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29 septembre 2019 7 29 /09 /septembre /2019 20:22

Jacques Chirac, Miles Davis et Frank Sinatra


S’il avait une certaine idée de la France, comme le général de Gaulle, Jacques Chirac, décédé le 25 septembre à 86 ans à Paris, n’avait jamais caché son affection pour les Etats-Unis. Le Président de la République (1995-2007) aimait à rappeler comment il avait découvert le pays de George Washington en 1953, en tant qu’étudiant à Harvard mais aussi dans différents emplois saisonniers, garçon dans un restaurant Howard Johnson à  Cambridge (Massachusets), cariste à St Louis ou encore journaliste au New Orleans Times-Picayune.  
Nul doute qu’au cours de cette année passée aux Etats-Unis le futur homme d’Etat aura découvert les musiques diverses, élément majeur de la culture américaine. Passionné des cultures du monde, et notamment des Arts Premiers auquel il consacra un musée quai Branly, amateur de poésie chinoise, Jacques Chirac eut l’occasion de témoigner de son penchant pour les musiques improvisées.  
En 1989, alors Maire de Paris, il avait organisé une réception à l’Hôtel de Ville en l’honneur de Frank Sinatra qui effectuait une tournée avec Dean Martin et Sammy Davis Junior et lui avait remis la plaque du bimillénaire de la ville de Paris. Ce jour-là, Jacques Chirac, se souvient un journaliste présent, Jean-Baptiste Tuzet, futur fondateur de Crooner radio, s’était lancé dans un discours en anglais extrêmement chaleureux et drôle avec des jeux de mots relatifs à de grands succès interprétés par l’artiste tels que «  Strangers in the Night », auxquels Frank Sinatra avait répondu par « April in Paris ».  
Cette même année, le futur chef de l’Etat avait remis la grande médaille de Vermeil de la ville de Paris à Miles Davis, nouveau témoignage du respect que portaient l’ami des américains et la ville-lumière  au prince de la trompette.
Longtemps, Jacques Chirac aura laissé croire que ses seuls centres d’intérêt personnels étaient les romans policiers, les westerns et la musique militaire. Ainsi, avait-il confié en souriant à un proche, « j’ai eu la paix pendant vingt ans sur la question de mes goûts culturels ». La vérité était tout autre.
Jean-Louis Lemarchand

 

 

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29 septembre 2019 7 29 /09 /septembre /2019 19:07

MIGUEL ZENON : «  Sonero, the music of Ismael Rivera »
Miguel Zenón (as); Luis Perdomo (p); Hans Glawischnig (cb); Henry Cole( dms)
Miel Music 2019

Un peu décevant.
Aïe, pas sur la tête ! On a bien conscience qu’en se montrant un peu déçus par ce nouvel album de Zenon l’on risque de se mettre à dos tout le fan club du saxophoniste porto-ricain. Et de fait, s’il a les apparences d’un petit bijou qui ne manquera pas de séduire, ce nouvel album de Zenon nous lasse néanmoins un peu sur notre faim.

Bon, (re)disons le tout net : Miguel Zenon est un saxophoniste au lyrisme superlatif ! La cause est entendue. L’un des plus grands. Ce qu’il livre ici met la barre très très haut dans l’inspiration lyrique des grands saxophonistes. Il faut dire qu’il y a des sujets qui l’inspirent et semblent le porter aux tripes. C’est qu’il est toujours dans une sorte de quête identitaire Miguel Zenon et qu’il ne cesse en effet de jeter des ponts entre le jazz et ses origines portoricaines. Et ceci album après album.
Ici, c'est de la musique du chanteur-compositeur Ismael Rivera (1031-1987) dont il s'agit.
Et dans ce registre, il faut bien le dire, Zenon est un alchimiste pour transformer en jazz la musique de ses propres racines.
Avec une fougue et un souffle Parkerien, le saxophoniste fait ainsi s'envoler les volutes mélodiques dans une sorte de monologue intérieur et néanmoins passionné.
Ca brûle autant que ça caresse, ça emporte dans un flot d’émotion intérieure. Ca embrase.

