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26 octobre 2017 4 26 /10 /octobre /2017 15:49

Sullivan Fortner (piano) Desmond White (contrebasse), Guilhem Flouzat (batterie)

Brooklyn, 9 octobre 2016

Sunnyside SSC 1492 / Socadisc

 

Un trio à l'ancienne.... enfin presque : répertoire de standards (standards de Broadway, et standards du jazz, de toutes les époques, et pas les plus connus....), swing omniprésent, parfois une pointe de garnérisme, mais aussi des angles acérés qui rappellent le grand Thelonious, bref une manière de traiter le trio en parfait jazzman, qualité cultivée par le batteur durant un séjour de plusieurs années à New York. Après avoir nourri de compositions originales ses deux premiers albums, avec des formations plus étoffées, française («One Way... Or another», 2010) , puis états-unienne («Portraits», 2015), le batteur revient avec un épisode américain, accompagné d'un pianiste de la Nouvelle Orléans et d'un bassiste australien. Ce désir de trio est né d'une suggestion amicale de Laurent Coq, évoquée dans une carte postale reproduite sur la jaquette du CD. Belle idée, pour faire valoir que l'on peut s'attaquer aux standards sans ronronner dans la redite nostalgique. Le disque s'ouvre par There's no you (immortalisé par Sinatra, mais aussi par Betty Carter, Duke Ellington, Max Roach....), joué comme le jazz aime le faire des chansons, avec à la fois ce lyrisme codifié propre au genre, et ce goût du pas de côté qui rappelle qu'on est, ici, dans le jazz. Vient ensuite Oska T, thème de Monk assez rare, plein des brisures propres à son créateur, et ici émaillé de saillies bebop. Du très ressassé Perdido le trio donne une version plutôt singulière, entre doxa et transgression, avec un jeu sur les rythmes d'origines qui, là encore, revendique les libertés propres à cette musique. Et ainsi de suite jusqu'à l'ultime plage, laquelle a inspiré le titre de l'album : il s'agit de Happiness is a thing called Joe, que chantait Ethel Waters dans «Cabin in the Sky», le film de Minelli (en V.F. «Un petit coin aux cieux»), un film dans lequel on pouvait voir, et entendre, Armstrong et Ellington. La chanson fut reprise par Sarah, Ella et Abbey Lincoln, et le trio en donne une version de piano bar chic et sophistiqué dans lequel les clients seraient de vrais mélomanes, auxquels on peut offrir des rythmes suspendus et de subtiles dissonances. Au passage, en pénultième position, on a écouté Mrs Parker of KC, du trop confidentiel Jaki Byard, qui avait joué ce thème (sous-titré Bird's Mother) dans le groupe d'Eric Dolphy : drumming tendu, et hyper musical, monkisme, envolées bop et incursions dans l'au-delà du bop : un plaisir !

Xavier Prévost

 

Le trio est en tournée européenne. Après l'Italie et la Pologne, et avant l'Allemagne, il sera à Paris, au Sunside, les 31 octobre et 1er novembre 2017

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25 octobre 2017 3 25 /10 /octobre /2017 15:23

JACQUES THOLLOT QUARTET Nathan Hanson (saxophones ténor et soprano), Tony Hymas (piano), Claude Tchamitchian (contrebasse), Jacques Thollot (batterie)

Paris, Sunside, 18 juin 2011

 

Marie Thollot (voix), Régis Huby & Clément Janinet (violons), Guillaume Roy (alto), Marion Martineau (violoncelle), Tony Hymas (arrangement et direction)

Karl Berger (vibraphone) & Kirk Knupfle (cornet)

Nathan Hanson Saxophone Choir : Nathan Hanson (saxophones ténor, alto, soprano & arrangement)

Noël Akchoté (guitare) & Jacques Thollot (claviers)

Catherine Delaunay (clarinette) & Tony Hymas (piano)

François Jeanneau (saxophone soprano), Sophia Domancich (piano), Jean-Paul Celea (contrebasse), Simon Goubert (batterie)

Karl Berger (vibraphone) & Jacques Thollot (cymbales)

 

Meudon, Woodstock, Minneapolis, Bruxelles, Mainneville, dates diverses et non précisées

nato 5464/ l'autre distribution

 

C'est une sorte de mausolée de pure amitié produit artisanalement (c'est écrit sur le CD) par Jean Rochard, avec la complicité des artistes, et de tous ceux qui ont soutenu l'édification de ce bel objet. Un parcours dans les thèmes de ce musicien dont il faut rappeler que c'était un formidable compositeur, d'une totale singularité. Des compositions de cet irremplaçable poète de la batterie (et des autres instruments qui passent à portée de ses mains) : souvenirs des disques «Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer», «Watch Devil Go», «Résurgence», «Cinq Hops» et «Tenga Niña», revus par la quartette du batteur lors d'un concert de juin 2011, et par ses amis (et sa fille) qui ont joué avec lui à diverses époques : François Jeanneau joue le rôle du fidèle, puisqu'il était dans trois de ces cinq disques. Au fil des plages, outre le bonheur d'entendre ce qui fut le dernier quartette de Jacques Thollot, c'est le plaisir de retrouver les mélodies étranges, distendues, écrites par Jacques Thollot. De «Résurgence», le producteur et les musiciens ont retenu Marie et Épilogue : beau choix de thèmes, magnifiquement arrangés pour quatuor à cordes par Tony Hymas, et encadrant Watch devil go (du disque éponyme enregistré de décembre 1974 à janvier 1975), chanté par Marie, la fille de Jacques, sur un texte remanié par Caroline de Bendern, la dernière compagne du batteur-compositeur. L'amateur nostalgique regrettera peut-être l'absence de la petite Valse de «Résurgence», mais il fallait bien faire des choix dans un corpus finalement conséquent. Et le dialogue de Thollot avec Nathan Hanson sur La dynastie des Wittelsbach («Watch devil go») valait bien ce petit sacrifice. Très belle évocation aussi de On a mountain (qui s'intitulait me semble-t-il On the mountain dans «Cinq Hops»), magnifié par un arrangement de Nathan Hanson qui en joue toutes les parties de saxophone grâce au multipiste. Et belle émotion aussi en écoutant d'autres extraits du même disque par le duo Delaunay-Hymas, ou par le quartette rassemblé autour de François Jeanneau ; bref tout est du côté des cimes, même ce que je n'ai pas pris le soin de citer pour vous laisser le plaisir de la découverte, notamment celle des deux livrets : un bel album de photos rares, et un entretien très riche d'informations et d'expériences accordé par Jacques Thollot à Jean-Jacques Birgé et Raymond Vurluz en 2001. Il y a même la voix de Sunnay Murray sur le répondeur de Jacques au tout début du CD : on se précipite !

