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14 mars 2020 6 14 /03 /mars /2020 17:35

Xavier Camarasa (piano, piano préparé), Matthias Mahler (trombone)

Le Pré-Saint-Gervais, 4 octobre 2019

Gigantonium GIG 010TBP2 / https://www.gigantonium.com/label

 

Un disque mystérieusement relié au précédent (Camarasa -Mahler « TbPn », chronique en suivant ce lien), par une quête formelle, une manière de reprendre la matière sonore, musicale et instrumentale, et de la déployer selon d'autres modalités. Encadrées par deux versions différentes de la même pièce, Mouvement perpétuel, sept compositions signées par le pianiste (sauf une, imaginée par le tromboniste), qui sont autant de digressions à partir d'un même univers, celui d'un duo qui explore. L'exploration est en permanence un jeu, sur l'interaction, la tension, et la mémoire qui s'imprime dans les formes mais engendre d'autres chemins, dictés autant par la sensualité du son que par les constructions abstraites qui organisent un discours musical. On croit deviner le cheminement, et voilà que l'on nous fourvoie. C'est intense et captivant, sans que l'on sache toujours ce qui est préconçu et ce qui surgit du vertige de l'instant. Il suffit de s'y plonger, de s'y abandonner : alors la musique coule de source. C'est assez bluffant.

Xavier Prévost

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J'avais différé la chronique de ce CD paru en janvier pour la publier en mars, à l'occasion d'un concert du pianiste Xavier Camarasa avec son quintette 'El Memorioso' à l'Atelier du Plateau, dans le cadre du Festival Banlieues Bleues. Le coronavirus et ses annulations de spectacles en ont décidé autrement.... Haut les cœurs, et vive la Musique !

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9 mars 2020 1 09 /03 /mars /2020 10:29

Daniel Erdmann (saxophone ténor)

Bruno Angelini (piano)

Le Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), 18-19 décembre 2017

Angelini-Erdmann AE001/ disponible sur les plateformes

 

Une œuvre très singulière, qui trouve son origine dans l'évocation de deux jeunes gens qui incarnèrent l'opposition allemande à Hitler en 1943. Sophie Scholl et son frère Hans furent condamnés à mort pour avoir, à l'Université de Munich (et ailleurs), distribué des tracts hostiles au régime nazi. Un concert-spectacle, créé en 2017 au Blanc-Mesnil, puis donné en 2018 à Paris au Goethe-Institut, avait vu le jour, sur un texte (accessible via ce lien) signé Alban Lefranc, écrivain français vivant à Berlin ; texte incarné par la comédienne Olivia Kryger : c'est le songe de Sophie Scholl lors de la dernière nuit, celle qui précède l'exécution. Un songe qui, près de son terme, délivre ce message «Ne crains pas la mort ni à dix-sept ni à soixante-dix ans. Il n'existe que le réel et la lumière»

Les deux musiciens donnent à cette musique, par ce disque, une existence autonome, reliée au projet originel par sa puissance d'évocation. Car il s'agit ici, plutôt que d'illustrer, d'évoquer : dans son sens originel, ce mot fait parler les esprits, et c'est le prodige que réalise cette musique. Les thèmes, composés alternativement par le pianiste et le saxophoniste, portent leurs charges de mélancolie, mais aussi de révolte explicite, de foi dans la pertinence d'un combat, fût-il inégal. Ici c'est une sorte d'épisode de pulsation savamment harmonisée, ailleurs une déploration qui nous plonge dans des abîmes de noirceur, avec en écho un espoir, indéfectible, d'humanité. Au fil des plages les deux musiciens dialoguent, interagissent et conjuguent les lignes mélodiques et les harmonies en parfaite osmose. Une sorte de rédemption par la beauté.

