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15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 00:44

Le festival a commencé dès la fin de semaine précédente, mais le chroniqueur n'avait pas encore abandonné les pluies franciliennes pour les frimas nivernais. À pied d'œuvre le lundi matin, le plumitif s'est réjoui dès le midi à l'écoute d'un formidable duo : celui que forment Claudia Solal et Benjamin Moussay

Débat et peaufinage pendant la balance photo ©Maxim François

«BUTTER IN MY BRAIN»

Claudia Solal (voix, textes, composition), Benjamin Moussay (piano, piano électrique, synthétiseur basse, traitement du son en temps réel, composition)

Maison de la Cuture, salle Lauberty, 13 novembre 2017, 12h15

 

Leur association repose sur une ancienne connivence : ils se connaissent depuis une vingtaine d'années, et à partir de 2003 ont travaillé un duo, dont fut issu dès l'année suivante le disque « Porridge Days ». Après un autre disque en quartette(« Room Service »), ils ont dès 2013 repris le travail en duo, matérialisé par le CD « Butter in my Brain », paru tout récemment (Asbsilone/L'Autre distribution). On a dans ces colonnes dit notre admiration pour ce disque (http://lesdnj.over-blog.com/2017/10/claudia-solal-benjamin-moussay-butter-in-my-brain.html).

Le concert, après une tournée assez conséquente, révèle encore d'autres richesses, d'autres émois. Les pièces, très minutieusement agencées pour le disque, s'ouvrent au fil du concert à des espaces improvisés. De surcroît les deux complices continuent de faire ce qu'ils font sur scène depuis longtemps : improviser autour des textes choisis dans l'instant dans le petit livre que Claudia garde avec elle sur scène. Celui-ci, qui contenait naguère des poèmes d'Emily Dickinson, recèle maintenant les écrits de la chanteuse, conçus dans un anglais poétique, où l'humour croise parfois un univers presque surréaliste. Le dialogue est d'une grande intensité musicale, avec implication majeure des deux protagonistes. C'est une sorte de voyage initiatique dans un monde imaginaire ; on se laisse porter jusqu'au terme : c'est une totale réussite !

Prochain concert de Claudia Solal et Benjamin Moussay le 23 novembre à Lens (festival Tout En Haut Du Jazz)

 

Photo ©Maxim François

«TILT»

Joce Mienniel (flûte, synthétiseur), Vincent Lafont (piano électrique), Guillaume Magne (guitare), Sébastien Brun (batterie)

Auditorium Jean-Jaurès, 13 novembre 2017, 18h30

 

Le groupe joue le programme du disque éponyme paru en 2016. La situation du concert produit un 'effet de vérité' qui démultiplie les sensations éprouvées à l'écoute du CD. La concentration des musiciens est extrême, car il ne s'agit pas de rejouer le disque, mais de donner à entendre un nouvelle objet sonore, unique et forcément éphémère, dont seul subsistera l'émoi ressenti par les spectateurs. On est ici dans un univers musical polymorphe, qui plonge ses racines dans le jazz comme dans le rock progressif, et qui combine une ardente expressivité avec un véritable culte de l'événement sonore. C'est comme un long ruban d'intensité rock paré d'éclats de power trio (l'association piano Fender Rhodes/guitare/batterie) et de bribes de partita pour flûte mêlées d'exploration de tous les modes de jeux possibles sur l'instrument. Joce Mienniel joue aussi d'un petit synthétiseur analogique qui conjugue les sons de naguère et les ritournelles du présent. Après une relecture déstructurée, et savoureuse, de Money (Pink Floyd), A Flower From The City Beneath va nous ramener à l'univers du groupe et de son leader, et nous sommes plutôt conquis.

