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15 mai 2020 5 15 /05 /mai /2020 22:32

 

CHRISTIAN MC BRIDE : «  the movement revisited – A musical portrait of four icons »
Mack avenue 2020
Christian Mc Bride (cb), Steve Wilson (as, fl), Todd Bashore (as), Ron Blake (ts,ss), Loren Shoenberg (ts), Carl Maragui (bs), Michael Dease, Steve Davis, James Burton (tb), Doug Purviance (btb), Lew Soloff, Ron Tooley, Franck Greene, Freddie hendrix, Darryl Shaw (tp), Warren Wolf (vb), Geoffrey Keezer (p), Tereon Gully (dms), Alicia Olutuja, J.D Steele, Sonia Sanchez, Dion Graham, Vondie Curtis-Hall,  Wendell Pierce, Voices of the flame (vc)
 

 

 

C’est quasiment une œuvre opératique à laquelle se libre le contrebassiste Christian Mc Bride, autour du thème de la lutte pour les droits civiques des afro-américains (comme on dit). Pour se faire, Mc Bride a choisi de rendre hommage à 4 grandes figures iconiques de la lutte des noirs américains : Rosa Parks, Malcom X, Mohamed Ali et enfin Barak Obama.
Chaque pièce leur est dédiée et est précédée par la lecture d’un texte mythique de (ou au sujet) de ces personnages historiques dont il est question de faire un portrait musical.  Et lorsque ces textes sont lus, ou plutôt remarquablement interprétés, la musique est là pour renforcer le propos. Et c’est toute la beauté et surtout la grande puissance de ces textes qui parlent de la liberté, de la fierté, noire, de l’humanité et surtout de l’engagement individuel et, au final collectif.
Ce portrait de ces 4 grandes figures qui correspondent chronologiquement à différents moments musicaux, c’est aussi une exploration de  la grande musique populaire noire américaine. Si l’album se termine par le fameux Yes we can, il se termine finalement par une interrogation sur la poursuite de ce combat dans cette amérique dont on peut se demander quelle sera demain la prochaine figure emblématique de ce combat que, hélas continue encore aujourd’hui.
Le contrebassiste, Christian Mc Bride qui réunit ici une grande formation s’inscrit sur les traces d’un de ses illustres prédécesseur, Charles Mingus. Et l’orchestre répond aux mêmes exigences d’engagement que celles que demandait Mingus lui-même à ses collistiers. Il y a certes moins d’humour incisif, moins de sarcasmes que dans l’œuvre du contrebassiste de Nogales (Arizona) mais la même urgence à dire, la même expressivité forte et puissante. Les solistes sont au rendez-vous, terriblement concernés par le propos.
Quel propos d’ailleurs ? Il est ici politique bien sûr. Il concerne l’égalité des droits. Mais il porte en lui sa part d’universalité.
Et surtout, dans cette Amérique encore raciste et réactionnaire, il est terriblement d’actualité. 
L’ouvrage, en tout cas, ne manque pas de souffle.
Jean-Marc Gelin




 

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12 mai 2020 2 12 /05 /mai /2020 16:41
LITTLE LOUIS

 

CLAIRE JULLIARD

LITTLE LOUIS

ROMAN 240 pages

Sortie le 5 mars

LE MOT ET LE RESTE

www.lemotetlereste.com

 On sait que le jazz est un roman depuis Alain Gerber. Claire Julliard, journaliste littéraire et autrice entre autres de la biographie chez Folio de Boris Vian, reprend le flambeau et nous livre une histoire pleine de bruit et de fureur, un conte merveilleux qui aurait pu virer au tragique tant Little Louis n’était pas né sous les meilleurs auspices. Sa vie ne fut pas “a bed of roses” et l’ image de clown jovial qui lui collait à la peau, lui porta tort, lui qu’on accusait de servir la soupe aux Blancs. Quand on chante “Black and Blue”, on ne sourit pas tous les jours à la vie. Celle qui fait oeuvre de romancière, à partir de sources précises et du journal d’Armstrong, réécrit l’enfance du trompettiste, ses jeunes années, en 21 chapitres animés, à la façon d’un entretien, comme si Louis nous parlait. Depuis sa naissance supposée le 4 août 1900,  à Perdido, rue du quartier noir de la Nouvelle Orleans,  jusqu’à son départ en 1922 pour le Nord et Chicago afin de rejoindre son maître, celui qui lui a tout appris, King OLIVER, le roi du cornet! “Heaven, I’m in heaven” c’est le titre du dernier chapitre où, à 22 ans, il se croit arrivé au paradis! Les jeux ne sont pas faits pourtant!