Xavier Prévost

 

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24 octobre 2017 2 24 /10 /octobre /2017 08:08

Hervé Sellin (p), PIerrick Pedron (as), Thomas Bramerie (cb), Philippe Soirat (dms)
Cristal Records 2017

 

Un bonheur n’arrive jamais seul. Hervé Sellin, le trop rare Hervé Sellin se faisait attendre depuis plusieurs années et notamment depuis ce magnifique « Marciac New-York Express » qu’il avait publié en 2008. Et voilà que, coup sur coup le pianiste publie deux superbes albums.
Sous la plume de Xavier Prevost nous vous avons parlé du premier, « Passerelles » consacré notamment aux liens entre la musique classique et le jazz

http://lesdnj.over-blog.com/2017/10/herve-sellin-passerelles.html


Avec « Always too soon" c’est de Phil Woods, le digne continuateur de Charlie Parker dont il est question. Hervé Sellin a très bien connu le saxophoniste dont il était un ami très proche.
L’album d’inspiration très bop comme il se doit est aussi très Monkien ( ça tombe bien !) et s’organise autour de thèmes que Phil Woods aimait à jouer. Mais Hervé Sellin et sa compagne Carine Bonnefoy lui dédient aussi de belles compositions comme Willow Woods ou Remembering Phil.
Et pour servir le propos, le pianiste s’entourer de la meilleure façon qui soit.
Ah que l’on aime ce Pedron-là ! Celui qui charrie avec lui toute cette histoire du jazz. cette histoire du sax alto dont il est l’un des plus digne héritier. Lorsque l’on entend son lyrisme, son sens de la phrase juste, son placement rythmique, son art de l’improvisation qu’il manie comme un chanteur de bop, on croit entendre les plus grands. Bird, Phil Woods bien sûr mais aussi Cannonball Adderley hantent son saxophone qui s’envole comme porté par les anges du jazz. Ah que l’on aime ce Pedron-là qui revient aux sources et qui sur Ask me now vous entraîne sur ces terres qu’habitent encore ces légendes du jazz qu’Hervé Sellin exhume pour qu’on ne les oublient jamais.
Après, c’est une succession de bonheurs simples. Hervé Sellin n’a pas vocation à bouleverser le jazz, à renverser la table sur lequel l’encre de ses plus belles pages sèche encore. Hervé Sellin est trop amoureux de ces fondamentaux, trop ami de Phil Woods qui lui-même jouait sur le sax de Charlie Parker et dormait dans le lit de sa femme, pour en détourner l’esprit. Et le résultat est juste magnifique. Et inspiré.
Il n’est jamais trop tard pour vous ruer sur « Always too soon ».
Un des grands disques de l’année.
Jean-Marc Gelin

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22 octobre 2017 7 22 /10 /octobre /2017 19:53

Laurent de Wilde. New Monk Trio. Laurent de Wilde (piano), Jérôme Regard (basse) et Donald Kontomanou (batterie). Studio Besco (Tilly.78), avril 2017. Gazebo/L’autre distribution

 

On se demandait bien pourquoi Laurent de Wilde n’avait toujours pas consacré un album complet à Thelonious Monk, lui l’auteur d’une biographie du Grand-Prêtre du Be-Bop voici 20 ans devenue un best-seller et rééditée ces jours-ci (Monk.Folio). L’intéressé s’explique dans le livret de son New Monk Trio : « C’était pour moi un réel embarras, après avoir passé une partie conséquente de mon existence à étudier les multiples facettes de son génie et à en partager l’émerveillement avec mes contemporains, il m’était très difficile de me convaincre de la nécessité d’une reprise de ses titres qui paraphraserait sans grâce l’éblouissante et singulière perfection de ses interprétations ».
De l’adoration muette, Laurent de Wilde est passé à l’hommage, estimant avoir désormais la personnalité et le recul suffisants pour « s’attaquer » au génie. Son angle ? prendre des compositions se prêtant à des « interprétations-déformations-relectures ». La preuve est en donnée, avec brio dans un « pot-pourri », Monk’s Mix où s’entremêlent cinq titres du maître (Rhythm-A-Ning, Nutty, Green Chimneys, Little Rootie Tootie et Oska T). Une excellente entrée en matière pour l’écoute de l’album enregistré par le pianiste avec deux comparses de son trio Over the Clouds (Jerôme Regard et Donald Kontomanou). On reviendra à la face précédente Tune For T, seule composition présente de Laurent de Wilde, écrite en 1997, évocation de la face joyeuse, fortement empreinte de ragtime. Pour compléter cette première approche de New Monk Trio, passons au cinquième titre, Pannonica, hommage de T.M à sa bienfaitrice (la baronne de Koenigswarter) et mélodie toute en décontraction dédiée par LDW à sa fille… Pannonica. Mais tout au long de ce bref (50 minutes) et intense album, les (bonnes) surprises se ramassent à la pelle dans le traitement des thèmes historiques et mille fois entendus à commencer par Round Midnight, Reflections ou encore Four in One que Laurent de Wilde enregistra pour la première fois en 1989. Un album indispensable à qui veut célébrer avec un esprit d’ouverture le centenaire de la naissance de Thelonious Sphere Monk.
 Jean-Louis Lemarchand
New Monk Trio en concert : 26 octobre : Bal Blomet (75015) avec Bruno Rousselet (basse) et Donald Kontomanou (batterie) ; 4 au 6 décembre : Duc des Lombards (75001) ; 10 janvier : Saint Germain en Laye ; 26 & 27 janvier : Sunside (75001).
Et aussi concert privé en ligne sur Arte le 26 octobre.

