expérience de Maria Schneider et Jim Hall et de leur site d’achat de musique en ligne ArtistShare [www.artistshare.com], Maria disait qu’elle avait payé 80 000 dollars pour enregistrer son album et qu’elle en avait touché 47 000 en retour la première semaine. C’est très bien, il est évident que c’est dans cette direction que nous allons. Pour en revenir à Sonny, dans le livre Lee Konitz - Conversations On The Improviser’s Art, édité par The University of Michigan Press, qui vient de sortir et qui est composé d’interviews menées par le journaliste anglais Andy Hamilton, j’ai signalé que j’appréciais certaines des choses qu’a faites Sonny mais que je n’ai jamais aimé quand il jouait des sous-standards éculés. Andy a appelé Sonny pour lui demander d’écrire quelque chose pour le livre et lui a rapporté mes propos. Sonny aurait répondu : « Ah ah, c’est comme ça ? On va devoir faire un duo ensemble ! ». Mais si je joue en duo avec Sonny, je suis foutu, j’ai intérêt à être très fort, je ne suis pas qualifié pour jouer de cette manière pendant quarante minutes. En tous cas, c’était une jolie réponse…

Lisbonne 2003, avec Joey Baron, Geri Allen et Steve Lacy.

Faltes-vous des concerts en solo ?

C’est ce que je fais tous les jours chez moi. Alors si on me demande de le faire devant un public en étant payé, je suis ravi. Je me dis souvent que j’al de la chance de continuer à jouer et d’être toujours impliqué dans la musique. Au Birdland à New York, j’ai entendu le saxophoniste alto Benny Waters. À 96 ans il avait le plus gros son que j’aie jamais entendu ! Vous connaissez la célèbre remarque de Eubie Blake alors qu’il allait avoir 100 ans ? « Si j’avais su que j’allais vivre si longtemps, j’aurais pris soin de moi ! »

Qu’auriez-vous fait si vous n’étiez pas devenu musicien ?

J’aurais pu être SDF (rires)… Je ne sais pas, je n’ai jamais développé d’autre aptitude. Mon père tenait un établissement de nettoyage, je ne pense pas que j’aurais pu me diriger dans cette direction. Je ne sais vraiment pas ce que j’aurais fait, je trouve que j’ai de la chance d’avoir trouvé un moyen de m’occuper dans la vie.

Bordeaux 2004, avec Ed Schuller.

Quel conseil pourriez-vous donner aux jeunes musiciens ?

Je voudrais leur dire qu’il est très gratifiant de pouvoir rester enthousiaste et de franchir les préliminaires pénibles afin de trouver la meilleure manière de s’exprimer et les meilleurs musiciens avec qui le faire. Quand on connaît les drames qui se déroulent de par le monde, il est appréciable de réussir à gommer toutes les pensées terribles de la tête des gens pendant une heure, c’est un honneur. Je suis allé jouer en duo avec Paul Motian à New York un mois après la tragédie du 11 septembre en me demandant ce que les gens allaient penser d’un type qui improvise avec un batteur pendant une heure. Eh bien, les gens sont restés assis à écouter pendant tout le concert et ils semblaient heureux, voilà ce que je souhaite aux jeunes musiciens.

Propos recueillis (et traduits) par Gérard Rouy.

Toutes les photographies sont de © Gérard Rouy.

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20 janvier 2021 3 20 /01 /janvier /2021 17:21
FRANK MEDIONI- LOUIS JOOS  UNE HISTOIRE DU BEBOP

FRANK MEDIONI- LOUIS JOOS

UNE HISTOIRE DU BEBOP

Charlie. Dizzy. Miles. Kenny. Bud. Monk. Et les autres.

Editions du Layeur 2020

Nouveautés | Éditions du layeur (edtionsdulayeur.com)

Éditions Du Layeur | Beaux livres | France (edtionsdulayeur.com)

 

Noël est passé mais il est toujours temps de se faire plaisir et/ou d’offrir un beau livre sur un sujet passionnant, l’irruption d’un style musical qui révolutionna l’histoire de la musique aux Etats-Unis. Le bebop a donné au jazz ses lettres de noblesse, il semble revenu à la mode, question de cycle. Dizzy Gillespie aurait eu cent ans en 2017, Charlie Parker en août 2020.

Une histoire du bebop sortie aux Editions Du Layeur se déploie dans un livre élégant et aéré, entre respect des faits, chronologie souple et espace poétique de la peinture. Un grand plaisir de lecture, 268 pages de texte et d’images rares, agencées de façon surprenante, mettant en avant le regard d’un peintre autant que l’histoire d'un mouvement et de ses figures créatives. Le jazz, dans les livres d’art, c’est du noir et blanc et souvent de belles photos au cadrage précis. A moins que ce ne soient comme ici, de sublimes planches encrées qui mettent en musique le texte dans un écrin unique. Une très belle conception graphique (Eloïse Veaute), un design qui joue avec la typographie, le blanc et le noir et les pleines pages de Louis Joos, peintre et pianiste de jazz qui résume à lui seul les affinités sélectives entre expressions graphiques et musicales.

Attardons-nous sur ses encres, faites de soupirs, de silences, jamais de repentirs, qui n’illustrent pas au sens classique, le texte vif et documenté de Frank Medioni sur la révolution musicale, à New York, dans les années 40, qui traça une ligne de partage entre jazz classique (la Swing era et ses big bands, une musique de danse et d’entertainment) et le jazz moderne.