Mais parce que cette quête identitaire est une affaire personnelle, Miguel Zenon en devient un poil égocentré, ne livrant pas une musique ouverte et offerte mais laissant libre cours au plaisir très intime de l'improvisation lyrique. Miguel Zenon est certes un saxophoniste parkerien mais sa mise en avant occulte parfois la force d'un groupe qui pourtant est composé de trois autres musiciens de haute volée. Et c’est ce discours intérieur qui nous place parfois dans la position de spectateur ébahis, envahis mais étranger à cette histoire distanciée.
Jean-Marc Gelin

 

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27 septembre 2019 5 27 /09 /septembre /2019 10:25

S’il avait une certaine idée de la France, comme le général de Gaulle, Jacques Chirac, décédé le 25 septembre à 86 ans à Paris, n’avait jamais caché son affection pour les Etats-Unis. Le Président de la République (1995-2007) aimait à rappeler comment il avait découvert le pays de George Washington en 1953, en tant qu’étudiant à Harvard mais aussi dans différents emplois saisonniers, garçon dans un restaurant Howard Johnson à Cambridge (Massachusets), cariste à St Louis ou encore journaliste au New Orleans Times-Picayune.  

 

Nul doute qu’au cours de cette année passée aux Etats-Unis le futur homme d’Etat aura découvert les musiques diverses, élément majeur de la culture américaine. Passionné des cultures du monde, et notamment des Arts Premiers auquel il consacra un musée quai Branly, amateur de poésie chinoise, Jacques Chirac eut l’occasion de témoigner de son penchant pour les musiques improvisées.  

 

En 1989, alors Maire de Paris, il avait organisé une réception à l’Hôtel de Ville en l’honneur de Frank Sinatra qui effectuait une tournée avec Dean Martin et Sammy Davis Junior et lui avait remis la plaque du bimillénaire de la ville de Paris. Ce jour-là, Jacques Chirac, se souvient un journaliste présent, Jean-Baptiste Tuzet, futur fondateur de Crooner radio, s’était lancé dans un discours en anglais extrêmement chaleureux et drôle avec des jeux de mots relatifs à de grands succès interprétés par l’artiste tels que « Strangers in the Night », auxquels Frank Sinatra avait répondu par « April in Paris ».  

 

Cette même année, le futur chef de l’Etat avait remis la grande médaille de Vermeil de la ville de Paris à Miles Davis, nouveau témoignage du respect que portaient l’ami des américains et la ville-lumière au prince de la trompette.

 

Longtemps, Jacques Chirac aura laissé croire que ses seuls centres d’intérêt personnels étaient les romans policiers, les westerns et la musique militaire. Ainsi, avait-il confié en souriant à un proche, « j’ai eu la paix pendant vingt ans sur la question de mes goûts culturels ». La vérité était tout autre.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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26 septembre 2019 4 26 /09 /septembre /2019 16:52

Rien ne prédestinait Eglal Farhi, disparue le 25 septembre à Neuilly à 97 ans (8 avril 1922/25 septembre 2019), à fonder à Paris un club de jazz , le New Morning,  qui allait devenir l’un des lieux mythiques des amateurs de la note bleue, au même titre que le Village Vanguard de New York ou le Blue Note de Tokyo.

 

L’ancienne élève de l’école des Dames du Sacré-Cœur du Caire avait dépassé le demi-siècle quand elle ouvre le 16 avril 1981, avec Art Blakey et les Jazz Messengers comprenant les frères Marsalis (Wynton, trompette, et Branford, saxophone ténor),  un club* dans un lieu tout à fait inhabituel, une ancienne imprimerie du Parisien Libéré au 7-9  rue des Petites Ecuries, à proximité de la Gare de l’Est.

 

 

Fan de jazz dans sa jeunesse, Eglal Farhi, qui écoutait dans la maison familiale au Caire Fletcher Henderson et Count Basie, avait décidé d’endosser le costume de chef d’entreprise et de prendre le relais de ses beaux-fils (Daniel et Alain) qui avaient rencontré quelques difficultés financières dans la gestion de leur club à Genève , dénommé déjà le New Morning, allusion à une chanson de Bob Dylan.

 

Tout le gotha du jazz est passé sur la scène du New Morning :  Stan Getz, Dizzy Gillespie, Dexter Gordon, Milt Jackson, Jim Hall, Elvin Jones, Art Blakey à plusieurs reprises et notamment pour ses 70 ans en 1989, Archie Shepp, Freddie Hubbard, Michel Petrucciani (la première fois à 18 ans), Nina Simone, Martial Solal, Michel Portal, Brad Mehldau, Joshua Redman… Le préféré d’Eglal Farhi restera Chet Baker : « un visage mélancolique, James Dean en plus beau, un fabuleux trompettiste qui me touchait beaucoup et a toujours tenu ses engagements même après avoir atteint dans l’après-midi un coma de stade 2 ».