Xavier Prévost

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Le duo sera en concert le 12 mars à La Fraternelle de Saint-Claude (Jura)

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Des extraits du disque sur le site de Bruno Angelini

http://www.brunoangelini.com/sons.html

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Des informations sur le projet

http://www.brunoangelini.com/projets.html#derniereDUO

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5 mars 2020 4 05 /03 /mars /2020 18:59

Pierre de Bethmann (piano, piano électrique),

Sylvain Romano (contrebasse), Tony Rabeson (batterie)

Pompignan (Gard), 6-7 septembre 2019

Aléa 012 / Socadisc

 

Pour ce troisième volume d'Essais, Pierre de Bethmann persiste et signe dans l'affirmation d'un choix très ouvert du répertoire. Dans le volume 1(chronique des DNJ ici) on trouvait, à côté des standards dont le jazz fait son miel, Trenet, Fauré ou Gainsbourg ; et dans le volume 2 (chronique) Boris Vian, Voulzy, Haendel ou le Chant des partisans. Fidèle à ce tropisme qui révèle la liberté du jazzman, le pianiste nous entraîne cette fois du côté de Brassens, Stevie Wonder, mais aussi Robert Schumann. Et comme toujours quand le jazz est là, c'est un mélange de rigueur et d'absolue liberté, de passion artisanale et de métamorphose artistique. C'est ainsi que vous découvrirez La cane de Jeanne comme vous n'osiez pas l'imaginer, surgie d'un piano Fender Rhodes doucement saturé, et s'évadant comme aux plus belles heures du Sieur Hancock. D'ailleurs j'ai le souvenir que, au mitan des années 90, à l'époque où notre pianiste s'imposait au Concours de la Défense avec le trio Prysm, il avait lors d'une sorte de Master Class épaté ledit Hancock par son choix de notes et son phrasé. Sur L'Opus 105 de Robert Schumann, ça chante comme du Schubert (Oui, oui, croyez-moi !) et ça danse comme une valse de Bill Evans. Puis c'est Cyclic Episode de Sam Rivers (du disque «Fuschia Swing Song», 1964), une cavalcade modulante qui donne le vertige (Tony Rabeson magistral). Puis un surprenant ravalement de façade sur Que Sera Sera, rengaine des années 50, rarement visitée par les jazzmen, et métamorphosée par Sylvain Romano. Groove d'enfer très Soul Jazz sur Dark Blue de John Scofield, un petit Cole Porter pour la route (on me dira, à juste raison, qu'il n'y a pas de petits Cole Porter....), puis une compo de Jean-Loup Longnon, L'Ours, originellement conçue pour quintette de cuivres et orchestre symphonique, et qui en trio devient une ligne mélancolique d'une infinie subtilité. Mélancolie encore avec I Can't Help It de Stevie Wonder pour clore le tout : beau voyage. Je ne risquerai pas 'essai transformé', déjà usé, et abusé. J'oserai : trois coups d'essai, trois coups de Maître. Vraiment.

Xavier Prévost

Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=kPFA9hFfsBU

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Le trio sera en concert le vendredi 6 mars à 19h45 à Reims, au Café du Palais, un restaurant agréable et recommandable puisqu'on y trouve une lithographie de Daniel Humair

Et aussi les 13 & 14 mars à Paris au Sunside, le 27 à Mâcon au Crescent, et le 28 à Toulouse au Taquin

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5 mars 2020 4 05 /03 /mars /2020 00:26

Anne Ducros (vocal), Adrien Moignard (guitare), Diego Imbert (contrebasse).
Studio du Bras d’Or, (Boulogne sur Mer), 2019.

Sunset Records-Sun 029/L’autre distribution, 2020.

Ella Fitzgerald aura toujours été dans le cœur d’Anne Ducros. Voici dix ans déjà, la chanteuse lauréate de l’Académie du Jazz en 2001 lui avait déclaré son admiration (« Ella, My dear » Plus Loin Music, 2010), avant de récidiver peu après (« Either Way, from Marylin to Ella ». Naïve. 2013).


Aujourd’hui, elle s’est souvenue du tête à tête de la « First  Lady  of Jazz » avec le guitariste Joe Pass. La même harmonie règne dans cet album mitonné avec le guitariste Adrien Moignard lors de soirées au Sunset à la fin 2018 et finalisé, sous les auspices du patron du club parisien, Stéphane Portet, avec le contrebassiste Diego Imbert.


