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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 21:18

Ambrose Akinmusire (trompette, piano électrique, composition, textes), Sam Harris (piano, synthétiseur), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie) + Genevieve Artadi (voix, texte), Jesus Diaz (percussion, voix)

Brooklyn, date non précisée

Blue Note 00602508926198 / Universal (CD et vinyle)

 

D'une certain manière, c'est un disque de mélancolie autant que de combat (mais un combat qui n'étoufferait pas la musique). De retour dans sa ville d'Oakland après de longues années passée à New York et à Los Angeles, il prend conscience des changements survenus, alors que la population afro-américaine a été majoritairement remplacée par des habitants à la situation matérielle plus confortable, et qui semblent tout ignorer du passé et de la culture de cette ville. De cette conscience des mutations intervenues, le trompettiste-compositeur va tirer, pour exprimer l'âpreté de chaque calloused moment, une suite de paysages musicaux, aussi expressifs que sophistiqués, sans que jamais l'évidence artistique ne soit altérée par une quelconque bouffissure. Bref c'est du (très) Grand Art, une œuvre cohérente où se disent une sourde colère métamorphosée en allégorie de combat, et une analyse fine d'une réalité 'socio-culturalo-poétique' transformée en pure émotion musicale. Dès la première plage, après une courte phrase de trompette, il nous embarque dans un monde de tensions complexes et d'éclats effervescents, lesquels vont se résoudre en un chant yoruba dans la voix de Jesus Diaz. On est littéralement happé par l'urgence du propos, et la cohérence des formes, sans que jamais l'abstraction n'efface la chair et le sang qui composent, autant que le corps du musicien, le cœur de la musique. De plage en plage la perspective se déploie, l'émotion va croissant, sans défaut d'inspiration, d'expression ou de densité formelle. Au fil du disque sont évoquées des figures prépondérantes dans la mémoire du musicien (Roy Hargrove, Roscoe Mitchell....), et le temps d'un titre Ambrose Akinmusire s'installe au piano électrique (sur cet instrument il nous offrira aussi une plage conclusive en solo) pour dialoguer avec la voix et le texte de Genevieve Atardi. À aucun moment l'intensité ne sera démentie, et la musicien nous conduira, émerveillés, au terme de ce que j'appellerai, en pesant le poids de ce mot, un Chef-d'Œuvre.

Xavier Prévost

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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 19:31

John Scofield (guitare), Steve Swallow (guitare basse), Bill Stewart (batterie)

New York, mars 2019

ECM 2679 /Universal

 

On pourrait dire de cette musique qu'elle est quintessentielle, en cela qu'elle concentre au degré le plus élevé l'intensité, la pure musicalité, avec ce détachement propre aux artistes qui n'érigent pas le goût de plaire en doctrine, et savent pourtant toucher au plus profond les amateurs mélomanes, en quête d'une jouissance musicale plutôt que d'un plaisir négociable. Cela relèverait de la part de Scofield d'une sorte d'hommage à son ami presque vénéré, Steve Swallow, et à ses compositions tissées d'élégance autant que de mystère, comme l'immarcescible Falling Grace, en plage 2 du CD, qui n'en finit pas de procurer des joies infinies au vieil amateur que je suis, sans jamais dévoiler tous ses secrets harmoniques (je dois à la vérité d'avouer que ma compétence musicologique est plus que lacunaire....). Le guitariste dialogue avec le compositeur dont la guitare basse ne cesse de chanter, de phrase en phrase, qu'il accompagne ou qu'il livre un solo. C'est de la pure magie, attisée par un orfèvre d'autres mystères, rythmiques ceux-là, en la personne de Bill Stewart. Qu'il s'agisse d'Eiderdown, maintes fois enregistré par une foule de musiciens qui cherchent à en déjouer les arcanes, ou du plus confidentiel She Was Young, inauguré par Swallow voici plus de quarante ans sous le même label, le miracle est permanent, tissé de connivences anciennes et du présent le plus immédiat, celui de jouer ensemble. En compagnie de ce tandem très exceptionnel John Scofield vole littéralement, de phrase en phrase, de nuance en éclat. Sur In F, d'après les harmonies de I Love You , signé Cole Porter, on assiste à un échange qui va du dialogue au trilogue, sans jamais laisser poindre ni redite, ni cliché. Les trois compères tiennent à l'auditeur la dragée haute, mais leur exigence est notre plaisir. Magistral, de bout en bout, ce disque est un cadeau à nous offert autant qu'un message qui nous serait adressé : «soyez par votre écoute à la hauteur de la musique qui se joue». L'extase est au bout du chemin....

