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18 janvier 2021 1 18 /01 /janvier /2021 08:54


Yaron Herman et le déclic créatif à la portée de tous

 

 

 

Les DNJ : «  Tu viens de sortir un livre ( « le déclic créatif » - Editions Fayard), dont le postulat de base est que nous avons tous en nous, quelque soit notrLese environnement et notre profession, un potentiel créatif qui ne demande qu’à s’exprimer. Ai-je bien compris ? »

 

YARON HERMAN : « Oui. La volonté de l’écrire vient de motivations qui sont liées à mon expérience personnelle. J’ai commencé le piano très tard, vers l’âge de 16 ans et personne ne se doutait que je pouvais devenir pianiste. Je n’avais aucune prédisposition en matière en matière de créativité. J’étais juste dans la bonne moyenne. Mais c’est suite à une rencontre avec un professeur extraordinaire ( Opher Brayer) qui avait une méthode très particulière et très innovante, qui mettait en avant la créativité et le fait que l’on peut tous mobiliser l’énergie qui nous habite. Tout le voyage qui a suivi a été la découverte de moi-même et de mes capacités. Avec la Covid, je ne fais pas de scène et c’était le moment pour moi de faire un arrêt et de prendre un peu de recul par rapport à mon trajet, de me poser la question de ce que je pouvais apporter à la société en tant qu’artiste. Faire un peu de reverse engeneering. Cette transmission me tenait à cœur. »

 

Les DNJ : «  Il y a trois notions qui se bousculent. Celles de créativité, de talent et de passion. Comment ces trois notions se rencontrent t-elles ? Car finalement lorsque tu commences l’apprentissage du piano, ta passion à ce moment-là était le basket. Le terrain n’était donc pas propice »

 

YH : « Déjà, c’est quoi la créativité ? Pour moi c’est la manière d’exprimer son unicité au travers d’une idée. C’est la capcité d’exprimer une idée qui nous est propre. Le but n’est pas de devenir Mozart ou Stve Jobs, c’est vraiment qu’elle est faite pour nous , nous apporter un bien être et un sens à la vie autre que par les choses que l’on est sensés faire comme aller travailler, manger, gagner sa vie etc…. C’est donc quelque chose de très personnel. Dire au gens que la créativité est réservée à une élite et n’est pas faite pour eux est une idée fausse.

Les DNJ : «  Et le talent dans tout ça ? »

 

YH : «  c’est encore une notion un peu vague. On peut plutôt parler de vitesse ou de capacité d’apprentissage. Avant de commencer le piano, personne ne se doutait que je pourrais avoir un talent en la matière.Mais j’ai appris comment apprendre. Derrière cela il y a l’idée que même si on ne deviendra pas tous des pianistes concertistes ou des performers d’élite, nous avons tous la capacité de mieux apprendre et d’optimiser nos capacités. »

 

Les DNJ : «  la créativité est liée à l’apprentissage ? »

 

YH : « les deux sont liés. On a l’idée préconçue que le talent serait quelque chose qui tombe du ciel. Mon expérience m’a amené à constater que les gens les plus doués sont ceux qui travaillent le plus. Il faut remettre les choses à leur place »

 

Les DNJ : « Tout peut être prétexte à créativité ? »

 

YH : «  Dans l’album que j’ai enregistré avec Ziv Ravitz, il y a un morceau qui l’illustre bien les différentes étapes de la créativité. Tout vient d’une tournée que je faisais et qui m’amenait au Japon. Dans l’avion, au dessus de ma tête, le cliquetis du bruit de la clim. Cela m’est insupportable. Mais au bout d’un moment j’écoute ce bruit. Il est sur trois temps. Au bout de quelques temps je me dis que cela pourrait être un petit motif pour la main gauche. Je le note sur le petit carnet que j’ai toujours avec moi.Ensuite j’imagine une mélodie. J’ai ensuite oublié cette histoire. Une fois revenu à Paris, j’ouvre le cahier et je vois qu’il est noté «  Clim-trois temps. » . Je retrouve la mélodie et à côté de moi il y avait une partition de Bach que je travaillais et dans la mélodie il me manquait une partie. Et du coup je triture la partita, je la met à l’envers et je me rends compte que cela colle plutôt bien. Je fais un puzzle et là ça marche »

 

Les DNJ : « Tu parles aussi du rapport au jeu et tu dis qu’il n’y a pas de créativité sans jeu »

YH : «  Ce qui est intéressant avec le jeu c’est que c’est lorsque l’on joue que l’on est le plus heureux. Il y a un cliché ( qui est vrai par ailleurs) qui dit que si on est passionné et que l’on joue ce n’est pas vraiment du travail. Quand on est absorbé par un jeu on ne voit pas le temps passer. On est absorbés parce que nous sommes en fusion avec ce que l’on est en train de faire. Plusieurs études montrent que plus on est dans le flow plus on est heureux.  On est transportés dans un monde où l’on est juste là, à ce que nous faisons »

 

Les DNJ : » et il n’y a plus le regard des autres »

 

YH : «  exactement. Le monde s’eclipse et on es juste en train d’être, tout simplement. C’est de plus en plus difficile parce que l’on est de plius en plus cosncience de notre environnement, des critiques, des comparaisons que l’on se fait intérieurement. On oublie cette capacité à s’oublier en faisant quelque chose. »

 

Les DNJ : «  La créativité c’est à portée de tous, alors ? »

 

YH : «  les fausses excuses ont de multiples visages. C’est comme le Dieu aux mille visages de Games of Throne. La créativité n’est pas une barrière infranchissable et en prenant conscience que c’est tout à fait à notre portée, on peut commencer par des petits pas ( les baby steps) et voire les résultats pratiquement à chaque étape. »

 

Les DNJ : « Le jazz est t-il un terreau propice à la créativité ? »

YH : «  Pour moi la réponse est oui. Le jazz est pour moi la musique qui permet le plus l’expression personnelle dans le sens où il n’y a pas de barrière. Le jazz utilise beaucoup de matières premières que ce soit la tradition ou le passé écrit par les grands maîtres qui nous ont précédés et puis le fait que l’improvisation soit au coeur de cette musique est pour moi un vecteur de vie et d’imaginaire.

