(à l’occasion de la sortie du coffret ‘Nat King Cole « Incomparable »’ réalisé par Claude Carrière pour Cristal Records*)
Star éternelle du Louvre, Mona Lisa, œuvre de Léonard de Vinci (1452-1519), n’a pas seulement inspiré Marcel Duchamp qui l’affubla, en 1919, d’une moustache pour une toile baptisée L.H.O.O.Q. –titre dérisoire bien dans l’esprit du dadaïsme - longtemps propriété du Parti Communiste Français. La florentine au sourire étrange donna naissance, trente ans plus tard, à une chanson qui contribua largement au succès populaire de Nat « King » Cole, né cette même année 1919 (le 17 mars).
La genèse de ce titre Mona Lisa mérite d’être contée. Un metteur en scène d’Hollywood, Mitchell Leisen, avait passé commande en 1949 à un tandem déjà bien connu, Jay Livingstone (compositeur) et Ray Evans (auteur) d’un air devant illustrer une séquence d’un film d’espionnage située en Italie. Admiratrice du tableau de Léonard de Vinci, l’épouse de Ray Evans aurait, dit-on, soufflé l’idée d’évoquer cette jeune femme au sourire mystérieux («est-ce une manière de tenter un amoureux ou une façon de cacher un cœur brisé» dit notamment le texte**).
Dans le film de la Paramount, sorti en 1950 sous le titre ‘Captain Carey, USA’, avec Alan Ladd dans le rôle principal, la composition est jouée par le grand orchestre du trompettiste Charlie Spivak, la partie chantée étant assurée par Tommy Lynn. Le tandem Livingstone-Evans devait être fier de leur œuvre commune puisqu’ils la confièrent à Nat « King » Cole, pianiste et chanteur de haut vol adulé dans le milieu musical, et pas seulement du jazz, avec un trio au format inhabituel (guitare et basse). Une confiance guère partagée -au début- par le chanteur : le titre ne figure que sur la face B -la moins noble- du 78 tours enregistré le 11 mars 1950 à Los Angeles, qui propose en face A The Greatest Inventor. La maison de disques, Capitol, n’a pas perdu son temps : le film est sorti sur les écrans à peine trois semaines auparavant.
Réticent puis charmé
Le charme de Mona Lisa va une nouvelle fois opérer. Une fois le disque pressé, les deux compères font le tour des stations de radio -une vingtaine- pour en assurer la promotion. Le succès ne tarda pas saluant ce mariage entre la voix de velours de Nathaniel Cole et l’arrangement d’un jeune prometteur, Nelson Riddle, pour le grand orchestre de Les Baxter. Dans les bacs dès le mois de mai, Mona Lisa demeurera en tête des ventes pendant huit semaines, selon le classement du magazine Billboard.
La vogue ne se démentira pas, ‘Mona Lisa’ décrochant l’Oscar 1950 de la meilleure chanson pour un film, le deuxième, pour le duo Livingstone-Evans (après ‘Buttons and Bows’ en 1948), qui en décrochera un troisième en 1955 avec ‘Que Sera, Sera’, chantée par Doris Day dans 'L’homme qui en savait trop' d’Alfred Hitchcock.
Dès lors, Mona Lisa gagne une place de choix dans le répertoire vocal de Nat King Cole, géant à double titre (185 cm sous la toise) aux côtés de Nature Boy, enregistré en 1947, Unforgettable (1951), Blue Gardenia (1953) ou encore Quizas, Quizas, Quizas (1958).
En 1992, Mona Lisa entrera au Grammy Hall of Fame, récompense suprême et posthume pour Nat King Cole, disparu le 15 février 1965 à 45 ans. Le titre reste également comme l’une des réussites les plus populaires du tandem Livingstone-Evans dont 26 chansons dépassèrent le cap du million de ventes au cours d’une carrière de plus de soixante ans (Livingstone décéda en 2001 et Evans en 2007). Quant à la famille Cole, elle restera fidèle à Mona Lisa, son frère Freddy et sa fille Natalie ne manquant jamais de chanter « cet énigmatique sourire ».
Mona Lisa et les autres chansons citées sont proposées dans leur première version en studio dans un coffret de trois cd ‘Nat King Cole « Incomparable »’ réalisé par Claude Carrière* ... Une sélection de 60 titres donnant à entendre Nat King Cole comme chanteur accompagné d’orchestres divers, à la tête de son trio et enfin uniquement comme instrumentiste.
Jean-Louis Lemarchand.
* ‘Nat King Cole « Incomparable »’, coffret composé par Claude Carrière. Sortie le 15 novembre 2019. Cristal Records - CR 301-02-03.
**Do you smile to tempt a lover, mona lisa? or is this your way to hide a broken heart?
©photo William P. Gottlieb