Chez nous, c’était la nouvelle Babylone, le royaume du crime et de la dépravation” : on est tout de suite plongé dans une réalité sans fard, quand il découvre la rue, la violence mais aussi la fête comme tous les enfants pauvres, assis sur les marches de l’escalier de sa maison. Il fait très vite connaissance avec la ségrégation, les terribles lois Jim Crow, une expérience quotidienne de racisme ordinaire, même s’il refuse l’appellation d’Oliver Twist noir. C’est que la Nouvelle Orleans n’est pas Londres. A la fin de sa vie, il vivra dans un luxe (relatif), celui des anciens pauvres, mais il aura toujours la nostalgie des belles maisons blanches aux balcons de fer forgé, des effuves de magnolias, du District et de ses honky tonks, de Canal Street, des parades colorées, de la musique, des battles au coin des rues, des steamers qui remontent le Mississipi.

Chaque vie possède sa propre tonalité, son rythme. La mienne a commencé au son des fanfares de la Nouvelle Orleans. Ce sens de la fête culmine lors des enterrements, puisque la mort est le départ vers une vie meilleure, loin de cette ville poisseuse…. Il chantera plus tard, avec Billie Holiday, transformée en bonniche dans un horrible film made in Hollywood, sans aucun intérêt cinématographique, “Do you know what it means to miss New Orleans?” 

Dans Little Louis, on suit comment il fut envoyé très jeune, à 13 ans, dans une maison de redressement. Où comment un coup de pistolet, tiré en l’air, la nuit du Nouvel An 1913, changea l’avenir du jazz. Il fut littéralement sauvé par la musique, intégré dans la fanfare de l’établissement par Peter Davis, formation dans laquelle il occupera bientôt une place importante de cornettiste! Ce sera le début d’une longue carrière car il connaîtra vite le succès, la reconnaissance des autres musiciens et du public. Jusqu’à la fin. 

Roman de l’apprentissage, traversée initiatique, y compris de son éducation sentimentale, houleuse et compliquée, ce portrait vif et documenté se lit d’un trait, avec plaisir. On sera sensible à la manière dont l’auteur pointe ce qui constitue le talent, l’essence de l’art d’un musicien tout en resituant la naissance du jazz dans ce berceau sudiste.  La phrase de Philip Roth en exergue, “Let us remember the energy” s’adapte parfaitement au cas Armstrong: il a toujours su rebondir, s’adapter aux difficultés, célébrer la beauté du monde; il savait d’où il venait et ne l’a jamais oublié. Il n’a jamais perdu la joie de jouer et n’a donc jamais abandonné la pratique de son instrument, en dépit de sérieux problèmes de lèvres que connaissent tous les trompettistes, lui qu’on surnomma Satchmo “such a mouth”. Sa première trompette lui a donné comme une promesse de félicité, il en sortait ses sons vifs et moelleux, mais aussi perchés dans l'aigu, stratosphériques en final. Il pouvait jouer classique et ragtime, il était tellement virtuose et pourtant, il ne perdit jamais un trac intense d’où  ces images devenues des clichés, le montrant s’épongeant le front constamment!

On a un gros coup de coeur pour ce personnage formidable qui croyait en la vie et ne vivait (presque) que pour la musique. Bravo pour le travail de recherche de Claire Julliard, plein de tendresse pour ce génial défricheur, ambassadeur du jazz!