 

26 octobre : Bal Blomet-Paris

4 au 6 décembre : Duc des Lombards-Paris

10 janvier : Saint Germain en Laye

26 & 27 janvier : Sunside - Paris

8 février : Pouzaugues

24 février : Saint Malo

17  mai  : Arcachon

18  mai Le Bouscat

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22 octobre 2017 7 22 /10 /octobre /2017 09:21

Sylvain RIFFLET : » Je ne suis pas revival. Re-focus n’est pas un hommage mais un rêve de gosse »

 

Avec la sortie de Re-focus, le saxophoniste français, tout auréolé de ses Victoires du Jazz obtenues en 2016 se fait un nom parmi les très rares français à avoir enregistré chez Verve.

Il faut dire que son projet de marcher sur les traces de Stan Getz ne manque ni de souffle ni d'ambition pour une œuvre qui finalement lui est très personnelle

Rencontre


Les DNJ :  Avec ce projet ( « Re-focus ») tu vas sur les terres d’un monument enregistré par Stan Getz ( « Focus »- Verve 1961). Est ce qu’il ne s’agit pas d’un projet totalement mégalo ?

Sylvain Rifflet : Je comprends ta question mais franchement, je ne crois pas. Pour faire ce projet il fallait surtout tous les ingrédients que j’ai eus et qui se sont alignés favorablement. D’abord il fallait impérativement que cela paraisse chez Verve. Je ne l’aurai pas fait si cela n’avait pas été sur le label sur lequel Getz avait enregistré « Focus ».

Les DNJ : Justement , ils ne t’ont pas pris pour un fou ?

SR: Ils ont été un peu surpris, c’est vrai. Mais j’avais mis un certain nombre d’atouts de mon côté. Le fait d’avoir été primé aux Victoires du Jazz m’a quand même un peu aidé et m’a apporté un peu de crédibilité. L’original je le connais par coeur et je savais exactement ce qu’il ne fallait pas faire.
Cet album de Stan Getz, j’avais depuis très longtemps le choix de l’enterrer et de le sortir de temps en temps pour le réécouter. Mais je me suis toujours dit que si un jour je pouvais faire un truc projet qui ressemble à ça, ce serait un rêve. Mais un des choix à ne pas faire aurait été de reprendre les partitions et de rejouer l’album à l’identique. Cela aurait été se tirer une balle dans le pied. Du coup je voulais écrire ma propre musique, personnelle.
J’ai beau travailler mon instrument comme un fou, tous les jours comme un forcené pour avoir le son que j’ai aujourd’hui, je ne lâche jamais l’affaire mais je sais que jamais je ne serai à la hauteur de Stan Getz.

Les DNJ : Quand tu es allé voir Verve tu avais du matériel à leur faire écouter ?

SR : Non, rien.

DNJ : Et ils t’ont dit « banco » ?

SR : Non, cela a été un peu long. J’y suis allé entre les deux tours des Victoires. Et comme j’ai eu le concours de beauté, j’ai pu y retourner juste après. Ils m’ont écouté un peu différemment.

DNJ : Combien de musiciens français ont enregistré chez Verve, ce label mythique de Norman Granz ?

SR : à ma connaissance Thomas Encho récemment et il y a aussi Julien Lourau qui joue sur le label Gitanes Jazz, qui est un sous-label de Verve sur un disque magnifique d’Abbey Lincoln (j’étais d’ailleurs super jaloux de lui)  ( NDLR : «  A turtle’s dream » -2003)
Cela dit quand j’ai proposé le projet à verve et qu’ils l’ont accepté j’y ai mis des conditions. Notamment le fait que je ne voulais pas faire cet album tout seul. Je voulais absolument Fred (Pallem) sur ce projet et du coup le label a compris que je ne m’embarquais pas tout seul dans cet album.

DNJ : Fred Pallem aux arrangements, c’est assez surprenant dans le sens où cela ne ressemble pas à ce qu’il fait d’habitude.

SR : D’accord mais regarde Eddie Sauter qui était l’arrangeur de « Focus », ce n’est pas ce qu’il faisait d’habitude. Il était chez Benny Goodman, il faisait des Broadway Shows. Et c’est Stan Getz qui admirait ce mec et qui se désolait de voir ce qu’on lui faisait faire. Bon ce n’est effectivement pas le cas avec Fred qui a toujours fait des projets formidables. Le Sacre ( NDLR : du Tympan) c’est génial mais il est vrai que c’est totalement différent. Fred sait tout faire et il connait parfaitement la musique et pour lui aussi  « Focus » était une vraie référence.
Fred et moi nous nous connaissons depuis longtemps et je lui faisais une totale confiance sur ce projet. Je lui ai donné les clefs et je l’ai laissé faire ce qu’il voulait. Ensuite on en discutait ensemble. On a fait tout l’enregistrement en deux jours en prise direct, comme Getz. Entre moi et Fred ça a « matché » parfaitement.
Après tout s’est enchaîné favorablement. On a trouvé un orchestre remarquable et Tessier Du Cros (ingénieur du son) était sur le projet. Bref tout s’alignait pour que Verve adhère totalement au projet. J’en profite au passage pour saluer le travail extraordinaire que Philippe (Tessier Du Cros) a fait sur le son. C’est un fou génial.


DNJ : Comment as tu conçu l’album ?

SR : Je voulais que les deux premiers morceaux (Night Rain et Rue Breguet) soient un vrai clin d’oeil a « Focus » qui sont un vrai rappel de I’m late I’m late et de Her. J’ai pris le thème et je l’ai mis à l’envers en le développant vers quelque chose de plus Steve Reich, ce qui me ressemble plus. Rue Breguet correspond à la période où j’ai découvert le disque. Dans la rue Bréguet il y avait l’appartement du père de Thomas de Pourquery où nous étions tout le temps fourrés. On étaient au lycée à Hélène Boucher et à l’heure du déjeuner on allait dans cet appartement écouter Les Double Six, Eddie Louiss etc…. et Stan Getz. Donc je voulais faire ce titre un peu mélancolique et en même temps un hommage au père de Thomas.
Après j’ai déroulé les compos. Certaines ont des vrais liens ou des citations cachées de « Focus ». Dans d’autres cas nous sommes partis de motifs qu’utilisait Sauter.


DNJ : Avez vous d’autres compos qui ne sont pas dans le disque ?