 

 

Eglal Farhi nous confiait à la fin des années 90 « marcher au feeling » et « détester les ayatollahs » dans la musique.  « Le public jazz-jazz ne suffisait pas. Nous avons ouvert la scène à toutes les musiques afro-américaines », témoignait en 1996 Mme Farhi, une des rares femmes à tenir un club de jazz. « Chaque soir, c’est un coup de poker financier…. Et il m’arrive de perdre », ajoutait-elle, comme ce soir où un flutiste français (dont elle taira le nom) « fit » une dizaine de spectateurs.

 

La fondatrice du New Morning n’éprouvait qu’un seul regret : Miles Davis ne s’est jamais produit face au public exigeant de la rue des Petites Ecuries. Une consolation pour Eglal Farhi, le prince de la trompette a signé le livre d’or de l’établissement après y avoir tourné, acteur, l’année de sa mort (1991) quelques scènes du film Dingo dont il composa la musique avec Michel Legrand.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

*Depuis 2010, sa fille Catherine lui a succédé à la direction du club.

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26 septembre 2019 4 26 /09 /septembre /2019 08:06

 

 

John Coltrane, saxophone ténor, McCoy Tyner, piano, Jimmy Garrison, basse et Elvin Jones, batterie. Van Gelder Studios. Englewood Cliffs. NJ. 24 juin 1964.

 

Tout amateur de Coltrane sait que l’année 1964 fut historique dans la carrière du saxophoniste. Celle qui vit l’enregistrement de Crescent le 25 avril (« l’album le plus lyrique et apaisé » de Trane, selon Nicolas Fily, in ‘John Coltrane, The Wise One’. Editions Le Mot et le Reste. 2019) et de Love Supreme, le plus gros succès du saxophoniste (600.000 copies vendues à ce jour) le 9 décembre.

 

Ayant échappé à la plupart des exégètes, une séance est restée dans les studios de Rudy Van Gelder, celle du 24 juin au cours de laquelle le quartette majeur de Trane enregistra pour la musique d’un film du réalisateur canadien Gilles Groulx, ‘Le Chat dans le Sac’.


55 ans après, Impulse sort l’intégrale (37 minutes) de cette séance dont 10 minutes seulement avaient été utilisées dans ce film visible aujourd’hui sur YouTube. L’intérêt est indéniable même si les thèmes joués figurent parmi les classiques de Coltrane tels Naima (2 prises présentées) ou Village Blues (3 prises) et que l’enregistrement n’atteint pas la qualité habituelle du maître Van Gelder.
Le quartette de Trane était bien à son sommet, après trois années de coopération fructueuse et studieuse.

Une demi-heure de plaisir intense, marqué par la sérénité de l’ex ténor en colère.

 

Jean-Louis Lemarchand
   

 

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25 septembre 2019 3 25 /09 /septembre /2019 10:06

James McBride. Traduit de l’américain par François Happe. Editions Gallmeister. Octobre 2019. 336 pages. La version grand format était sortie chez le même éditeur en mai 2017). En librairie le 3 octobre.

 

 

Récit de la vie de James Brown, sérieusement documenté, Mets le feu et tire-toi (titre original ‘Kill’em and leave : Searching for James Brown and the American Soul’), est désormais disponible en version de poche.

 

Sorti en France au printemps 2017 (et chroniqué alors dans les DNJ), le livre de James McBride s’est vendu, selon l’éditeur, Gallmeister, à 3500 exemplaires. Un beau score mérité. L’auteur, devenu célèbre avec son premier livre, La couleur de l’eau (1995), une autobiographie, connaît bien le milieu de la musique, ayant joué du saxophone auprès du chanteur-culte Little Jimmy Scott et continue toujours à donner des concerts avec son groupe de gospel, Good Lord Bird Band.

 

McBride s’est livré à une enquête dans le Sud profond qui vit naître « le parrain de la soul » en 1933 à BarnwellIl (Caroline du Sud) et mourir le 25 décembre 2006 à Atlanta (Géorgie). 

