Parution le 16 Octobre du DVD du film de Stéphane Jourdain AU SON DE SA VOIX par La HUIT, avec captation du concert du Mégaoctet au PARC FLORALle 24 JUIN 2017
Ce DVD convient à tous ceux qui veulent voir et entendre du live, mais aussià ceux qui recherchent une analyse précise du compositeur, plus pointue évidemment que la meilleure chronique.Quel meilleur critique que le pianiste lui même...
Merci à la Huit de nous donner ce témoignage de l'un des meilleurs pédagogues de cette musique.
Une leçon de musique plus encore que de jazz, en une heure de concert, comme si vous y étiez, bien mieux encore qu'en live au Parc Floral (pardon) car la caméra suit les musiciens de très près, multipliant les plans et gros plans sur chaque musicien, leur instrument, par exemple les crotales de F. VERLY, la trompette cassée et recourbée de Laurent Blondiau ( le Belge du groupe), les sourires échangés dans une formidable communion...
Le concert est commenté très sérieusement par Andy Emler avec tout de même des remarques malicieuses, toujours pertinentes du pianiste chef de meute, compositeur, orchestrateur, depuis "Die Coda" le morceau introductif de chaque musicien jusqu'au "Flight back" final, résultante de tous les thèmes entendus. Il explique pratiquement plan par plan (un régal) comment la musique se fait, évolue, se fabrique à 9, entre écriture et improvisation, sans que le public se rende vraiment compte du passage de l'un à l'autre. Il nous accompagne dans le déroulé de ce concert du Parc Floral qui commence au coucher du soleil et se termine à la nuit sans que l'on ait senti, là encore, la transition.
Un concert de près d'une heure, en 7 morceaux, qui fait la part belle à chacun des musiciens virtuoses, tous solistes qui composent ce grand format créé en 1989. Deux musiciens sont restés, de la mouture originale, le batteur Eric Echampard et le saxophoniste alto Philippe Sellam, mais beaucoup font partie du Mégaoctet depuis très longtemps. Voilà une génération de musiciens nourris de toutes les musiques du XXème siècle: une étiquette à rallonge qui inclut funk, binaire, jazz, metal, jazz rock, classique, ragamuffin, musique africaine sans oublier le goût des musiques répétitives mais improvisées!
Quant à la signature du chef, elle pourrait se décomposer en un sens inné du groove ( ce terme intraduisible ) et un amour de l'écriture contrapuntique, une écriture savante qui "déménage" pour définir un langage où chacun se sent à l'aise dans l'ensemble. Un amour des citations ( Syrinx de Debussy dans "Five Series" ) et même autocitations (on apprend ainsi qu'Andy Emler place toujours un fragment de "J'ai du bon tabac" dans ses partitions. Il doit bien y avoir aussi des bribes de son cher Ravel). Une musique qui s'écoute avec les yeux comme dans le duo final de Verly et Echampard sur le rappel très festif "Crouch, touch and engage", titre et compo d'un album précédent qui rappelle les recommandations de l'arbitre de rugby avant la mêlée.
Dans cette suite de pièces, à la mise en place incroyable, chacun dispose de "réservoir de notes" pour des petites impros, avec des gimmicks, comme ce son unique à la fin de chaque morceau, après le silence. Chaque morceau permet à un soliste de donner son maximum, avec une prise de risque sincère de l'improvisateur qui sait aussi écouter les autres. D'où des morceaux de bravoure qui mettent en valeur les soufflants, la rythmique, le pianiste seul restant plus en retrait .
Pour tous ceux qui aiment le jazz et la musique, un DVD absolument incontournable. S'il n'y avait qu'un DVD à garder ....ou plus généreusement, si sur la fameuse île déserte, on pouvait emporter des DVDs, il ferait partie de la précieuse liste.
Elle était belle, riche, élégante...et un peu excentrique pour une Rothschild ...
C'est ainsi que commence cet hommage à Pannonica de Koenigswarter, cette femme singulière et fascinante qui fut la confidente et la mécène des plus grands jazzmen américains des années 50 et 60. Un album simple composé d'un CD assorti d'un livret de 20 pages, avec des photos Polaroïd prises par la baronne elle même, soit un épatant "portrait de famille".