Comme dans une vraie association, des complicités se créent entre deux disciplines différentes. Alors que Frank Medioni rend compte de la complexité de cette révolution mélodique, harmonique, rythmique, les aplats sombres, les traits à vif, le geste continu, le surgissement du travail conçu sans vrai scénario de Louis Joos restituent la vie des boppers. Tous deux font revivre au fil des pages, les figures majeures, la puissance de  jazzmen que l’on reconnaît à des accessoires ou détails : le météore Charlie Christian, Bud et Monk, les pianistes phare du bop, Kenny Clark le batteur qui ouvrit la voie à toute une génération, Mingus, et une mention spéciale pour Charlie Parker, un aventurier au sens de Debord, à savoir “celui qui fait arriver l’aventure”. Peu de femmes, le nom de Sarah Vaughan apparaît astucieusement sur les marquises des clubs.

Louis Joos livre ses encres d’un noir profond où les contours ne sont pas cernés, où le noir et blanc s’affrontent sans cesse sur le champ de la page. Une juste traduction, soulignée par le texte, de la vie des musiciens en club, du rythme épuisant des concerts (Sex, drugs & bebop), de la force du collectif à l’oeuvre de l’intensité, la violence douloureuse de la vie de  musiciens en proie au racisme et à une farouche ségrégation (le bruit de la matraque du flic … sur le crâne de Bud Powell). On partage la vision du Harlem de ces années-là, la vibrante évocation des rues (la 52ème), les clubs, le Minton’s Play house crée l’événement, avant que l’histoire ne se fasse à l’Onyx (l’acte de naissance du bop) avec Dizzy dont le titre de l’autobiographie joue avec le rebond To be or not to bop. Il est vrai qu’il est insurpassable quand il s’agit de “Groovin high”, de “Salt peanuts”, chevaux de bataille du bebop. Bird et Dizzy sont liés à jamais, musicalement, mais le bebop est oeuvre collective. S’il s’attarde bien volontiers sur ses singuliers chefs de file, Frank Medioni cite tous les autres, la liste est longue et ne passe pas sous silence les seconds couteaux. (p.148).

Première expression d’une musique libérée, expérimentée lors de jazz sessions redoutables, cette “musique pour musiciens” est allée de pair avec les créations de la Beat Generation de Ginsberg, Ferlinghetti et évidemment Kerouac. Frank Medioni, en hommage à cette musique inouïe, au sens premier, d’homme en quête de liberté, a la bonne idée de citer le 239 ème chorus du Mexico City Blues, mais aussi “Rentrant à pied avec Charlie Parker” de Bob Kaufman.

La France n’est pas oubliée dans la dernière partie du livre, avec la guerre fratricide du jazz entre figues moisies et raisins verts, la naissance du schisme entre Delaunay et le pape Panassié. Le livre se termine d’ailleurs sur les bulles du pape, signées par les faux prophètes du jazz, à savoir Delaunay, Hodeir, Vian, dans le numéro de Jazz Hot de 1950. Le jazz à Saint Germain des Prés, toute une époque qu’anime le très actif Boris Vian, chantre du be bop.

Frank Medioni a réalisé un travail précis et précieux qui conviendra aux amateurs éclairés mais constituera une vraie découverte pour les non initiés comme le souligne judicieusement dans sa préface le roi René, notre René Urtreger. Le lyrisme de Louis Joos épouse parfaitement le sujet, la vie d’êtres passionnés, tendus vers la réalisation d’un objectif essentiel, la création de leur musique.

Il n’est pas superflu en ces temps d’inquiétude de se faire plaisir, de s’évader à travers un regard double, même tourné vers le passé.

Sophie Chambon

ÉDITIONS DU LAYEUR - BEBOP ♫ - YouTube

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19 janvier 2021 2 19 /01 /janvier /2021 09:32

Concert à huis-clos en raison de la pandémie, dans la grand studio 104 de la Maison de la Radio (…. et de la Musique, comme le revendique sa nouvelle appellation officielle). Mais pas totalement sans public car, hormis les quelques professionnels et amis des musiciens qui sont dans la salle, les techniciens et l'équipe de production de Radio France, constituent aussi, sous la houlette d'Arnaud Merlin, un public de choix, attentif et engagé dans l'écoute. Et surtout la seconde partie du concert, à 19h, est en direct sur France Musique dans l'émission 'Jazz Club' d'Yvan Amar, pour un très large public d'auditeurs, si l'on en juge par les nouvelles audiences record des chaînes de Radio France, dont France Musique.

THÉO CECCALDI 'Dango'

Théo Ceccaldi (violon), Valentin Ceccaldi (violoncelle), Guillaume Aknine (guitare)

Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), 16 janvier 2021, 17h30

Après une balance où un nouveau morceau côtoyait le répertoire du disque paru voici un peu plus d'un an, et après quelques négociations entre l'ingé son du groupe, les musiciens et les équipes de Radio France, l'heure du concert est arrivée. Changement de costume(s), mais dans le même décor.