Loin des biographies chronologiques classiques émaillées de potins et ragots, l’ouvrage du romancier new-yorkais tire sa force de la mise en situation de la vie et de la carrière du chanteur dans un environnement politique et social marqué par la ségrégation. 

Engagé dans la lutte pour les droits civiques et la cause de ses « frères », artiste exigeant au plus haut degré, James Brown, le chanteur-star (plus de deux cent millions de disques vendus en quarante-cinq ans de carrière, des succès inoxydables  tels que Please, Please, Please, Papa’s Got a Brand New Bag, Say it Loud, I’m Black and I’m Proud), n’avait comme seul objectif que de « casser la baraque ». Sa philosophie tenait en quelques mots : « Mets le feu et tire-toi ». En pratique, James Brown déclenchait la transe et refusant tout after, rentrait à la maison (ou à défaut à l’hôtel), illico, aussitôt le rideau baissé.

 

Jean-Louis Lemarchand.

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22 septembre 2019 7 22 /09 /septembre /2019 10:41

DAL SASSO BIG BAND : «  The Palmer suite »
Jazz & People 2019
Julien Alour ( tp, fgh), Joël Chausse ( tp, fgh), Quentin Ghomari (tp, fgh), Jerru Edwards (tb), Denis Leloup (tb), Bastine Stil (tuba), Dominique Mandin (as, fl), Sophie Alour (ts, cl, fl), David El-Malek (ts), Thomas Savy (ts, clb), Christophe Dal Sasso (fl, dir), Pierre DeBethmann (p), Manuel Marchès (cb), Karl Jannuska (dms)


Une suite riche que signe-là Christophe Dal Sasso. Un peu ampoulée parfois tant les revirements rythmiques et harmoniques sont nombreux, foisonnants et qui nous perdent de temps en temps, en mal de lignes conductrices. La musique évolue entre classicisme à la Française ( on pense aux frères Belmondo dont Dal Sasso est très proche) et les grandes suites du jazz (Ellington ou Marsalis).
Sauf que la ligne mélodique se perd au milieu des méandres harmoniques. Et le swing peine sur plusieurs titres à trouver sa place. Mais il s’agit d’un all-stars et les solistes sont là, hyper concentrés et font le job peut être impressionnés par l'environnement majestueux de Château Palmer, le célèbre domaine viticole du Bordelais qui s'est fait une tradition de marier le jazz et le vin depuis quelques années.
Le travail est néanmoins remarquable. Un vrai travail d'assemblage pareil à celui des vignerons amoureux de leur art. Et il y a ce temps de « jazzification » qui ne se donne pas à ceux qui boivent leur vin d'une traite mais à ceux qui prennent le temps d'en savourer les couleurs, les arômes et des goûts. Et c'est lorsqu'il évoque le Plus Grand des Domaines que Dal Sasso met des bulles dans son vin et  le transforme  (sacrilège chez Palmer).....en champagne pétillant.
Avec Dal Sasso pas de jazz linéaire et prévisible. Il fait de l'assemblage et y mêle pas mal de références du jazz orchestral : Duke, Thad Jones voire même Schiffrin parfois. Velouté souvent, tanique parfois il se déguste comme le vin. A ceux qui savent découvrir qu'après l'attaque c'est une explosion de saveurs et d'arômes pour qui prend le temps, non pas de boire mais de déguster. Les saveurs se juxtaposent en contrepoints et la jambe est souvent longue lorsque les lignes s'etirent (Une transition douloureuse). Il y a quelques notes épicées portées par des solistes au sommet comme ce morceau de bravoure à la clarinette basse ( Thomas Savy) sur La saga des feres Pereire.
Et le tout relevé par quelques épices et un drumming incroyable et haut en couleurs de Karl Jannuska.
« The Palmer Suite » raconte l’histoire de ce domaine Bordelais et fait de cet album un grand cru dans l’oeuvre de Dal Sasso.
Jean-Marc Gelin

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22 septembre 2019 7 22 /09 /septembre /2019 10:39
LES EMOUVANTES à Marseille, chapelle des Bernardines
LES EMOUVANTES à Marseille, chapelle des Bernardines
LES EMOUVANTES à Marseille, chapelle des Bernardines
LES EMOUVANTES à Marseille, chapelle des Bernardines

LES EMOUVANTES à Marseille, chapelle des Bernardines.