« J’ai l’impression de ne jamais toucher la terre ferme, de me promener en balançant d’un mode à l’autre », relève-t-elle pour résumer ce disque dédié à Didier Lockwood, un « pays » (natif du Nord) qui lui mit le pied à l’étrier à Paris.
Ses qualités de vocaliste ne sont plus à démontrer (voix juste, fraîche, sens du rythme, diction exemplaire) tout autant que sa présence sur scène. Ne confia-t-elle pas : « Quand on chante du jazz, il faut accepter le fait qu'il s'agit d'une musique revendicative, voire subversive ».


 Ici, changement de registre. La fan de Nina Simone cède le pas à l’admiratrice d’Ella. Anne  se montre apaisée, délivrant avec aise un répertoire d’un éclectisme de classe où les grands standards des années 20-30 (I Thought About You, The Very Thought of You, Honeysuckle Rose, Tea For Two, April in Paris) côtoient des « tubes » de la pop (Something, de George Harrison, Your Song), ou encore deux titres qui doivent tant à des musiciens français (The Good Life, adaptation de la Belle Vie de Raymond Sénéchal et Sacha Distel, Samba Saravah de Vinicius da Moraes-Baden Powell bénéficiant de paroles signées Pierre Barouh).  

 

Un album de haut vol, chaudement recommandé et pas seulement aux férus de jazz vocal.

 

Jean-Louis Lemarchand.
    


En concert le 8 mars à 19h30 au Café de la Danse : 5 Passage Louis-Philippe, 75011 Paris (01 47 00 57 59).
 http://www.cafedeladanse.com/

 

©photo Jean-Baptiste Millot

 

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4 mars 2020 3 04 /03 /mars /2020 09:31
EDOUARD BINEAU & OSEFH QUINTET  SECRET WORLD

 EDOUARD BINEAU & OSEFH QUINTET

SECRET WORLD

Edouard Bineau Production/Idealand Production

Distribution ABSILONE

SORTIE LE 28 FEVRIER

Dans de savoureuses notes de pochette, l’ami Pascal Anquetil renouvelle son attachement à ce musicien discret mais lyrique, découvert en 2001, sur le chouette label de JJ. PUSSIAU !

J’ai attendu quant à moi plus longtemps et c’est en 2007, grâce au Chant du Monde que j’ai entendu pour la première fois L’obsessionniste, en duo avec Sébastien Texier, titre magnifique en hommage au Facteur Cheval et à son Palais. J’ai prolongé ma découverte avec Wared (anagramme d’ Edward) en 2010 mais je n’ai pas observé la révélation que fut la rencontre du pianiste avec l’harmoniciste J.J.Milteau qui allait en quelque sorte le faire changer de route, dès son Bluezz en 2014.

Car, avec ce quintet OSEFH (O pour Oscar, S pour Sébastien etc ) qui décline les initiales des prénoms de ses compagnons de route, Edouard Bineau change d’orientation et surtout d’instrumentation: il joue à présent non seulement du piano mais aussi de l’harmonica diatonique (formidable blues sur “Attrape moi”) et s’entoure de deux soufflants, le fidèle Sébastien Texier, fils de “Sir Henri” à l’ alto et à la clarinette et son jeune fils Oscar (ténor et soprano) qu’il fait entrer dans la danse. Car cet album célèbre le groove, sans batterie, avec l’aide de François Constantin aux percussions et Henri Dorina à la basse électrique. Plus qu’un tapis moelleux et charnu, leur assise permet aux solistes de s’envoler, de se livrer à des échappées libres avant de retomber parfaitement en place, comme à la fin impeccable de “Mister C”.

C’est à partir de la deuxième partie de l’album que le pianiste revient aux commandes, de concert avec les soufflants qui unissent leurs lignes. Quelle délicatesse dans la mélodie du fiston, “La nymphe de Sibérie” qui traduit une impression diffuse et néanmoins lumineuse de sourde mélancolie que prolonge encore le court “Zéphyr”.