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

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10 mai 2020 7 10 /05 /mai /2020 16:27

GREGOIRE MARET : «  AMERICANA »
Act 2020

Grégoire Maret (hmca), Romain Colin (p), Bill Frisell (p)

L’homme des hautes plaines.
Comme tout harmoniciste, on suppose que Grégoire Maret a dû beaucoup écouter de blues mais aussi de ces westerns des années 50 où les hommes, tout en bivouaquant bercent la nuit au coin du feu au son de l’harmonica que l’un d’eux sort négligemment de sa poche.
C’est ainsi une ballade dans l’Amérique des hautes plaines que nous propose l’harmoniciste. Une sorte de long travelling sur des paysages imaginaires où l’on imagine les blés qui dansent au vent, l’éolienne qui tourne seule au milieu d’une ferme abandonnée dans un paysage désert et le rocking chair qui se balance à la tombée de la nuit.
Grégoire Maret, qui jadis accompagnait Pat Metheny ou Herbie Hancock, affiche ici son goût pour les mélodies simples et fait chanter son harmonica avec douceur et un brin de nostalgie dans ces airs un peu tristes et émouvants. Rien à faire qu’à en faire moins. Se laisser porter par une sorte de douce mélancolie. Less is more.
Pour s’embarquer sur cette sorte de road movie en terres américaines, qui de mieux que l’immense Bill Frisell, qui dans le bleuté de ses harmonies porte toute la culture folk de cette Amérique des terres sauvages. Album après album , Bill Frisell fait résonner ce son de l’Amérique profonde. Il s’est fait le maître de ces sonorités amples et bleutés et ancrée dans cette culture country. Le guitariste contribue en apportant deux très belles compositions (Small town et Rain, rain) alors que de manière inattendue, le trio revisite le Brother in arms de Mark Knopfler ( Dire Straits) rendu à l’essentiel et porté par les harmoniques du génial pianiste Romain Collin. Émotion assurée ( de quoi aussi redécouvrir la très belle version originale). Le pianiste signe aussi San Luis Obispo où Bill Frisell jouant dans les graves de sa guitare nous embarque dans la musique country débarrassée de toute vulgarité mais enveloppée d’une sorte de langueur lascive.
Chaque morceau de cet album convoque l’imaginaire, invite à cette rêverie américaine que d’aucuns jugeront peut-être de carte postale mais qui, sépia et pastel à la fois nous a simplement enchanté et, dans ce monde dur et inquiétant, un peu rassuré et pour tout dire, beaucoup touché.
Jean-Marc Gelin

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9 mai 2020 6 09 /05 /mai /2020 19:33

VISTA CHINESA. Baptiste HERBIN (saxophones alto et ténor), Eduardo FARIAS (piano), Jefferson LESCOWICH (contrebasse), Xande FIGUEIREDO (batterie).
Invités : Ed MOTTA et Thais MOTTA (chant), Idriss BOUDRIOUA (saxophone alto), Ademir JUNIOR (saxophone ténor), Rafael ROCHA (trombone), Aquiles MORAES (trompette, Bugle), Emile SAUBOLE (batterie).
Studio Companhia dos Tecnicos, Rio, Juin 2019. Space Time Records/Socadisc, 2020.

 

 

Le Brésil est devenu la seconde patrie de Baptiste Herbin. Le saxophoniste prévoyait -c’était avant la crise sanitaire- d’y effectuer une tournée estivale. La présentation de son dernier album dans l’état-continent devrait attendre.

Vista Chinesa, sorti le 7 mai, est en effet tout entier dédié au Brésil que le lauréat 2018 du Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz a découvert en 2015 et qu’il fréquente régulièrement depuis.
Venu à Brasilia pour un festival de saxophonistes, le jeune trentenaire aura été frappé par la diversité de la musique brésilienne. Même si la couverture de Vista Chinesa présente la célébrissime baie de Rio, le répertoire proposé ne constitue pas une nouvelle évocation de la bossa nova qui fit le succès planétaire d’un autre saxophoniste, Stan Getz. Baptiste offre un panorama des musiques du Brésil, bossa bien sûr mais aussi samba, frevo, choro.