Samedi 21 Septembre.19h. In spirit, Claude TCHAMITCHIAN solo

 

Deux jours après la sortie sur nos écrans de la délicieuse comédie de Woody Allen, A rainy day in New York , il pleut sans faiblir sur Marseille en ce premier jour d’automne. Si la B.O du dernier Woody célèbre l’un de ses musiciens de prédilection, Errol Garner, nous n’entendrons pas vraiment du jazz classique avec la dernière soirée de ce festival si étonnant que sont les Emouvantes dans le cadre privilégié de la chapelle des Bernardines du lycée Thiers.

Claude Tchamitchian, le créateur du label EMOUVANCE, contrebassiste, compositeur, chef d’orchestre avec son Louzadsak, accompagnateur de nombreuses formations dont celle de l’ami Andy Emler, joue In Spirit, en hommage à Jean François Jenny Clark son troisième album solo après Jeux d’enfant en 1992 et Another childhood en 2010. Ces projets de solo prennent leur temps, correspondent à une maturation réfléchie, et dans ce cas très particulier, à une sorte de “captation” qui lui est venue avant même l’écriture.

Sur une contrebasse et quelle contrebasse, puisqu’il s’agit de celle du grand “JF”, disparu il y a vingt ans, l’autre étant entre les mains de Jean Paul Céléa, accordée différemment pour répondre à la musique entendue, pour éviter certains réflexes de jeu , automatismes de l’instrument, il se lance dans l’aventure, quatre suites, si on accepte comme telle, l’interlude plus court, entre la deuxième et la troisième pièce.

Comme il le disait déjà dans l’excellente interview d’Anne Montaron qui figurait dans les notes de pochette d’Another Childhood, il joue sans tension mais avec une grande intensité, comme “traversé”, en connexion avec l’instant, ce qui donne grande cohérence au solo, joué à flux tendu. Incarnation” est aussi un mot qui peut revenir sous la plume, car il ne s’agit pas pas vraiment de se portraiturer au hasard des plages et de l’improvisation, pour rester pleinement dans la thématique du festival. Claude Tchamitchian aime sans doute se frotter à tous les genres, styles et techniques, mais cela va plus loin qu’un exercice de style, variant nuances et atmosphères de l’instrument. Ce n’est ni l’exploration de plusieurs modes de jeu qui est ici à l’oeuvre, ni l’art de la contrebasse en quatre leçons, sans, avec un, ou même deux archets (sur la deuxième pièce), mais une épreuve où la position de soliste s’avère difficile à garder, étant souvent ingrate. Je ne ressens pas, contrairement à son solo précédent, une dimension narrative avec une succession de portraits de figures amies, disparues qui hantent son inconscient. Mais plutôt un auto-portrait sur le fil du rasoir, où il lutte contre ses démons peut-être, contre le temps aussi, où la charge émotionnelle domine. Peu de silence, peu de vide mais un combat essentiel avec l’ instrument, une contrebasse puissante, résolue qui a son autonomie propre. Un rapport passionnel fort, dans la lutte plus que dans le ravissement, même s’il parvient à faire chanter la contrebasse qu’il empoigne, saisit, balance, arc bouté sur elle. Il en fait sortir des sons rauques qui enflent parfois en une mélodie plus apaisée, comme dans ce “In Memory” venu de la tradition arménienne, chant du Xème siècle selon Gaguig Mouradian, le joueur de Kamantcha, avec lequel Tchamitchian signa un album mémorable chez Emouvance, en 2002, Le Monde est une fenêtre.

Une performance saisissante où l’on entend le souffle, la respiration, où l’on sent la sueur couler, les doigts se retenir de glisser. Saisi par la teneur dramatique, on admire la maîtrise à ce niveau d’intensité, l’ivresse de certains passages qui deviennent frénésie, transe dans ces suites vibrantes et enlevées qui “ne scient pas de long”. 

21h. MARC DUCRET ENSEMBLE LADY M”

Marc Ducret ( compositions, guitares)

Sylvain Bardiau (trompette, bugle), Samuel Blaser (trombone), Catherine Delaunay (clarinette, cor de basset), Liudas Mockunas (saxophones, clarinette basse), Régis Huby (violons), Bruno Ducret (violoncelle), Joachim Florent (contrebasse) et Sylvain Darrifourcq (percussions, batterie, électronique). 

