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12 septembre 2017 2 12 /09 /septembre /2017 08:32
FREE, FLOW, FLY   Offerings    Andrew CROCKER

Free, Flow & Fly

Andrew Crocker

Offerings

 

Quel titre adéquat pour qualifier la musique de ce quintet entraîné par la voix et la trompette brodeuse d’Andrew Crocker qui est l' auteur des paroles et musiques ! Il chante en effet avec entrain et fantaisie, en français pour le premier titre «Art makes space» ( ! ) et «Errances» puis dans sa langue maternelle soutenu par les saxophones alto et soprano indispensables de Jean Michel Couchet. Il me semble pourtant que les textes ont moins d’importance, que le sens laisse la place au rythme, que les mots sont choisis pour leur sonorité, leur alliance : on peut une fois encore admirer la plasticité musicale de l’anglais dont les sons se fondent  dans les improvisations musicales, se disputent en toute fraternité avec le langage propre des instruments que se partagent les membres d’une belle équipe, celle de l’épatant guitariste Fred Maurin, leader de Ping machine . Voilà des musiciens hors pair qui jouent peut être du post bop mâtiné de rock progressif, s’il faut leur coller une étiquette. Qu’importe, c’est tout simplement beau, avec les envolées lyriques des soufflants et du guitariste, poussées par une rythmique de feu.

Les images et les sensations se développent autour d’une suite longue et passionnante «Offerings» qui couvre quatre titres sur les sept compositions de l’album. A la fois soutenue et festive, exubérante et mélodieuse, la musique se développe avec des textures qui s’ajointent, se superposent finement. Les interventions sont parfaitement calées, insérées par exemple, dans le jeu délicat sur «The Mind May Slip» du duo rythmique doublement raphaëlien ou rafaëlien avec Raphaël Schwab  (oui le Schwab de Schwab & Soro) à la contrebasse et Rafaël Korner aux drums.

Oui, cet album porte bien son nom, une offrande plurielle à la musique aimée, un album entêtant que l'on aura envie de réécouter, avec toutes ces résonances adroitement tissées, ces fredons qui reviennent en mémoire, des effluves de rock, du "sprechgesang", du Zappa même, du blues sur « Errances » quand opère la guitare « maurine ». Et  tous ces échos, ces petites madeleines nous parlent en bien.

Sophie Chambon

NB : on aime aussi le graphisme de la pochette et du carnet de Vincent Défossé

https://www.bing.com/videos/search?q=youtube+andrew+crocker+l+age+dor+offerings&&view=detail&mid=4841634DF9603562368F4841634DF9603562368F&FORM=VRDGAR

 

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12 septembre 2017 2 12 /09 /septembre /2017 07:32

 

Verve 2017
Sylvain Rifflet ( saxs), Orchestre Appasionato ( Réli Riere, Véra Lopatina, Marc Desjardins, Akémi Fillon, Roxana Rastegar, Raphael Coqblin, Clmentine Bousquet, Hélène Maréchaux, Yaoré talibar, Maria Mosconi, Lilya Tymchyshyn, Arianna Smith, Jérémy Genet, Laetitia Anic, Jean-Edouard Carlier), Guillaume Lantenet marima et vib), Simon Tailleu (cb), Jeff Ballard (dms)
Arrgts : Fred Pallem
Direction: Mathieu Herzog et Raphaël Merlin

 

Sylvain Rifflet, artiste primé en 2016 aux Victoires de la Musique pour l’album « Mechanics » est assurément l’un des saxophoniste les plus intéressants de sa génération. Suffisamment reconnu en tout cas pour être aujourd’hui l’un des très rares français à avoir l’immense privilège de laisser son nom sur le très célèbre label de Norman Granz, celui sur lequel l’âge d’or du jazz a écrit parmi ses plus belles pages ( Charlie Parker, Lester Young, Billie Holiday, Coleman Hawkins  etc….). Et parmi les albums mythiques du label, il y a ce «Focus » enregistré en 1961 par Stan Getz avec un orchestre à Cordes. Getz qui figure au panthéon de Sylvain Rifflet qui voue à la tradition du jazz un culte sans limite et pour qui l’album de 1961 figure parmi les grands classiques du jazz.
C’est donc sur ce terrain-là que se situe Sylvain Rifflet en reprenant avec « Re-Focus » la matière de l’album du ténor américain. Non pas en revisitant l’album, non pas en le jouant autrement mais juste en s’emparant de son essence musicale. C’est donc Rifflet qui signe lui-même l’ensemble des compositions dont il livre une partition particulièrement aboutie. Elle vient mettre en valeur et en interaction les codes avec le travail du soliste d’une manière aussi sensuelle que subtile. C’est comme s’il déroulait un tapis de soie venant recouvrir ses volutes avec une infinie délicatesse. C’était bien tout le travail de « Focus » où les compositions d’Eddie Sauter mettaient en valeur autant le travail de Stan Getz que celui des cordes dont la partition se suffisait à elle-même.

