NICOLAS FILY
JOHN COLTRANE
THE WISE ONE
LE MOT ET LE RESTE
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On croyait que tout avait été dit, écrit sur John Coltrane mais le saxophoniste, plus de cinquante après sa disparition, le 17Juillet 1967, continue à inspirer musiciens, poètes, écrivains. Dans Le Réveil culturel sur France Culture, l’émission matinale de Tewfik Hakem, Nicolas Fily évoquait sa fascination pour le saxophoniste, l’homme autant que sa musique, découverte en écoutant du hip hop et en écoutant les diverses formations de Miles. Passionné de musiques plurielles, Nicolas Fily, né en 1983, a mis à profit ses compétences de disquaire et de critique pour parcourir et commenter les étapes marquantes de l’ évolution coltranienne. Il analyse avec sérieux les avancées du saxophoniste, le style, sans omettre la part de l'ombre, des addictions, sans réduire la dimension excessive de la vie et des albums.
John Coltrane The Wise One, son premier livre est une somme sur la vie et la musique de cette légende du jazz du XXème siècle, virtuose et révolutionnaire. Il paraît chez l’excellente maison Le Mot et Le Reste qui cultive un éclectisme de bon aloi, à en juger par son catalogue qui ne s’arrête d’ailleurs pas à la musique.
Son travail de recherches s’appuie sur une bibliographie sérieuse, une discographie sélective mais précise. Ce qui n’est pas l’un des moindres avantages du livre. Il précise et on le croit sans peine que tous ces auteurs et chercheurs lui ont évité des années supplémentaires de défrichage des terres coltraniennes. Coltrane qui mourut jeune n’a jamais cessé, en effet, dans sa quête insatiable de sens, de travailler, d’enregistrer, de créer. Il a mené une vie d’ascète dont le caractère mystique se retrouve dans sa musique. La minutieuse entreprise de Gily ne sépare pas la vie de la musique, qui vont très bien ensemble, une vie racontée par le double prisme mystique et artistique. Tous ceux qui ont approché Coltrane ont vanté l’humilité et la sincérité de son engagement, la profonde humanité du personnage.
Voilà une introduction bienvenue pour qui veut s’immerger dans cette oeuvre phénoménale mais aussi une synthèse pour les amateurs plus éclairés qui sauront se retrouver dans une production pléthorique que le livre met en valeur au moyen de sobres vignettes en noir et blanc, conformes à la charte graphique de la maison d’éditions marseillaise. Avec une attention particulière au travail des pochettes, les photographies et fameuses "liner notes".
Le livre est d’une grande lisibilité, découpé chronologiquement en six périodes ( D’où viens tu John Coltrane?, Becoming a leader, Cap sur ATLANTIC, IMPULSE! ACTE I, Le souffle épique, Something else!Epilogue) elles mêmes fragmentées en mini chapitres aux titres judicieux. L’architecture du livre tourne autour des trois labels majeurs du musicien devenu leader, Prestige, Atlantic et Impulse.
Les années de formation montrent un Coltrane influençable qui se nourrit de rencontres, et même s’il se perfectionne aux côtés de Dizzy Gillespie, avec lequel il grave ses premiers solos de sax ténor, “il n’a pas encore de personnalité propre”. Le tournant, il le vivra avec le premier quintet de Miles Davis et surtout avec T.S Monk, au Five Spots de New York : il délaisse le vibrato et use de la vitesse à l’état pur avec ces rafales de notes en grappes, “sheets of sounds” selon Ira Gitler, critique à Downbeat.
Soultrane signé sur Prestige marque la première grande révolution coltranienne en 1958 et annonce l’ émancipation de la période Atlantic. Il faudra d’abord en passer par le retour chez Miles, le nouveau sextet et les deux séances pour écrire l’histoire de Kind of Blue (1959).Une fois constitué son quartet de rêve, suivront les albums mythiques où Coltrane développe ses concepts harmoniques de Giant Steps à Ole sans oublier My Favorite Things avec ce thème éponyme, véritable signature, dont l’impact, dû à cet allongement démesuré de la sensation du temps, fut considérable.
Coltrane continue chez Impulse sa révolution du rythme et de la musique modale se concentrant sur l’expérimentation et son cheminement intérieur. Il explore différents mondes sonores propres à l’avant garde. Cette recherche formelle, cette ouverture vers de nouvelles sonorités chromatiques, en relation avec une quête spirituelle, mystique le conduira très loin d’Elvin Jones et McCoy Tyner qui quittent le groupe en 1965, car ils ne peuvent plus le suivre dans les espaces interstellaires du free jazz. A Love Supreme, le plus célèbre de ses albums, l’un des premiers concept albums du jazz, sort en janvier 1965 : “utopie créative”, ce sera un événement sur la planète jazz. L’aventure continue les dernières années d’ Ascension, suivant les concepts de la New Thing jusqu’à Om, le premier disque de jazz psychédélique, qui “franchit la frontière entre audace et omettincompréhension”.
Aucune partie de l’oeuvre n’est laissée de côté et chaque période a son intérêt : de la construction à l' épanouissement et à la maturité, le style du musicien n’a cessé d’évoluer. Rien ne put altérer son ineffable douceur, la fermeté de son caractère, sa détermination. Coltrane était un travailleur acharné, doté d’une exigence absolue, possédé par la musique plus encore que par la religion, obsessionnel jusqu’à son dernier souffle, hanté par le sens de sa recherche, passionnément ancré à ses saxophones et à sa quête spirituelle. Sa soif de jouer fut sa dernière addiction. Son influence est considérable sur des générations de saxophonistes.
Nicolas Fily arrive à rendre l’amour qu’il éprouve pour cette figure unique de musicien qui sut en donner beaucoup au monde. Et selon la belle formule de Santana qui rendit hommage à Coltrane dans son album Love, Devotion, Surrender, en 1973, avec John McLaughlin: “Certains jouent du jazz, d’autres du reggae ou du blues, Coltrane jouait la vie.”
Sophie Chambon