 

propos receuillis sur Jazzbox (Aligre Fm 93.1)

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9 janvier 2021 6 09 /01 /janvier /2021 11:18

GUILLAUME NOUAUX ET LE JAZZ PETILLANT

 



A l'occasion de la parution de l'album de duos de Guillaume Nouaux avec quelques piansites du stride, nous avons rencontré le batteur.
Retour sur ce formidable album totalement jouissif.
 

Les DNJ : » Qu’est ce que le piano stride ? »

GN : «  le piano stride est une technique de jeu de piano qui consiste à ce que le pianiste soit un homme orchestre à lui tout seul en ce sens qu’il joue les basses avec son petit doigt de la main gauche et les accords avec les autres doigts de la même main et avec l’autre main il joue la mélodie ou improvise. C’est un technique qui est apparue dans les quartiers de New-York autour des années 20. A partir de là n’importe quel morceau peut être interprété en stride, du be-bop jusqu’à la variété.

Les DNJ : «  il y a des héros du piano stride comme James P Johnson ou Fats Waller mais la démonstration de cet album est effectivement que tout peut se jouer en stride, comme ce "tea for two"qui figure dans l’album. Est-ce toi qui a fait le choix des morceaux ? »

GN : « en réalité ce choix a été fait d’une manière concertée avec les pianistes invités dans l’album. Je leur ai d’abord proposé deux morceaux pour ouvrir le débat et parfois ils m’ont fait d’autres propositions »

 

Les DNJ : «  Effectivement car il faut préciser qu’il y a plusieurs duos dans cet album. Il ya 7 pianistes qui interviennent .Pourquoi ce choix ? »

GN : «  J’ai à un moment réalisé que j’avais eu la chance de jouer avec de très bons pianistes de stride. Au cours de ces rencontres je me disais que j’aurai aimé faire un album en duo avec untel ou untel. L’idée de faire plusieurs albums de duos n’aurait pas été forcément judicieuse. Du coup je me suis dit, finalement pourquoi choisir ?"
 

Les DNJ : «  Comment as-tu fait ces choix ? »

GN : «  il ne s’est pas agit d’un sélection exclusive. Mais ce sont des pianistes avec lesquels j’avais un certain feeling. Je trouve que bien que s’agissant de stride, chacun des 7 pianistes a vraiment un style, une patte différente dans leur façon de jouer et c’est cela qui m’a intéressé. Mettre dans un même album la variété du style stride »

 
Les DNJ : «  mais même s’agissant de toi, on a l’impression que ton jeu n’est jamais le même au cours de ces différentes plages »

GN : « Disons que je ne me pose pas beaucoup de question avant de jouer. Cela vient comme ça. Je m’adapte naturellement à ce que j’entends. Mais je pense conserver ma propre personnalité tout au long du disque. Je ne cherche pas l’exercice de style. »


Les DNJ : » quand on voit les batteurs modernes qui ont des batteries de plus en plus imposantes ou compliquées, toi on a l’impression que tu fait des prodiges avec un matériel de base »

GN : « Disons que c’est une batterie assez classique, une grosse caisse, deux toms, cymbale et caisse claire. C’est classique. Mais c’est surtout dans mon approche que peut être je diffère un peu. Les batteurs modernes utilisent beaucoup les cymbales. Dans l’accompagnement du stride je trouve que cela ne marche pas très bien. D’abord par rapport au volume sonore du piano acoustique et pour éviter d’avoir trop de résonances. C’est pourquoi que j’utilise beaucoup plus les peaux. Les cymbales ne viennent que pour ponctuer plus que pour tenir le tempo. »

 



Les DNJ : «  Peux-tu nous en dire plus sur les 7 pianistes qui t’accompagnent sur cet album ? »


GN : « Oui, il y a deux pianistes Français, Alain Barrabès avec qui je joue depuis longtemps et Louis Mazetier. Il y a aussi Bernd Lhotzky qui est allemand, Chris Hopkins qui est américain et deux italiens, Lucas Filastro et Rossano Sportiello qui vit à New-York et enfin le Néerlandais Harry Kanters."

 

Les DNJ : « Cet album fait suite au précédent «  Guillaume Nouaux and the clarinet kings », c’était le même principe ?"