Xavier Prévost

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5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 18:57
EMMA          PAUL JARRET QUARTET

EMMA  Paul JARRET Quartet

NEUKLANG

 

Paul JARRET (g), Eleonore BILLY (Nickelharpa),  Etienne RENARD (cb), Hannah TOLF (voix et percussions)

www.neuklangrecords.de

www.bauerstudios.de

 

Voilà un album pour le moins singulier dans le paysage du jazz hexagonal, encore qu’européen serait plus exact, puisque le projet du guitariste franco-suédois Paul JARRET est sorti, le 19 juin dernier, sur le label allemand NEUKLANG.

C’est un voyage qui part de Suède, le pays de Pelle le Conquérant (film de Bille August palmé à Cannes en 1987), où un père et son fils, poussés par la faim et le chômage débarquaient au Danemark.

Sauf que cette fois, les migrants dont l’arrière grand-mère du guitariste, Emma Jonasson, allaient bien plus loin, traversant l’océan jusqu’en Amérique.

Si on sait que l’Amérique fut peuplée de vagues de diverses nationalités tout au long du XIXème siècle, on ignore en général l’importance de l’immigration suédoise dans le Midwest, correspondant à un cinquième de la population, soit 1,3 million de personnes. C’est un hommage sincère à tous ces immigrants courageux qui risquèrent leur vie, ne sachant rien de la terrible épreuve qui les attendait : ces paysans qui n’avaient jamais vu la mer, partaient, des images de la terre promise en tête, prêts à tout pour fuir la misère! 

Le guitariste a réuni autour de lui des musiciens experts à rendre l’intensité de cette musique qui s’apparente à un collectage musical de chansons “trad”, de complaintes folk, avec une tendance marquée pour une musique répétitive (“The Crossing”) voire minimaliste. C’est que Paul Jarret a écrit lui même les six compositions, amplement développées qui forment un ensemble d’une continuité conceptuelle intéressante, depuis le lancinant prélude “Sjutton Är” avec de belles variations d’intensité,  et le chant qui s’achève en gouttes qui drippent, la traversée, l’arrivée sur le nouveau continent, les espoirs d’une vie facile (“Kanon”) vite détrompés, de terribles désillusions, l'envers du “rêve américain”. Au point qu’Emma réussira à repartir en Suède, en 1910, où elle fondera une famille.

La révélation de cet album est la chanteuse-compositrice Hannah Tolf, basée à Göteborg, une performeuse qui stratosphérise, joue fort habilement des percussions pour s’accompagner. Dans sa voix de sirène, Hannah Tolf a des accents plus proches de l’Islandaise Björk que de la toujours très aimée Monika Zetterlund (avec Bill Evans, dans Waltz for Debby)Sur “Amerikavisan”, au mitan de l’album, sa voix résonne avec une belle fraîcheur pour conter le chant des émigrants.

L’autre singularité de la musique de Paul Jarret est la constitution d’un quartet de chambre  insolite où se fondent magnifiquement les timbres des divers instruments dont un très original, traditionnel suédois, à cordes frottées de la région d’Uppland, la Nyckelharpa, un hybride de clavier et de violon à quatre cordes. Le son que l’on entend fait penser à celui d’une vièle à roue. Fort de ce sentiment de grande authenticité d’une musique populaire, on saisit parfaitement l’intérêt de cette recherche musicologique pour  des chants s’inspirant de récits comme La Saga des Emigrants de Vilhelm Moberg, décrivant l’état physique et psychologique après trois mois d’une traversée épouvantable. Ou encore la chanson sur ce pain de seigle, noir, dur à la dent, le dernier pain cuit dans un four du pays natal ( “Svart Bröd”).