SR : Non, nous avons tout mis dans l’album. Pour  les concerts nous serons peut être un peu court en temps mais nous avons d’autres surprises à ajouter. Cela dit une heure de musique symphonique, ce n’est pas la même chose qu’une heure de quartet, et cela n’a pas le même poids. Avec « Re-Focus » c’est sûr, je ne vais pas faire trois sets.


 

J’ai fait ce disque par amour


DNJ : Tu n’as pas eu peur en sortant cet album que certains te reprochent de toucher à une oeuvre intouchable ?
 
SR: Carrément ! Je suis sûr qu’il y en certains qui vont me tomber dessus. On va sûrement me dire que c’est un monument et qu’il ne fallait pas y toucher. Mais je trouve cela un peu ridicule parce qu’en fait je ne touche pas à «  Focus ». Ce ne sont pas les arrangements de Sauter et je ne suis pas un musicien de revival. Cela m’est arrivé une fois dans ma vie de faire un hommage, avec Moondog mais il faut le remettre dans son contexte. Pour « Refocus » je n’ai pas voulu rendre hommage.

DNJ: Quand même, juste le titre «  Re-focus » c’est quand même un hommage, non ?

SR :  Et bien non ! Je ne le considère pas comme cela.
D’abord « Refocus » est un mot, ça veut dire refaire le point, pour moi ça voulait dire me recentrer sur ma culture première: le jazz, Stan Getz, Focus et toutes les autres choses qui font que je suis musicien aujourd’hui.  
Ensuite, Alex Dutilh a trouvé la bonne formule en disant « C’est un à-propos ».
C’est exactement cela ! Et de fait, à part la forme, l’instrumentation, il n’y a rien de « Focus ». Mais bon, des saxophonistes coltraniens avec des quartet il y en a à la pelle et ça ne gêne personne. Moi j’ai l’habitude de faire des projets avec des formes un peu bizarres et pour une fois que j’utilise un formalisme plus classique, on devrait me tomber dessus en me disant c’est bon il y a déjà un mec qui a fait ça et que t’as pas le droit de refaire.  Soyons sérieux.
Après que cela ne plaise pas, c’est la liberté de chacun. Il y a d’ailleurs un très bon copain musicien qui trouvait que je m’étais travesti pour faire ce disque. Mais c’est faux ! Moi j’ai fait ce disque par amour.

DNJ : Tu t’exposes quand même beaucoup dans cet album. La rythmique n’est certes pas anecdotique mais quand même c’est toi qui est au centre des débats.

SR :  En fait jusqu’à présent je me cachais un peu. Dans Rocking Chair avec Airelle (Besson) je ne faisais presque pas de solos. Avec Mechanics c’est autre chose,  une osmose de groupe très forte et j’étais dans un processus de recherche. Je pense qu’aujourd’hui, je ne vais pas parler de maturité, mais simplement  que je suis enfin arrivé à un son que je cherchais depuis longtemps.

DNJ : Travailler avec un orchestre à cordes, un rêve pour tous les saxophoniste ?

SR : Je ne sais pas si c’est le rêve de tous mais en tous cas pour moi, dans l’absolu, ce n’est pas un rêve.
Par contre, dans le format de « Focus » , oui. Cela étant, j’ai des exemples en tête qui sonnent monstrueusement bien comme « Round around Roma » de Stefano Di Battista. Les cordes font le tapis et Stefano fait le latin lover. C’est sublime. Personnellement je ne suis pas capable de faire cela. « Re Focus » est un autre projet où l’on pourrait retirer mes interventions et la rythmique et laisser jouer les cordes, cela fonctionnerait quand même. Tout , tout comme avec l’album de Getz. En fait je joue peu de plans, je travaille surtout l’interaction avec les autres. Dans ce  projet, j’ai un rapport hyper interactif avec les cordes, je peux jouer, ne pas jouer, répondre et questionner.

DNJ : Y a t-il beaucoup de parties écrites ?

SR: Non, presque pas. Seule la mélodie de base de deux morceaux ont été écrites et je n’avais même pas de partitions en studio. Je me suis juste fait des schémas avant d’enregistrer, et les arrangements n’étaient que pour les cordes. Fred a essayé de me faire jouer des bouts de mélodie mais, c’est pas pour moi. Parfois je joue ce que jouent les cordes, mais uniquement parce qu’à ce moment-là c’est ce que je choisissais.

 

DNJ : Dans ce format, la place de la batterie n’est elle pas difficile à trouver ?

SR : Tu sais Jeff (Balard) peut tout jouer. Parfois c’est un peu compliqué pour les cordes, mais Jeff est tellement bon ! Je voulais quelqu’un capable de vraiment surprendre aux balais, qui pouvait amener  une particularité. Et puis je me suis dit aussi qu’il fallait quelqu’un capable d’apporter aussi le swing. Et il se trouve que je connais bien la femme de Jeff et ce dernier a tout de suite réagi favorablement dès qu’il a eu connaissance du projet. Jeff avait un trou dans sa tournée et il pouvait être là juste un jour, le premier du studio.

 

DNJ : Les rapports entre jazz et classique ?

SR : Ils viennent de la référence à « Focus » et du fait que Sauter a prit la même instrumentation que la pièce de Bartok musique pour cordes, percussions et célesta. Sauf que moi j’ai viré le célesta, le piano et la harpe. On a décidé de ça au fur et à mesure avec Fred, les perçus-claviers (Vibraphone, Marimba, Glokenspiel) c’est sa patte! A partir de là il a fait un boulot de fou. Il a agencé les choses, il savait exactement comment ça allait sonner.

DNJ: tu as le sentiment de perpétuer une tradition du jazz ?

SR : Mais je viens de là ! C’est organique, c’est moi ! C’est MON disque de jazz. Ce n'est pas free, pas barré, c’est juste jazz. Après je ne sais pas si ça s’inscrit dans une tradition ou une autre, j’espère surtout que du ténor tout le long, les gens vont pas trouver cela ennuyeux.

 

 

Propos recueillis par Jean-Marc Gelin

 

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22 octobre 2017 7 22 /10 /octobre /2017 09:18

Avec  la sortie de l'album " Refocus" comme en echo avec le célèbre "Focus" de Stan Getz en 1961, Sylvain Rifflet, auréolé de ses Victoires du jazz s'est largement exposé.

Prise de risque maximum pour un album que nous avons particuièrement aimé ici.