 

GN : « Dès le départ j’avais imaginé deux albums l’un avec des clarinettistes et l’autre avec des pianistes.  Au départ j’étais passionné par la formule piano/clarinette/batterie, formule que je trouve particulièrement intéressante parce que très différentes des autres formats jazz. C’est le format dans lequel, en tant que batteur je me sens plus à l’aise, plus libre. Je peux intervenir rythmiquement mais aussi dans le discours d’une manière plus mélodique. Finalement le duo me donne la possibilité de plus mettre en valeur les solistes »

 

Les DNJ : « J’ai vu que tu avais joué avec Steve Lacy. C’est très différent de ton univers ? »

GN : «  Oui cela date de ma période bordelaise. J’ai aussi joué avec Luigi Grasso il n’y a pas longtemps et Harry Allen qui sont à la frontière du jazz traditionnel. J’ai aussi joué aux côtés de Yoann Loustalot, avec Samy Thiebaut. Je n’ai pas fait que du jazz traditionnel dans ma vie mais c’est vrai qu’aujourd’hui c’est là où je me retrouve le mieux. J’adore ça. J’ai l’impression d’avoir trouvé ma voie là-dedans. »

Les DNJ : «  Penses tu que le public jeune peut revenir à cette musique-là ? »

GN : « Je pense que oui. D’ailleurs je suis agréablement surpris de voir grâce aux réseaux sociaux qu’une nouvelle génération se remet à jouer cette musique. Le jazz traditionnel n’est pas mort, il ne l’a jamais été. Il s’est juste rajouté d’autres formes. Chaque forme a ses spécialistes, comme en musique classique. Un jazz ne tue pas l’autre »

Les DNJ «  tu es aussi passeur, tu donnes des conférences »

GN : «  oui mais j’ai décidé d’arrêter car cela devient difficile avec les concerts. Mais j’aime transmettre ce que je pense avoir compris aux plus jeunes. Sans prétention je me dis que j’ai peut-être un rôle à jouer"

Interview réalisée le 14 novembre 2020 au cours de l’émission Jazzbox  (Aligre Fm 93.1)


                                                               

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7 janvier 2021 4 07 /01 /janvier /2021 17:47
  MAXINE GORDON    DEXTER GORDON SOPHISTICATED GIANT

MAXINE GORDON

DEXTER GORDON SOPHISTICATED GIANT

 

EDITIONS  LENKA LENTE

Traduction de Philippe Carrard

Photographie de couverture de Joseph.E. Norman

 

Dexter Gordon de Maxine Gordon / Editions Lenka lente

 

Connaît-on vraiment Dexter Gordon?

L’histoire d’un phénix qui renaît de ses cendres, d’un homme d’un mètre quatre-vingt-quinze, incarnation du cool, qui a adapté le langage du bebop au saxophone ténor, est tombé dans la drogue, a passé presqu’une décennie en prison, a refait surface , pour jouer mieux que jamais. Et a été dirigé par le metteur en scène Bertrand Tavernier en 1986 dans Round Midnight, ce qui lui a valu une nomination à l’oscar!

Maxine Gordon, la veuve du saxophoniste, historienne et archiviste était la personne la plus indiquée pour raconter le récit d’une vie, une histoire humaine et professionnelle. Elle comble ainsi le vide, faisant preuve d’une tendresse réelle pour tous les défricheurs, pas toujours reconnus.

Merci aux éditions Lenka Lente de publier la traduction française de cette biographie, empathique forcément, mais qui a le mérite d’une intime et inégalable connaissance du personnage et de sa musique. Elle remet Dexter à sa juste place, l’inscrit au mieux dans l’histoire du jazz, en insistant sur sa personnalité, celle d’un individu qui tente de s’affirmer dans un monde peu enclin à lui faire place, en citant ses propos, reproduisant des fragments de ses textes fort bien écrits: la musique prend corps, le livre d’histoire devient un précieux document qui dépeint cinq décennies de la vie du jazz, l’économie du bebop, le rôle des syndicats, l’emprise de la drogue et l’acharnement de la police envers les consommateurs (plus encore que les dealers), le manque de sécurité dû à la ségrégation.

Plus qu’une somme érudite ou un travail de musicologue, au fil des vingt chapitres qui structurent son évocation qui file comme un roman et se lit comme tel, elle fait la part belle aux anecdotes, aux entretiens et aux souvenirs de nombreux musiciens. Car la vie de Dexter Gordon est exemplaire d’une époque, de sa communauté de musiciens, de tous ces grands jazzmen du passé dont Sonny Rollins dit qu’ils sont toujours là. 

Un éclairage passionnant pour tout amateur de jazz, car elle parvient à rendre ce qui constitue l’essence de la musique de ce saxophoniste, compositeur fécond. Le suivant pas à pas, elle retrace son parcours de “La saga de Society Red” ("Society Red" était son surnom), de sa famille peu commune (son père, docteur, recevait Duke Ellington et Lionel Hampton, son premier employeur quand il quitte à dix-sept ans son foyer de Los Angeles) puis cite ses débuts, engagé par Armstrong, Billy Eckstine…D’un jeune ténor très prometteur dans le style de Lester Young (il allait jusqu’à poser en tenant son sax incliné de la même manière), il deviendra le premier bopper du ténor, même si le premier solo lui est disputé par Teddy Edwards. Il devient l’un des représentants de ce nouveau style et on se souvient de duels acharnés, de poursuite héroïque The Chase ( 12 juin 1947 enregistré sur Dial) avec Wardell Gray qui disparut tragiquement peu après.

Certains chapitres sont forts comme celui où le piège de la drogue se referme sur Dexter ; il disparaît près d'une décennie et c'est son retour avec l’enregistrement du bien nommé “The Resurgence of Dexter Gordon”, l’écriture de la bande son de la version californienne de la pièce The Connection, où entre les scènes, les musiciens jouent live. 1962 est l’année où il passe le cap, monte son quartet et enregistre pour Blue Note avec Rudy Van Gelder le mémorable Go! Avec “Cheese cake”, une des compositions-test pour tout sax ténor (1). Après un exil en Europe, en France et surtout au Danemark où il s’installe (une rue de Copenhague porte son nom), il fait son grand retour au Village Vanguard de New York en 1976, avec les enregistrements pour le producteur Michael Cuscuna de Home coming!