Après une première existence trépidante et aventureuse pendant la guerre (engagée dans les Forces Françaises Libres dès 1940, devenue femme d'ambassadeur après guerre), elle change radicalement de vie et s'installe à New York en 1952 . A 39 ans, elle devient la protectrice et la muse de tout ce que le jazz compte d'important : Duke Ellington, Teddy Wilson, Bud Powell, Miles Davis... Charlie Parker se réfugia chez elle pour mourir, et Thelonius Monk, rencontré en 1954, vivra chez elle les neuf dernières années de sa vie dans sa "Cathouse" (elle adorait les chats comme en témoigne une photo célèbre où elle pose sur son lit, entouré de tous ses animaux). Elle fut aussi l'agent des Jazz Messengers et du batteur Art Blakey. Connue de tous, elle allait, tous les soirs, écouter du jazz dans les clubs new yorkais, du Five Spot au Village Vanguard, du Minton's Playhouse au Birdland.
Ce "tribute album" coordonné par Yann Portail/L'Atelier Musical, suivi par Fred Mijeon pour le label Cristal records, le label de tous les jazz, est constitué de dix compositions, toutes annoncées par la baronne elle même qui donne le "line up", Chacune d'elles porte dans son titre la référence à "Nica", le petit nom affectueux de Pannonica, du formidable "Nica's tempo" de 1955 du saxophoniste alto et compositeur Gigi Gryce avec un solo plus que vigoureux du batteur Art Blakey, à "Nicaragua" de 1967, du pianiste Barry Harris qui occupe toujours la Cathouse, sur les bords de l'Hudson, trente ans après la disparition de la baronne, enn 1988. Mécène un jour, mécène toujours...
Travail de mémoire et "labour of love" de son fils Shaun et de sa petite fille Nadine de Koenigswarter, cette succession de compositions toutes plus belles les unes que les autres (une délicieuse ballade "Theme for Nica" du pianiste Eddie Harris, les archi-célèbres "Pannonica" de T.S Sphere, ou "Nica's Dream" du pianiste Horace Silver, le délicat "Tonica" du trompettiste Kenny Dorham ...) composent un bouquet des plus fleuris. Plus que "tombeau" au sens classique du terme, cet album, agrémenté de la sublime photo de couverture en noir et blanc, au grain si lumineux, prise à Londres en 1939 ( Harlip LTD) digne des clichés du studio Harcourt,est un puzzle vif et brillant qui reconstitue une figure emblématique du jazz.
Un album précieux et assurément nostalgique, une "compil" convainquante qui trace non seulement un portrait de cette grande dame (blanche) du jazz qui lutta contre la ségrégation à sa façon, mais aussi un tableau vivant du jazz de la grande époque, du bop au hard bop.
NB: pour les collectionneurs une édition de luxe (carnet à l'italienne de 2CDs, soit 1h30 de musiques, avec plus de compositions, sort ici :
Émile Parisien (saxophone soprano), Jozef Dumoulin piano, piano électrique), Fabrice Moreau (batterie), Stéphane Kerecki (contrebasse)
Meudon, 5-7 juin 2017
Incises INC 002 / Outhere
Une idée, un pari : reprendre, avec un groupe de vrais solistes de jazz, quelques jalons de la 'French Touch' électro, Daft Punk bien sûr, mais aussi Phoenix, Air, Chassol, Kavinsky, Justice et M83, bref tout ce qui, de Versailles à Neuilly en passant par Paris (mais aussi Antibes ou la Seine-Saint-Denis), s'est mijoté pour faire remuer les dance floors, ici et ailleurs. Et le résultat est étonnant : nos sorciers de la musique vraiment vivante -entièrement faite à la main- mettent du lyrisme, de l'expression, de l'improvisation là où nous n'attendions, incrédules et curieux, que le traitement d'un nouveau genre de standards. Évidemment les artisans de cette métamorphose sont tous des orfèvres, comme leaders dans leurs groupes respectifs mais aussi comme sidemen .Et ce sont ces qualités qui leur permettent de faire musique de tout bois, et leur donne cette faculté de faire jazz avec ce matériau pour le moins inattendu. All I Need, du groupe Air, se révèle un tendre ballade offerte aux improvisations du contrebassiste et de ses amis. Et si dans Playground Love, de la même source, Jozef Dumoulin fait pendant quelques instants donner un petit peu de l'électronique qui exalte son piano électrique, on reste dans la force expressive d'un jazz de solistes quand il fait parler le piano acoustique, et que le sax lui succède. Et même Harder, Better, Faster, Stronger de Daft Punk vous prend un visage humain, une sensibilité incarnée : miracle du jazz, vous dis-je. Je ne détaillerai pas chaque plage mais l'expérience valait d'être tentée, elle est concluante, riche de sensations nouvelles pour ceux qui connaissaient le matériau originel, et d'observations fécondes pour les chenus dans mon genre pour qui les titres d'origines dormaient du sommeil tranquille où les tenait mon ignorance. À écouter donc, pour les amateurs, comme un vrai bon disque de jazz... à la française !