Ce projet décidément incomparable est un chant d’amour du guitariste à ses ascendants courageux et à leur périple fou. La musique suit leurs sentiments, leurs émotions : parfois âpre, avec des motifs répétitifs (un bourdon jouant son rôle de note continue), des accents qui vrillent le coeur, entrecoupés de silences qui ont toute leur place. Une sacrée découverte!

 

Sophie Chambon

 

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1 juillet 2020 3 01 /07 /juillet /2020 23:15

Barney Wilen (saxophones ténor et soprano), Alain Jean-Marie (piano). En concert au Festival International de Montréal le 4 juillet 1993. Elemental Music/Distrijazz. Juin 2020. (Coffret de deux cds. Egalement disponible en vinyl -six titres-)


C’est toujours un bonheur de retrouver la grâce nonchalante de Barney Wilen. Son fils, Patrick, qui avait sorti voici deux ans des concerts inédits captés à Tokyo en 1991 (Live in Tokyo) nous propose aujourd’hui des enregistrements toujours en public effectués en 1993 à Montréal.  Après le quartet du Japon (Olivier Hutman, Gilles Naturel, Peter Gritz), voici le temps du duo avec le pianiste Alain Jean-Marie. Les deux musiciens s’appréciaient, s’écoutaient, ainsi qu’en témoignait déjà le concert de 1991 (Dreamtime-Harmonia Mundi), au festival de Cully (Suisse).


 « Avec Barney, on partageait le même goût pour la musique, à condition qu’elle soit simple, sobre et élégante qu’elle swingue et qu’elle émeuve aussi », témoigne dans le livret de Montreal Duets le pianiste auprès de Pascal Anquetil. Les deux concerts captés le même soir dans le club montréalais, le Church of the Gésu, salle intimiste, offrent une éclatante illustration de cette complicité. Sur la même longueur d’ondes, Barney et Alain se baladent avec décontraction. Le répertoire leur est familier : Round Midnight, A Night in Tunisia, All the Things You Are, No Problem, My Funny Valentine, Besame Mucho et cet air qui achevait souvent les concerts de Barney, Goodbye de Gordon Jenkins.


Alternant le ténor et le soprano, Barney Wilen, tout à la joie de ce premier concert sur une scène québécoise, semble effectuer un retour aux sources, celles du be-bop, tout en réaffirmant sa filiation avec la distinction de Lester Young. En ce sens, cet enregistrement de Montréal constitue un témoignage rare, comme un testament de ce jeune prodige (Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz à 21 ans), devenu une légende quelque peu mystérieuse, qui disparaîtra moins de trois années plus tard, le 25 mai 1996, à 59 ans.


Jean-Louis Lemarchand

 

©photo Jean-Michel Sordello et Denis Alex, FIJM.

 

 

 

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29 juin 2020 1 29 /06 /juin /2020 20:28
RIVAGES  JEAN LOUIS MATINIER/ KEVIN SEDDIKI

RIVAGES

Jean Louis MATINIER (acc), Kevin SEDDIKI (g)

ECM/Sortie 29 Mai 2020

 

 

Voilà un album étonnant, épuré (qualité ECM) et réconfortant qui nous entraîne dans un voyage immobile, dans le temps autant que dans l’espace, une rêverie chambrée ouverte sur le monde, un folklore jamais partisan, plutôt imaginaire. Un univers poétique créé par un duo de musiciens singuliers pour ne pas dire atypiques qui ne se connaissent peut être pas depuis longtemps, mais se sont rencontrés pour aborder les mystérieux rivages du monde.

Un répertoire étrangement varié qui garde une belle cohérence, puisque ces onze petites pièces de guitare et accordéon, si elles font la part belle à leurs compositions et improvisations, intègrent parfaitement “Les berceaux” de Gabriel Fauré, un traditionnel “Greensleeves” qui n’est autre que le vibrant “Amsterdam” de Brel, nettoyé de toute scorie et leur version instrumentale, retouchée avec sensibilité, sans pathos de “la Chanson d’Hélène” du grand Philippe Sarde ( le thème culte du film Les Choses de la vie de Claude Sautet).