 

Photo ©Maxim François

EURORADIO JAZZ ORCHESTRA 2017

Airelle Besson (trompette, composition, direction), Alba Nacinovitch (voix), Allan Järve (trompette, bugle), Sigurd Evensen (trombone), Corentin Billet (cor), Quentin Coppalle (flûte), Vincent Pongracz (clarinette), Mria Dybbroe (saxophone alto), Helena Kay (saxophone ténor, clarinette), Dimitri Howald (guitare), Kristina Barta (piano), Vid Jamnik (percussions à clavier), Kaisa Mäensivu (contrebasse), Cornelia Nillson (batterie)

Maison de la Culture, salle Philippe-Genty, 13 novembre 2017, 20h30

 

L'Euroradio Jazz Orchestra est un projet annuel de l'UER (Union Européenne de Radiotélévision, autrement appelée European Broadcasting Union : EBU). Cette appellation a succédé voici quelques années à celle de Big Band de l'UER (EBU Big Band). Le principe est toujours le même : une radio publique invitante choisit un (ou plusieurs) chef d'orchestre-compositeur, commande un répertoire, et chacune des radios qui le souhaitent délègue un musicien (aujourd'hui obligatoirement âgé de moins de 30 ans) pour la représenter au sein de l'orchestre. Il faut préciser que l'UER n'est pas une émanation de la communauté européenne, mais qu'elle rassemble les radios publiques des pays d'Europe (quand elle a été créée, en 1964, on considérait que la Turquie avait vocation à en faire partie), et qu'elle a des membres associés, comme les radios publiques du Japon (NHK), d'Israël (Kol), du Canada (Radio Canada/CBC) ou des États Unis (NPR)....

La dernière fois que Radio France a accueilli ce projet, c'était le 7 avril 1991, à Strasbourg, avec trois compositeurs-chefs d'orchestre : Patrice Caratini, Laurent Cugny et Andy Emler. Par la suite l'émergence de nouveaux états, en ex-Yougoslavie, en Tchécoslovaquie ou dans les Pays Baltes, a fait que le nombre de radios participantes augmentait, et que la France devait attendre son tour, d'autant plus qu'enfin, dans les années 2000, la Turquie participa, et qu'il fallait aussi pour les états où plusieurs communautés linguistiques ont une radio publique, comme en Suisse, accueillir plusieurs projets sur différentes années. Bref Radio France fut peu sollicitée, et quand elle le fut vers 2005, les gigantesques travaux entrepris rendaient des salles indisponibles et induisaient une certaine frilosité budgétaire. Enfin en 2017 Radio France, sous l'impulsion d'Alex Dutilh, a renoué avec ce projet, confié à Airelle Besson.

Un premier concert a eu lieu le 11 novembre à la Maison de la Radio (dans le cadre des concerts 'Jazz sur le Vif' d'Arnaud Merlin), puis ce furent Coutances le lendemain, Nevers ce 13 novembre, avant de conclure le lendemain-jour où j'écris ces lignes- près de Strasbourg pour le festival Jazzdor.

Airelle Besson a orchestré pour cette formation, dont elle a choisi la nomenclature, quelques-unes de ses compositions antérieures (Lueur, Envol, et en rappel Radio One), et composé pour l'occasion The Sound of Your Voice, hommage aux voix de la radio. L'écriture est soignée, l'esthétique oscille entre musique de genre, harmonie de luxe et orchestre de jazz. Les jeunes musicien(ne)s (je revendique l'écriture inclusive, d'autant que depuis quelques années les musiciennes sont de plus en plus nombreuses dans cet orchestre !) ont répété quatre jours à la Maison de la Radio. L'exécution d'ensemble est très bonne, comme la direction (Airelle étudie depuis plusieurs années la direction d'orchestre). Cela pèche parfois du côté des solistes, avec quand même de beaux moments : un stop chorus du clarinettiste autrichien Vincent Pongracz, un solo expressif du guitariste suisse Dimitri Howald, une improvisation magistrale du tromboniste norvégien Sigurd Evensen, un solo sans tapage mais bien ouvragé de la saxophoniste ténor britannique Helena Kay, et un solo flamboyant de la chanteuse croate Alba Nacinovitch.... et j'en oublie forcément.

Ce fut donc un plaisir, notamment pour moi et mes 32 années de Radio France (où j'ai participé à ma première réunion UER en... 1985), de retrouver sous nos couleurs ce projet où j'ai vu passer, au fil des ans, tant de grands solistes européens alors même qu'ils étaient peu connus (comme le Suisse Samuel Blaser voici quelques années), et où j'ai eu le privilège de déléguer, au fil des ans, André Villéger (avant le jeunisme imposé), et plus récemment Brice Moscardini, Fidel Fourneyron, Bastien Ballaz, Anne Paceo, Quentin Ghomari, Jean Dousteyssier... pardon à celles et ceux que j'ai oublié(e)s !