Alors que les arrangements pour cordes, exercice auquel rêve de se confronter tout jazzman chevronné frôlent souvent le mauvais goût, ici Sylvain Rifflet ébloui. Ses compositions possèdent une force narrative exceptionnelle, s’entendant comme une succession d’histoires ou de plans cinématographiques. Les arrangements de Fred Pallem ( qui s’y connaît en musique de films !) sont, ici particulièrement subtils et laissent le soliste et l’orchestre jouer à un jeu où ils se croisent et s’entrecroisent dans une sorte de chassé croisé d’une rare élégance.
Le jeu de Sylvain Rifflet est un vrai régal d’agilité et de son maîtrisé, de lyrisme puissant et délicat à la fois. Il nous embarque et ne nous lâche plus.
Un grand disque.
Jean-Marc Gelin

 

 

 

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10 septembre 2017 7 10 /09 /septembre /2017 14:40

OPENING

JAZZ FAMILY 2017
FRED NARDIN (p, fder, compos); Or Bareket (cb); Leon Parker (dms, pêrcus, embodirythm)

 


 
Il y a  des musiciens, y a pas à dire, ils sentent le jazz plein nez ! Ils respirent le jazz, ils transpirent le jazz, ils exhalent le jazz par tous les pores de leur peaux. Vous pouvez faire des longs discours sur la technique-ceci, la virtuosité-cela mais y a pas à tortiller, ils puent le jazz !
Fred Nardin, grand maître de cérémonie dans le formidable Amazone Keystone Jazz band ( vous vous souvenez le super "Pierre et le Loup" !?) et grand prix Django Reinhardt en 2016 semble être tombé dans la marmite quand il était petit, tout petit.
Et ce n’est pas seulement dans sa façon de faire swinguer le piano avec une facilité et une classe déconcertante, comme si la musique lui était aussi naturelle que de respirer. Ce n’est pas non plus dans cette aisance à trouver les motifs d’improvisation qui coulent de source. C’est aussi dans sa façon d’écrire des thèmes absolument magnifiques qui donnent tant de reliefs à cet album et qui semble tout droit sortis du songbook. On entend parfois dans le jeu de Nardin, des clins d’oeil à Oscar Peterson mais aussi à de grand pianistes comme Sonny Clark ou plus près de nous Keith Jarrett dont on imagine qu’il pourrait s’emparer d’un thème comme « Hope ». « Lost in you eyes »,composé aussi par Fred Nardin comme s’il s’agissait d’un classique du gospel   est un beau moment d’émotion alors que "Giant", toujours de Nardin ouvre l’album en mettant le jeu dans une veine Coltranienne ou Mc Coy Tynerienne pourrait on plutôt dire. Mais arrêtons-là l'énumération des thèmes ( dont deux Monk et un Cole Porter), puisque tout est bon dans cet Opening qui comme sont nom l'indique vous ouvrira tous vos chakras.
Et pour l’occasion Fred Nardin s’accompagne d’un duo de haute volée avec Or Bareket ( contrebassiste montant de la scène New-Yorkaise) et Léon Parker orfèvre en fioritures dentelées et compagnon de route d’autres pianistes bien connus sous nos contrées ( Franck Amsallem, Jacky Terrassons, Giovani Mirabassi).

Alors certes n’allez pas vous attendre à des grandes révolutions jazzistiques, cérébrales et ontologiques de cette musique. Elle puise à ses racines.
Et c’est comme si Fred Nardin embrassant tout d’un seul mouvement, nous disait avec un grand sourire et un optimisme échevelé : j’aime le jazz et je vais vous montrer pourquoi.
Suivez-le, dans sa démonstration. Elle est éclatante et jouissive!