 

Une démonstration classieuse de sobriété, mettant ainsi en avant la souplesse d’une musique, qui n’est jamais mieux servie que quand elle est jouée avec douceur. Sans guitar hero ni accordéoniste star et pourtant quelle finesse!

C’est un bonheur que de découvrir avec ce musicien hors pair qu’est Kevin Seddiki (entre classique, musiques du monde et jazz), les variations d’une limpide clarté d’une guitare caressée, frottée, pincée qui résonne délicatement. Quant au jeu de Jean Louis Matinier, il a la fluidité et l’éclat du chant, la vitalité du cri.

Chacun a de l’espace pour faire vivre sa partie, interchangeant habilement les rôles selon les titres, à l’aise dans le lyrisme teinté de mélancolie des mélodies, ou assurant la rythmique qui change habilement de tempo.

Un bien beau parcours, peu balisé, jouant sur les couleurs, les timbres qui suppose l’engagement d’une écoute attentive et complice, un soutien solide et indéfectible quand l’autre s’échappe.

 

Sophie Chambon

 

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23 juin 2020 2 23 /06 /juin /2020 22:29

Claire Vaillant (voix, textes), Pierre Drevet (trompette, bugle, composition & arrangement)

Brussels Jazz Orchestra : Franck Vaganée (saxophones alto & soprano), Dieter Limbourg (saxophone alto), Kurt Van Herck & Bart Defoort (saxophones ténors), Bo Van der Werf (saxophone baryton), Serge Plume, Antoine Colin, Jean-Paul Estiévenart, Jeroen Van Malderen (trompettes), Frederik Heirman, Ben Fleerakkers, Dree Peremans (trombones), Laurent Hendrick (trombone basse), Nathalie Loriers (piano, piano électrique), Hendrik Braeckman (guitare), Bart De Nolf (contrebasse, guitare basse), Toni Vitacolonna (batterie)

Vienne (Isère), 27 novembre 2019

Lilananda / InOuïe Distribution

 

La première fois que j'ai écouté Pierre Drevet, ce devait être à Grenoble, en 1983. J'étais venu enregistrer quelques concerts du festival de jazz, et faire des reportages pour France Culture, en compagnie d'André Francis, et j'étais revenu avec un disque du groupe Horn Stuff au sein duquel il avait enregistré. Dès ce premier contact, j'avais été frappé par la qualité instrumentale et musicale du trompettiste. Je l'ai réécouté bien souvent par la suite, j'ai présenté sur scène et sur l'antenne de France Musique des groupes dans lesquels il jouait, et cette première impression s'est confirmée, et toujours plus affirmée. Dans L'Orchestre National de Jazz comme dans le Caratini Jazz Ensemble, et dans bien d'autres groupes, j'ai apprécié non seulement l'impeccable instrumentiste, sa précision, son expressivité, mais aussi ses talents d'improvisateur : imaginatif, cohérent, sachant prendre des risques. L'écouter, au bugle notamment, est un plaisir toujours renouvelé. J'avais aussi écouté ses arrangement pour 'The European Jazz Trumpets'. Sa présence au sein du 'Brussels Jazz Orchestra', depuis une quinzaine d'années, trouve une sorte d'apothéose avec ce disque pour lequel il prend les commandes, signe la plupart des musiques et tous les arrangements, pour servir la voix (et les textes) de Claire Vaillant. Un disque enregistré en concert, avec tout ce que cela suppose de rigueur et de goût du risque.