La dernière partie de sa vie serait plus morne si elle n’était marquée par son rôle dans le film de Bertrand Tavernier Round Midnight, en 1986 : s’inspirant de la vie agitée de Bud Powell à Paris, aidé par Francis Paudras, le scénario évolue vers une fiction autour d’un saxophoniste créé de toutes pièces, Dale Turner qu’incarne Dexter avec talent car il se souvient de son séjour à Paris en 1962, où il joua au Blue Note et enregistra avec Bud. Sa performance lui vaudra d’ailleurs une nomination aux oscars, prédite par Martin Scorsese. Film d’autant plus remarquable que toute la musique fut enregistrée live pendant le tournage! Dexter eut donc sa nuit aux oscars mais il se fit doubler par Paul Newman pour La Couleur de l’argent du même Scorsese!

Remarquable  est donc cet essai pour rétablir une vérité : l’histoire de Gordon serait incomplète, se résumant à des instantanés éparpillés, des clichés comme celui iconique d’Herman Leonard qui le saisit dans une volute de fumée. D’autant que la nonchalance naturelle du personnage, sa philosophie particulière de la vie ne le poussaient pas à la concurrence. C’était un "brave type" peu envieux, appréciant les coups heureux du sort, il ne revendiquait rien, avait une élégance naturelle physique et morale. Maxine Gordon rétablit la continuité d’une existence originale, dédiée au jazz et remet en lumière un sacré musicien, géant du jazz. Jamais le terme ne fut mieux choisi… Un livre que l’on découvre avec bonheur et que l’on vous recommande, vous l’aurez compris!

 

NB: Ajoutons des photos originales et toujours saisies sur le vif comme celle avec la copine d’enfance, la tromboniste Melba Liston... et une bibliographie précise d’auteurs anglophones évidemment!

(1) Encore qu’un saxophoniste de mes amis précise que le vrai piège  pour un saxophoniste est dans le “Fried bananas” de l’album éponyme de Prestige, en 1969.

 

Sophie Chambon

 

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6 janvier 2021 3 06 /01 /janvier /2021 16:34

À onze ans, il écoute des disques de Miles Davis, puis d’Ornette Coleman, joue de la trompette, puis du cor. La pose d’un appareil dentaire l’oblige à changer d’instrument et à choisir la guitare. En 1968, il participe à un stage avec Attila Zoller, entend Jim Hall et Freddie Hubbard un peu plus tard à New York, étudie la musique de Coltrane, se passionne pour Clifford Brown, rencontre Gary Burton (avec qui il enregistrera de nombreux albums) en 1974 au Festival de Wichita, obtient un poste au Berklee College of Music (1974-75), retrouve un ami d’adolescence, Lyle Mays, auprès de qui il joue pour la première fois quelques mois plus tard, avec Steve Swallow et Danny Gottlieb.

Cet entretien s’est déroulé à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles en 1981, à l’issue d’un concert du all stars “80/81” en compagnie de Michael Brecker, Dewey Redman, Charlie Haden et Billy Higgins.

Quelle fut votre première guitare ?

Une Gibson 175 de 1958, je l’ai achetée d’occasion à un fermier — je viens d’une toute petite ville du Missouri.

Quel est le guitariste qui vous a le plus influencé ?

Wes Montgomery, et il a toujours été mon préféré. ll était très mélodique, il jouait avec beaucoup de simplicité, de clarté, qualités que j’apprécie beaucoup.

Vous avez aussi écouté du rock ?

J’ai toujours écouté toutes sortes de musiques. Je fais beaucoup de choses stylistiquement différentes mais, pour moi, tout est proche. Ayant grandi au cours des années 1960 et 1970, je pense que la seule manière naturelle pour un musicien d’exister, c’est d’aimer toutes sortes de musiques, d’être capable de jouer dans beaucoup de situations différentes. Ces termes, comme jazz ou rock, ne veulent pas dire grand-chose.

Avez-vous eu des professeurs ?

J’en ai eu beaucoup, dans la mesure où ces types [le groupe “80/81” : Dewey Redman. Mike Brecker, Charlie Haden et Billy Higgins] sont mes professeurs. J’ai toujours joué avec des grands musiciens depuis l’âge de quinze ans…

A part la Gibson, vous avez une autre guitare électrique… ?

C‘est une Roland, une guitare-synthétiseur. Habituellement, j’en emporte une dizaine en tournée. Avec mon groupe, je joue d’environ dix guitares différentes au cours de la soirée, toutes sortes d’acoustiques, de douze-cordes…

Quelle est votre préférée ?

C’est celle-ci, la Gibson.

Quel matériel aviez-vous apporté pour le concert que nous venons d’entendre ?

Le petit ampli est un Acoustic 134 ; j’ai deux Yamaha GS 100 avec un haut-parleur Electric Voice, un digital delay Lexicon et un MXR ; et enfin cette guitare-synthétiseur Roland.

Et vos cordes ? Vos médiators ?