On commence du côté de Honeysuckle Rose, mais l'on a parfois l'impression que rôde le fantôme de I Got Rhythm, passé à la moulinette.... puis au grill ! Ça vit, ça bouge, et après un échange entre violon et guitare sur une basse obstinée délivrée par le violoncelle, on atterrit du côté de Minor Swing (thème effleuré mais citation du solo de Django) et le violon s'envole, sur une pulsation propulsive du tandem basse-violoncelle. Pour sûr, ça swingue !!! Et quand ils ont terminé le public, dont je suis, réfrène son désir d'applaudir : hors techniciens, nous sommes une dizaine, et un bruyant enthousiasme paraîtrait chétif dans cette salle de plus de 800 places.... Voici maintenant, lent et intense comme un madrigal italien ou une mélodie baroque anglaise, un thème qui va évoluer vers un crescendo hyper expressif, et très libre. Une petite mélodie entêtante viendra s'insérer, débouchant ensuite sur des sons saturés de guitare et de violoncelle jouant en accords. Viendra ensuite l'une des deux composition de Django, Rythme futur. Le modernisme de Django, visionnaire en 1940, est décuplé, déconstruit, et sublimé en une sorte de free swing. Et le voyage continue, mouvementé et enthousiasmant. On entend brièvement la voix de Django évoquant son activité d'artiste peintre, et c'est reparti, plein swing, malmené avec talent et maestria. Puis ce sera un à nouveau grand moment de lyrisme au violon (le violoncelle dans ce registre n'aura pas été de reste) avant un conclusif Manoir de mes rêves, l'autre composition de Django au programme de ce concert comme du disque, délivrée dans son dépouillement limpide. Le solo de guitare est magique, chantant comme un trésor manouche. Le disque m'avait légèrement laissé sur ma faim : le concert m'a comblé !

LEÏLA MARTIAL 'Baa Box'

Leïla Martial (voix, flûte à coulisse, sanza, électronique, objets divers), Pierre Tereygeol (guitare, voix), Éric Perez (percussions, voix, percussion corporelle)

Paris, Maison de la Radio (et de la Musique), 16 janvier 2021, 19h

En direct sur France Musique dans l'émission 'Jazz Club', réécoute en suivant ce lien en fin de compte-rendu

C'est en direct, avec un nouveau programme, plus acoustique que les précédents, avec relectures de thèmes antérieurs. Noblesse de l'improvisation et du direct.

Le trio commence sur l'avant scène, devant un couple de micros pour un son très acoustique. Leïla Martial engage, sanza en main, un chant inspiré par la tradition vocale pygmée, rejointe très vite par la guitare de Pierre Tereygeol et la voix (avec percussions corporelles) d'Éric Perez. On est embarqué. La pulsation va se parer ensuite d'une sorte d'effet choral qui est certainement l'une des signatures de ce trio très singulier. Puis la chanteuse va introduire à la flûte à coulisse ce qui deviendra une chanson tendre avant l'entrée de guitare et percussions pour une impro vocale estilo andaluz.

Puis c'est un thème du disque «Baabel» (publié en 2016), remanié, et introduit par la voix et les percussions corporelles d'Éric Perez : l'esprit d'André Minvielle plane sur cette impro rythmo-vocale. Leïla Martial souffle en chantant dans ses minuscules bouteilles assemblées comme une espèce de flûte de pan, avant de rejoindre dans l'arrière plan ses compagnons dans l'autre dispositif : chacun(e) sa place, chacun(e) son micro. Après un crescendo de folie, on va revenir au chuchotement : magie de cette musique intensément vivante. Je n'en dirai, ou plutôt n'en écrirai, pas plus : courez vers le lien de France Musique (ci-après) écoutez le très beau rendu sonore concocté par les techniciens de France Musique avec le concours attentif de Mathieu Pion, l'ingénieur du son de trio. Une fois de plus, et malgré l'absence de public, ce concert fut un beau moment de musique.

Xavier Prévost

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Baa Box était diffusé en direct sur France Musique : réécoute en suivant ce lien

https://www.francemusique.fr/emissions/jazz-club/jazz-sur-le-vif-leila-martial-baa-box-91004

Le trio 'Django' de Théo Ceccaldi sera diffusé ultérieurement sur France Musique 

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18 janvier 2021 1 18 /01 /janvier /2021 08:54


Yaron Herman et le déclic créatif à la portée de tous

 

 

 

Les DNJ : «  Tu viens de sortir un livre ( « le déclic créatif » - Editions Fayard), dont le postulat de base est que nous avons tous en nous, quelque soit notrLese environnement et notre profession, un potentiel créatif qui ne demande qu’à s’exprimer. Ai-je bien compris ? »

 

YARON HERMAN : « Oui. La volonté de l’écrire vient de motivations qui sont liées à mon expérience personnelle. J’ai commencé le piano très tard, vers l’âge de 16 ans et personne ne se doutait que je pouvais devenir pianiste. Je n’avais aucune prédisposition en matière en matière de créativité. J’étais juste dans la bonne moyenne. Mais c’est suite à une rencontre avec un professeur extraordinaire ( Opher Brayer) qui avait une méthode très particulière et très innovante, qui mettait en avant la créativité et le fait que l’on peut tous mobiliser l’énergie qui nous habite. Tout le voyage qui a suivi a été la découverte de moi-même et de mes capacités. Avec la Covid, je ne fais pas de scène et c’était le moment pour moi de faire un arrêt et de prendre un peu de recul par rapport à mon trajet, de me poser la question de ce que je pouvais apporter à la société en tant qu’artiste. Faire un peu de reverse engeneering. Cette transmission me tenait à cœur. »

 

Les DNJ : «  Il y a trois notions qui se bousculent. Celles de créativité, de talent et de passion. Comment ces trois notions se rencontrent t-elles ? Car finalement lorsque tu commences l’apprentissage du piano, ta passion à ce moment-là était le basket. Le terrain n’était donc pas propice »

 

YH : « Déjà, c’est quoi la créativité ? Pour moi c’est la manière d’exprimer son unicité au travers d’une idée. C’est la capcité d’exprimer une idée qui nous est propre. Le but n’est pas de devenir Mozart ou Stve Jobs, c’est vraiment qu’elle est faite pour nous , nous apporter un bien être et un sens à la vie autre que par les choses que l’on est sensés faire comme aller travailler, manger, gagner sa vie etc…. C’est donc quelque chose de très personnel. Dire au gens que la créativité est réservée à une élite et n’est pas faite pour eux est une idée fausse.