Dans l'écriture des thèmes comme dans les orchestrations, on sent chez Pierre Drevet l'attachement à l'orchestre vu, ou plutôt entendu, de l'intérieur ; le goût des grandes masses, mais aussi celui des voix singulières qui habitent l'orchestre et dont la somme construit l'unité. Avec une part belle laissée aux solistes quand ils sortent du rang pour s'exposer sur l'avant-scène. Un certain goût de l'Artisanat d'Art tel qu'il se pratique dans bon nombre des orchestres où il a joué, et joue encore. Et puis l'ombre tutélaire de Kenny Wheeler : l'arrangeur et la chanteuse ont côtoyé sa musique. Claire Vaillant possède cette voix agile dans les intervalles serrés ou distendus, mais sans sacrifier jamais l'expression. De plage en plage, quelle que soit la couleur, quel que soit le tempo, une grande réussite, musicale ET artistique.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?18&v=M6dGykEy5VE

https://www.youtube.com/watch?v=H04WnaA45lE

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20 juin 2020 6 20 /06 /juin /2020 11:11
CLOVER TRIO   PUPPET DANCE

PUPPET DANCE CLOVER TRIO

Green Nose production

https://clovertrio.com/

https://clovertrio.com/teaser-puppet-dance/

https://www.concertlive.fr/concert/clover-trio-a-paris-20-a-partir-du-2020-11-17-3 

La séduction est quasi-immédiate dès que s’ouvre le deuxième album du CLOVER TRIO créé en 2018, après un remarqué Harvest. Huit titres qui traduisent la philosophie de la société de production GREEN NOSE, structure dont le propos est de joindre des pratiques artistiques au-delà du temps et de l’espace. Un titre insolite que ce "green nose" pour évoquer poétiquement “le nez poudré au thé macha”, référence à l’ami japonais co-fondateur. Quant aux styles de musiques, il est indéfinissable après écoute attentive, flirtant entre jazz, rock, pop et blues, avec cette sonorité immédiatement reconnaissable de l'orgue.  Des ritournelles entêtantes où règnent le cliquetis sec et précis des baguettes, les friselis de la guitare électrifiée et la lame de fond de l’orgue qui parfois, emporté à son tour par la rythmique fougueuse, brode des ornements raffinés. Dans cet interplay efficace, les rôles s’intervertissent, comme les rythmes qui se bousculent et se transforment pour le plus grand plaisir de l’auditeur!

Un son précis que dominent l’orgue de Damien Argentieri et la guitare électrique de Sébastien Lanson (fondateur de la société de production). Non que le troisième larron, le batteur Benoist Raffin soit à part: son drive énergique avec un sens chorégraphique du geste, installe, dès “Gil’s mood”, un climat irrésistiblement entraînant. La “Puppet dance” éponyme, choisie pertinemment comme teaser, reflète l’attention particulière du trio aux sons, aux timbres répartis en équilibre, sur le fil, comme le début de la composition qui renvoie au rythme instable, bancal des marionnettes. Avant de s’emballer dans une vraie danse et de changer encore de rythme. Chacun donne la pleine mesure de son talent, dans une clarté d’articulation, de phrasé, sur un répertoire peaufiné par des perfectionnistes du trait!

Avec une confondante aisance, le trio navigue d’atmosphères feutrées à d’autres plus éclatantes, parfois au sein de la même composition: le délicieux et délicat “Clover’s flight” commence comme une balade cinématographique, le trio s’envole sur une partition également distribuée, nous incitant à la concentration pour ne pas dérégler notre pas.  Car tout invite à la danse, qui ne va pas sans une légère transe, sans développements échevelés cependant: le trio tient la mesure, l’équipage file adroitement, sans jamais faiblir, ni se livrer à des errances trop décalées.

La musique, sans prétention, coule sans le moindre effort en apparence. Ces huit pièces, pas faciles pour autant, ne durent que 40’, le format idéal pour écouter d’une traite, sans modération: la juste durée nécessaire mais suffisante pour atteindre la planète groove! Si la nostalgie existe, elle arrive à mesure que défilent les titres, en liberté, pleinement assumée !