Des cordes d’Addario et des médiators Fender…

Je crois savoir que le disque que vous avez enregistré avec Paul Bley vous a causé pas mal de soucis… [N.D.R. : “Jaco” (IAI, 1974) avec Bley (el-p) et Bruce Ditmas (dm)]

Quelle galère ! Jaco et moi étions à New York, nous nous connaissions depuis des années, c’était avant qu’il ne parte avec Weather Report et moi avec Gary Burton. Nous avions pris contact avec Paul parce que nous l’aimions tous les deux. Nous avons un peu joué avec lui, il a enregistré une répétition puis, quand Jaco est devenu célèbre, il en a fait un disque, l’a mis sur le marché et ne nous a jamais payé un centime. Quand j’ai commencé à être un petit peu connu, il a remis ça comme s’il s’agissait de mon disque. Je l’adore, c’est l’un de mes musiciens préférés, mais au niveau du business, quelle tasse !

Vous livrez-vous a un échauffement particulier avant un concert ?

Habituellement, je joue simplement des gammes chromatiques pendant cinq ou dix minutes pour me chauffer.

Vous composez la plupart des musiques de vos albums ; vous sentez-vous davantage guitariste ou compositeur ?

Plutôt compositeur, je ne me sens pas vraiment attaché a la guitare, c’est un instrument…

Vous avez enregistré un album en solo pour ECM [“New Chautauqua” en 1978]. Que pensez-vous du solo ?

Ce disque n’était pas vraiment un solo dans le sens où Ralph Towner joue en solo : il y a quelques surimpressions. J’aime ça mais je ne le maîtrise pas vraiment. C’était une musique très spécifique, une déclaration très personnelle et que je devais faire tout seul, mais je ne suis pas un très bon guitariste solo.

Avez-vous un groupe régulier à New York ?

J’ai un orchestre aux Etats-Unis, il y a Lyle Mays aux claviers et Dan Gottlieb à la batterie qui jouent avec moi depuis cinq ans ; Nana Vasconcellos est aux percussions et mon nouveau bassiste, Steve Rodby, est fantastique, c’est le groupe que je préfére. Nous sommes cinq musiciens mais, par moments, ça sonne comme si nous étions cinquante. Nous avons beaucoup de synthétiseurs et une certaine manière d’utiliser ensemble des instruments acoustiques et électriques.

Et le trio guitare-basse-batterie ?

J’ai longtemps joué dans cette formule, avec Jaco Pastorius pendant deux ans [N.D.R. : avec Bob Moses à la batterie]. On a fait aussi beaucoup de concerts en trio avec Dave Holland et Jack DeJohnette [N.D.R. : et, plus tard, avec Charlie Haden et Billy Higgins].

Qui a eu l’idée de ce groupe “80/81” ?

C’est moi, je connais tous ces types depuis très longtemps, j’ai connu Dewey [Redman] et Charlie [Haden] quand ils étaient avec Keith [Jarrett] alors que moi, à la même époque, j’étais avec Gary [Burton], les autres c’est pareil. Ce sont en quelque sorte mes amis, je voulais faire des disques différents de mon groupe et je n’avais jamais vraiment enregistré avec des souffleurs, j’avais quelques morceaux prêts… Nous nous sommes tellement amusés à faire le disque que nous nous sommes dits que ce serait rigolo de faire un jour une tournée. C’est une tournée en coopérative et j’avais pourtant insisté pour que, sur toute la publicité, mon nom soit mis en bas. Quand je suis arrivé ici, à Bruxelles, et que j’ai lu « Pat Metheny et le groupe “80/81” », ça m’a fichu un coup. J’étais encore au lycée que tous ces types jouaient et travaillaient, c’est ridicule. Sur le disque [N.D.R. : Pat Metheny Quintet sur ECM, avec Jack DeJohnette à la place de Billy Higgins], c’est autre chose, j’avais écrit la musique et j’avais mon mot à dire, mais pour des concerts et particulièrement celui-ci, tout est improvisé, ce n‘est vraiment pas mon groupe.

Avez-vous entendu parler de James “Blood” Ulmer ?

Je l‘ai entendu il y a près de six ans avec Ornette [N.D.R. : en 1985, Pat Metheny et Ornette Coleman enregistreront “Song X” (sur Geffen) avec Haden, DeJohnette et Denardo Coleman], et c‘était fantastique. Récemment. c’était pas terrible.

Et Derek Bailey ?

Je l‘aime beaucoup, particulièrement sur le disque qu’il a fait avec Dave Holland chez ECM [N.D.R. : en 1996 à New York, Bailey et Metheny enregistreront un coffret de 3 CD (sur Knitting Factory) avec Gregg Bendian et Paul Wertico (perc)]. ll y a aussi un autre guitariste qui met des micros en haut du manche…

Fred Frith ?

C’est ça, je l’aime bien aussi. Mais je vais vous dire : la guitare électrique préparée, c’est bien, mais il me semble que l’avenir viendra de la guitare-synthétiseur.

Quelles sont vos activités aux États-Unis ?

Je suis pratiquement toujours en tournée, mon groupe travaille davantage que n’importe quel autre groupe de jazz, la seule manière de s’améliorer, c’est de jouer beaucoup. Dès que je reviens de cette tournée, je repars avec mon groupe. Chaque fois que je ne suis pas en tournée, je passe mon temps à écrire de la musique pour le groupe, en attendant avec impatience de repartir.

Composez-vous sur un piano ou à la guitare ?

J’écris généralement sur une feuille de papier, c’est plus simple ! Je n’ai pas à essayer d’imaginer comment mettre tout en place.

Quels sont vos projets de disques ?