Les DNJ : «  Et le talent dans tout ça ? »

 

YH : «  c’est encore une notion un peu vague. On peut plutôt parler de vitesse ou de capacité d’apprentissage. Avant de commencer le piano, personne ne se doutait que je pourrais avoir un talent en la matière.Mais j’ai appris comment apprendre. Derrière cela il y a l’idée que même si on ne deviendra pas tous des pianistes concertistes ou des performers d’élite, nous avons tous la capacité de mieux apprendre et d’optimiser nos capacités. »

 

Les DNJ : «  la créativité est liée à l’apprentissage ? »

 

YH : « les deux sont liés. On a l’idée préconçue que le talent serait quelque chose qui tombe du ciel. Mon expérience m’a amené à constater que les gens les plus doués sont ceux qui travaillent le plus. Il faut remettre les choses à leur place »

 

Les DNJ : « Tout peut être prétexte à créativité ? »

 

YH : «  Dans l’album que j’ai enregistré avec Ziv Ravitz, il y a un morceau qui l’illustre bien les différentes étapes de la créativité. Tout vient d’une tournée que je faisais et qui m’amenait au Japon. Dans l’avion, au dessus de ma tête, le cliquetis du bruit de la clim. Cela m’est insupportable. Mais au bout d’un moment j’écoute ce bruit. Il est sur trois temps. Au bout de quelques temps je me dis que cela pourrait être un petit motif pour la main gauche. Je le note sur le petit carnet que j’ai toujours avec moi.Ensuite j’imagine une mélodie. J’ai ensuite oublié cette histoire. Une fois revenu à Paris, j’ouvre le cahier et je vois qu’il est noté «  Clim-trois temps. » . Je retrouve la mélodie et à côté de moi il y avait une partition de Bach que je travaillais et dans la mélodie il me manquait une partie. Et du coup je triture la partita, je la met à l’envers et je me rends compte que cela colle plutôt bien. Je fais un puzzle et là ça marche »

 

Les DNJ : « Tu parles aussi du rapport au jeu et tu dis qu’il n’y a pas de créativité sans jeu »

YH : «  Ce qui est intéressant avec le jeu c’est que c’est lorsque l’on joue que l’on est le plus heureux. Il y a un cliché ( qui est vrai par ailleurs) qui dit que si on est passionné et que l’on joue ce n’est pas vraiment du travail. Quand on est absorbé par un jeu on ne voit pas le temps passer. On est absorbés parce que nous sommes en fusion avec ce que l’on est en train de faire. Plusieurs études montrent que plus on est dans le flow plus on est heureux.  On est transportés dans un monde où l’on est juste là, à ce que nous faisons »

 

Les DNJ : » et il n’y a plus le regard des autres »

 

YH : «  exactement. Le monde s’eclipse et on es juste en train d’être, tout simplement. C’est de plus en plus difficile parce que l’on est de plius en plus cosncience de notre environnement, des critiques, des comparaisons que l’on se fait intérieurement. On oublie cette capacité à s’oublier en faisant quelque chose. »

 

Les DNJ : «  La créativité c’est à portée de tous, alors ? »

 

YH : «  les fausses excuses ont de multiples visages. C’est comme le Dieu aux mille visages de Games of Throne. La créativité n’est pas une barrière infranchissable et en prenant conscience que c’est tout à fait à notre portée, on peut commencer par des petits pas ( les baby steps) et voire les résultats pratiquement à chaque étape. »

 

Les DNJ : « Le jazz est t-il un terreau propice à la créativité ? »

YH : «  Pour moi la réponse est oui. Le jazz est pour moi la musique qui permet le plus l’expression personnelle dans le sens où il n’y a pas de barrière. Le jazz utilise beaucoup de matières premières que ce soit la tradition ou le passé écrit par les grands maîtres qui nous ont précédés et puis le fait que l’improvisation soit au coeur de cette musique est pour moi un vecteur de vie et d’imaginaire.

 

propos receuillis sur Jazzbox (Aligre Fm 93.1)

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9 janvier 2021 6 09 /01 /janvier /2021 11:18

GUILLAUME NOUAUX ET LE JAZZ PETILLANT

 



A l'occasion de la parution de l'album de duos de Guillaume Nouaux avec quelques piansites du stride, nous avons rencontré le batteur.
Retour sur ce formidable album totalement jouissif.
 

Les DNJ : » Qu’est ce que le piano stride ? »

GN : «  le piano stride est une technique de jeu de piano qui consiste à ce que le pianiste soit un homme orchestre à lui tout seul en ce sens qu’il joue les basses avec son petit doigt de la main gauche et les accords avec les autres doigts de la même main et avec l’autre main il joue la mélodie ou improvise. C’est un technique qui est apparue dans les quartiers de New-York autour des années 20. A partir de là n’importe quel morceau peut être interprété en stride, du be-bop jusqu’à la variété.

Les DNJ : «  il y a des héros du piano stride comme James P Johnson ou Fats Waller mais la démonstration de cet album est effectivement que tout peut se jouer en stride, comme ce "tea for two"qui figure dans l’album. Est-ce toi qui a fait le choix des morceaux ? »

GN : « en réalité ce choix a été fait d’une manière concertée avec les pianistes invités dans l’album. Je leur ai d’abord proposé deux morceaux pour ouvrir le débat et parfois ils m’ont fait d’autres propositions »

 

Les DNJ : «  Effectivement car il faut préciser qu’il y a plusieurs duos dans cet album. Il ya 7 pianistes qui interviennent .Pourquoi ce choix ? »

GN : «  J’ai à un moment réalisé que j’avais eu la chance de jouer avec de très bons pianistes de stride. Au cours de ces rencontres je me disais que j’aurai aimé faire un album en duo avec untel ou untel. L’idée de faire plusieurs albums de duos n’aurait pas été forcément judicieuse. Du coup je me suis dit, finalement pourquoi choisir ?"
 