Sophie Chambon

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19 juin 2020 5 19 /06 /juin /2020 17:02

Elsa Birgé (chant), Tony Hymas (piano, piano électrique, synthétiseur), Grego Simmons (guitare électrique), François Corneloup (saxophone baryton), Stokley Williams (batterie, chant), Jeff Lederer (saxophone soprano) Kirk Knuffke (cornet), Chris Lightcap (contrebasse), Matt Wilson (batterie, voix), Lucy Tight (chant, boîte à cigares), Wayne Waxing (chant, banjo, harmonica, guitare, batterie), Nathan Hanson (saxophone soprano), Catherine Delaunay (clarinette), Donald Washington (saxophone ténor), Guillaume Séguron & Doan Brian Roessler (contrebasses), Davu Seru (batterie), John Dikeman (saxophone ténor), Simon Goubert (batterie), Sophia Domancich (piano), Robin Fincker (saxophone ténor), Sylvaine Hélary (flûtes), Antonin Rayon (orgue, synthétiseur), Benjamin Gilbert (guitare & guitare basse), Christophe Lavergne (batterie)

Paris, Los Angeles, Meudon, Treignac, Aix-en-Provence, Créteil....

nato 5360 / l'autre distribution

 

En écho au voyage aller paru en 1992 (nato 53001.2), un retour sur le répertoire de l'inoubliable Sidney Bechet. Inoubliable par l'accomplissement de son art, par sa place dans l'histoire et aussi, dans notre pays où il a longtemps vécu, par l'immense popularité dont il jouissait. Inoubliable pour le petit garçon que j'étais au moment de sa mort, en 1959. J'avais dix ans, et mon activité de disc-jockey pour les surprises parties de mes frères et sœurs plus âgés me conduisaient déjà à les faire danser sur la musique de Bechet, Armstrong (et même l'épigone-plagiaire Teddy Buckner !), Fats Domino.... Donc après m'être délecté naguère du voyage aller (Lol Coxhill, Elvin Jones, Michel Doneda, Taj Mahal, Tony Hymas, Tony Coe, Steve Beresford, Han Bennink, Charlie Watts, Lee Konitz, Urszula Dudziak....), je me suis précipité sur cette nouvelle mouture confiée à une nouvelle génération (Tony Hymas étant le passeur d'un disque à l'autre).

Comme toujours chez nato (sans majuscule!), Jean Rochard revendique d'avoir 'produit artisanalement' : du travail d'Artisan(s) d'Art (avec des majuscules), pour le choix des titres, des interprètes, du son, des illustations, des textes....

Comme pour le voyage aller on commence avec Petite Fleur, mais au traitement électro qui servait de soubassement à Lol Coxhill se substitue ici une voix qui rappelle la 'pop française' (de qualité!) du début des années 60, mais avec un magnifique enrobage 'fusion'. Frais et décapant tout à la fois. Puis l'on entre, pour être de plain pied avec l'entièreté de Bechet, dans l'univers caribéen sous la houlette de Matt Wilson (avec lui les tambours chantent!). Suit une plongée dans le blues, au plus près des racines, avec Lucy Tight, avant le Portrait of Bechet composé par Ellington (New Orleans Suite). Échappée libertaire ensuite, par John Dikeman et Simon Goubert (là aussi les tambours chantent... une autre chanson!) sur American Rhythm. Puis le quartette de Matt Wilson joue Brassens (Brave Margot, façon 'vieux style', thème que Bechet avait repris), et Nathan Hanson évoque Coltrane (Blues to Bechet, album «Coltrane Plays the Blues»,1960). Au fil des plages, une foule de compositions de Bechet, plus quelques traditionnels réadaptés par ses soins : Danses de chez nous, titre revisité par le groupe Ursus Minor, et qui faisait suite à Passport to Paradise, rejoué, entre abstraction et mélodie, par Robin Fincker et Sophia Domancich. Tous les thèmes sont traités avec amour, passion, et aussi liberté (Catherine, Delaunay, Sylvaine Hélary) par des muscien.ne.s de haut vol. Je ne puis tout détailler, seulement vous inviter à vous précipiter sur ce disque de musique vivante : Bechet, still alive, and well !