Une prochaine séance avec mon groupe en octobre à New York ; ensuite, un projet avec Nana Vasconcellos, j’écrirai la mélodie et lui les paroles, en portugais. Nous pensons faire ce disque avec des musiciens brésiliens, Nana, Lyle Mays et moi, un disque de chansons. ll y a tellement de choses que je voudrais faire. J’aimerais tellement faire un disque où on joue vraiment, un disque plus improvisé. J’aimerais faire aussi un disque de standards.

On lit parfois que vous êtes la « nouvelle star de la guitare ». Qu’en pensez- vous ?

Ça n’a pas de sens. Je ne fais qu’essayer de faire ce que je peux, essayer de m’améliorer et c’est difficile. C’est à soi-même de savoir si on est bon ou non. J’ai l’impression que je m’améliore régulièrement avec le temps.

Pour conclure, pouvez-vous me montrer vos ongles ?

J’ai les deux doigts extérieurs avec des ongles courts et les trois du milieu avec des ongles longs.

(Propos recueillis et traduits par Gérard Rouy.)

Photos © Gérard Rouy

 

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4 janvier 2021 1 04 /01 /janvier /2021 08:49

 

Alexandra Grimal (saxophones ténor, soprano & sopranino, voix), Edward Perraud (batterie, percussions)

enregistré en 2014

unsui | Alexandra Grimal & Edward Perraud | Alexandra Grimal (bandcamp.com)

 

Sans édition CD ni label, et donc seulement accessible en fichier numérique via la page bandcamp d'Alexandra Grimal, un duo enregistré voici plus de six ans, qui vient d'être publié, et dont le titre a été inspiré par la lecture de François Cheng : 'Unsui' est un terme chinois qui dans la tradition zen désigne simultanément le nuage et l'eau, ce qui glisse comme le nuage et coule comme l'eau. Et cette musique improvisée est comme un flux mouvant, une matière diaphane qui poursuit son essor et se répand dans notre esprit et nos sens, tantôt comme un baume qui nous envelopperait de ses sortilèges, tantôt comme une danse qui nous conduirait sur des chemins insoupçonnés. Un dialogue incessant entre les deux artistes, conversation qui procède simultanément de la puissance matérielle du son et de l'exercice spirituel en quoi s'accomplit la musique. Et le lyrisme aussi s'empare des saxophones, stimulé par la frappe ou les frottements qui font chanter les percussions. On se laisse embarquer, suivant un fil que l'on perd forcément (le luxe de l'auditeur, c'est qu'il a le droit de perdre le fil), et l'on arrive au terme de ce voyage improvisé après un texte qui nous égare comme en un rêve. Une très belle page de musique scénarisée, à laquelle il suffit de s'abandonner, avec bonheur et recueillement.

Xavier Prévost

 

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31 décembre 2020 4 31 /12 /décembre /2020 18:31

François Lana (piano, synthétiseur), Fabien Iannone (contrebasse), Phelan Burgoyne (batterie)

Vevey, mars & août 2019

Leo Records CD 884 / Orkhêstra

https://francoislana.bandcamp.com/album/cath-drale

 

Un oublié de l'automne : l'album est arrivé en octobre, au moment de sa parution, quand attendaient un foule de CD à paraître en novembre mais reçus dès septembre. Une revendication d'influence explicite, dans le texte du livret, qui cite Monk, Paul Bley, Andrew Hill (une plage lui est dédiée) et le plus rarement évoqué Herbie Nichols. Et c'est bien cette dernière influence qui m'a frappé de prime abord : thèmes fragmentés, sinueux, mais forme cohérente, servie par des jaillissements soudains qui sont la vie même. Entre deux improvisations collectives (la première et la dernière plage), des compositions tissées d'inventivité, d'énergie, de swing. Du piano pensé mais qui déborde de vitalité, une interactivité manifeste entre les membres du trio, et le goût de faire chanter les instruments sans étouffer l'énergie. Au fil des plages le très troublant Hillness, dédié comme son titre le laisse supposer à Andrew Hill, avec aussi tous les jeux de mots implicites qui peuvent nous entraîner ailleurs.... Une intro sur des harmonies tendues, un basculement vers un climat de blues 'à la Monk', et quelques escapades qui fleurent bon la revendication de singularité. La plage suivante lance des fusées qui me rappellent Herbie Nichols, que j'adore. Et partout de la liberté, de l'inventivité, de l'audace. Et, du début à la fin, un vrai bon disque de jazz (très) moderne !

Xavier Prévost

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Un vidéo de 2019 filmée à la Halle Papin de Pantin

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23 décembre 2020 3 23 /12 /décembre /2020 10:17
CHRISTOFER BJURSTRÖM PIANO SOLO    L’ECUME DE MAI

CHRISTOFER BJURSTRÖM

L'ECUME DE MAI

SORTIE DECEMBRE 2020

MZ Records – Label de disques

 

 

 

L’écume de mai surgit en bord de mer, souvent au printemps. Produit du bouillonnement de la mer, elle est portée par le vent vers le rivage. Christofer Bjurström évoque dans cet album ce qui nous constitue dans les diverses temporalités de nos vies, comment nous sommes présents au monde. Comme des tableaux sonores qui ouvriraient une fenêtre idéale dans laquelle s’inscrit le visage intérieur du pianiste.