De la poésie au coeur d’une certaine esthétique, un ressourcement sans effets décoratifs, une couleur essentielle jusqu’au final éponyme du titre de l’album, pas si secret, car il révèle le monde frais, percutant et doux de Mr. E.B.

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

 

 

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3 mars 2020 2 03 /03 /mars /2020 16:49

Boris Lamerand (violon, alto, composition), Antoine Delprat (violon), Olive Perrusson (alto), Octavio Angarita (violoncelle)

invités : Carine Bonnefoy (piano), Clément Caratini (clarinette basse)

Alfortville, sans date

Déluge DLG 004 / Absilone-Socadisc

 

Un parti pris : jouer avec des cordes, rien que des cordes, de la musique syncopée, très syncopée. Dominique Pifarély, qui a été (avec un plaisir évident) leur invité pour un concert, insiste sur le traitement rythmique, rarement porté à ce niveau dans le jazz par un ensemble de cordes, et il évoque à ce propos le Swing Strings System de Didier Levallet, dans lequel il a joué. En écoutant Les Enfants d'Icare, et notamment le premier titre Daf Algan (manifestement plus en allusion aux rythmes impairs de la musique iranienne qu'à une médication antalgique....), j'entends ce rebond qui m'avait transporté lorsque j'avais découvert, voici bien longtemps, le fabuleux Focus d'Eddie Sauter, enregistré en 1961 avec Stan Getz comme soliste improvisateur sur un ensemble de cordes d'une souplesse remarquable, porté sur la première plage, I'm Late, I'm Late , par la pulsation ferme et douce de Roy Haynes. C'est à ce rebond prodigieux, à cette souplesse toute féline, que me fait penser la première plage de «Hum-Ma». D'autant que la pièce d'Eddie Sauter me renvoyait aux premières mesures de l'allegro de la Suite pour cordes, percussion et célesta de Bartók. Bref on est en (très) bonne compagnie. Le quatuor fait quelques entorses à l'instrumentation canonique : quand le violoniste-compositeur Boris Lamerand passe à l'alto pour deux pièces ; quand le quatuor invite en soliste la pianiste Carine Bonnefoy (compositrice inspirée par et pour les cordes), laquelle d'ailleurs avait accueilli la quasi totalité du quatuor dans son 'Large Ensemble' ; et enfin quand la clarinette basse de Clément Caratini dialogue avec le quatuor.

Au delà de la formidable vitalité rythmique, l'écriture est harmoniquement dense et tendue, le travail sur la sonorité (nourri notamment du son des cordes dans les Musiques du Monde) est remarquable. Le dialogue entre les instruments du quatuor est vif, et d'une grande liberté. C'est intensément vivant, lyrique à souhait, brillant, enthousiaste.... et donc enthousiasmant.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=W3_G7pwF2nU

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En concert au Triton, près de la Mairie des Lilas, le 6 mars. Puis le 8 mars à la Cité de la Musique de Paris (pour un concert promenade au Musée, à 14h30), et le 26 mars au Théâtre des Pénitents de Montbrison (Loire)

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3 mars 2020 2 03 /03 /mars /2020 12:33

Henri Texier (contrebasse), Vincent Lê Quang (saxophones ténor et soprano), Sébastien Texier (saxophone alto et clarinettes), Manu Codjia (guitare) et Gautier Garrigue (batterie). Studio Gil Evans, Amiens, octobre 2019. Label Bleu/L’autre distribution, 2020.

 

Quelle chance de retrouver Henri Texier ! Nous ajoutons un item à sa liste de remerciements figurant en présentation de son dernier album. Le contrebassiste-compositeur reconnaît entre autres « la chance, après toutes années de n’avoir que peu de regrets ».