Après le saisissement du solo de Claude Tchamitchian, nous poursuivons  avec une traversée shakespearienne épique sur la lande écossaise. Marc Ducret, féru de littérature, a choisi, après sa lecture d’ Ada ou L’ardeur de Nabokov, de s’attaquer à un mythe revisité par de très grands cinéastes, Orson Welles en 1948, Akira Kurosawa en 1957( Le château de l’araignée) et Roman Polanski en 1971, sans oublier le romancier WilliamFaulkner qui a fait sienne la citation à la fin de Macbeth :

It’ s a tale told by an idiot, full of sound and fury, signifying nothing”.

Les années de jeunesse passées, l’expérience de la vie a porté ses fruits quand Shakespeare écrit, après Jules César et avant Hamlet, ce Macbeth aux oscillations violentes, qui combine, en une seule intrigue, deux récits différents, retraçant en cinq actes assez resserrés, l’usurpation, le règne et la mort de Macbeth, guerrier valeureux, poussé au crime par sa femme Lady Macbeth. Marc Ducret comme Chostakovitch d’ailleurs, a choisi de déplacer son angle de vision et de se concentrer sur le personnage de Lady M. Les deux meurtriers ont en effet des caractères différents : si Macbeth, ambitieux et noble, hésite longuement, il succombe à une tentation infernale alors que sa femme a l’energie et la détermination triomphantes, sans hésitation. Animée par la soif du mal, Lady M est dotée d’une éloquence ardente et n’hésite pas à mettre en avant les arguments les plus spécieux pour changer les crimes en rêves de gloire. Macbeth se protège plus longtemps, confiant en la prophétie trompeuse des sorcières.

La vision de cette oeuvre laisse une grande liberté au metteur en scène qui peut interpréter les scènes d’action à sa guise, jouant sur les variations autour d’un même thème, exactement comme dans le jazz. Choisissant chaque interprète comme il l’imagine. C’est ce que fait Marc Ducret avec ses musiciens, triés sur le volet, un des castings les plus brillants de la scène musicale hexagonale actuelle, en ajoutant le tromboniste suisse Samuel Blaser, parfaitement en place. Chaque rôle est pensé en fonction de ce que peut apporter le musicien. Et l’ensemble est remarquable, répondant à une écriture exigeante, ambitieuse, d’une précision folle. L’idée forte de ce théâtre musical est d’engager deux chanteurs lyriques, une soprano Lea Trommenschlager et un contre ténor Rodrigo Ferreira pour “répéter”, ressasser ces mots obsessionnels. Ils interviennent  l’un après l’autre, puis ensemble. Il s’agit de reprendre certains vers du monologue de Lady Macbeth de l’acte I, scène 5 :

Come you spirits that tend on mortal thoughts, unsex me here and fill me to the crown to the toe… Puis le passage si célèbre, somnanbulique de l’acte V, scène 1, où Lady Macbeth voit du sang, une tâche qu’elle ne parvient pas à enlever :

Out damn spot, out I say!...All the perfumes of Arabia could not wipe this little hand”...

Car le couple est maudit dès le premier forfait accompli, tous deux connaîtront un repentir fatal, leur conscience aiguillonnée poussant au suicide Lady M et à un combat mortel pour Macbeth, qui accepte son sort, quand il comprend que la prédiction des sorcières se réalise.

Une mise en scène idéale de Sara Lee Lefèvre rend crédible la représentation : les neuf musiciens entrent en scène solennellement et se placent en un demi cercle parfait, tous vêtus de jupes noires à la Gaultier et chaussés de Doc Maertens. Ils ressemblent à ces chevaliers en armure, violents et sinistres, résistant avec Macbeth à l’avancée inexorable d’un Macduff vengeur. On entend la lande, le bruissement du vent, sur ces wuthering heights avec les effets électroniques saisissants de la batterie ou du violoniste Régis Huby.Tous regardent le chef, debout, impérial avec ses guitares (dont une douze cordes), dont il change régulièrement, s’autorisant à jouer de pleins passages qui tirent vers le rock.  Ducret, s’il ne peut être réduit à la seule figure de guitar hero, même splendide, n’est pas solitaire ; il a la vaillance d’un chevalie dirigeant ses troupes qui obéissent avec ferveur. Il faut voir le regard fièvreux de la clarinettiste Catherine Delaunay dont la partition est particulièrement ardue qui joue sous codeine car elle s’est fêlée une côte. Et son rôle de soliste est très important, taillé sur mesure, lui permettant de déployer la palette de son talent qui est grand. Les instrumentistes jouent souvent à deux, se mettant mutuellement en valeur comme les deux clarinettistes Catherine Delaunay et Liudas Mockunas à la clarinette contrebasse ou la même avec le formidable trompettiste-bugliste Sylvain Bardiau, l’un des trois du Journal Intime qui a souvent accompagné Marc DUCRET.