 

La confirmation d'un immense pianiste.

Jean-Marc Gelin

 

 

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9 septembre 2017 6 09 /09 /septembre /2017 21:02

 


Voici maintenant dix-sept ans que les Trophées du Sunside, initiative du boss du club de la Rue des Lombards, Stéphane Portet, récompensent les jeunes talents  qui se distinguent en tout début de carrière. L’intérêt n’est pas mince puisque les lauréats  garnissent leur carte de visite et attirent l’attention des organisateurs de festivals, programmateurs de clubs, maisons de disques.  Pour cette 17 ème édition, qui s’est déroulée les 5-6-7 septembre sur les scènes du Sunset et du Sunside, douze formations participaient, représentant la diversité du jazz contemporain,  du trio classique, où l’on entendait les influences des références du moment (Mehldau, Bad Plus, EST…) aux groupes inspirés par l’électro et le rock sans oublier la composante vocale et féminine.
Le palmarès émanant du jury  de spécialistes reflète bien cette ouverture d’esprit qui habite les jeunes jazzmen. Le premier prix du Meilleur groupe est allé à OGGY & The Phonics, formation composée de musiciens ayant fréquenté la Haute Ecole de Musique de Lausanne, des Helvètes mais aussi des Français dont le leader, saxophoniste (ténor et soprano) Louis Billette et Clément Meunier, clarinettiste formé au Conservatoire de Nantes qui a également obtenu le Premier Prix de Soliste. Proposant une musique osée et poétique, dans des compositions telles que Ragavulin ou Canyon (Folklore Imaginaire, leur deuxième album. Oggyandthephonics.com), le groupe a su séduire le jury par son interprétation d’un standard-figure imposée à tous les participants- Pithecanthropus Erectus de Charles Mingus.
Véritable OVNI –Objet Vocal Non Identifié- la chanteuse Marie Mifsud, dont l’univers évoque aussi bien la chanson réaliste française que Boris Vian ou les airs de Broadway, a obtenu le deuxième prix du Meilleur Groupe. Sa prestation a littéralement « scotché » le public du Sunside, avec un jeu de scène exubérant et une palette sonore extraordinairement riche. Un tempérament ! Plus classique mais tout aussi forte en swing aura été le concert du groupe vocal féminin Selkies –où brille Cynthia Abraham, qui a été récompensé d’une mention spéciale.
Enfin, le deuxième prix du Meilleur Soliste a été attribué au saxophoniste Pierre Carbonneaux qui s’est mis en valeur au sein du groupe le 5ème degré qui comptait parmi ses animateurs le pianiste Noé Huchard.
Jean-Louis Lemarchand
 

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3 septembre 2017 7 03 /09 /septembre /2017 20:17

L’univers de John Coltrane
Roland Guillon. 81 pages. 11,50 €.Edition l’Harmattan.


Auteur prolixe, Roland Guillon a consacré une dizaine d’ouvrages au jazz ces deux dernières décennies. Son champ d’action et de passion se porte sur les années 50-60, avec une attention particulière portée au hard-bop et au free jazz. Cette fois-ci, toujours fidèle aux Editions L’Harmattan et spécialement à la collection Univers musical, le docteur en sociologie s’attaque à un monument, John Coltrane. Fan dès 1959 du « jeune homme en colère » qu’il entendit en concert en 62 et 65, Roland Guillon ne veut pas concurrencer les œuvres majeures et exhaustives sur le ténor (et notamment celles de Lewis Porter et Ben Ratliff). Analysant la période jugée « la plus créative » du saxophoniste, 1959-67, il évoque quelques traits caractéristiques à ses yeux de l’univers de JC dont la modalité, l’africanisme, la croyance (divine), la citoyenneté.  Les qualités de Coltrane tiennent autant, estime-t-il, à son inventivité instrumentale et à son expressivité « extraordinaire » qu’à son ouverture à d’autres mondes. Livre de lecture aisée et rapide (81 pages), « L’univers de John Coltrane » est hautement  conseillé à tous les admirateurs de l’artiste mais aussi à tous ceux qui veulent approcher la personnalité rare d’un jazzman de légende (terme non galvaudé, est-il nécessaire de le dire ?) disparu voici exactement un demi-siècle.
Jean-Louis Lemarchand

 

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30 août 2017 3 30 /08 /août /2017 11:43