 

A 75 ans -depuis quelques jours- Henri Texier reste fidèle à une certaine conception de la musique et du jazz, faite d’engagement, de musicalité, d’humanité. Il est aisément reconnaissable dès ses premières phrases, la rondeur du son de sa contrebasse et l’esprit de groupe qui lui ont valu d’être qualifié parfois de « Mingus français ». Ici encore, il manifeste ce que son complice, le photographe Guy Le Querrec, auteur de la photo de couverture (un cheval solitaire saisi sur la lande de l’île bretonne de Batz) considère comme « une robuste délicatesse ».  

 

Le périple musical proposé par Henri Texier donne à entendre de la fougue (Cinecitta, thème d’ouverture signé de son fils, Sébastien) et de l’émotion (beaucoup) notamment dans un hommage à Simone Veil et Robert Badinter, « Simone et Robert », ou ce « Standing Horse », (qui pourrait paraître un autoportrait), deux compositions personnelles. Une œuvre distillée sur une petite cinquantaine de minutes qui résume l’art consommé d’Henri Texier, cette capacité à émouvoir et à plaire sans flatter. Du bel ouvrage.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

En concert le 21 mars au Café de la Danse : 5 Passage Louis-Philippe, 75011 Paris (01 47 00 57 59). http://www.cafedeladanse.com/

 

 

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1 mars 2020 7 01 /03 /mars /2020 08:00
UN POCO LOCO   Ornithologie

ORNITHOLOGIE UN POCO LOCO

Fidel FOURNEYRON (tb)

Geoffroy GESSER (cl, ts)

Sébastien BELIAH (cb)

Umlaut/L’autre Distribution

 

http://www.fidelfourneyron.fr/ornithologie/

 

http://www.fidelfourneyron.fr/un-poco-loco-presente-ornithologie-a-latelier-du-plateau/

 

Le tromboniste leader Fidel Fourneyron est actif sur la scène jazz hexagonale et il multiplie les expériences dans divers groupes comme La Fanfare du Carreau, son formidable projet sur la rumba cubaine Que vola? ou Sobre sordos ; mais il aime toujours jouer en trio, et il revient à cette formation essentielle dans son parcours, Un Poco Loco. Et avec Sébastien Beliah à la contrebasse et Geoffroy Gesser à la clarinette et au sax ténor, il place encore et toujours la barre très haut, osant reprendre du Charlie Parker dans ce nouvel album, entièrement dédié aux compositions du Bird et de Dizzy ! Comme quoi, Fidel Fourneyron ne s’éloigne jamais de son tropisme afrocubain, puisque Parker était souvent entouré du génial Gillespie!

Les trois compères s’emploient à détourner la musique de ces musiciens uniques, en premier lieu par une instrumentation originale, sans saxophone alto ni trompette : leur formule instrumentale permet, ce qui est peut-être plus facile, de se détacher des timbres et couleurs originales, tout en restant tout contre. Et très proches dans l’esprit, reprenant le flambeau des boppers, avec lequel le parallèle est immédiat, car imaginer encore autre chose sur la trame des standards, c’est poursuivre les innovations du bop et ainsi rester fidèle à l’esprit du jazz! On est au pays du jazz, on y reste et l’on met son pas dans les pas de ses pères…

Haute tenue et teneur musicale pour ce programme qui se prête aux variations sur 13 pièces courtes, plutôt enlevées qui vont droit à l’essence de cette musique.

Ils ne sont que trois mais ça envoie grave! Fantaisie, imagination, humour sont au pouvoir pour célébrer le plus grand saxophoniste de tous les temps peut-être (avec Coltrane évidemment) par des arrangements malicieux et modernes du collectif. Ils se partagent la tâche et le résultat est vraiment très réussi!

A partir d'une idée de départ audacieuse mais logique, dans la continuité de leur premier album, intitulé justement Un poco loco , le trio avance avec élégance, virtuosité et jubilation même : l'exécution est précise, avec un sens pointilliste du détail même, la mélodie originale aisément reconnaissable, le rythme intense, le groove impressionnant. Ce qui est indispensable quand on s’attaque au «Groovin high» de Dizzy Gillespie!