 

Passionné de ce Brésil pluriel, dont il parle la langue, le saxophoniste a d’ailleurs signé la quasi-totalité des titres qui ont été enregistrés avec des musiciens brésiliens -instrumentistes et vocalistes- dans un studio de Rio en juin dernier.
 Compositeur dès avant son passage au Conservatoire, Baptiste Herbin entend ainsi dans ce quatrième disque sous son nom faire découvrir la diversité de la musique brésilienne sans pour autant abandonner sa personnalité. « Il faut  rester soi-même », confie l’altiste qui voue grande admiration à Julian « Cannonball » Adderley.

 

C’est donc un album singulier qui nous est proposé avec ses accents cuivrés (deux saxophonistes, un tromboniste et un trompettiste viennent prêter main forte au leader) et ses envolées chaleureuses, au carrefour du hard-bop et des musiques  brésiliennes. Le cocktail pourra surprendre certains puristes mais les amoureux de métissage seront aux anges. Baptiste s’y montre à son aise comme jamais, secondé magistralement par le pianiste brésilien Eduardo Ferias déjà apprécié dans son précédent album* Il lui tarde maintenant de présenter ce dernier album au public parisien à la rentrée (les 9 et 10 Octobre au Sunside).

 

Jean-Louis Lemarchand.

 


*Dreams and Connections. Space Time Records.2017.

 

©photo Anne Bied.
 

 

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8 mai 2020 5 08 /05 /mai /2020 22:48

AVISHAI COHEN : «  BIG VICIOUS »
ECM 2020
Avishai Cohen (tp), Yonathan Alabalak (b), Uzi Ramirez (g), Aviv Cohen, Ziv Ravitz (dms)

Que l’on ne se méprenne pas. Il n’est rien de plus détestable que de brûler aujourd’hui les idoles que l’on adorait hier. Et ceux qui lisent régulièrement nos chroniques n’ignorent pas combien nous avons porté aux nues le trompettiste israélien, considéré lors de ces derniers albums comme l’un des grands maîtres de l’instrument.
Il y avait chez Avishai Cohen le feu et la flamme. Avishai Cohen était un engniaqué !
Mais voilà, le trompettiste s’il avait réussi un sublime album chez ECM se voit contraint (contrainte d’un contrat d’artiste ?) de poursuivre sur la ligne esthétique qui régit les choix de Manfred Eicher. Et alors quoi ?
Et bien Avishai Cohen s’aplatit, s'affadit dans cet album où tout ce qu'il y avait d'un peu brutal dans son jeu s'arase sous l'ambition d'un renouveau Milesien dans le carcan d'ECM. La ligne d'horizon est droite et l'horizon c’est loin. C’est très loin.
On voyait pourtant dans le titre et la pochette de l’album la promesse d’une aventure un peu garage. Une réunion de bad boys prêts à en découdre. Et les premières notes du premier morceau sont à l’encan.
Malheureusement on tombe vite dans une sorte d’ambiant-jazz qui s’écoute sans plaisir ni déplaisir. Le prometteur King Knutter s’annoncait bien avec sa rythmique plus rock plus lourde. Mais on sent bien que pour le label c'est ici le point extrême de ce que peut supporter la firme helvétique.
Alors pour tout dire, on s'y ennuie légèrement mais sûrement. La rythmique est si sage et si dévouée au service du leader dont elle sert le propos en prenant bien soin de ne pas déborder, que l’on se demande même s'il elle existe vraiment.

Pas vraiment opératique. Pas vraiment animé d'une flamme porteuse. Pas vraiment dans la lignée des trompettistes du Nord sur lequel il semble vouloir se glisser ( Nils Petter Molvaer fait bien mieux dans ce registre) on peine à lui trouver un âme.
Justement cette âme du génial trompettiste israélien qui semble ici se dissoudre.
Mais où est donc passé Avishai Cohen ?
Jean-Marc Gelin

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6 mai 2020 3 06 /05 /mai /2020 17:41

TINEKE POSTMA : «  Freya »
Edition 1150
Tineke Postam ( as,ss) ,  Ralph Alessi (tp), Kris Davis (p),  Matthew Brewer (cb, b), Dan Weiss (dms)