Avant son  premier concert parisien au Flow le 19 octobre prochain, rencontre avec Sylvain Rifflet qui nous raconte son rêve de gosse.

 

Les DNJ :  Avec ce projet ( « Re-focus ») tu vas sur les terres d’un monument enregistré par Stan Getz ( « Focus »- Verve 1961). Est ce qu’il ne s’agit pas d’un projet totalement mégalo ?

Sylvain Rifflet : Je comprends ta question mais franchement, je ne crois pas. Pour faire ce projet il fallait surtout tous les ingrédients que j’ai eus et qui se sont alignés favorablement. D’abord il fallait impérativement que cela paraisse chez Verve. Je ne l’aurai pas fait si cela n’avait pas été sur le label sur lequel Getz avait enregistré « Focus ».

Les DNJ : Justement , ils ne t’ont pas pris pour un fou ?

SR: Ils ont été un peu surpris, c’est vrai. Mais j’avais mis un certain nombre d’atouts de mon côté. Le fait d’avoir été primé aux Victoires du Jazz m’a quand même un peu aidé et m’a apporté un peu de crédibilité. L’original je le connais par coeur et je savais exactement ce qu’il ne fallait pas faire.
Cet album de Stan Getz, j’avais depuis très longtemps le choix de l’enterrer et de le sortir de temps en temps pour le réécouter. Mais je me suis toujours dit que si un jour je pouvais faire un truc projet qui ressemble à ça, ce serait un rêve. Mais un des choix à ne pas faire aurait été de reprendre les partitions et de rejouer l’album à l’identique. Cela aurait été se tirer une balle dans le pied. Du coup je voulais écrire ma propre musique, personnelle.
J’ai beau travailler mon instrument comme un fou, tous les jours comme un forcené pour avoir le son que j’ai aujourd’hui, je ne lâche jamais l’affaire mais je sais que jamais je ne serai à la hauteur de Stan Getz.

Les DNJ : Quand tu es allé voir Verve tu avais du matériel à leur faire écouter ?

SR : Non, rien.

DNJ : Et ils t’ont dit « banco » ?

SR : Non, cela a été un peu long. J’y suis allé entre les deux tours des Victoires. Et comme j’ai eu le concours de beauté, j’ai pu y retourner juste après. Ils m’ont écouté un peu différemment.

DNJ : Combien de musiciens français ont enregistré chez Verve, ce label mythique de Norman Granz ?

SR : à ma connaissance Thomas Encho récemment et il y a aussi Julien Lourau qui joue sur le label Gitanes Jazz, qui est un sous-label de Verve sur un disque magnifique d’Abbey Lincoln (j’étais d’ailleurs super jaloux de lui)  ( NDLR : «  A turtle’s dream » -2003)
Cela dit quand j’ai proposé le projet à verve et qu’ils l’ont accepté j’y ai mis des conditions. Notamment le fait que je ne voulais pas faire cet album tout seul. Je voulais absolument Fred (Pallem) sur ce projet et du coup le label a compris que je ne m’embarquais pas tout seul dans cet album.

DNJ : Fred Pallem aux arrangements, c’est assez surprenant dans le sens où cela ne ressemble pas à ce qu’il fait d’habitude.

SR : D’accord mais regarde Eddie Sauter qui était l’arrangeur de « Focus », ce n’est pas ce qu’il faisait d’habitude. Il était chez Benny Goodman, il faisait des Broadway Shows. Et c’est Stan Getz qui admirait ce mec et qui se désolait de voir ce qu’on lui faisait faire. Bon ce n’est effectivement pas le cas avec Fred qui a toujours fait des projets formidables. Le Sacre ( NDLR : du Tympan) c’est génial mais il est vrai que c’est totalement différent. Fred sait tout faire et il connait parfaitement la musique et pour lui aussi  « Focus » était une vraie référence.
Fred et moi nous nous connaissons depuis longtemps et je lui faisais une totale confiance sur ce projet. Je lui ai donné les clefs et je l’ai laissé faire ce qu’il voulait. Ensuite on en discutait ensemble. On a fait tout l’enregistrement en deux jours en prise direct, comme Getz. Entre moi et Fred ça a « matché » parfaitement.
Après tout s’est enchaîné favorablement. On a trouvé un orchestre remarquable et Tessier Du Cros (ingénieur du son) était sur le projet. Bref tout s’alignait pour que Verve adhère totalement au projet. J’en profite au passage pour saluer le travail extraordinaire que Philippe (Tessier Du Cros) a fait sur le son. C’est un fou génial.


DNJ : Comment as tu conçu l’album ?

SR : Je voulais que les deux premiers morceaux (Night Rain et Rue Breguet) soient un vrai clin d’oeil a « Focus » qui sont un vrai rappel de I’m late I’m late et de Her. J’ai pris le thème et je l’ai mis à l’envers en le développant vers quelque chose de plus Steve Reich, ce qui me ressemble plus. Rue Breguet correspond à la période où j’ai découvert le disque. Dans la rue Bréguet il y avait l’appartement du père de Thomas de Pourquery où nous étions tout le temps fourrés. On étaient au lycée à Hélène Boucher et à l’heure du déjeuner on allait dans cet appartement écouter Les Double Six, Eddie Louiss etc…. et Stan Getz. Donc je voulais faire ce titre un peu mélancolique et en même temps un hommage au père de Thomas.
Après j’ai déroulé les compos. Certaines ont des vrais liens ou des citations cachées de « Focus ». Dans d’autres cas nous sommes partis de motifs qu’utilisait Sauter.


DNJ : Avez vous d’autres compos qui ne sont pas dans le disque ?

SR : Non, nous avons tout mis dans l’album. Pour  les concerts nous serons peut être un peu court en temps mais nous avons d’autres surprises à ajouter. Cela dit une heure de musique symphonique, ce n’est pas la même chose qu’une heure de quartet, et cela n’a pas le même poids. Avec « Re-Focus » c’est sûr, je ne vais pas faire trois sets.

 


J’ai fait ce disque par amour

 


DNJ : Tu n’as pas eu peur en sortant cet album que certains te reprochent de toucher à une oeuvre intouchable ?
 