Car, cette aventure exceptionnelle est menée avec des musiciens fidèles depuis longtemps ( il faudrait les citer tous) qui sont de tous les projets du guitariste, dont Régis Huby, chef de meute lui aussi, qui livre un passage inquiétant, exaltant, tout seul, avec ses violons dont un ténor et quelques effets surdosés. Les "Tutti" de l' orchestre sont impressionnants et assez rares pour qu’ils gardent  leur force et se coulent dans la dramaturgie. Pas de clavier dans cette formation qui claque au vent sous la mise en son experte de Bruno Levée.

Bravo à tous et remercions encore les EMOUVANTES de nous donner une émotion aussi précieuse. Précisons pour les amateurs que cette création à la Dynamo de Pantin en 2017, la Lady M de Marc Ducret est sorti en CD sur ILLUSIONS en 2019. 

 

 

SOPHIE CHAMBON

 

 

 

 

 

LES EMOUVANTES à Marseille, chapelle des Bernardines
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18 septembre 2019 3 18 /09 /septembre /2019 12:21
PHILIPPE BROSSAT STREETS OF NEW YORK L’histoire du rock dans la BIG APPLE

PHILIPPE BROSSAT

STREETS OF NEW YORK L’histoire du rock dans la BIG APPLE

LE MOT ET LE RESTE

Sortie le 19 septembre 2019.

https://www.librairie-voyage.com/amerique-du-nord/le-mot-et-le-reste-editions-streets-of-new-york-l-histoire-du-rock-dans-la-big-apple.html

 

Alors que l’on se prépare à aller faire un tour à New York avec Woody ALLEN et son jour de pluie à New York, sort concomitamment le livre des éditions marseillaises Le Mot et Le Reste, Streets of New York, l’histoire du rock dans la Big Apple.

Ce livre est enthousiasmant : à chaque page, à chaque rue, il évoque des souvenirs, des anecdotes qui balayent bien plus large que ce que le titre sous entend. Il s’adresse en effet aux passionnés de musiques, de toutes les musiques, du jazz au rap sans oublier la pop, le rock puisque la Big Apple a inspiré tous les styles, a vu naître tous les grands courants.

Pour découvrir New York autrement, pour tous les amoureux de cette ville qui pourraient dire à l’instar de Woody Allen, en ouverture de Manhattan, en voix off , quand il déclare sa flamme à la ville : Quelle que fût la saison, New York existait toujours et vibrait aux sons des grandes mélodies de George Gershwin….New York was his town and it always would be.”

Philippe Brossat va bien plus loin que le Manhattan Man: cette ville qui n'est pas la sienne, lui colle aussi à l’âme. Il arrive à nous la faire revivre  en organisant une visite méthodique, du Sud au Nord, avec, dès l’introduction, un plan très simple pour se situer entre Manhattan, Bronx, Queens et Brooklyn.

L’auteur qui a passé plus de vingt ans à sillonner la ville à la recherche de traces, d’empreintes, en a photographié le plus souvent les lieux marquants. Il vous en fait aimer ses rues, ses parcs, ses maisons... Et ceux qui y vécurent : comme dans le film de 1948, Naked City, où Jules Dassin évoque les millions d’ histoires qui se déroulent dans cette cité sans voiles.”

C’est le guide le plus complet, absolument indispensable d’une époque et de sa culture, à travers toutes ses formes artistiques, de la littérature au cinéma, sans oublier la peinture, l’architecture (Soho et ses cast-iron buildings reconvertis en lofts), la photo, la danse….Comment s’organise ce livre plus passionnant que le Routard ou Lonely planet?

Un paragraphe introductif sur chaque quartier donne envie de vous aventurer dans ces pages comme si vous arpentiez le macadam. Le seul Manhattan est découpé en onze zones, ce qui vous permet de quadriller la ville et de vous repérer rapidement .