Les DNJ : «  Comment as-tu fait ces choix ? »

GN : «  il ne s’est pas agit d’un sélection exclusive. Mais ce sont des pianistes avec lesquels j’avais un certain feeling. Je trouve que bien que s’agissant de stride, chacun des 7 pianistes a vraiment un style, une patte différente dans leur façon de jouer et c’est cela qui m’a intéressé. Mettre dans un même album la variété du style stride »

 
Les DNJ : «  mais même s’agissant de toi, on a l’impression que ton jeu n’est jamais le même au cours de ces différentes plages »

GN : « Disons que je ne me pose pas beaucoup de question avant de jouer. Cela vient comme ça. Je m’adapte naturellement à ce que j’entends. Mais je pense conserver ma propre personnalité tout au long du disque. Je ne cherche pas l’exercice de style. »


Les DNJ : » quand on voit les batteurs modernes qui ont des batteries de plus en plus imposantes ou compliquées, toi on a l’impression que tu fait des prodiges avec un matériel de base »

GN : « Disons que c’est une batterie assez classique, une grosse caisse, deux toms, cymbale et caisse claire. C’est classique. Mais c’est surtout dans mon approche que peut être je diffère un peu. Les batteurs modernes utilisent beaucoup les cymbales. Dans l’accompagnement du stride je trouve que cela ne marche pas très bien. D’abord par rapport au volume sonore du piano acoustique et pour éviter d’avoir trop de résonances. C’est pourquoi que j’utilise beaucoup plus les peaux. Les cymbales ne viennent que pour ponctuer plus que pour tenir le tempo. »

 



Les DNJ : «  Peux-tu nous en dire plus sur les 7 pianistes qui t’accompagnent sur cet album ? »


GN : « Oui, il y a deux pianistes Français, Alain Barrabès avec qui je joue depuis longtemps et Louis Mazetier. Il y a aussi Bernd Lhotzky qui est allemand, Chris Hopkins qui est américain et deux italiens, Lucas Filastro et Rossano Sportiello qui vit à New-York et enfin le Néerlandais Harry Kanters."

 

Les DNJ : « Cet album fait suite au précédent «  Guillaume Nouaux and the clarinet kings », c’était le même principe ?"

 

GN : « Dès le départ j’avais imaginé deux albums l’un avec des clarinettistes et l’autre avec des pianistes.  Au départ j’étais passionné par la formule piano/clarinette/batterie, formule que je trouve particulièrement intéressante parce que très différentes des autres formats jazz. C’est le format dans lequel, en tant que batteur je me sens plus à l’aise, plus libre. Je peux intervenir rythmiquement mais aussi dans le discours d’une manière plus mélodique. Finalement le duo me donne la possibilité de plus mettre en valeur les solistes »

 

Les DNJ : « J’ai vu que tu avais joué avec Steve Lacy. C’est très différent de ton univers ? »

GN : «  Oui cela date de ma période bordelaise. J’ai aussi joué avec Luigi Grasso il n’y a pas longtemps et Harry Allen qui sont à la frontière du jazz traditionnel. J’ai aussi joué aux côtés de Yoann Loustalot, avec Samy Thiebaut. Je n’ai pas fait que du jazz traditionnel dans ma vie mais c’est vrai qu’aujourd’hui c’est là où je me retrouve le mieux. J’adore ça. J’ai l’impression d’avoir trouvé ma voie là-dedans. »

Les DNJ : «  Penses tu que le public jeune peut revenir à cette musique-là ? »

GN : « Je pense que oui. D’ailleurs je suis agréablement surpris de voir grâce aux réseaux sociaux qu’une nouvelle génération se remet à jouer cette musique. Le jazz traditionnel n’est pas mort, il ne l’a jamais été. Il s’est juste rajouté d’autres formes. Chaque forme a ses spécialistes, comme en musique classique. Un jazz ne tue pas l’autre »

Les DNJ «  tu es aussi passeur, tu donnes des conférences »

GN : «  oui mais j’ai décidé d’arrêter car cela devient difficile avec les concerts. Mais j’aime transmettre ce que je pense avoir compris aux plus jeunes. Sans prétention je me dis que j’ai peut-être un rôle à jouer"

Interview réalisée le 14 novembre 2020 au cours de l’émission Jazzbox  (Aligre Fm 93.1)


                                                               

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7 janvier 2021 4 07 /01 /janvier /2021 17:47
  MAXINE GORDON    DEXTER GORDON SOPHISTICATED GIANT

MAXINE GORDON

DEXTER GORDON SOPHISTICATED GIANT

 

EDITIONS  LENKA LENTE

Traduction de Philippe Carrard

Photographie de couverture de Joseph.E. Norman

 

Dexter Gordon de Maxine Gordon / Editions Lenka lente

 

Connaît-on vraiment Dexter Gordon?

L’histoire d’un phénix qui renaît de ses cendres, d’un homme d’un mètre quatre-vingt-quinze, incarnation du cool, qui a adapté le langage du bebop au saxophone ténor, est tombé dans la drogue, a passé presqu’une décennie en prison, a refait surface , pour jouer mieux que jamais. Et a été dirigé par le metteur en scène Bertrand Tavernier en 1986 dans Round Midnight, ce qui lui a valu une nomination à l’oscar!