 

CHRIS POTTER TRIO + 1

Chris Potter (saxophones ténor & soprano, flûte, effets électroniques), Reuben Rogers (guitare basse), Eric Harland (batterie) ; invité James Francies (piano, piano électrique, synthétiseurs)

Maison de la Culture, salle Philippe-Genty, 13 novembre 2017, 22h15

 

Avec Chris Potter la soirée tourne à l'effervescence frénétique. Le saxophoniste a mêlé des thèmes qui sont depuis pas mal de temps à son répertoire (comme Synchronicity, de Sting, période 'Police') à des titres issus de son récent «The Dreamer is The Dream» (ECM), enregistré avec un groupe différent. Et le groupe que nous découvrons à Nevers est carrément nouveau car au trio annoncé initialement s'est ajouté le pianiste James Francies, nouvelle coqueluche de la scène états-unienne. Il faut dire qu'il est brillant, même si ses solos débordent de gammes vertigineuses (heureusement ponctuées de temps à autre d'accents et de ruptures rythmiques), et si ses chorus de synthétiseur ont un léger parfum corny venu tout droit des années 70. Mais on lui pardonne sa vélocité un peu ostentatoire, car il possède un sens de l'intervention, de l'écoute et du dialogue au sein du groupe qui fait merveille. D'ailleurs l'interaction est au cœur même de ce groupe. Tantôt basse et batterie dialoguent intensément quand sax et claviers tissent un autre échange, le tout dans une écoute globale et mutuelle qui laissent pantois. Peu après, alors que le sax a quitté la scène, le pianiste entame un trilogue avec ses complices, et l'échange se joue sur plusieurs plans, simultanés, parallèles ou croisés. Bassiste et batteur ont maintes fois l'occasion de s'exprimer réellement, et ils ne s'en privent pas ! Quant à Chris Potter, si l'on excepte quelques bricolages avec ses effets un peu bateau sur une flûte dont d'ailleurs on aurait pu se passer, il administre une leçon de musicalité foudroyante, croisant l'énergie la plus folle avec des raffinements de phrasé, d'accents, de choix des notes : c'est décidément un Maître saxophoniste.

Xavier Prévost

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11 novembre 2017 6 11 /11 /novembre /2017 13:33

Whirlwind Recordings 2017
Rez Abbasi: guitar; Vijay Iyer: piano; Rudresh Mahanthappa: alto saxophone; Johannes Weidenmueller: double bass; Dan Weiss: drums; Elizabeth Mikhael: cello.


Nous vous avons parlé récemment de l’excellent album du saxophoniste Rudresh Manhatappa avec Rez Abassi

http://lesdnj.over-blog.com/2017/10/rudresh-mahanthappa-indo-pak-coalition-agrima.html

Revoilà dans la foulée le guitariste entouré de la communauté indo-pakistaine vivant à New-York avec un album qui paraît sous son nom et auquel il convie le pianiste Vijay Iyer.
Alors que l’album du saxophoniste jouait clairement la carte idiomatique de sa culture pakistanaise pour l’amener au jazz, la démarche de Rez Abassi est différente. Elle part du jazz et offre à chacune des très fortes personnalités qui l’accompagne, les moyens de digresser sur leur propre terrain. Chacun dans des moments d’improvisation sur lesquels ils laissent apparaître leurs influences diverses.
Les compositions très jazz de Rez Abassi ouvrent des champs, des perspectives et forment le creuset du melting pot. Cet album est aussi le prétexte à des moments de lyrisme denses et puissants qu’il s’agisse du flow de Rudresh Mahanthappa, des tuilages harmoniques de Rez Abassi et surtout de magnifiques moments de lumière qu’apporte Vijay Iyer dans un esprit plus atonal.

Rez Abassi n'est plus une révélation. Il en est en effet à son dixième album et ce musicien pakistanais installé à Los Angeles à l'âge de 4 ans s'affiche aujourd'hui comme l'une des références sur l'instrument.

