CAMILLE THOUVENOT METTA TRIO
Crésistance
Christophe LINCONTANG (contrebasse) Andy BARRON ' batterie)
Premier album à la fois fluide et haletant du Metta trio, ce Crésistance suscite rapidement une attention bienveillante. C’est une histoire de famille au sens large, d’amitié entre potes, depuis la création de la pochette (Victor Costes et Lucas Linares ) qui tranche heureusement de la production actuelle en jazz assez médiocre, aux effets sonores et habillage d’Audrey Podrini (la compagne du pianiste). Même Bérénice, la fille de l’un des concepteurs Lucas Linarès, gazouille sur la coda du titre éponyme.
Metta est une référence bouddhiste qui éclaire sur le propos de l’album : Crésistance est pensé comme une histoire, dans laquelle on vous parle d'amour, de bienveillance, d'inspiration, d'émotions, de créations et résistances. Quant au titre Crésistance, il fait écho à la formule célèbre du regretté Stéphane Hessel, apôtre de l’indignation : “Créer c’est résister et résister c’est créer”.
Camille Thouvenot est un musicien talentueux, curieux de tout, à la gouaille enjôleuse: né dans le Gard, étudiant au Conservatoire de Nîmes, il intègre ensuite le CNR de Lyon où il étudie avec Mario Stantchev. Des rencontres nombreuses l’ont fait s’orienter vers le jazz avec un bagage plus que consistant, puisqu’il a une double culture. D’où des résurgences classiques dans les harmonies enrichies et le phrasé, du rhythm &blues, tout un brassage avec des couleurs franches. Assurément mélomane -et ce n’est pas toujours le cas chez les musiciens, il a écouté les styles les plus divers, faisant son miel de certaines manières. Chaque composition trouve son inspiration dans une “rencontre”. Et comme il n’en est pas à sa première expérience de groupes (le trio Desiderio, le Dreisam trio qui s’est fait connaître au Tremplin Jazz (s) RA en 2012), il a acquis une assurance qui s’entend dès le premier titre. Eclectique donc, il virevolte avec aisance et a su s’entourer de complices attentifs d’où un trio soudé, plutôt équilatéral: un sens du collectif, du souffle et du lyrisme, un rythme soutenu, car il n’y a pas de temps à perdre pour ce boulimique de musiques.
Le programme est bien composé, les titres s’enchaînent sans que la tension ne retombe, entrecoupés de montages sonores divers qui font retour au jazz ( fragments d’interview de Duke Ellington, Miles, Wynton Marsalis, Coltrane). Et à l’actualité.
Généreusement, le pianiste se livre dans des notes de pochette, confidences instructives. Ainsi se dessine un auto-portrait kaléidophonique, où il indique influences, préférences, emprunts, faisant défiler des musiciens de générations diverses, de Gérard Clayton à Tigran Hamasiyan, Herbie Hancock et même dans une pirouette finale “a ghost title” surprenant, cet “Indifférence” du roi de la valse musette swing jazz Tony Murena, que cite volontiers Michel Portal.
Sur les 15 compositions, neuf sont des originaux d’Audrey Podrini et de Camille Thouvenot et le reste des reprises arrangées avec une science que le pianiste possède à un haut niveau. On se souviendra de la version endiablée de “Caravan”, ce standard rebâché qui connaît une nouvelle jeunesse, retricoté entre le sens de l’espace d’Ahmad Jamal et les rythmiques néo orléanaises. Il faut aussi écouter ce “Cherokee” sous le patronage de Wynton Marsalis, ces lectures de “Nardis”, “On green Dolphin Street” et un double“moment” Coltrane. En travaillant les répertoires, le trio joue ce que souffle la mémoire, s’en inspirant librement, toujours un peu sur le fil. Toutes ces compositions ont en commun un fort caractère mélodique, favorisant le travail sur les dynamiques, l’espace. Le pianiste sait se renouveler, introduire nuances, contrastes, profiter des ruptures que la rythmique introduit. Une belle et rare synthèse entre exigence et lyrisme, préméditation et spontanéité .
L’ensemble dégage une joie de vivre communicative, une exceptionnelle vitalité qui tranche sur la production de CDs qui sortent en ces temps de confinement. Un album des plus réjouissants, surprenant d’intensité, qui allie à une réelle fantaisie un sens de la liberté qui n’exclut jamais une maîtrise certaine.
Sophie CHAMBON