Maxine Gordon, la veuve du saxophoniste, historienne et archiviste était la personne la plus indiquée pour raconter le récit d’une vie, une histoire humaine et professionnelle. Elle comble ainsi le vide, faisant preuve d’une tendresse réelle pour tous les défricheurs, pas toujours reconnus.

Merci aux éditions Lenka Lente de publier la traduction française de cette biographie, empathique forcément, mais qui a le mérite d’une intime et inégalable connaissance du personnage et de sa musique. Elle remet Dexter à sa juste place, l’inscrit au mieux dans l’histoire du jazz, en insistant sur sa personnalité, celle d’un individu qui tente de s’affirmer dans un monde peu enclin à lui faire place, en citant ses propos, reproduisant des fragments de ses textes fort bien écrits: la musique prend corps, le livre d’histoire devient un précieux document qui dépeint cinq décennies de la vie du jazz, l’économie du bebop, le rôle des syndicats, l’emprise de la drogue et l’acharnement de la police envers les consommateurs (plus encore que les dealers), le manque de sécurité dû à la ségrégation.

Plus qu’une somme érudite ou un travail de musicologue, au fil des vingt chapitres qui structurent son évocation qui file comme un roman et se lit comme tel, elle fait la part belle aux anecdotes, aux entretiens et aux souvenirs de nombreux musiciens. Car la vie de Dexter Gordon est exemplaire d’une époque, de sa communauté de musiciens, de tous ces grands jazzmen du passé dont Sonny Rollins dit qu’ils sont toujours là. 

Un éclairage passionnant pour tout amateur de jazz, car elle parvient à rendre ce qui constitue l’essence de la musique de ce saxophoniste, compositeur fécond. Le suivant pas à pas, elle retrace son parcours de “La saga de Society Red” ("Society Red" était son surnom), de sa famille peu commune (son père, docteur, recevait Duke Ellington et Lionel Hampton, son premier employeur quand il quitte à dix-sept ans son foyer de Los Angeles) puis cite ses débuts, engagé par Armstrong, Billy Eckstine…D’un jeune ténor très prometteur dans le style de Lester Young (il allait jusqu’à poser en tenant son sax incliné de la même manière), il deviendra le premier bopper du ténor, même si le premier solo lui est disputé par Teddy Edwards. Il devient l’un des représentants de ce nouveau style et on se souvient de duels acharnés, de poursuite héroïque The Chase ( 12 juin 1947 enregistré sur Dial) avec Wardell Gray qui disparut tragiquement peu après.

Certains chapitres sont forts comme celui où le piège de la drogue se referme sur Dexter ; il disparaît près d'une décennie et c'est son retour avec l’enregistrement du bien nommé “The Resurgence of Dexter Gordon”, l’écriture de la bande son de la version californienne de la pièce The Connection, où entre les scènes, les musiciens jouent live. 1962 est l’année où il passe le cap, monte son quartet et enregistre pour Blue Note avec Rudy Van Gelder le mémorable Go! Avec “Cheese cake”, une des compositions-test pour tout sax ténor (1). Après un exil en Europe, en France et surtout au Danemark où il s’installe (une rue de Copenhague porte son nom), il fait son grand retour au Village Vanguard de New York en 1976, avec les enregistrements pour le producteur Michael Cuscuna de Home coming!

La dernière partie de sa vie serait plus morne si elle n’était marquée par son rôle dans le film de Bertrand Tavernier Round Midnight, en 1986 : s’inspirant de la vie agitée de Bud Powell à Paris, aidé par Francis Paudras, le scénario évolue vers une fiction autour d’un saxophoniste créé de toutes pièces, Dale Turner qu’incarne Dexter avec talent car il se souvient de son séjour à Paris en 1962, où il joua au Blue Note et enregistra avec Bud. Sa performance lui vaudra d’ailleurs une nomination aux oscars, prédite par Martin Scorsese. Film d’autant plus remarquable que toute la musique fut enregistrée live pendant le tournage! Dexter eut donc sa nuit aux oscars mais il se fit doubler par Paul Newman pour La Couleur de l’argent du même Scorsese!

Remarquable  est donc cet essai pour rétablir une vérité : l’histoire de Gordon serait incomplète, se résumant à des instantanés éparpillés, des clichés comme celui iconique d’Herman Leonard qui le saisit dans une volute de fumée. D’autant que la nonchalance naturelle du personnage, sa philosophie particulière de la vie ne le poussaient pas à la concurrence. C’était un "brave type" peu envieux, appréciant les coups heureux du sort, il ne revendiquait rien, avait une élégance naturelle physique et morale. Maxine Gordon rétablit la continuité d’une existence originale, dédiée au jazz et remet en lumière un sacré musicien, géant du jazz. Jamais le terme ne fut mieux choisi… Un livre que l’on découvre avec bonheur et que l’on vous recommande, vous l’aurez compris!

 

NB: Ajoutons des photos originales et toujours saisies sur le vif comme celle avec la copine d’enfance, la tromboniste Melba Liston... et une bibliographie précise d’auteurs anglophones évidemment!

(1) Encore qu’un saxophoniste de mes amis précise que le vrai piège  pour un saxophoniste est dans le “Fried bananas” de l’album éponyme de Prestige, en 1969.