Une bien belle découverte de ce que le jazz doit aujourd’hui à ses imbrications culturelles, qu’il vient maintenant chercher au bercau de l’humanité.
Jean-Marc Gelin

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10 novembre 2017 5 10 /11 /novembre /2017 16:32

Fred Hersch (piano solo)

Seoul, Corée du Sud, 1er novembre 2016 & 1-3 avril 2017

Palmetto Records PM 2186 / Bertus distribution

 

On est frappé, chaque fois que l'on écoute Fred Hersch (et spécialement en solo) par l'espèce de magie qui s'impose, dès les premières mesures : forte présence du contrepoint de la main gauche, tandis que la droite expose, commente, et étend le champ mélodique (le chant). La clarté des lignes qui cheminent en toute indépendance, et pourtant dans une absolue cohérence, me rappelle chaque fois Glenn Gould, coutumier de ce défi qui mêle vertige et lisibilité. Et aussi Lennie Tristano, autre exemple de cette connexion directe entre les doigts et la pensée musicale. Et pourtant rien d'abstrait : sensualité et lyrisme parlent d'une même voix. Ce miracle musical s'accomplit, quel que soit le matériau : une composition personnelle, rêveuse autant que sinueuse ; ou un classique du jazz de la fin des années 50 (Whisper Not) ; une bossa nova si souvent ressassée (Zingaro alias Retrato Em Branco E Preto alias Portrait in Black and White), joué comme on jouerait un prélude et une fugue de Bach, mais en oubliant la partition ; voire une longue improvisation totalement ouverte (Through the Forest ), enregistrée en concert, et où le vertige devient abyssal. Et tout est à l'avenant, jusqu'à Eronel de Thelonious Monk (le pianiste adore aller dans cette direction, notamment sur scène en fin de prestation). Pour conclure Fred Hersch nous offre la version pianistique d'une chanson de Billy Joel, And so it goes, comme pour nous rappeler son attachement au chant. Le tout se joue dans une dévotion au jazz, et à la grande liberté d'interprétation et de métamorphose qu'offre cette musique.

On peut retrouver le parcours de ce musicien rare en lisant (en Anglais pour l'instant) l'autobiographie qu'il vient de publier : Good Things Happen Slowly, A Life in and Out of Jazz (éditions Crown Archetype). On y découvre le parcours singulier d'un artiste qui, sur le plan de sa vie personnelle comme sur celui de la musique, employa toute son énergie à devenir lui-même. La musique en général, et le jazz en particulier, s'y trouvent évoqués avec force et lucidité, notamment au travers de portraits, et de rencontres avec des artistes majeurs : Jaki Byard, le professeur encyclopédique du piano jazz au Berklee College de Boston ; McCoy Tyner, rencontré à la faveur d'un concert, et qui se montrera accessible à l'admiration du jeune musicien.... et ainsi de suite, de chapitre en chapitre, lesquels ne dissimulent rien d'une vie qui eut ses moments de souffrance et de maladie gravissime. Et pourtant Fred Hersch est là, et bien là, plus vivant que jamais, dans un Art plus encore accompli !

Xavier Prévost

 

Fred Hersch sera en concert, en trio, le 11 novembre à Strasbourg (festival Jazzdor) et les 21-22 novembre à Paris au Sunside

 

Un entretien de Jean-Louis Lemarchand avec Fred Hersch sera publié prochainement dans nos colonnes

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5 novembre 2017 7 05 /11 /novembre /2017 20:23

Jazz Family 2017
Rémi Panossian (p), Maxime Delporte (b), Fréderic Petitprez (dms) + Nicols Gardel (tp), Frederic Doumerc (as), Nicole Johänntgen (sax),  Camille Artichaut (cl), Maïa Barouh (vc), RacecaR (vc), Ayaka Takato (vc), Arnaud Bonnet et Juliette Barthe (vl), Ophélie Renard (vla), sophie Castellat (vlc)