Explorant les possibilités d’un instrument complet, il affirme une dimension narrative, qui ne va pas sans émotion. Il choisit ainsi de se portraiturer à travers un choix de textes et par des plages improvisées. Travail solitaire et plus ingrat mais adapté sans doute à cette période introspective. Rappelons que le disque fut enregistré en juin dernier pour le label Marmouzic records. Une musique sensible, qui nous met aussi à l’épreuve, qui trace au fil de 9 compositions le relief de ses humeurs troublées, sceau du confinement?
Cette aventure toujours risquée du piano solo décline donc 9 pièces libres, vives, inspirées de poèmes de Jules Supervielle, Abdellatif Laâbi, Claude Roy, Bo Carpelan, Emily Dickinson, Sylvia Plath et Raymond Carver.

Ce qui est devenu écume, le tout premier titre, en réponse à Supervieille dans Oublieuse Mémoire, éclaire le projet sans ambiguïté:

C’est tout ce que nous aurions voulu faire et n’avons pas fait,

Ce qui a voulu prendre la parole et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,

Tout ce qui nous a quittés sans rien nous dire de son secret …

Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait ...

Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface, Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs;

 

La musique est plus que jamais une tentative de fixer l’éphémère même siRien de ce qui arrive ne demeurera” écrit Raymond Carver dans La vitesse foudroyante du passé.

Ce qui demeure, trace de l‘instant qui se joue, de la musique qui advient, fait de la place à nos images mentales, à nos paysages intérieurs. Christofer Bjurström parvient à produire une musique à la fois résistante et liquide, avec des formes qui naissent et s’évanouissent, en une plongée dans les tréfonds de l’intime. Notes en pluie serrée et persistante, ou qui perlent et rebondissent un un friselis moutonnant, martèlement audacieux du clavier ou bruit sourd dans les bois et cordes quand le piano est préparé, superpositions d’accords et de brisures rythmiques composent un chant jamais plaintif mais lucide, une mélodie souvent heurtée, des tressaillements qui remontent avec le souffle du temps. Avec l’appréhension d’un certain vide qui devient silence, dans une tonalité volontairement grave, s’inscrivent pauses, ruptures, blancs. Un rythme souvent insistant, obsessionnel parcourt ses solos qui racontent presque toujours une histoire. Surgissent aussi des mélodies plus fluides, impressionnistes, des élans lumineux réparant les horizons éclatés, qui ramènent vers des rivages connus, avec l’espérance.

Ainsi écoutons nous ce piano en archipel, singulier pluriel qui sait accompagner les images d’un film qui se projette dans notre imaginaire.

Sophie Chambon

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22 décembre 2020 2 22 /12 /décembre /2020 01:49

Folio/Gallimard.448 pages. 11,50€
 

 

C’est un grand classique et comme tel, toujours d’actualité. Free Jazz, Black Power, l’étude de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, publiée en 1971 (Editions Champ Libre *) fait l’objet d’une nouvelle publication en version poche, avec le saxophoniste Marion Brown (1931 ou 1935-2010) en première de couverture, saisi par le photographe Philippe Gras.


Le texte présenté dans cet ouvrage de 448 pages date de l’édition de 2000 (avec Julius Hemphill, autre saxophoniste, 1938-1995, en couverture, photo de Giuseppe Pino), alors actualisée par ses auteurs, Philippe Carles, à l’époque rédacteur en chef de Jazz Magazine et Jean-Louis Comolli, chroniqueur de jazz et de cinéma et cinéaste.


Il est vrai que le free jazz dans sa version abrupte et protestataire a quelque peu disparu de l’expression jazzique depuis le début de ce XXI ème siècle même si son influence demeure sur les jazzmen de la jeune génération. Il n’empêche que l’analyse effectuée alors garde toute sa pertinence. Free Jazz, Black Power, selon leurs auteurs, « reconsidère l’histoire du jazz dans son articulation avec l’histoire sociale et politique des Noirs américains ».

 


Dans leur introduction, Philippe Carles et Jean-Louis Comolli écrivaient : « Il est remarquable que l’un des principaux problèmes auxquels soient affrontés aujourd’hui les militants politiques noirs américains soit celui de l’idéologie dominante dans les élites et une partie des masses noires ». C’était en 1971.

 

(*). Le livre avait aussi frappé les esprits par le dessin de couverture signé Reiser, figure mythique de Hara-Kiri, représentant un noir tirant la langue et levant le poing.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo et dessin : Philippe Gras et Reiser.

 

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21 décembre 2020 1 21 /12 /décembre /2020 09:31

Sylvain Daniel (guitare basse, voix, claviers, percussions, piano, bugle, batterie), Guillaume Poncelet (trompette), Sophie Agnel (piano, synthétiseur), David Aknin (batterie), Johan Renard & Anne Le Pape (violons), Cyprien Busolini (alto), Jean-Philippe Feiss (violoncelle), Olivier Augrond (voix)

sans date, Pantin & Paris

Kyudo Records / l'autre distribution

https://sylvaindaniel.bandcamp.com/album/pauca-meae

 

J'aborde ce disque avec circonspection : il est construit autour de poèmes de Victor Hugo. Or les héros de mon dix-neuvième siècle littéraire s'appellent plutôt Balzac, Flaubert, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Jules Vallès, Nerval, Mallarmé (liste non exhaustive), le Père Hugo m'étant toujours apparu comme un notable certes souvent contestataire (les exils, Napoléon le Petit, Le Dernier jour d'un condamné, L'homme qui rit, Quatrevingt-treize....), mais tellement installé dans le parcours qui devait le conduire depuis la position de Pair de France jusqu'aux obsèques nationales, malgré les désagréments causés par ses engagements successifs. Et sa poésie m'a toujours semblé d'une correction bourgeoise qui m'anesthésie.