SR: Carrément ! Je suis sûr qu’il y en certains qui vont me tomber dessus. On va sûrement me dire que c’est un monument et qu’il ne fallait pas y toucher. Mais je trouve cela un peu ridicule parce qu’en fait je ne touche pas à «  Focus ». Ce ne sont pas les arrangements de Sauter et je ne suis pas un musicien de revival. Cela m’est arrivé une fois dans ma vie de faire un hommage, avec Moondog mais il faut le remettre dans son contexte. Pour « Refocus » je n’ai pas voulu rendre hommage.

DNJ: Quand même, juste le titre «  Re-focus » c’est quand même un hommage, non ?

SR :  Et bien non ! Je ne le considère pas comme cela.
D’abord « Refocus » est un mot, ça veut dire refaire le point, pour moi ça voulait dire me recentrer sur ma culture première: le jazz, Stan Getz, Focus et toutes les autres choses qui font que je suis musicien aujourd’hui.  
Ensuite, Alex Dutilh a trouvé la bonne formule en disant « C’est un à-propos ».
C’est exactement cela ! Et de fait, à part la forme, l’instrumentation, il n’y a rien de « Focus ». Mais bon, des saxophonistes coltraniens avec des quartet il y en a à la pelle et ça ne gêne personne. Moi j’ai l’habitude de faire des projets avec des formes un peu bizarres et pour une fois que j’utilise un formalisme plus classique, on devrait me tomber dessus en me disant c’est bon il y a déjà un mec qui a fait ça et que t’as pas le droit de refaire.  Soyons sérieux.
Après que cela ne plaise pas, c’est la liberté de chacun. Il y a d’ailleurs un très bon copain musicien qui trouvait que je m’étais travesti pour faire ce disque. Mais c’est faux ! Moi j’ai fait ce disque par amour.

DNJ : Tu t’exposes quand même beaucoup dans cet album. La rythmique n’est certes pas anecdotique mais quand même c’est toi qui est au centre des débats.

SR :  En fait jusqu’à présent je me cachais un peu. Dans Rocking Chair avec Airelle (Besson) je ne faisais presque pas de solos. Avec Mechanics c’est autre chose,  une osmose de groupe très forte et j’étais dans un processus de recherche. Je pense qu’aujourd’hui, je ne vais pas parler de maturité, mais simplement  que je suis enfin arrivé à un son que je cherchais depuis longtemps.

DNJ : Travailler avec un orchestre à cordes, un rêve pour tous les saxophoniste ?

SR : Je ne sais pas si c’est le rêve de tous mais en tous cas pour moi, dans l’absolu, ce n’est pas un rêve.
Par contre, dans le format de « Focus » , oui. Cela étant, j’ai des exemples en tête qui sonnent monstrueusement bien comme « Round around Roma » de Stefano Di Battista. Les cordes font le tapis et Stefano fait le latin lover. C’est sublime. Personnellement je ne suis pas capable de faire cela. « Re Focus » est un autre projet où l’on pourrait retirer mes interventions et la rythmique et laisser jouer les cordes, cela fonctionnerait quand même. Tout , tout comme avec l’album de Getz. En fait je joue peu de plans, je travaille surtout l’interaction avec les autres. Dans ce  projet, j’ai un rapport hyper interactif avec les cordes, je peux jouer, ne pas jouer, répondre et questionner.

DNJ : Y a t-il beaucoup de parties écrites ?

SR: Non, presque pas. Seule la mélodie de base de deux morceaux ont été écrites et je n’avais même pas de partitions en studio. Je me suis juste fait des schémas avant d’enregistrer, et les arrangements n’étaient que pour les cordes. Fred a essayé de me faire jouer des bouts de mélodie mais, c’est pas pour moi. Parfois je joue ce que jouent les cordes, mais uniquement parce qu’à ce moment-là c’est ce que je choisissais.

 

DNJ : Dans ce format, la place de la batterie n’est elle pas difficile à trouver ?

SR : Tu sais Jeff (Balard) peut tout jouer. Parfois c’est un peu compliqué pour les cordes, mais Jeff est tellement bon ! Je voulais quelqu’un capable de vraiment surprendre aux balais, qui pouvait amener  une particularité. Et puis je me suis dit aussi qu’il fallait quelqu’un capable d’apporter aussi le swing. Et il se trouve que je connais bien la femme de Jeff et ce dernier a tout de suite réagi favorablement dès qu’il a eu connaissance du projet. Jeff avait un trou dans sa tournée et il pouvait être là juste un jour, le premier du studio.

 

DNJ : Les rapports entre jazz et classique ?

SR : Ils viennent de la référence à « Focus » et du fait que Sauter a prit la même instrumentation que la pièce de Bartok musique pour cordes, percussions et célesta. Sauf que moi j’ai viré le célesta, le piano et la harpe. On a décidé de ça au fur et à mesure avec Fred, les perçus-claviers (Vibraphone, Marimba, Glokenspiel) c’est sa patte! A partir de là il a fait un boulot de fou. Il a agencé les choses, il savait exactement comment ça allait sonner.

DNJ : tu as le sentiment de perpétuer une tradition du jazz ?

SR : Mais je viens de là ! C’est organique, c’est moi ! C’est MON disque de jazz. Ce n'est pas free, pas barré, c’est juste jazz. Après je ne sais pas si ça s’inscrit dans une tradition ou une autre, j’espère surtout que du ténor tout le long, les gens vont pas trouver cela ennuyeux.

 

 

Propos receuillis par Jean-Marc Gelin

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20 octobre 2017 5 20 /10 /octobre /2017 10:34
MARC COPLAND SOLO   NIGHTFALL

MARC COPLAND

Nightfall

Piano solo

Inner Voice jazz

www.innervoicejazz.com

www.marccopland.com

 

C’est en 2002 , avec le label SKETCH de Philippe Ghielmetti que Marc Copland, jusque là intéressé par le difficile exercice d’accompagnateur et la relecture de standards en trio avec Gary Peacock ou quintet (celui de John Abercrombie), s’est lancé dans l’art du piano solo avec le remarquable Poetic Motion. Il a pris goût à l’exercice et depuis sont sortis sur d’autres labels Time Within Time (Hatology, 2005) ou encore Alone( Pirouet, 2009).

La collaboration entre le producteur Ghielmetti et le pianiste s’est prolongée en filigrane et après huit longues années, Marc Copland °revient avec ce Nightfall ( en hommage à «La nuit étoilée» de Van Gogh qui orne la pochette), enregistré non pas à Arles où fut peinte la toile, mais à la Buissonne dans le Vaucluse voisin, sur le label du pianiste Innervoice jazz, créé entre temps en 2015.