Voilà bien un album riche et haut en couleur que celui du jeune pianiste Rémi Panossian !
Depuis quelques années en effet Panossian ne cesse de nous étonner ( même s’il doit me reprocher encore quelques lignes écrites jadis pour le copte de Jazzmagazine ).
Riche parce que rare sont les albums aussi hétéroclite qui savent conserver une véritable cohérence narrative. Un peu à la manière d’un lecteur de polar perdu au milieu de la ville et passant de lieux en lieux aussi animés que parfois déserts, Remi Panossian nous promène dans une musique chatoyante qui passe de la pop moderne ( sur le titre éponyme je pense un peu à Radiohead), à des couleurs nordiques que n’auraient pas renié Svensson (Wanna beat the flakes), puis empoigne le rap dans un assaut de modernité qui tombe à pic ( où là je pense un peu au travail de Kendrick Lamar).
Et puis fondamentalement il y a le jazz aérien ou puissant ( ultraviolet ), ce jazz porté par le lyrisme de Rémi Panossian qui , tout en dirigeant de main de maître cette aventure apporte sa pierre à l’édifice de manière aussi élégante que classieuse. Jazz aussi par le talent de ses accompagnateurs dont, au sax le très fameux et très nerveux Ferdinand Doumerc que les fans de Pulcinella ont appris à connaître.
Les arrangement sont diablement efficaces et magnifiquement bien travaillés avec une attention à la fois sur les tuilages, sur l’évolution de thèmes à tiroirs et enfin sur le son à la fois acoustique et électrique et mariant avec beaucoup de discrétion et une belle écriture, une formation à cordes sur quelques titres Mais surtout ces arrangements apportent au gré de chacune de ces compositions une belle cohérence tout au long de ce travail toujours captivant qui parvient à discuter l’intérêt de l’auditeur de bout en bout.
Ballade urbaine foisonnante. Feel good album.
Very good job !
Jean-Marc Gelin

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4 novembre 2017 6 04 /11 /novembre /2017 12:04


Martial Solal, piano, Dave Liebman saxophones. Chateau Guiraud, Sauternes (33) le 4 août 2016. Sunnyside/Socadisc.

 

Dans la carrière de Martial Solal et Dave Liebman, le duo tient sa place, son rang parmi les enregistrements les plus forts, les plus profonds. Le pianiste avait notamment croisé le fer-façon de parler-avec Johnny Griffin (In & Out. Dreyfus.2000) et surtout avec Lee Konitz (4 albums depuis 1977 et des dizaines de concerts) tandis que le saxophoniste s’était exprimé avec un compère familier de longue date, le pianiste Richie Beirach (Unspoken.OutNote 2011). Leur rencontre apparaissait dès lors comme une évidence à Jean-Charles Richard, saxophoniste proche des deux artistes. Enregistré l’été 2016 lors d’un concert proposé lors du festival Jazz & Wine Bordeaux au Château Guiraud (Sauternes, 1er grand cru classé), l’album restera comme un grand millésime. Le repertoire, choisi sur le vif, est des plus classiques : des standards (6) bien rodés, All the Things You Are, Night and Day, Solar, What is Thing Called Love, On Green Dolphin Street, Lover Man.  Sur ce terrain connu, les deux comparses s’en donnent à coeur joie, ne ménageant ni leur talent (immense) ni leur inventivité (qui ne l’est pas moins). Commentaire de Dave Liebman dans le livret : « Le jazz est supposé être spontané et imprévisible. Cela ne peut être plus vrai quand on joue avec Martial ». Réponse de celui-ci : « Jouer avec Dave a été extrêmement stimulant car sa présence m’incite constamment à me surpasser ».Chacun met un malin plaisir à servir ces monuments du jazz en apportant sa pierre à l’édifice, se montrant (sans jamais chercher à démontrer) lyrique, juvénile, espiègle. Sans filet, Martial Solal (89 ans alors) et Dave Liebman (69) s’adonnent à un exercice de haute voltige dont on sort ébahi, enivré. Un concert dense, bref (45 minutes) à écouter sans modération car pour reprendre le titre d’une de ces compositions de Martial «  L’oreille est hardie ».
Jean-Louis Lemarchand


Dave Liebman sera  l'invité du trio Celea/Parisien/Reisinger

- le 12 novembre à Strasbourg, festival Jazzdor

- les 14 & 15 novembre à Paris, au Sunside

- le 17 novembre à Nevers, festival D'Jazz

- le 18 novembre à l'Opéra de Limoges, festival Eclats d'Email

Et Martial Solal se produira au printemps dans une grande salle aux portes de Paris