La pianiste néerlandaise n’est pas une femme pressée.  A 42 ans, Tineke Postma n’a en effet enregistré que 6 album en studio lorsque d’autres musiciens du même âge les comptent par dizaine. C’est que, pour Tineke Postma, sortir un nouvel album, cela demande du temps, de la maturation, de la maturité.
Et c’est bien de cela dont il s’agit puisque ce nouvel album s ‘inscrit après un long break familial que s’est imposée la saxophoniste depuis 2014. Et aujourd’hui c’est un peu sa vision de la constition de ce noyau familial qu’elle livre au travers de « Freya »
Freya, dans la mythologie Viking, est une déesse Nordique qui symbolise à la fois la femme, la fertilité mais aussi la maîtresse que tous les hommes convoitent, l’amour, la luxure et la magie. Partant de là, ce que dit Tineke Postam porte tout sauf la douceur angélique et béate mais plutôt une expression libre, parfois primale et terriblement vivante. Alors, comme dans cette famille ensemble, les acteurs de ce qui se joue interagissent, échangent, changent de place et de rôle dans une sorte de mouvement perpétuel et permanent. Il n’y a pas de silences parce que tous les élements sont en communication constante, en questions-réponses, en avancé de l’un lorsque les autres soutiennent. Toujours fascinant parce que toujours en mouvement. Les acteurs bougent sur scène et c’est cela qui imprime le rythme. Jamais vraiment là où on les attend. Parce que la musique, entre écriture et improvisations atonales est basée sur l’esquive, puis la rencontre frontale et de l’échange. Pas de confinement mais au contraire du mélange.
La saxophoniste reconnaît s’être largement inspiré de la musique du légendaire groupe avant gardiste de Chicago, l’Art Ensemble de Lester Bowie et Roscoe Mitchell dont l’âme etait elle-meme nourrie du quartet d’Ornette Coleman et de Don Cherry. On y retrouve la même flamme qui tourne autour d’une musique atonale et déstructurée. Toujours inattendue. Dans cet exercice Ralph Alessi brille de mille feux. Donne à l’album une dimension explosive. Et Tineke Postma au langage un peu plus souple y apporte une réelle intériorité.
A découvrir avec urgence.
Jean-marc Gelin

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3 mai 2020 7 03 /05 /mai /2020 21:59

David Patrois (vibraphone, balafon), Pierre Marcault (percussions), Boris Blanchet (saxophones ténor & soprano), Blaise Chevallier (contrebasse, guitare basse), Philippe Gleizes (batterie)

Les Lilas (Seine-Saint-Denis), 25-27 septembre 2019

Arts et Spectacles ASCD 190902 / Socadisc

 