Fidèle en amitié, Marc Copland fait appel comme sur les autres albums au poète Bill Zavatsky qui évoque dans son texte l’effet sidérant de la musique, son avènement. Bill Zavatsky qui connut Bill Evans est la discrète référence, incontournable à cet immense artiste.

Hommage  donc  pour commencer l'album à celui qui renouvela l’art du trio avec Scott La Faro, auteur de l’inoubliable « Jade Visions » ( Sunday at the village Vanguard, 1961 ). Marc Copland joue toujours  de cette fluidité dans le phrasé qui s’inspire sans imiter, échappant ainsi à l’ombre écrasante de Bill Evans. Suit la version du pianiste de cette nuit éclairante, dont l’éclat n’est pas sans rapport avec la peinture de Van Gogh. Sur les huit compositions de cet album Nightfall, trois sont dues à la plume de Marc Copland, construisant un espace sonore irisé, fait de délicates impressions. On est surpris et touché par le troisième titre « String Thing » qui sort du jazz, puisqu’il évoque une conversation sur les styles respectifs de ces musiciens extraordinaires des sixties-seventies Stephen Stills ( le virtuose) et Graham Nash (le chanteur pop anglais) qui marquèrent l’histoire musicale du rock et de la pop américaines. Au moment où le monde s’enflammait aux accents des guitares électriques déchaînées, CSN jouait des harmonies vocales sur fond de guitares fines et tapis de wah wah. Copland continue à rendre hommage aux cordes sensibles, des guitaristes ou contrebassistes. Par ses harmoniques et couleurs, la musique du pianiste distille une secrète mélancolie, un art poétique où surgissent avec force les maîtres comme le contrebassiste Gary Peacock, les amis et partenaires guitaristes Ralph Towner et John Abercrombie ( ce sont les deux titres qui terminent l’album).

Même si l’apparence du souvenir s’impose, le pianiste s’attache et s’attarde à recréer du sens, à faire circuler une poésie. Autant de signes qui ne répondent pas seulement à la nostalgie mais à l’essence même du jazz qui revient, revisite, reprend, réinterprète. S’empare et transpose.

Avec ce pianiste qui s’inscrit dans une tradition bien comprise qu’il aime à prolonger, nous pénétrons au cœur d’une belle aventure, d’une vraie esthétique jazz.

 

Sophie Chambon 

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20 octobre 2017 5 20 /10 /octobre /2017 09:08
LOOKING FOR ORNETTE

 Looking for Ornette

Un film de Jacques Goldstein, 2016

Complément « Ornette apparitions » Stéphane Jourdain

Sortie DVD le 24 octobre

La Huit

 

Ce double DVD présente une approche précise du saxophoniste texan, où l’auteur part à la recherche de ce fantôme qui hante le jazz, cette personnalité étrange, demeurée mystérieuse dont l’œuvre conserve intacte l’émotion d’une première écoute.

 

On entend cette phrase « Beauty is a rare thing…  Y être et ne pas être » de Ralph Ellison dans L’homme invisible , 1952. Il y a quelque chose de comparable dans la personnalité et la vie de ce musicien qui apparaît par intermittence. En 1959, quand sort The Shape of Jazz to come,  Ornette Coleman vit alors sous terre. A la surface, l’industrie du disque, florissante, est tenue par des Blancs qui affectionnent un jazz autre, celui de la West Coast. En une poignée d’albums, il fait émerger une autre musique si singulière qu’elle nous affecte encore. Une musique systémique, harmolodique, structurée qui inclut l’improvisation libre. On a parlé de free jazz, changeant la perspective musicale : « Ce n’est pas un autre jazz, mais une musique autre, créative» entend-on dans le documentaire. Phrase on ne peut plus juste, car aucun système n’est libre totalement. La musique d'Ornette est langage, progression, avec cette façon de passer d’une note à l’autre, de voyager entre des idées.

Avec l’aide de personnalités du jazz, de musiciens qui l’ont approché, ont joué avec lui, à travers des fragments (interviews, extraits de concerts anciens, jeu en live de musiciens dans les rues de NY, toutes ces pièces remontées de 2003 à 2016), il ressort un portrait en creux, passionnant car il éclaire la musique de ce saxophoniste qui continue à avoir une influence considérable, d’où le deuxième DVD, de 2016 de Stéphane Jourdain qui cerne dans Apparitions, la musique du saxophoniste Antonin Tri Hoang de l’ONJ Yvinek qui essaie de lancer des ponts, des connexions.

La musique d’Ornette Coleman n’est pas facile, Steve Lacy évoque un discours proche d’une technique de « destruction-reconstruction » mais si on s’immerge dedans, on finira peut être par lire un « jazz secret ». Ce qui peut demander un effort, du travail, car cette musique n’est pas facile, accessible à tous, rapidement, comme celles de Duke ou même de Miles (en apparence du moins).

Il faut élargir son champ d’écoute, accepter si ce n’est adopter, ce son nouveau, « cet air qui passe dans son sax et fait sens ». Il ne représente peut être pas un point de vue, un style mais simplement lui-même. Aldo Romano parle de sa légèreté, d’une fragilité qui en fait un « Douanier Rousseau du jazz », qui restera un mystère. Peut-être nous manque-t-il alors un approfondissement, à la façon d'Henri Georges Clouzot qui réalisa Le Mystère Picasso avec la complicité amusée du peintre. Comme Ornette avait le sens de sa valeur, il se faisait rare, demandant des sommes astronomiques et ne se plaignait jamais du chemin difficile qu’il suivait, qu'il s'imposait volontairement. Très pauvre, il lui arriva de jouer avec un saxophone en plastique et pourtant se souvient Joachim Kühn, il écrivait jusqu’à dix compositions par concert «  on vérifiait la mélodie et je faisais les accords ».

Tous ceux qui l’ont approché évoquent encore, comme la pianiste Myra Melford, un engagement de toute une vie, une ascèse qui conduit à la liberté et là, vraiment, on peut utiliser ce mot de « libre » de façon pertinente.