Camille Productions 2017
André Villeger (ts, ss, bs, clb); Phgilippe Milanta (p), Thomas Bramerie (cb)

Concert au Sunside le 3 octobre

 

 

Il y a parfois dans le jazz des moments de grâce sur lesquels ajouter des mots semble superflu. De moments où le temps est suspendu à l’âme du jazz. Des moments où vous n’avez qu’à vous laisser porter par la beauté et le souffle.
André Villeger et Philippe Milanta nous avaient déjà donné un de ces moments avec leur précédent album ( « For Duke and Paul ») que nous avions chroniqué dans ces colonnes (Voir la chronique de Xavier Prevost). Ici c’est dans la même veine Ellingtonienne qu'ils revisitent le répertoire de Billy Strayhorn, assurément un des génie de la musique du XXème siècle et indissociablement lié à l’aventure d’Ellington. Pour cette occasion, ils s’adjoignent les services de Thomas Bramerie assigné à un rôle Blantonien dans une formule drumless qui privilégie la soie et le velours.
Avec une rare intelligence Villeger et Milanta signent des arrangements subtils, fidèles à l’esprit de Strayhorn qu’ils adaptent au trio avec une classe infinie. Respect de la forme et du fond. Même lorsque les deux compères signent leur propres compositions sur deux titres, ils restent dans l’esprit.
André Villeger, que pour ma part je situe à la hauteur d’un Guy Laffitte par sa magie du son d’une sensualité incroyable, Andre Villeger disais-je, est un connaisseur émérite de la musique d’Ellington dont il porte loin la musique depuis de longues années. On entend dans son discours combien il est imprégné de la phrase Ellingtonnienne. Combien il donne dans chacune de ses notes l’intensité exacte de la ponctuation. Villeger fait froisser légèrement le velours, souffle avec tendresse un air chaud et délicat, donne au swing le balancement élégant juste comme il faut, passe du ténor au baryton ou à la clarinette basse dans la tradition des Gonsalves, des Hodges, des Lester en portant haut cette culture du jazz qui, quoique l’on en dise passe le temps sans l’ombre d’une ride. Philippe Milanta et Thomas Bramerie se mettent au service avec le sens éclairé de l’enluminure.
Et si pour tutoyer les sommets il faut de l’amour, alors que celui que ce trio porte à Billy Strayhorn est incommensurable. Comme il se doit.
Un chef d’oeuvre.
Jean-marc Gelin

PS : A noter les liner comme toujours aussi fluides qu’érudites de Claude Carrière.

 

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28 août 2017 1 28 /08 /août /2017 09:51

À peine arrivé dans le Clunisois, une visite éclair s'impose au stage animé par Denis Badault. Dans l'ADN du festival (Jazz à Cluny jusqu'en 2006, puis Jazz Campus en Clunisois depuis 2008), les stages tiennent une place de choix : ils furent la source première. En 1977 ils étaient même la matière exclusive de l'événement. La transmission et le partage étaient dans l'air du temps ; un temps qui vit naître, à Paris, le C.I.M., première 'école de jazz' en territoire hexagonal.

Dans ces stages se mêlent, au fil des ans, amateurs purs et durs qui viennent partager leur passion pour la musique collective et vivante, et jeunes aspirant(e)s à une professionnalisation. Ici l'on vit éclore les talents de Dominique Pifarély, Airelle Besson, Jacques Veillé, Sophie Agnel, Alexandra Grimal, et de quelques autres.

Cette année, les animateurs de stages où se croisent adolescents, jeunes adultes et vétérans étaient Simon Goubert, Fidel Fourneyron, Vincent Courtois, Jean-Philippe Viret, Céline Bonacina, Simon Goubert et Denis Badault. Un stage jeune public (8-12 ans, instrumentistes ou pas) était animé par Fabien Dubois, et un stage fanfare était confié à Jean Paul Autin et Michel Deltruc.

Le stage de Denis Badault, à Matour, village du Haut-Clunisois qui domine la vallée de la Baize, est entièrement dédié à l'improvisation libre : il s'agit d'analyser les processus, de les maîtriser, et de les mettre en œuvre dans un état de disponibilité optimale. Treize musicien(ne)s, Denis Badault inclus : trois claviers numériques, un ensemble synthétiseur et voix traitée, un clavier de fabrication artisanale (une sorte de célesta hétérodoxe dans lequel des marteaux de piano percutent de petits tubes de cuivre), deux batteries, deux guitares, une flûte, une voix, un saxophone soprano et un tuba.