Xavier Prévost

 

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17 juin 2020 3 17 /06 /juin /2020 09:24

L'envie de faire un tir groupé, pour de multiples raisons : ces trois disques sont arrivés à mes oreilles dans la brume d'un monde confiné, puis ont paru pendant les premières étapes du déconfinement ; et aussi parce que chacun illustre une manière différente de penser le jazz aujourd'hui ; et enfin parce que les trois accueillent le batteur Thomas Delor, rejoint sur deux des trois CD par le guitariste Simon Martineau

THOMAS DELOR «Silence the 13th»

Simon Martineau (guitare), Georges Correia (contrebasse), Thomas Delor (batterie)

Udine (Italie), 4-5 septembre 2019

(Fresh Sound FSNT 592 / Socadisc)

 

Le texte du livret annonce la couleur : «Le noir est une couleur. L'absence de couleur est noire. L'absence de couleur est donc une couleur». Ce raisonnement renvoie au premier titre, Syllogism, et justifie la suite du texte «Le silence ne pourrait-il donc pas être considéré comme un son, voire comme une treizième note ?». Ce qui conduit à la deuxième plage, Silence the 13th , qui donne à l'album son titre. La passion logique habite le batteur, qui abandonna l'enseignement des mathématiques pour se consacrer exclusivement à la musique. D'une structure instrumentale élémentaire (guitare, basse, batterie), va jaillir une grande diversité de musiques, toutes habitées par le souci de mettre en scène la batterie, sans fracas, dans des esthétiques différentes. Dans chaque plage s'épanouit ainsi la singularité de chaque composition et de chaque membre du trio. Un solo de batterie, plaisamment baptisé Peaux pourries , nous rappelle, si nécessaire, que les tambours sont des conteurs ; et il s'enchaîne avec My Little Suede Shoes de Charlie Parker, qui prolonge le récit en trio. Bref de plage en plage, notre attention est captée, notre curiosité attisée, et nous sommes séduits par cette musique dans laquelle l'élaboration n'étouffe nullement le plaisir. Une vraie réussite.

GABRIEL MIDON «Imaginary Stories»

Ellinoa (chant), Pierre Bernier (saxophone ténor), Simon Martineau (guitare), Édouard Monnin (piano), Baptiste Castets, Thomas Delor (batterie), Gabriel Midon (contrebasse, composition), Antoine Delprat, Anne Darrieu (violons), Maria Zaharia (alto), Louise Leverd (violoncelle)

Alfortville 24-25 juin 2019, Maisons-Alfort 29 juin 2019

Soprane Records SP 102 / Absilone

 

La démarche de Gabriel Midon est toute différente : au lieu de s'imposer une nomenclature modeste (le trio guitare-basse-batterie), il opte pour un large effectif, qui se fractionne selon la plage et le projet musical de chaque séquence. Le contrebassiste commence avec la quatuor à cordes dans une espèce de spirale musicale, laquelle conduit vers une sorte de valse avec voix dont le texte nous égare délicieusement dans un monde où philosophie et poésie parleraient d'une seule voix. Puis la basse soliloque avant d'engager avec la percussion puis tout l'orchestre dans une joute joyeuse. Et il en va ainsi de plage en plage, dans des styles différents, avec une constante exigence musicale, qui culmine peut-être dans la densité fragmentée de Poursuite N° 4. Et le chemin se poursuit jusqu'à l'ultime séquence où la voix renoue le fil du récit poétique : le tout constitue plus qu'une suite ou un concept : une œuvre cohérente qui accomplit pleinement son ambition esthétique.

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=4jkNcuVD7AE

PIERRE MARCUS «Following the right way»

Baptiste Herbin (saxophones alto & soprano), Irving Acao (saxophone ténor), Simon Chivallon (piano), Pierre Marcus (contrebasse & compositions), Thomas Delor (batterie).