 

@jb Millot

 

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3 novembre 2017 5 03 /11 /novembre /2017 22:20

TIM BERNE'S SNAKEOIL « Incidentals »

Tim Berne (saxophone alto), Oscar Noriega (clarinette, clarinette basse), Ryan Ferreira (guitare), Matt Mitchell (piano, électronique), Chess Smith (batterie, percussion)

Rhinebeck, État de New York, décembre 2014

ECM 2579 / Universal

 

Enregistré en décembre 2014 comme le précédent disque du même groupe, «You’ve Been Watching Me», publié au printemps 2015, ce nouvel opus de Tim Berne claque comme un étendard futuriste dans un monde musical légèrement assoupi. Non qu'il n'y ait là que des sons, des phrases, des intervalles et des harmonies inédits, mais parce que leur agencement fait toujours entrevoir un horizon neuf. Ici un sérialisme adouci en un art de la fugue prospectif, ailleurs des chromatisme sinueux comme le meilleur du rock-jazz progressif les affectionnait, et toujours une intrication, totalement indémêlable parfois, de l'écrit et de l'improvisé, le tout fonctionnant dans une forme qui semble totalement maîtrisée, alors même qu'on peut la supposer en partie surgie de l'urgence d'un instant d'absolue spontanéité. C'est vraiment du Grand Art collectif, où les compositions du saxophoniste sont autant de lieux utopiques où les solistes (dont Tim Berne évidemment) vont s'épanouir. C'est comme un labyrinthe où l'on s'introduirait hardiment, non dans l'espoir un peu naïf d'en déjouer les méandres, mais avec au contraire la folle aspiration de s'y perdre, avec délices. Pour des émotions musicales/esthétiques aussi violemment requérantes je ne vois, dans les expériences de ces dernières années, que les groupes de Marc Ducret ; ce qui ne procède nullement du hasard, tant ils ont eu d'occasions de collaborer l'un avec l'autre. GRANDE musique !

Xavier Prévost

 

Le groupe est en concert au Moulin à Jazz de Vitrolles le samedi 4 novembre 2017 (seule date française de la tournée européenne) et le 5 novembre à l'AMR de Genève

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2 novembre 2017 4 02 /11 /novembre /2017 08:34
BROUSSEAU/METZGER   SOURCE

BROUSSEAU / METZGER

SOURCE

Sortie 3 novembre 2017

Emouvance/Absilone Socadisc

Concert de sortie d’album le 3 novembre au studio de l’Ermitage Paris 20ème

www.emouvance.com

Si ces deux-là se connaissent depuis vingt ans, leurs années de conservatoire, s’ils ont participé à certains des projets importants des musiques actuelles, ceux de Marc Ducret (Le sens de la Marche en 2003) et de Louis Sclavis pour aller vite et donner une idée de la mouvance dans laquelle ils aiment à apparaître ( ils ont près de dix albums en commun en tant que sidemen), ils n’avaient jamais eu le temps, l’occasion de se retrouver à deux sur un projet commun, plus personnel et donc intime. C’est chose faite à présent avec Source qui sort sur le label EMOUVANCE, écrin tout indiqué pour ce duo de charme. Elégant est sans doute le qualificatif le plus adéquat pour traduire la délicatesse de cette musique à l’image des photographies de la pochette dues à Samuel Choisy. Légèreté de ces plumes nuageuses dans l’atmosphère, en suspension : des formes vaporeuses qui surgissent et disparaissent, choses fugaces qui restent en mémoire comme les improvisations lancinantes, sinueuses, troublantes du duo, donnant du sfumato à ce « jazz » chambriste célébrant l’association des saxophones de Mathieu Metzger ( souverain au soprano) et du piano de Paul Brousseau. On est assez loin cette fois des claviers électroniques et du rock expérimental, plongé dans une musique élégiaque, onirique où les deux musiciens révèlent leur sensibilité en usant finement des atouts d’une belle pratique instrumentale. Matthieu Metzger est assurément un saxophoniste avec lequel il faudra compter, aussi fougueux que délicatement impressionniste et Paul Brousseau révèle une profondeur de son, un toucher qui sait se faire tendre, voire caressant, qui peut tomber en gouttes et quand il le faut est musclé comme dans ce vibrant « Thollot’s Rhapsody ». Un sens indéniable de la mélodie se révèle sur ces ballades lentes qui filent rapidement : au total quinze petites pièces vives, libres, subtiles entre deux et trois minutes qui égrènent en une sorte de récital, tout un art, renouvelé du duo piano sax. Et l’on ne souhaite qu’une chose, c’est les entendre encore.