On choisit une ou des conventions (un canevas, une dramaturgie, ou simplement une progression dans la nomenclature), et une durée, et puis l'on se lance. Denis ré-oriente parfois le cheminement en s'adressant en aparté à l'un(e) ou l'autre, et l'on fait un commentaire collectif a posteriori, pour analyser l'événement. On peut aussi se lancer, sans convention initiale : par exemple les claviers installent une séquence répétitive, et chacun prend place dans ce déroulement, par imitation, antagonisme, contraste, prise de parole individuelle, commentaire, accompagnement, silence.... ou tout autre type d'intervention possible dans ce contexte d'improvisation ouverte.

 

Cette visite furtive à l'un des ateliers du stage rappelle opportunément l'origine historique du festival : Didier Levallet, fondateur et toujours directeur artistique de l'événement, n'a pas oublié la manière dont s'est tissée l'histoire : « On n'avait pas la possibilité d'organiser un concert (pas de budget) mais je me suis dit que l'on pourrait proposer que l'on fasse de la musique une semaine ensemble[...] J'ai eu une quinzaine de personne. C'était un stage, gratuit, pour eux comme pour moi : un test ». L'année suivante, ils étaient quarante, et Didier Levallet a fait appel, en renfort, au batteur Christian Lété et au saxophoniste Alain Rellay pour l'aider dans l'encadrement. Et en 1979 une très modeste subvention de la DRAC a permis un premier micro festival, avec trois concerts : Martial Solal, Michel Portal, et le Workshop de Lyon. Cette année, du 19 au 26 août, les concerts ont accueilli, entre autres, L'Effet vapeur, le duo Mario Stantchev-Lionel Martin, le trio 'Roxinelle' de Claude Barthélémy, le quartette d'Ablaye Cissoko et Simon Goubert, et la musique festive du groupe 'Le peuple étincelle'. Et bien sûr les concerts auxquels j'ai eu le plaisir d'assister, et dont je vais vous dire quelques mots.

Ce fut d'abord, le mercredi 23 août, dans le farinier de l'Abbaye de Cluny, le Quatuor Machaut : magnifique cadre pour ces quatre saxophonistes qui relisent très librement La Messe de Notre Dame de ce compositeur des confins ardennais de la Champagne. Dans ce bâtiment du XIIIème siècle, dont la charpente ressemble à la structure inversée d'une coque de bateau, le chef d'œuvre de l'art polyphonique du XIVème siècle est accueilli comme chez lui, même dans une version où la musique d'origine alterne avec des improvisations hardies. Les quatre saxophonistes (Quentin Biardeau, Simon Couratier, Francis Lecointe et Gabriel Lemaire) utilisent pleinement les ressources du lieu, tantôt jouant sur la scène, tantôt dispersés au quatre points cardinaux, et soudain se rassemblant dans l'allée centrale, au cœur du public. Le sentiment musical est puissamment perçu par un public aussi étonné que ravi.

À peine plus d'une heure après la fin de ce concert, le Quartette 'Circles' d'Anne Paceo jouait au Théâtre de Cluny devant une salle comble. Le public, très impressionné par l'énergie et la formidable implication du groupe, a goûté ce mélange de pop très sophistiquée, et de jazz ouvert aux escapades improvisées. Anne Paceo (batterie et composition) emporte sa bande dans un maelstrom où la précision de Tony Paeleman, aux claviers, distribue l'énergie vers les flamboyants solistes, en l'occurrence la voix de Leïla Martial et les saxophones de Christophe Panzani. Beau succès pour ce groupe dont la musique, manifestement, parle à toutes les générations présentes dans la salle.

Le lendemain, le concert de 19h se tenait à quelques kilomètres au Nord de Cluny, à La Vineuse, dans la magnifique Grange du dîme, dans laquelle avant la Révolution les paysans venaient déposer le dixième de leur récolte au profit des chanoines de Macon et du curé du lieu. C'est désormais un lieu d'exposition et de concerts où les artistes déposent, pour le bonheur de tous, le fruit de leur travail. Le concert accueille le groupe Matterhorn#2, émanation d'un collectif qui dans cette configuration rassemble Thimothée Quost (trompette, bugle et composition), Gabriel Boyault aux saxophones, Aloïs Benoit au trombone et à l'euphonium, et à la batterie un enfant du pays, Benoît Joblot, qui porte le nom d'une lignée réputée de vignerons bourguignons. La musique offre de multiples facettes : pièces courtes, mélodies doucement consonantes, échappées sauvages, le tout dans un foisonnement de langages où le jazz croise toutes les musiques du vingtième siècle. Impressionnant de pertinence, de vie et d'invention.

