Ambrose Akinmusire (trompette, piano électrique, composition, textes), Sam Harris (piano, synthétiseur), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie) + Genevieve Artadi (voix, texte), Jesus Diaz (percussion, voix)
Brooklyn, date non précisée
Blue Note 00602508926198 / Universal (CD et vinyle)
D'une certain manière, c'est un disque de mélancolie autant que de combat (mais un combat qui n'étoufferait pas la musique). De retour dans sa ville d'Oakland après de longues années passée à New York et à Los Angeles, il prend conscience des changements survenus, alors que la population afro-américaine a été majoritairement remplacée par des habitants à la situation matérielle plus confortable, et qui semblent tout ignorer du passé et de la culture de cette ville. De cette conscience des mutations intervenues, le trompettiste-compositeur va tirer, pour exprimer l'âpreté de chaque calloused moment, une suite de paysages musicaux, aussi expressifs que sophistiqués, sans que jamais l'évidence artistique ne soit altérée par une quelconque bouffissure. Bref c'est du (très) Grand Art, une œuvre cohérente où se disent une sourde colère métamorphosée en allégorie de combat, et une analyse fine d'une réalité 'socio-culturalo-poétique' transformée en pure émotion musicale. Dès la première plage, après une courte phrase de trompette, il nous embarque dans un monde de tensions complexes et d'éclats effervescents, lesquels vont se résoudre en un chant yoruba dans la voix de Jesus Diaz. On est littéralement happé par l'urgence du propos, et la cohérence des formes, sans que jamais l'abstraction n'efface la chair et le sang qui composent, autant que le corps du musicien, le cœur de la musique. De plage en plage la perspective se déploie, l'émotion va croissant, sans défaut d'inspiration, d'expression ou de densité formelle. Au fil du disque sont évoquées des figures prépondérantes dans la mémoire du musicien (Roy Hargrove, Roscoe Mitchell....), et le temps d'un titre Ambrose Akinmusire s'installe au piano électrique (sur cet instrument il nous offrira aussi une plage conclusive en solo) pour dialoguer avec la voix et le texte de Genevieve Atardi. À aucun moment l'intensité ne sera démentie, et la musicien nous conduira, émerveillés, au terme de ce que j'appellerai, en pesant le poids de ce mot, un Chef-d'Œuvre.
Xavier Prévost
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