Xavier Prévost
Le groupe est en concert à Paris au Duc des Lombards le 16 octobre 2018 à 21h, entrée libre dans le cadre des showcases de Jazz sur Seine
Edward Perraud (batterie, compositions), Bruno Chevillon (contrebasse), Paul Lay (piano)
Malakoff, janvier 2018
Label Bleu LBLC 6726 : l'autre distribution
Quand un batteur-percussionniste-compositeur, et amateur de concepts autant que de sensations, envisage le très canonique trio de jazz (piano/basse/batterie), que peut-il imaginer ? Dans le cas d'Edward Perraud, l'espace est (grand) ouvert. D'abord il s'entoure de partenaires du plus haut vol, quoique de générations distinctes. Ensuite il plonge dans les méandres de son esprit, lesquels (à la faveur d'un rêve.... réel ou rêvé, le rêve ?) lui suggèrent un itinéraire conceptuel par exploration systématique des 12 intervalles possibles dans une gamme chromatique. Joli concept, joli projet, qui va se déjouer de toute emprise formaliste. La musique est limpide, le déroulement au fil des plages plein de surprises, mais aussi de cohérence dans le cheminement : pas de formalisme mais une forme ! Si la première plage commence par la batterie seule, cela ne dure que sept secondes, le temps d'installer un rythme à multiples rebonds sur lequel les trois compères vont s'amuser, en toute créativité, sur un canevas qui paraît d'une évidente simplicité. Tout sera à l'avenant : vivant, sensuel, jusque dans les phases les plus sophistiquées. Dans le texte d'accompagnement, Edward Perraud apparente Monk à la théorie de la relativité, à propos de la composition intitulé Space Time. Et l'on est bien tenté de le suivre dans cette digression plus esthétique que scientifique car l'intervalle de septième mineur, quand le cymbale installe un temps qui paraît absolu, va mettre du relatif, et de la relation, dans cette cosmogonie : un nouveau monde sonore (qui croise furtivement Monk en chemin) se crée sous nos oreilles étonnées. Et la plage suivante, Tocsin (l'une des rares à être commentée par le compositeur-batteur dans le livret du CD), va offrir une autre interprétation de l'espace, celui, écrit-il «qu'il y a entre le battant de la cloche et la cloche, la baguette et l'instrument, le marteau et la corde, le doigt et la touche». Ce sera aussi l'occasion, après presque une minute d'un espace sonore défini par la percussion seule, puis par le trio, d'un solo à l'archet, très sombre, de Bruno Chevillon. Sombre aussi sera la dernière plage, Singularity, également évoquée par Edward Perraud comme «le trou noir -dénommé ''singularité en sciences'' – qui n'est ni trou ni noir […]. L'idée de la mort elle-même ne résiste pas à cette irréfutable, inexorable attraction». N'allez pas croire que tout le disque s'enferre pour autant dans une spirale dépressive : L'âge d'or, qui commence comme un thème simple en majesté, à la façon du thème royal de L'Offrande Musicale (de Bach), va se métamorphoser en une sorte de chanson lente et lumineuse. Just One Dollar, par escalade de demi-tons, va nous conduire vers un espace sériel. Melancholia, après un roulement de tom, va nous donner l'illusion de cheminer autour du minuit de Thelonious Monk, mais c'est déjà ailleurs que la musique nous entraîne. Comme ses comparses déjà cité, Paul Lay s'insère magnifiquement dans cet univers où la finesse et la subtilité fond bon ménage avec le plaisir, palpable, du jeu : une belle leçon de trio, en somme, selon des règles rénovées par l'imagination. Et le livret présente des photos du leader, artiste polymorphe dont l'œil est aussi acéré que l'oreille !