A 21h, c'est au théâtre de Cluny que se déroulait la soirée, avec en ouverture le pianiste Denis Badault, sacrifiant enfin, après 35 ans de carrière, au rituel des standards en solo, mais en y apportant sa touche espiègle : sous le titre de 'Deux en un', il mêle deux thèmes, empruntés au jazz comme à la chanson française. Il renouvelle en partie le programme de ses prestations antérieures (Le Triton, aux Lilas, en décembre 2015 ), avec de nouveaux choix, ou des combinaisons jusque là inédites. Épatant de fantaisie, de richesse musicale et d'aisance instrumentale, c'est un régal pour l'oreille autant que pour l'esprit !

A près l'entracte, Didier Levallet présentait au public un complice de longue date : le violoniste Domnique Pifarély, qui après avoir été stagiaire à Cluny, a partagé avec lui de nombreuses aventures musicales. Le quartette est celui du disque « Tracé Provisoire », publié par ECM en 2016. Une musique qui mêle écriture et improvisation dans une telle intimité que la combinaison devient inextricable : la musique coule et circule, développe ses douceurs et ses escarpements les plus abrupts, sans que l'on puisse jamais mesurer le dosage du cocktail écrit/improvisé. Brillant, lyrique et habité, cet univers musical traverse les frontières stylistiques pour se concentrer sur le cœur de l'expression, là où l'émotion et l'intelligence sont inséparables.

Xavier Prévost

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23 août 2017 3 23 /08 /août /2017 10:52
Lande  La caverne Julien Soro (sax alto),Quentin Ghomari (tp), Ariel Tessier (dms), Alexandre Perrot (cb)

Lande

La caverne

Julien Soro (sax alto),Quentin Ghomari (tp), Ariel Tessier (dms), Alexandre Perrot (cb)

 

Une découverte heureuse, avouons-le, pour éclairer les derniers feux de l’été, ce quartet Lande dans un album nommé La caverne. Des titres plus ou moins mystérieux (Ah! Platon) pour une musique forte, souvent âpre, qui ne revêt pas les atours d’une séduction immédiate. Mais on ne résiste pas longtemps à ces climats tendus et dissonants, rêches, à cette musique intense, articulée autour d’un soubassement rythmique imposant.

Les compositions sont toutes du contrebassiste Alexandre Perrot (qui fait partie comme le batteur Ariel Tessier de l’orchestre Pan-G, du collectif LOO), à l’exception de « Loosy » de Quentin Ghomari, trompettiste de Papanosh qui s’associe à l’autre soufflant, l’altiste Julien Soro, qu’il connaît bien, puisque tous deux officient dans Ping Machine. Toujours des histoires d’affinités sélectives. Les présentations faites, ces musiciens qui échangent dans une logique complice nous offrent un paysage sonore contrasté, moins géologique que géographique : à défaut d’un magma volcanique, une lande battue par les vents qui se termine dans l’océan : un volet plus onirique, une ode maritime en forme de suite à tiroir, plus lyrique, apaisée mais pas moins sombre que les trois premiers thèmes plus emportés.

Le quartet fonctionne par paire, la rythmique remarquable dont la violence, continuellement sous tension, entraîne dans son sillage les stridences des soufflants, laisse passer les vents, rafraîchissantes trouées de sax et de trompette, qui ne manquent ni de délicatesse, ni de force évidemment.

Affrontement? Plutôt une confrontation sans trop de heurt pour un ensemble qui souffle, perce, vrille, gronde. Une musique techniquement au point qui laisse apparaître une énergie constamment canalisée : une création de chaque instant, très travaillée, à la recherche d’un équilibre, souvent instable.

Belle concordance, correspondance avec le travail de plasticienne et performeuse Natalie Jaime Cortez qui illustre la pochette avec cette  Partition, encre pigment sur papier plié, expérience sensible de l’espace à laquelle invite le concept de pli.