Les retrouvailles de David Patrois et Pierre Marcault, presque 30 ans après la création, au festival Présences de Radio France en 1998, de Sur le Fil, une pièce pour vibraphone et percussions incluse dans un concert intitulé 'Lames en Transit', diffusé en direct sur France Musique, où les autres vibraphonistes-compositeurs invités étaient Philippe Macé et Franck Tortiller. David Patrois et Pierre Marcault se retrouvèrent ensuite en trio avec Jean-Jacques Avenel (disque «Another Trio»). Les voici à nouveau réunis pour un quintette, avec les incendiaires notoires que sont Boris Blanchet et Philippe Gleizes, soutenus par les basses de Blaise Chevallier, qui succède à Géraud Portal, bassiste des premiers moments du groupe. Le disque a été enregistré au Triton, où avait déjà joué le groupe dans sa configuration originelle. La musique procède des sources qui ont nourri ces musiciens, entre l'Afrique de toujours et les énergies nouvelles du jazz des années 60-70. Dans la vidéo de présentation du quintette, David Patrois revendique comme vibration inspirante le Miles des années 70, Coltrane, et aussi les début de Weather Report. En contrepoint Pierre Marcault insiste à juste raison sur le fait que l'identité du groupe réside aussi dans ses membres. Il en résulte une sorte de tension poétique entre ces sources multiples, tension attisée par la personnalité incandescente de Boris Blanchet et le tandem batterie-percussions où le rôle de Philippe Gleizes est essentiel. Entre un balafon chromatique, qui combine le son des sources avec le confort moderne de la musique occidentale, et un vibraphone dont David Patrois est l'un des Maîtres sous nos latitudes, la combinaison est idéale pour dialoguer avec le couple percussif. Quant à Blaise Chevallier, que ce soit à la contrebasse ou à la guitare basse, il est un tison de l'effervescence autant que l'arbitre des élégances. La première plage commence en impressions d'Afrique, entre balafon et percussions, pour s'engager bien vite dans les harmonies du jazz. Mais le son percussif reprend ses droits, et le dialogue va se poursuivre entre les deux pôles qui inspirent cette musique. Sur tempo lent ensuite, le saxophone va nous dire les sortilèges sonores du Continent Noir, en dialogue avec les tambours. Et là encore la musique va prendre son essor vers d'autres cieux. Le ballet va se poursuivre au fil des plages entre ces deux mondes. David Patrois signe 9 des 12 tites, et Pierre Marcault a composé les trois autres, dont le thème conclusif, Famoudou, comme un clin d'œil à Don Moye, percussionniste de l'Art Ensemble of Chicago (en fait une évocation de Famoudou Konaté, Maître percussionniste Guinéen auquel Don Moye rendait hommage en reprenant son nom). L'écoute et la connivence musicale sont au rendez-vous, et le trop rare Boris Blanchet nous fait regretter, une fois de plus, de ne pas l'entendre plus souvent. Cette occasion est trop belle, et ce disque est en tout point une réussite, sur le plan du projet comme sur celui de sa réalisation ; sur le plan de la conception musicale comme sur celui des solistes.

Xavier Prévost

 

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1 mai 2020 5 01 /05 /mai /2020 23:43

JAZZ AT LINCOLN CENTER :" The music of Wayne Shorter"
Blue Engine 2020-


Wayne Shorter (ts,ss), Sherman Irby (as,ss,fl, piccolo, clb), Ted Nash (as, ts,fl, piccl, clb), Victor Goines (ts, cl, clb), Walter Banding ts,ss, clb), Paul Nedzella (bs,as, clb), RyanKisor (tp), Kenny Rampton (tp), Wynton Marsalis (tp), Vincent Gardner (tb), Chris Crensaw (tb), Elliot Mason (tb), Dan Nimmer (p), Carlos henriquez (cb), Ali Jackson (dms)

 