 

Sophie Chambon

 

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6 janvier 2021 3 06 /01 /janvier /2021 16:34

À onze ans, il écoute des disques de Miles Davis, puis d’Ornette Coleman, joue de la trompette, puis du cor. La pose d’un appareil dentaire l’oblige à changer d’instrument et à choisir la guitare. En 1968, il participe à un stage avec Attila Zoller, entend Jim Hall et Freddie Hubbard un peu plus tard à New York, étudie la musique de Coltrane, se passionne pour Clifford Brown, rencontre Gary Burton (avec qui il enregistrera de nombreux albums) en 1974 au Festival de Wichita, obtient un poste au Berklee College of Music (1974-75), retrouve un ami d’adolescence, Lyle Mays, auprès de qui il joue pour la première fois quelques mois plus tard, avec Steve Swallow et Danny Gottlieb.

Cet entretien s’est déroulé à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles en 1981, à l’issue d’un concert du all stars “80/81” en compagnie de Michael Brecker, Dewey Redman, Charlie Haden et Billy Higgins.

Quelle fut votre première guitare ?

Une Gibson 175 de 1958, je l’ai achetée d’occasion à un fermier — je viens d’une toute petite ville du Missouri.

Quel est le guitariste qui vous a le plus influencé ?

Wes Montgomery, et il a toujours été mon préféré. ll était très mélodique, il jouait avec beaucoup de simplicité, de clarté, qualités que j’apprécie beaucoup.

Vous avez aussi écouté du rock ?

J’ai toujours écouté toutes sortes de musiques. Je fais beaucoup de choses stylistiquement différentes mais, pour moi, tout est proche. Ayant grandi au cours des années 1960 et 1970, je pense que la seule manière naturelle pour un musicien d’exister, c’est d’aimer toutes sortes de musiques, d’être capable de jouer dans beaucoup de situations différentes. Ces termes, comme jazz ou rock, ne veulent pas dire grand-chose.

Avez-vous eu des professeurs ?

J’en ai eu beaucoup, dans la mesure où ces types [le groupe “80/81” : Dewey Redman. Mike Brecker, Charlie Haden et Billy Higgins] sont mes professeurs. J’ai toujours joué avec des grands musiciens depuis l’âge de quinze ans…

A part la Gibson, vous avez une autre guitare électrique… ?

C‘est une Roland, une guitare-synthétiseur. Habituellement, j’en emporte une dizaine en tournée. Avec mon groupe, je joue d’environ dix guitares différentes au cours de la soirée, toutes sortes d’acoustiques, de douze-cordes…

Quelle est votre préférée ?

C’est celle-ci, la Gibson.

Quel matériel aviez-vous apporté pour le concert que nous venons d’entendre ?

Le petit ampli est un Acoustic 134 ; j’ai deux Yamaha GS 100 avec un haut-parleur Electric Voice, un digital delay Lexicon et un MXR ; et enfin cette guitare-synthétiseur Roland.

Et vos cordes ? Vos médiators ?

Des cordes d’Addario et des médiators Fender…

Je crois savoir que le disque que vous avez enregistré avec Paul Bley vous a causé pas mal de soucis… [N.D.R. : “Jaco” (IAI, 1974) avec Bley (el-p) et Bruce Ditmas (dm)]

Quelle galère ! Jaco et moi étions à New York, nous nous connaissions depuis des années, c’était avant qu’il ne parte avec Weather Report et moi avec Gary Burton. Nous avions pris contact avec Paul parce que nous l’aimions tous les deux. Nous avons un peu joué avec lui, il a enregistré une répétition puis, quand Jaco est devenu célèbre, il en a fait un disque, l’a mis sur le marché et ne nous a jamais payé un centime. Quand j’ai commencé à être un petit peu connu, il a remis ça comme s’il s’agissait de mon disque. Je l’adore, c’est l’un de mes musiciens préférés, mais au niveau du business, quelle tasse !

Vous livrez-vous a un échauffement particulier avant un concert ?

Habituellement, je joue simplement des gammes chromatiques pendant cinq ou dix minutes pour me chauffer.

Vous composez la plupart des musiques de vos albums ; vous sentez-vous davantage guitariste ou compositeur ?

Plutôt compositeur, je ne me sens pas vraiment attaché a la guitare, c’est un instrument…

Vous avez enregistré un album en solo pour ECM [“New Chautauqua” en 1978]. Que pensez-vous du solo ?

Ce disque n’était pas vraiment un solo dans le sens où Ralph Towner joue en solo : il y a quelques surimpressions. J’aime ça mais je ne le maîtrise pas vraiment. C’était une musique très spécifique, une déclaration très personnelle et que je devais faire tout seul, mais je ne suis pas un très bon guitariste solo.

Avez-vous un groupe régulier à New York ?

J’ai un orchestre aux Etats-Unis, il y a Lyle Mays aux claviers et Dan Gottlieb à la batterie qui jouent avec moi depuis cinq ans ; Nana Vasconcellos est aux percussions et mon nouveau bassiste, Steve Rodby, est fantastique, c’est le groupe que je préfére. Nous sommes cinq musiciens mais, par moments, ça sonne comme si nous étions cinquante. Nous avons beaucoup de synthétiseurs et une certaine manière d’utiliser ensemble des instruments acoustiques et électriques.

Et le trio guitare-basse-batterie ?

J’ai longtemps joué dans cette formule, avec Jaco Pastorius pendant deux ans [N.D.R. : avec Bob Moses à la batterie]. On a fait aussi beaucoup de concerts en trio avec Dave Holland et Jack DeJohnette [N.D.R. : et, plus tard, avec Charlie Haden et Billy Higgins].

Qui a eu l’idée de ce groupe “80/81” ?