Sophie Chambon

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19 août 2017 6 19 /08 /août /2017 16:50

Dominqiue Eade (voix) , Ran Blake (piano), Prudence Steiner (narration surThoreau de Charles Ives)

Boston, 12 août 2015 & 12 janvier 2016

Sunnyside SSC 1484 / Socadisc

 

Difficile (impossible même!) d'écouter ce duo sans se remémorer (et réécouter ! ) celui qui associait Ran Blake à Jeanne Lee. Et cette pulsion mémorielle n'est pas anecdotique : quand les disques du duo d'avant offraient de radicales lectures/relectures des standards d'alors (ceux de Broadway, et ceux du jazz-Monk surtout), ce duo-ci nous offre un panorama de la chanson états-unienne populaire, contestataire, militante, divergente...., assorti de standards 'lunaires' : Moon River, Moonglow, Moonlight in Vermont . Mais ce qui importe ici, par-delà le matériau thématique choisi avec le plus grand soin, c'est le souci de le transformer, le transfigurer, le magnifier, comme en somme le fit de tout temps la tradition du jazz avec ses répertoires de prédilection. Toutes les facettes de la vie américaine s'y révèlent, d'une berceuse issue du film La Nuit du chasseur à sa jumelle quelques plages plus loin, d'une chanson acide de Bob Dylan à un protest song de Johnny Cash sur la vie carcérale, de l'évocation du poète-philosophe Thoreau par le compositeur Charles Ives à celle de la mine par la chanteuse Jean Ritchie.... Bref c'est toute l'Amérique des villes et des campagnes qui traverse ce paysage musical où la chanteuse et le pianiste, en se réappropriant radicalement la matière musicale, dressent un nouveau décor, comme rêvé, dans l'inquiétude de ce qui pourrait, déjà, n'être que la promesse d'un cauchemar. Un blues de Leadbelly y trouve aussi sa place, et en solo deux compositions de Ran Blake, ainsi qu'une improvisation du pianiste sur un canevas harmonique de son ami Gunther Schuller. Le pianiste, tout au long du disque, par cet inimitable mélange de sobriété et d'écarts jouissifs, donne au dialogue une bonne part de sa force d'expression ; et la vocaliste, par la plasticité de son chant, nous entraîne constamment vers des territoires insoupçonnés. C'est en somme plus qu'un voyage dans la musique américaine : une plongée dans le Grand Art musical qui consiste à subvertir le répertoire pour faire œuvre. A découvrir, puis à réécouter, tant il semble y avoir ici de secrets, à découvrir au fil des écoutes successives.

Xavier Prévost

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17 août 2017 4 17 /08 /août /2017 19:07

Timuçin Şahin (guitare), Tom Rainey (batterie), Christopher Tordini (contrebasse), Cory Smith (piano)

Brooklyn, 23 juin 2016

Between The Lines BTLCHR 71243 / Socadisc

 

Dès la première écoute de ce disque, et alors que j'ignorais tout de ce guitariste turc devenu new yorkais après des années de formation aux Pays-Bas, j'ai pensé à Marc Ducret. Et pas seulement parce qu'il joue de la guitare fretless (et aussi de la guitare à double manche) comme notre génial compatriote ; ni parce que, comme lui, il a côtoyé Drew Gress, et Tom Rainey. Après investigations diverses sur la toile, j'ai constaté que, dès ses précédents disques, des chroniqueurs d'un peu partout (États-Unis, Pologne, Pays-Bas....) avaient fait le même rapprochement. Cela ne constitue pas en soi la force d'une identité ou d'une singularité, mais rappelle que, dès que l'on s'engage sur le chemin d'une musique exigeante, qui déconstruit et reconstruit en permanence la forme, les rythmes, les phrasés, la variété des timbres et des expressions, et l'horizon sans fin des possibles de l'improvisation, on aborde aux mêmes territoires. La musique de ce groupe est mystérieuse, elle chemine de passerelle en passerelle, mais toujours avec la force d'une évidence qui nous dirait, en un murmure, c'est là le chemin. Il faut le suivre, c'est passionnant ; et ne pas manquer d'y revenir car chaque écoute dévoile de nouvelles perspectives. À découvrir donc, et d'urgence, d'autant que tous les membres du quartette sont au même diapason de liberté, d'inventivité et d'audace.

Xavier Prévost

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