 

Domine un jeu  fragmenté, sans volonté de lier les mélodies parkeriennes, tout en parvenant toutefois à rendre très lisible cette partition. Un ensemble de questions-réponses, de chant contre-chant où chacun est parfaitement identifiable dans sa ligne mélodique ou rythmique, tout en changeant de place selon le thème, puisqu’ échangeant volontiers et sans effort les rôles dans ce trio sans batterie!

Fourneyron aime les animaux- il l’a prouvé en reconstituant toute une ménagerie dans un album précédent avec un autre trio Animal. Mais au pays des oiseaux, le trio est à parfaitement à sa place. On pourra dire ce que l’on veut, ce sont même de drôles d’oiseaux qui nous font aimer l’ornithologie, en dépit d’Hitchcock!

Après un «Salt peanuts» brillantissime ( la vidéo est un bijou  de précision) sur un arrangement de Geoffroy Gesser au ténor, un medley magnifiquement fondu en «Barbillie’s time» sur «Barbados, Billie’s bounce et Now’s the time» ( un programme casse-gueule!), survient le climax (pour moi) à la mitan du disque, quand ensemble, en un jazz de chambre subtil, déchirant même, ils livrent une version hallucinée, crépusculaire, sur un tempo encore ralenti du (déjà mélancolique)«Everything happens to me» (1). Un unisson des soufflants  splendide dans une composition pourtant déstructurée qui plonge dans un blues outrenoir, où jamais le trombone ne se rapproche tant des pleurs et étranglements de la voix humaine. Tout ça en 4 mn et sans l’émotion des paroles, du chant de Billie ou Frankie. Volontairement, ils prennent à rebours les versions instrumentales, des plus toniques des  SonnyRollins e, Stitt… et se passent du tapis moelleux de cordes ajouté à l'envol du Bird.

Comme le disait un ami très cher, si après avoir entendu ça, vous ne ressentez rien, consultez!

(1)Une version qui mérite de figurer dans les anthologies du jazz ou dans l’émission du dimanche soir de Laurent Valero sur France Musique «Repassez moi le standard» qui se saisit d’un thème et en offre de multiples versions….

 

Sophie Chambon

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28 février 2020 5 28 /02 /février /2020 08:01
André JAUME Retour aux sources

ANDRE JAUME

Retour aux sources

Absilone/Socadisc

 

http://label-durance.com/cd-retour-aux-sources-andre-jaume.html

 

Si le jazz conserve sa pertinence en ces temps de “distractions musicales”, c’est grâce à des gens comme André JAUME qui s’y ressourcent continuellement. Le peintre, crtique et historien d'art Jean Buzelin a presque tout dit avec cette phrase qui résume  le parcours rigoureusement intègre, sans renonciation aucune, d’un musicien poly-instrumentiste (clarinette, flûte, saxophone ténor), créateur et enseignant d’une des premières classes de jazz du conservatoire d’Avignon. Il s'est consacré à une musique, le free qu’il a traversé dans son évolution et qui lui a conféré liberté, sens de l’engagement sans renier clarté de l’articulation et du phrasé.

André Jaume a pu être considéré jadis comme un musicien voyageur-les titres de beaucoup de ses compositions ("Borobodur", "Marratxi", "Casamance") marquent une géographie humaine, une errance musicale qui n’a rien de touristique. Depuis qu’il s’est fixé en Corse, André Jaume n’en finit pas de reprendre son périple, à présent imaginaire avec ses instruments. Lui qui a toujours privilégié l’échange dans toutes les combinaisons possibles et le dialogue complice (Raymond Boni, Steve Lacy et surtout son cher Jimmy Giuffre), sort sur le label sudiste ami, Durance, installé dans les Alpes de Haute Provence, un (deuxième) solo intitulé pertinemment Retour aux sources, dédié à son ami, autre soufflant Joe Mc Phee, frère d’armes et de son, défini par l’ampleur de la voix, la fascination du chant, l’expression libre à laquelle il se réfère depuis Nation Time, un de ses premiers albums paru en 1970.