Invités : Renaud Gensane (trompette), Alexis Valet (vibraphone), Jeremy Hinnekens (piano), Aleksandar Dzhigov (gaïda)

Meudon, février 2020

Jazz Family JF 064 /Socadisc

 

Avec Pierre Marcus, nous revenons aux fondamentaux du jazz, avec le triomphe de la pulsation, et le respect d'une histoire amoureusement convoquée (Monk, Mingus, Oscar Pettiford). Mais aussi ouverture et clôture en rythmes balkaniques, et autres saluts aux musiques d'ailleurs. Sans oublier un évocation amicale du regretté François Chassagnite, trompettiste qui fut le professeur de jazz du leader au Conservatoire de Nice, et aussi pour le contrebassiste un ami. Comme François fut aussi pour moi un véritable ami, j'avoue sans honte avoir été particulièrement touché par cette plage. Faiblesse avouée, je crois, est à demi pardonnée. Mais ce sentiment personnel n'altère nullement mon jugement : j'aime ce disque parce qu'il sait être vivant, avec de très bons solistes, dans la tradition comme dans les pas de côté.

Xavier Prévost

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Pierre Marcus sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=gLvVM7HqwgE

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14 juin 2020 7 14 /06 /juin /2020 18:27

NDUDUZO MAKHATHINI : «  Modes of communication : letters from the underworlds »
Blue Note 2020

Nduduzo Makhathini (p, vc,), Logan Richardson (as), Linda Sikhakhane (ts), Ndabo Zulu (tp), Zwelakhe-Duma Bell Le Pere (cb), Ayanda Sikade (dms) Gontse Makhene (perc), Omugugu Makhathini, Nailah Makhathini, Thingo Makhathini, Moyo Makhathini,MXO (vc)

Attention : très grand disque sur la galaxie Blue Note que celui du jeune pianiste sud-africain Nduduzo Makhathini !!
S’il est des albums qui font figure d’œuvre parce que, vous ne savez pas trop ni comment ni pourquoi, tout y est réunit, celui-ci en fait assurément partie.
Le pianiste qui se mue surtout en arrangeur, en compositeur et meneur de troupe pourrait collectionner les superlatifs. Ceux-ci évoqueraient l’engagement collectif, l’intensité de groupe, l’énergie qui jamais ne faiblit au gré des 8 titres tous composés par Nduduzo Makhathini. Et s’il y a une force incroyable qui se dégage de cet album c’et aussi celui de la spiritualité qui s’en dégage, parfois chantée, parfois incantatoire porté par la puissance rauque d’un saxophoniste ténor exceptionnel, Linda Sikhakhane dont la puissance projetée s’élève au ciel comme une prière déchirée. Dans cet univers qui nous vient tout droit des faubourgs de Johanesburg, c’est curieusement un américain que nous aimons particulièrement, Logan Richardson qui à l’alto découpe lui aussi l’horizon avec tout autant de puissance que d’énergie vitale.
Renvoyant parfois à des évocations de chants rituels de son pays, Makhathini pour qui l’église a joué un rôle fondamental dans sa construction musicale et intellectuelle développe ici une musique ancrée et universelle à la fois.  Comme il le dit lui-même : «  j’ai toujours cherché à jouer une musique qui évoque la façon dont mon peuple danse, chante et parle »

Chez ce pianiste membre de l’enthousiasmante formation de Shabaka Hutchings and the Ancestors, la musique est au-delà de ses propres racines. Dans l’enracinement dans une autre forme de jazz, celui de John Coltrane (Umlotha, Isithunywa) d’Ornette Coleman parfois (Umyalez’o Phutumayo), de Mc Coy Tyner et enfin d’Abdullah Ibrahim  (Saziwa Nguwe). Parfois ellingtonnienne (On the other side), parfois tribale ( Shine), le musique de Nduduzo Makhatini brasse large.
Mais il y a autre chose que de la musique dans cet album. Il y a une certaine forme d’esprit collectif qui circule entre ses membres. Comme le flux vital qui traverserait une famille et l’unirait dans un but commun. C’est certainement la raison pour laquelle le pianiste a aussi convoqué aux backgrounds vocaux,outre sa propre femme et partenaire, l’ensemble de sa propre tribu. Affaire d’union de l’esprit au travers la musique.

Cette musique va à l’impact, au choc frontal. Il y a de la terre et du ciel dans cette musique-là. Il y a l’union des forces en présence, celle de ses acteurs formidablement impliqués.
Grande œuvre !
Jean-Marc Gelin

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