Ce livre me rappelle le merveilleux Je me souviens de Georges Perec, même si Philippe Brossat fait plus oeuvre de reporter-historien que d’écrivain: ce même souci de listes avec un désir d’exhaustivité. On est saisi par une même émotion à l’évocation de ce qui a compté, lors des cinquantes dernières années du XXème siècle, une grande partie de la vie artistique défile sous nos yeux avec souvent la nostalgie de ce qui n’est plus.

On peut lire d'un trait ces Streets of New York, linéairement, chronologiquement ou picorer au hasard. Se servir aussi d' un index formidable qui vous permet de localiser Charles MINGUS, Woody ALLEN, SAM RIVERS, Dizzy GILLESPIE et Charlie PARKER au Town Hall en 1945, John COLTRANE, Bill EVANS au Village Vanguard, Joni MITCHELL… mais aussi Bob DYLAN, les frères Coen dans le Greenwich Village d’ Inside Llewyn Davies, Patti SMITH posant pour Robert MAPPLETHORPE pour la mythique pochette de Horses, toutes les icônes de la pop, des lieux mythiques comme le Chelsea Hotel(W 23th street/7Av.) Andy WARHOL, Lou REED, NICO et le Velvet, David Bowie, John Lennon et Yoko au DAKOTA sur Central Park West, qui abrita aussi Léonard BERNSTEIN, les studios d’enregistrement ( Tower Records/ Pazz and Jop Music Polls The Village Voice) et les galeries d’art, Jean Michel BASQUIAT, MADONNA… 

Ce New York deviendra un peu le vôtre et avec ce livre, vous déambulerez d’un bloc à l’autre, dénichant appartements, restaurants, galeries, cinémas, théâtres... Alors, n’hésitez plus, procurez-vous ce Streets of New York très vite.

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

 

 

 

 

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5 septembre 2019 4 05 /09 /septembre /2019 21:18

Ramona Horvath (p), Nicolas Rageau (cb)

L'été c'est bien ! Il y a des albums que l'on reçoit durant l'année et que l'on met de côté en se disant qu'on les écoutera quand on aura le temps. Et l'été on a le temps.
C'est comme ça que j'ai découvert une petite pépite à laquelle je n'avais pas vraiment prêté attention : l'album de la pianiste Ramona Horvath en duo avec le contrebassite Nicolas Rageau.
Et finalement cet album, ben voyez-vous il ne m'a pas quitté de toutes les vacances !
Je le connais par coeur. J'en connais toutes les modulations et tous les renversements d'accord. Totalement sous le charme.

Ramona Horvath est une pianiste roumaine sortie du conservatoire de Bucarest il y a quelques années et qui, depuis 2010 a fait de Paris sa terre d’élection. Ramona n'est certes pas une révolutionnaire du jazz et son coeur penche du côté des classiques : Duke Ellington et Billy Strayhorn, Bill Evans, peut être aussi Chet Baker et tous les standards de Broadway. Je jurerai même qu'elle a dû écouter un jour le remarquable et ignoré Phineas Newborn.
Nicolas Rageau, on le connait mieux. Vieux briscard de la scène jazz nourri aux mêmes influences avec une petite touche de NHOP ( enfin, je crois), il fut un moment un pilier du Smalls, le petit club mythique de New-York.
Tous les deux se sont trouvés. Remarquablement trouvés.
Leur album on l'a dit ne révolutionne rien. Mais Dieu que c'est bon !
Avec une rare élégance, un phrasé aérien et léger, un sens de la réinvention des thèmes (avec fidélité toutefois), et un placement rythmique d'enfer, Ramona Horvath respire le jazz. Il faut l'entendre caresser le swing au fond du temps sur le Sucrier Velours (Duke), le faire légèrement rebondir sur la pulse profonde de Nicolas sur Drop me off in Harlem (Duke toujours dont Ella livra une bien belle version). Prenez cette version enjouée de Pennies From Heaven lancée sur une fausse piste avec l'intro de But not for me et sur laquelle Ramona fait preuve de la légèreté du swing. Ou encore ce beau thème de Bill Evans, My Romance réharmonisé à sa façon sans jamais trahir.
Ramona et Nicolas s'écoutent, s'attendent, se devancent  avec une parfaire osmose.
Il faut écouter leur communion sur Esmeralda et cette musicalité de Ni comas Rageau qui fait chanter sa contrebasse.
Au final cet album est un pur moment de plaisir de bout en bout.
On vous l'a dit, il respire le jazz !

Jean-Marc Gelin

 

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