C’est encore à Jean Buzelin que l’on doit, dans ses notes de pochette, une explication circonstanciée sur la conception de ce solo, le deuxième après le fondateur Le Collier de la Colombe, sorti en juin 1971, sur le label PALM de JEF GILSON . Une première alors pour un saxophoniste français qui fut un pionnier dans le développement de cette musique de jazz. Et il serait bon que l’on en garde aujourd'hui une mémoire un peu plus vive.

Voilà un exercice de style au ténor, variant les nuances et atmosphères de son instrument, que ces douze petites pièces de sa composition et un arrangement sur un thème du grand William Breuker, pas vraiment faciles, qui engagent avec nous un dialogue fécond. La position de l’instrumentiste peut s’avérer délicate à garder de façon satisfaisante, avec cette dimension narrative appuyée et aussi émotionnelle. Un récital sans esbroufe, tout un art de compositions vives, libres, subtiles, servant de base à des improvisations souvent fougueuses, colorées, qui nous réconcilie, si besoin était, avec la complexité des sons et rythmes libres. On se laisse bien volontiers entraîner par cette déferlante avec ce “Dinky Toy” qui évoque plus un oiseau (per)siffleur que l’on tenterait vainement de suivre sur les cimes de son chant; alors que la douceur de “Song for Estelle” conduit à une rêverie, tout autre.

Le saxophoniste a saisi la chance de se portraiturer une fois encore, dans une nouvelle aventure musicale et humaine. Qu’il est bon de s’abreuver à cette source fraîche du jazz, éternellement désirante…car ce n’est pas seulement un écho nostalgique à quelque chose qui nous fascina jadis, mais un travail patient de transmission qui prend tout son sens aujourd’hui. Une sorte de discours sur la lisibilité du temps.

 

Sophie Chambon

 

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26 février 2020 3 26 /02 /février /2020 16:33

Bruno Chevillon (contrebasse, guitare basse, effets), Éric Échampard (batterie, percussions, percussions numériques), Benjamin de la Fuente (violon, guitare ténor, mandoline électrique, effets), Samuel Sighicelli (échantillonneur, orgue, synthétiseurs). Invité sur une séquence : Serge Teyssot-Gay (guitare)

Tilly (Yvelines), juin 2019

Éole Records Éor_018 / Distrart

 

Cette musique très collective, où construction et spontanéité se mêlent, résulte d'un travail liminaire autour du cinéma de Paolo Sorrentino. Les sons, les lignes musicales et les échantillons sonores se croisent dans une sorte de fil imaginaire (au sens fort : des images de musique). Découpage, montage, mouvements, scénarisation et échappées hors-narration, ce peuvent être des éléments de lecture, ou plutôt d'écoute, pour cette musique. L'extrême qualité du son, et la richesse des panoramiques sonores, ne sont pas là pour éblouir ou impressionner. Il s'agit simplement de 'faire musique' dans un vaste espace de liberté où chaque intervention compte. Ici la pertinence ne sépare pas l'impromptu et le concerté, tout se fond, sans se figer, dans un implacable mouvement musical. «L'œil écoute» écrivait Claudel dans une célèbre métaphore. Ici l'oreille regarde un paysage mouvant, mystérieux autant que limpide, selon les instants. C'est une sorte de voyage presque halluciné, et pourtant nous gardons les pieds sur terre, et les oreilles dans le son : une sorte d'oxymore, un 'matérialisme abstrait' qui nous obligerait à révoquer nos catégories usuelles. Les éléments musicaux puisent à toutes les sources partagées par les acteurs de cette aventure, du rock expérimental aux musiques électroacoustiques ou répétitives, en passant par un certain souvenir du jazz et des musiques contemporaines. C'est intense et requérant, cela nous convoque et nous prie d'embarquer dans le voyage sonore. On est saisi, happé, et entraîné dans un univers de sensations que l'on entrevoyait à peine. Brillant !

Xavier Prévost

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À découvrir en concert le samedi 29 février à Paris au Pan Piper

https://pan-piper.com/live/events/caravaggio-serge-teyssot-gay/

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