Sophie Chambon

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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 22:06

 

Enzo Carniel (piano, piano préparé), Marc Antoine Perrio (guitare), Simon Tailleu (contrebasse), Ariel Tessier (batterie)

Meudon, 24-25 août 2016

Jazz & People JPCD 817003 / Pias

 

Le groupe est né d'une convergence esthétique entre le pianiste Enzo Carniel et le guitariste Marc Antoine Perrio. L'un et l'autre signent la totalité du répertoire (9 compositions pour le pianiste, 2 pour le guitariste), si l'on excepte un thème signé par une musicien ami, le saxophoniste Julien Pontvianne. L'inspiration initiale est venue d'une maison provençale recélant quelques mystères, sonores ou fantomatiques. La musique procède d'un désir manifeste de dresser un décor, que l'on découvre avec l'ouïe, l'imaginaire se chargeant de dessiner les contours. D'entrée de jeu, on est immergé dans un espace, large, ouvert, où les sons et les notes se répondent dans un univers que l'on croirait indécis, mais qui progressivement nous oriente, et même nous entraîne. Pas d'ostentation, pas d'injonction univoque, rien qu'un chemin qui se dessine, et que l'on suivra en le peuplant d'images. Puis sur des figures obstinées, qui rappellent davantage les quêtes rituelles de Bartók et Stravinski que les répétitifs américains, le pianiste introduit la cursivité syncopée du jazz. Au fil des plages surprises sonores, audaces et saillies prospectives n'empêchent nullement, ici ou là, l'épanchement d'un lyrisme (post ?) romantique. A bien des reprises s'installe un soubassement très entêtant sur lequel l'un de solistes va s'évader, suivant son propre rêve, sans toutefois abolir le décor. Cette apparente dérive est finement élaborée, ciselée, mais pour en jouir pleinement, il faut feindre de n'en pas remarquer le scénario, et se laisser porter, comme en un rêve.

Xavier Prévost

 

Le groupe jouera le 3 novembre à Paris, à la Petite Halle

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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 16:05

« Des images vagabondent qui racontent mon histoire ». Ainsi Louis Sclavis définit-il son dernier album « Frontières ». En revisitant, malaxant quelques-unes des musiques composées pour l’image-des films et une exposition de photos, le clarinettiste offre sa vision du monde et son approche sensible. Une facette de sa personnalité bien différente –mais « pas antinomique », insiste-t-il -de ses performances free. Libre Louis Sclavis l’est toujours, qu’il rencontre le succès grand public –Carnet de routes, avec Aldo Romano, Henri Texier et Guy Le Querrec, vendu à plus de 200.000 exemplaires pour les trois albums- ou cultive l’avant-garde dans son œuvre chez ECM (12 disques à ce jour) ou encore travaille à Buenos Aires avec de jeunes musiciens, une de ses dernières aventures.  Entretien.

#luc jennepin

 


DNJ : En 2008, vous aviez sorti « La moitié du monde », (JMS-Sphinx) une sélection de 40 pièces écrites pour le cinéma, la danse, le théâtre. « Frontières » s’inscrit dans cette même démarche artistique ?
Louis Sclavis : J’avais envie de monter ce nouveau projet avec Jean-Marie Salhani (producteur et patron de JMS). Cela enrichit une collaboration vieille de 25 ans !  J’ai retravaillé des musiques composées pour des films, surtout des documentaires. J’ai étiré, rajouté pour constituer une histoire.