 

Sophie Chambon

LOOKING FOR ORNETTE
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19 octobre 2017 4 19 /10 /octobre /2017 21:56

Hervé Sellin (piano, arrangements), Fanny Azzuro (second piano, uniquement dans les Scènes d'Enfants de Schumann), Rémi Fox (saxophone soprano), Emmanuel Forster (contrebasse), Kevin Lucchetti (batterie)

Meudon, 8 & 10 mars 2017

Cristal CR 264 / Sony

 

En même temps qu'il publie sous le même label «Always Too Soon», en hommage à Phil Woods, dont il fut l'accompagnateur, Hervé Sellin fait paraître cet objet musical inattendu, passerelle entre le jazz et la musique classique, au sens large : de Robert Schumann à Henri Dutilleux en passant par Debussy et Satie. La passerelle, Hervé Sellin l'a souvent empruntée, lui qui est passé des classes du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (Prix de piano et de musique de chambre, voici quelques lustres) au jazz, où il fit l'essentiel de sa vie musicale, tout en faisant parfois des pas de côté vers d'autres répertoires, et en enseignant au département jazz & musiques improvisées du grand conservatoire dont il fut lauréat ; département de jazz dans lequel d'ailleurs il suscite des collaborations avec les voisins et amis du 'classique'. Entouré de jeunes gens qui ont été ses étudiants au CNSM, Hervé Sellin explore les connivences possibles entre les deux rives (jazz et classique) d'un univers musical qu'il serait vain de cloisonner. Pour les cinq pièces issues des Scènes d'Enfants de Robert Schumann, le groupe reçoit le renfort de Fanny Azzuro, pianiste 'classique' qui va volontiers faire une incursion dans le tango... ou le jazz. Le résultat est d'une subtilité et d'une maîtrise qui forcent l'admiration, mais l'essentiel réside principalement dans la formidable vitalité qui anime (ici l'âme et le mouvement se rejoignent) cette musique. À côté de Schumann, la Sonate de Dutilleux, la 3ème Gnossienne d'Erik Satie et le Prélude à l'après-midi d'un faune de Claude Debussy complètent ce paysage escarpé, lequel est parcouru avec une vivante maestria. Ici l'arrangement ciselé cohabite avec des improvisations enflammées. Arnaud Merlin, unanimement reconnu comme un très grand connaisseur des deux rives, cite dans le livret du CD Georges Brassens «Il suffit de passer le pont, c'est tout de suite l'aventure» : on ne saurait mieux décrire les vertus de cette escapade musicale, à découvrir avec l'enthousiasme qui s'impose !

Xavier Prévost

 

Hervé Sellin sera le 21 octobre 2017 à 20h, au studio 104 de la Maison de la Radio à Paris, le héros d'une autre aventure : la reconstitution (centenaire oblige) du célèbre répertoire de Thelonious Monk, créé au Town Hall de New York, le 28 février 1959, avec Donald Byrd, Phil Woods....

Pour la circonstance ses partenaires pour ce concert Jazz sur le Vif seront Pierrick Pédron, Rick Margitza, André Villéger, Claude Egea, Lucas Spiler, Armand Dubois, Maxence Nicolats,Thomas Bramerie & Philippe Soirat.

Et en première partie on écoutera le très bon quartette de Pierrick Pédron.

 

Un aperçu du disque «Passerelles» sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=ème Gonssienne de Satie et le Prélude à l'après-midi d'un faune de0KaUpSOHf9w

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18 octobre 2017 3 18 /10 /octobre /2017 16:17

LOOKING

FOR ORNETTE,

film de Jacques Goldstein

 

associé à

 

ORNETTE

APPARITIONS,

film de Stéphane Jourdain

2 DVD EDV 1489 /esc-distribution

 

Une sorte de portrait-fantôme de l'insaisissable Ornette Coleman, réalisé au travers d'extraits d'entretiens, et de musiques, où apparaissent Wadada Leo Smith, Steve Lacy, Roswell Rudd, Oliver Lake, Matthew Shipp, Roy Nathanson, Brad Jones, John Tchicaï, Paul Bley, Aldo Romano, Philippe Baudoin, James Blood Ulmer, Fred Cohen, Quincy Troupe, Myra Melford, Joachim Kühn, Antonin-Tri Hoang et le quartette Novembre.

 

Le film, sorti l'an dernier et projeté au festival Jean Rouch 2016, est une évocation de ce musicien de grande influence, mais sans descendance explicite. L'auteur-réalisateur a parcouru New York à plusieurs époques sans parvenir à placer le musicien face à sa caméra et à ses questions. Il le fait cependant revivre au fil des témoignages et des musiques, recueillis en première main ou issus de films existants, réalisés par lui ou par d'autres. Le résultat est une réussite : l'esprit d'Ornette hante ces réponses et ces musiques, et si le réalisateur a cherché le musicien, nous avons la sensation intime de l'avoir trouvé au travers de ce puzzle, qui comporte de grands moments de paroles et de musiques.

 

Ornette apparaît finalement, avant le clap de fin, dans un court extrait (30 secondes !) du documentaire de Fara C et Giuseppe De Vecchi sur Charles Lloyd (Le moine et la sirène, 2009). À la question de la journaliste qui lui demande « Avez-vous peur de la mort ? » Ornette répond « Je ne l'ai jamais rencontrée, qui est-ce ? …. »

 

Le film est introduit et conclu par un extrait du film Ornette-Apparitions, de Stéphane Jourdain, qui restitue un concert-création au festival Banlieues Bleues du quartette Novembre (Antoni-Tri Hoang, Romain Clerc-Renaud, Thibault Cellier, Elie Duris, avec le renfort de Louis Laurain, Pierre Borel, Yann Joussein, Geoffroy Gesser et Isabel Sörling). Et cette captation est précisément le second DVD contenu dans ce coffret (le son de ce second opus offre une alternative : stéréo ou multicanal 5.1). Bref, la pêche est bonne, les amateurs d'Ornette et de jazz d'aujourd'hui seront ravis de ramener ce double DVD dans leurs filets.

Xavier Prévost

 

Le film sera projeté à l'occasion de la lecture de Zeno Bianu, le 21 octobre 2017, au Musée du Quai Branly

http://www.quaibranly.fr/en/exhibitions-and-events/at-the-museum/jacques-kerchache-reading-room-events/event-details/e/dun-univers-funambule-37686/

 

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