C’est moi, je connais tous ces types depuis très longtemps, j’ai connu Dewey [Redman] et Charlie [Haden] quand ils étaient avec Keith [Jarrett] alors que moi, à la même époque, j’étais avec Gary [Burton], les autres c’est pareil. Ce sont en quelque sorte mes amis, je voulais faire des disques différents de mon groupe et je n’avais jamais vraiment enregistré avec des souffleurs, j’avais quelques morceaux prêts… Nous nous sommes tellement amusés à faire le disque que nous nous sommes dits que ce serait rigolo de faire un jour une tournée. C’est une tournée en coopérative et j’avais pourtant insisté pour que, sur toute la publicité, mon nom soit mis en bas. Quand je suis arrivé ici, à Bruxelles, et que j’ai lu « Pat Metheny et le groupe “80/81” », ça m’a fichu un coup. J’étais encore au lycée que tous ces types jouaient et travaillaient, c’est ridicule. Sur le disque [N.D.R. : Pat Metheny Quintet sur ECM, avec Jack DeJohnette à la place de Billy Higgins], c’est autre chose, j’avais écrit la musique et j’avais mon mot à dire, mais pour des concerts et particulièrement celui-ci, tout est improvisé, ce n‘est vraiment pas mon groupe.

Avez-vous entendu parler de James “Blood” Ulmer ?

Je l‘ai entendu il y a près de six ans avec Ornette [N.D.R. : en 1985, Pat Metheny et Ornette Coleman enregistreront “Song X” (sur Geffen) avec Haden, DeJohnette et Denardo Coleman], et c‘était fantastique. Récemment. c’était pas terrible.

Et Derek Bailey ?

Je l‘aime beaucoup, particulièrement sur le disque qu’il a fait avec Dave Holland chez ECM [N.D.R. : en 1996 à New York, Bailey et Metheny enregistreront un coffret de 3 CD (sur Knitting Factory) avec Gregg Bendian et Paul Wertico (perc)]. ll y a aussi un autre guitariste qui met des micros en haut du manche…

Fred Frith ?

C’est ça, je l’aime bien aussi. Mais je vais vous dire : la guitare électrique préparée, c’est bien, mais il me semble que l’avenir viendra de la guitare-synthétiseur.

Quelles sont vos activités aux États-Unis ?

Je suis pratiquement toujours en tournée, mon groupe travaille davantage que n’importe quel autre groupe de jazz, la seule manière de s’améliorer, c’est de jouer beaucoup. Dès que je reviens de cette tournée, je repars avec mon groupe. Chaque fois que je ne suis pas en tournée, je passe mon temps à écrire de la musique pour le groupe, en attendant avec impatience de repartir.

Composez-vous sur un piano ou à la guitare ?

J’écris généralement sur une feuille de papier, c’est plus simple ! Je n’ai pas à essayer d’imaginer comment mettre tout en place.

Quels sont vos projets de disques ?

Une prochaine séance avec mon groupe en octobre à New York ; ensuite, un projet avec Nana Vasconcellos, j’écrirai la mélodie et lui les paroles, en portugais. Nous pensons faire ce disque avec des musiciens brésiliens, Nana, Lyle Mays et moi, un disque de chansons. ll y a tellement de choses que je voudrais faire. J’aimerais tellement faire un disque où on joue vraiment, un disque plus improvisé. J’aimerais faire aussi un disque de standards.

On lit parfois que vous êtes la « nouvelle star de la guitare ». Qu’en pensez- vous ?

Ça n’a pas de sens. Je ne fais qu’essayer de faire ce que je peux, essayer de m’améliorer et c’est difficile. C’est à soi-même de savoir si on est bon ou non. J’ai l’impression que je m’améliore régulièrement avec le temps.

Pour conclure, pouvez-vous me montrer vos ongles ?

J’ai les deux doigts extérieurs avec des ongles courts et les trois du milieu avec des ongles longs.

(Propos recueillis et traduits par Gérard Rouy.)

Photos © Gérard Rouy

 

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4 janvier 2021 1 04 /01 /janvier /2021 08:49

 

Alexandra Grimal (saxophones ténor, soprano & sopranino, voix), Edward Perraud (batterie, percussions)

enregistré en 2014

unsui | Alexandra Grimal & Edward Perraud | Alexandra Grimal (bandcamp.com)

 

Sans édition CD ni label, et donc seulement accessible en fichier numérique via la page bandcamp d'Alexandra Grimal, un duo enregistré voici plus de six ans, qui vient d'être publié, et dont le titre a été inspiré par la lecture de François Cheng : 'Unsui' est un terme chinois qui dans la tradition zen désigne simultanément le nuage et l'eau, ce qui glisse comme le nuage et coule comme l'eau. Et cette musique improvisée est comme un flux mouvant, une matière diaphane qui poursuit son essor et se répand dans notre esprit et nos sens, tantôt comme un baume qui nous envelopperait de ses sortilèges, tantôt comme une danse qui nous conduirait sur des chemins insoupçonnés. Un dialogue incessant entre les deux artistes, conversation qui procède simultanément de la puissance matérielle du son et de l'exercice spirituel en quoi s'accomplit la musique. Et le lyrisme aussi s'empare des saxophones, stimulé par la frappe ou les frottements qui font chanter les percussions. On se laisse embarquer, suivant un fil que l'on perd forcément (le luxe de l'auditeur, c'est qu'il a le droit de perdre le fil), et l'on arrive au terme de ce voyage improvisé après un texte qui nous égare comme en un rêve. Une très belle page de musique scénarisée, à laquelle il suffit de s'abandonner, avec bonheur et recueillement.

Xavier Prévost

 

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