Mais j'aime beaucoup la musique de Sylvain Daniel, donc je m'y suis plongé. Après avoir lu dans une gazette culturelle un article qui s'étendait longuement sur Hugo plus que sur la musique, je vais tenter d'esquiver le piège, et de me concentrer sur cette œuvre musicale. Une musique autour du texte assurément. Dans le texte aussi, parfois contre, mais pour mieux l'évoquer. Le texte, c'est le livre IV des Contemplations, un recueil intitulé 'Pauca Meæ' : peu de vers (60 pages, quand même, dans le tome 2, cinquième édition, des Contemplations chez Hetzel en 1858), pour cet ensemble de poèmes suscité par la mort de Léopoldine. Soixante pages, c'est déjà beaucoup quand le titre suggère peu....

Côté texte d'abord, la diction d'Olivier Augrond est constamment adaptée au poème convoqué. Intimité chaleureuse pour 'Elle avait pris ce pli' (cinquième poème du recueil, mais première plage du CD) ; violence à peine contenue (et soulignée par un changement de prise de son) dans 'À Villequier' (les huit derniers vers d'un long poème) après une formidable séquence musicale de profonde mélancolie où la trompette nous envahit d'émois. Les poèmes ne sont pas évoqués dans l'ordre du recueil et d'ailleurs, pour la plage suivante du disque, 'Aux anges qui nous voient', c'est un double emprunt au livre VI du recueil, et donc plus à 'Pauca Meæ'. Mais la musique est toujours d'une grande intensité, et sur un canevas répétitif le spleen est toujours là. Puis vient la folie du père égaré par son chagrin. La musique encore dit plus que l'essentiel. L'inoxydable Demain, dès l'aube (souvenir du premier poème que l'on m'a fait apprendre à l'école, à l'âge de cinq ou six ans....) est esquivé pour n'offrir qu'un court-circuit entre les vers 5 à 8 et 11-12 de la fin du poème. Belle manière de nous épargner la grandiloquence du début du poème (Hugo n'est pas Baudelaire, hélas!). Il y a ensuite encore des emprunts au livre sixième, mais sans détailler chaque plage, je dois dire que, du début à la fin, Sylvain Daniel m'a convaincu musicalement par la pertinence de son choix hugolien. Et la conclusion chambriste qui, dans la dernière plage, reprend le thème de la première, sans texte mais avec quatuor à cordes, m'a énormément plu. Pas fan du Père Hugo (sauf les exceptions que j'ai mentionnées), mais enchanté par ce disque puissamment évocateur !

Xavier Prévost

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20 décembre 2020 7 20 /12 /décembre /2020 14:55

Ma Rainey’s Black Bottom. Bande originale du film de George C.Wolf. Branford Marsalis. Sony Music/Milan. Décembre 2020.

Avec Bessie Smith, Ma Rainey (1886-1939) figure au panthéon des chanteuses de blues des premières années du jazz au début du siècle passé. Dotée d’une voix de contralto « parfaitement contrôlée » et de rondeurs généreuses, Ma en imposait sur scène. « Véritable arbre de Noël décoré de bijoux, elle jouait admirablement de son physique », observe François Billard (Les chanteuses de jazz. Ed.Ramsay).

 

Sa forte personnalité et ses qualités artistiques d’interprète (dès l’âge de douze ans) et de compositrice -on lui doit ainsi en 1924 'See See Rider', un des futurs hits d’Elvis Presley- ont inspiré le théâtre, avec une pièce, ‘Ma Rainey’s Black Bottom’, signée August Wilson et jouée à Broadway en 1982.
Le récit des aventures à Chicago en 1927 de la chanteuse de Colombus (Georgie) -imaginées sous la forme d’un huis clos dans un studio d’enregistrement- vient d’être porté à l’écran par George C.Wolfe avec le même titre, celui d’une composition de la chanteuse, film qui est diffusé sur Netflix depuis le 18 décembre.

 

Dans le rôle-titre, Viola Davis (Oscar en 2017 pour son interprétation dans 'Fences') partage la vedette avec Chadwick Boseman (le héros du film 'Black Panther') qui incarne un trompettiste dans ce qui s’avèrera sa dernière apparition à l’écran (il est décédé d’un cancer en août dernier à l’âge de 43 ans).

 

La bande-son en a été confiée à Branford Marsalis qui s’est plongé dans l’univers musical des années 20 et plus spécialement, précise-t-il dans le livret, dans les interprétations de King Oliver et de Paul Whiteman. Le saxophoniste et arrangeur de la Nouvelle-Orléans souligne combien les deux musiciens ont su élargir le format traditionnel des petites formations de l’époque (trompette, clarinette, trombone, banjo ou piano, basse ou tuba et batterie).

 

A la tête d’une grande formation avec force violons, violoncelles, saxophones (ténor, alto), trombones, cornets, Branford Marsalis reproduit brillamment l’atmosphère de cette époque flamboyante sans céder à une quelconque nostalgie poussiéreuse. Des 24 titres joués ici, quatre sont des compositions de Ma Rainey y compris celle qui donne son nom au film et ‘Those Dogs of Mine’ interprétée par Viola Davis ... Un album qui mérite d’être classé au milieu de la centaine d’enregistrements laissés par Gertrude, Malissa Pridgett surnommée  « la mère du blues ».


Jean-Louis Lemarchand.

 

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