Au premier abord et à la première écoute, on serait tenté de se dire : mais qu’est venu faire Wayne Shorter dans cette galère ?
On sait que le Jazz at Lincoln Center a l’habitude de ces concerts où il est question de rendre hommage aux grands noms du jazz.  Avec ce concert enregistré en 2015, la tâche était un peu particulière puisque non seulement il ne s’agissait pas d’un hommage posthume mais surtout que Wayne Shorter etait lui-même le propre acteur de ce concert où il tenait les solos de bout en bout.
Le répertoire de Wayne Shorter joué ici est essentiellement tiré de la période Blue Note sauf Endangered species et The three maria’s qui viennent de l’album Atlantis ( 1985). Les arrangements en revanche sont tous signés d’un membre du JALC et s’inscrivent  plus dans l’esthétique du fameux big band de Wynton Marsalis que dans celui souvent mystérieux du saxophoniste de Newark ( New Jersey).
À coup sûr il peut y avoir débat. En effet on peut prendre cet album pour une dénaturation complète de l’œuvre de Shorter ou bien si l’on regarde par l’autre bout, le prendre comme une relecture sous un angle différent au gré des arrangements de Chris Crenshaw qui permettent ainsi de donner un éclairage nouveau à l’œuvre Shorterienne.  Mais finalement, dans la mesure où Wayne Shorter lui même y est consentant, il  n’y a rien à y redire. Le débat est clos puisque le mieux à même de respecter l’œuvre de Shorter, c’est bien Shorter lui-même.
Et ce qui frappe alors, c’est le génie des compositions du saxophoniste dont la matière s’accommode aussi bien à l’esprit de Duke Ellington  ( p.ex la version de Contemplation) qu’à celui des big band de Thad Jones. La grosse  Cadillac conduite par Wynton Marsalis, superbement rodée et huilée se met en route et déroule sous les pieds du maître, un tapis d’honneur comme sur Hammer head composé par Shorter et tiré de l’album réalisé en 1964 sous l’égide d’Art Balkey et des Jazz Messengers. Shorter a l’air d’apprécier et il suffit d’entendre son jeu libéré pour comprendre qu’à 87 ans,  il n’a rien oublié de ses 31 piges de l’époque.
Quand à l’orchestre de Marsalis, comme toujours cela vole haut  avec cette masse orchestrale qui swingue et ses solistes exceptionnels.
Alors Shorter se prête au jeu, flamboie comme jamais, prend assise sur ce magnifique big band, survole le sujet au soprano comme au ténor et semble jubiler comme un gamin de cette reconnaissance. Les années n’ont pas de prise sur Shorter et l’on reste impressionné par son jeu qui ne faiblit pas, ni en intensité (ecouter Endangered species tout en urgence et en diable) ni en intention.
Et si vous avez un peu de curiosité, écoutez donc en parallèle les versions originales. Vous les préférerez bien certainement. Mais vous verrez que finalement Wynton Marsalis reste assez fidèle à ses idoles.
Ce moment où cet orchestre rend enfin hommage à l’une des grandes incarnations du jazz est en tout cas assez émouvant et à prendre pour ce qu’il est. La marque du respect mutuel qui unit Wayne Shorter à Wynton Marsalis.
Jean-Marc Gelin

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30 avril 2020 4 30 /04 /avril /2020 07:54

GARY BRUNTON : «  Night bus »
Juste une trace 2020
Bojan Z (p), Gary Brunton (cb), Simon Goubert (dms)
 

Mes amis !
Cela faisait longtemps que nous n’avions pas entendu un power trio de cette trempe-là !
Celui que nous propose le contrebassiste anglais Gary Brunton est en effet de très très haute facture.
Pour ses retrouvailles avec ses deux anciens compères avec lesquels il a beaucoup travaillé en France, Gary Brunton a choisi de mettre a barre très haute.

A 52 ans, Gary Brunton est devenu un des grands de la contrebasse en jazz. Celui qui a fait ses classes avec Pierre Michelot, Henri Texier ou encore Dave Holland en a visiblement retenu toutes les leçons et s’inscrit clairement sur leurs traces.
Avec Bojan Z c’est une longue histoire qui les menés au CIM ( l’école de jazz parisienne fondée par le regretté Alain Guerini) et qui a conduit les deux camarades à découvrir il y a longtemps le batteur Simon Goubert. Mais c’est en 2017 que le chemin de Gary Brunton et de Bojan se croise à nouveau et qu’ils décident alors de se lancer dans un projet en trio avec …Simon, évidemment.
C’est qu’entre ces trois-là il y a la même passion du jazz et la même complicité. La même exigence aussi pourrait t-on ajouter.
Que dire de ce trio sinon qu’il est absolument magistral ? Son leader s’y montre phénoménal. Il faut écouter la puissance et la précision de ses attaques, la profondeur du son de sa contrebasse. Comme sur ce solo tout en nuance sur Crw. Il y a du Dave Holland là-dedans. Ça surgit de profondeurs "aériennes". Comme dans cet hommage lent et émouvant à Michel Grailler où sa pulse en est le coeur battant( Ballad for Mickey Grailler) ou sa présence ahurissante sur One Afternoon ou encore sur Dastardly où il semble porter le trio sur ses épaules.
Bojan lui, c’est l’inspiration à tous les étages, sur tous les registres, dans le grave ou les aigus du piano avec un sens du placement et de la phrase juste hors du commun. Où va t-il chercher ses renversements (p.ex : le très bop Nobody’s perfect bourré d’inventivité où d’ailleurs Simon Goubert fait des étincelles) ? Et ce sens de la mélodie et de l’intention mélodique comme sur ce très beau Hasta la victoria sempre.
Quant à Simon Goubert, il vibrionne et tourne volte visiblement heureux d’être là et d’apporter sa très haute science du drumming et du groove avec un jeu incroyablement vivant ( Ready for Riga)
Il faudrait passer tous les morceaux en revue, mais ce serait fastidieux. Car chaque pièce de cet album fait entendre un trio exceptionnel qui va bien au-delà de la simple addition de ses talents. Un trio intense qui parle la même langue. Qui respire pareil.
La réunion de ces trois musiciens en fait un trio rare comme on n’en avait pas entendu depuis longtemps. Et qui mériterait de rentrer dans la légende des trios mythiques.
Il reste plus qu' à espérer que ce « Night Bus » ne soit que le volume 1 et qu’il nous soit permis de poursuivre ce choc bien au delà. 
Jean-Marc Gelin