DNJ : Comment travaillez-vous pour l’image ?
LS : Je ne suis pas un compositeur de musiques de films. Ce n’est pas mon métier. Je suis un compositeur qui fait des musiques pour le cinéma. L’important pour moi c’est de trouver la couleur sonore du film. Alors on a fait la moitié du travail. J’insiste sur la mélodie, cela me tient à cœur Je suis là pour servir le film, satisfaire le réalisateur qui prend la décision, a le final cut, et pas pour mettre mon ego en avant. Il faut accepter l’idée que tout un travail puisse passer à la trappe (rires). C’est le jeu du cinéma.

DNJ : En quarante ans, vous avez vu le monde du jazz évoluer. Comment  résistez-vous à ces changements ?
LS : Il faut lutter, ne pas se plaindre, on va s’en sortir. Il y aura toujours besoin de ce que l’on fait. Bien sûr, il faut inventer, nous sommes des créateurs. Et puis, il faut être affuté, je le dis depuis que j’ai commencé à jouer voici plus de quarante ans. Il faut être discipliné et …accepter la douleur à un certain âge (sourires). L’état physique peut avoir plus d’importance que l’inspiration. C’est le corps qui détermine l’expression, on ne peut le séparer de l’esprit. Il faut composer avec le corps. Le style c’est le corps.

Propos recueillis par Jean-Louis Lemarchand

Frontières. Louis Sclavis. Avec Louis Sclavis (clarinettes, flute), Dominique Pifarély (violon), Bruno Chevillon (basse), Christophe Lavergne (batterie), Vincent Peirani(accordéon), Gilles Coronado (guitare), Benjamin Moussay (piano), Keyvan Chemirami (percussions), Vincent Courtois (violoncelle). Musiques des films  La Porte d’Anna, Dessine toi, Nelson Mandela au nom de la liberté, Niki un rêve d’architecte et de l’exposition de photos Chibanis, la question. Octobre 2017. JMS/Sphinx distribution.
En concert  en novembre : Grignan (26) les 3 et 4, Lingolsheim (67) le 16, Lens (62) le 24 ;

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30 octobre 2017 1 30 /10 /octobre /2017 10:32
POINT OF VIEWS   VANKENHOVE/ CAINE / BALLARD/ BOISSEAU

Point of Views

Vankenhove/Caine/Ballard/Boisseau

Sortie 3 novembre 2017

Label Cristal records

Distribution Sony Music

 

Cet album a pris son temps pour sortir et le résultat est probant : ces quatre là se sont rencontrés il y a deux ans pour un projet musical qui confronte comme l’annonce le titre, leurs points de vue et leurs univers. Les liner notes soulignent l’union d’un jazz afro américain ( Uri Caine, aussi féru de musique classique-on se souvient de ses relectures de Mahler, et Jeff Ballard, le partenaire fidèle de Brad Mehldau) avec la fine fleur du jazz européen, le contrebassiste Sébastien Boisseau que l’on ne présente plus et le trompettiste/ bugliste français (Xtet De Bruno Régnier ou Gros Cube d’Alban Darche).

Tous les titres sont du leader composant un bouquet fleuri s’envolant au-dessus de la rythmique impeccable, sur un tapis de notes swinguantes du pianiste. Ecoutez ce « Barocco », une perle aux contours qui n’ont rien d’irrégulier. Une fois encore, on est surpris par la force de la structure, la finesse de détails d’ une architecture musicale qui excelle à exposer variations de style, d’ambiances et de couleurs musicales. Un récital où brille un Vankenhove, mélodique même dans les chuintements vagissants de «Royal Jazz Baby», tendre et lyrique sur « Chorale » dans un dialogue alterné avec le pianiste toujours épatant, si singulier au gré de son inspiration.

Une rêverie charnelle qui ne s’autorise pas cependant trop d’épanchements puisque la rythmique puissante, aux aguets, intervient très vite comme dans cette vibrante «Humanity ». C’est en effet à un véritable travail collectif que se livrent ces quatre compagnons et ça joue vraiment dès le premier titre « Mini Street » très entraînant ; le thème de la deuxième composition « Délicatesse » rappelle que le trompettiste sait aussi faire de la musique de film. Le groupe prend force et vigueur dans les échanges aux ruptures tranchantes, et les énergies libérées se déploient avec une cohérence indiscutable. La musique généreusement expansionniste se développe jusqu’au final soigné. Du vrai et bon jazz vif. A suivre et écouter sans modération.

Sophie Chambon

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