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29 avril 2020 3 29 /04 /avril /2020 16:50

Gaëtan Nicot (piano, composition), Pierrick Menuau (saxophone ténor), Sébastien Boisseau (contrebasse), Arnaud Lechantre (batterie)

invité sur une plage : Geoffroy Tamisier (trompette)

Sarzeau (Morbihan), 9-11 janvier 2019

Tinker Label 0119001 / Socadisc

 

Le pianiste nantais, aux multiples facettes, signe avec ce quartette une musique qui annonce la couleur et porte sa marque. Entouré de quelques-unes des plus fines gâchettes du Grand Ouest, il nous offre un disque finement pensé, dans ses compositions originales, majoritaires, comme dans les deux reprises : Ma plus belle histoire d'amour, de Barbara, et le très rare Moon Dreams, composé par celui qui était le pianiste de Glenn Miller à la fin des années 30, mais surtout immortalisé par Gil Evans pour Miles Davis dans les séances que l'on désignera plus tard sous le titre de «Birth of the Cool». Le traitement de ce thème par le quartette dans la plage conclusive du CD mérite une attention toute particulière, car il éclaire l'approche globale de la musique par le groupe. Traiter le motif avec la liberté d'expression propre au jazz, sans se laisser déborder par l'emphase mélodique du thème, et en jouant à fond l'interaction, la réactivté, et aussi quand il le faut la mise en suspens. Approche tout aussi personnelle pour la chanson de Barbara, déconstruite avec amour, en duo dans l'intro, pour magnifier, si c'est possible, sa force d'expression. Et puis laisser le jazz s'emparer doucement de ce standard qui paraît soudain une terre inexplorée.

Aucune malice de ma part dans le fait d'aborder ainsi le disque dont l'essentiel réside dans les compositions du pianiste leader. Cela permet, tout au contraire, de situer tout à la fois l'enjeu en territoire jazzistique, et d'ouvrir l'espace à l'expression individuelle dans le collectif, ressort essentiel d'un tel groupe.

L'intro rhapsodique du thème titre annonce la couleur, mais en trompe-l'œil : on entre en fait, après quelques mesures, dans le vif de l'interaction en quartette. Il y a là autant de retenue que d'expressivité, comme une revendication esthétique. Dans la deuxième plage, Koo-Cool, en quintette avec Geoffroy Tamisier, la composition et l'arrangement me replongent dans le souvenir des années 50, lorsque Gigi Gryce mêlait avec grand talent la pulsation de la Côte Est et les nuances qui faisaient mouche à l'Ouest. J'ai éprouvé en écoutant cette plage un genre de frisson qui m'avait déserté de longtemps. Et tout le disque est à l'aune de ce savant dosage, délicatesse et flamme, parole singulière et sens collectif constamment rejoué. Ici va souffler une légère brise latine, ailleurs on laisse donner le goût des ruptures et des surprises, mais en somme, de bout en bout, c'est une vraie réussite, et un vraiment bon groupe.

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?2&v=_JeVf_Bn0qo

https://www.youtube.com/watch?v=h5g8eo7r1rc

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