Xavier Prévost
Le trio est en concert le 15 octobre 2018 à Paris, au Studio de l'Ermitage, et il sera le 15 mars 2019 au festival d'Amiens
Retour Salle Gaveau, en solo, pour MARTIAL SOLAL, qui enregistra dans ce lieu deux disques mémorables, en trio et en 1962, puis 1963. Réservez votre soirée du mercredi 23 janvier 2019 à Paris
À l'intérieur du CD, une phrase de René Char, et un poème de Robert Desnos. Au verso cette maxime de Mai 68, cueillie sur les murs dotés de parole(s), et qui serait détournée d'un certain Donatien Alphonse François que l'on appelait Sade : «La liberté est le crime qui contient tous les crimes. C'est notre arme absolue ! ». La couleur est clairement annoncée : libres comme l'air, comme l'instant irrépressible, comme le désir et le goût d'aller chercher, au delà de la limite, ce que certains croiraient impossible.
Deux instrumentistes-improvisateurs-compositeurs, deux musiciens hors norme, et prêts à toutes les aventures. Des aventures, le guitariste, qui a une génération d'avance, en a vécu des palanquées, mais son jeune confrère violoncelliste n'est pas en reste, car il met les bouchées doubles. Ici l'on improvise. Une note, une phrase, sont lancées comme une bouteille à la mer, et dans l'instant l'idée musicale fructifie, s'évade et se métamorphose par la grâce du dialogue. Si j'osais, sans crainte du cliché, j'écrirais «C'est magique ! ». C'est écrit, et j'assume, mais au delà de la commode formule qui permet de tenter d'exprimer l'indicible, c'est simplement l'expression d'une évidence : dans cette rencontre, il se passe ce que parfois (aussi souvent que possible !), l'improvisation sans filet produit de bonheur musical, aussi immédiat que résistant à l'analyse de multiples écoutes. Un vrai grand moment de musique improvisée !
Xavier Prévost
Le duo jouera le lundi 8 octobre à 19h30 au Théâtre de L'Alliance Française, 101 Boulevard Raspail, à Paris (75006) pour l'enregistrement public de l'émission 'À l''improviste' de France Musique (en première partie le duo Élise Dabrowski-Sébastien Béranger)
Kurt Rosenwinkell (g), Jan Praz (sax), Rémi Fox (sax), Carl-Henri Morisset (p), Tomasz Dabrowski (tp), Riccardo del Fra (cb), Jason Brown (dms)
Le légendaire contrebassiste Riccardo del Fra, actuel responsable du Département Jazz du CNSM a toujours été un musicien sans frontières et sans barrières, qu’elle fussent géographiques ou musicales. On l’avait laissé avec un très bel hommage à Chet Baker dont il fut compagnon de route, on le retrouve ici avec une musique d’une formidable ouverture, entouré de musiciens venant de tout horizon et de tout âge. C'est un album qui se mérite et sur lequel il faut revenir et revenir encore. A la première écoute on est surtout frappés par les éblouissantes envolées de Kurt Rosenwinkell, le grand guitariste américain prompt à allumer la braise à coup de sons distordus et de reverbes enveloppantes (parfois très Metheniennes comme sur The sea behind), véritable orfèvre virtuose de l’improvisation. Et tout l’art de Riccardo Del Fra est d’avoir réussi à intégrer le guitariste à l'ensemble dans un entremêlement de chorus et d'insertion dans la masse orchestral, en totale fusion comme sur ce petit chef d’oeuvre d’écriture, Wind on a open book. Au fur et à mesure des écoutes successives, des pépites surgissent. De véritables tapis volant sur lesquels prennent place des musiciens de haut vol. Deux saxs magnifiques que se répartissent le puissant Jan Prax ( Allemagne) et le jeune Remi Fox ( France) . C’est sur des casse-tête rythmiques ( Street scene) ou des méandres harmoniques sur lesquels émergent de splendides solis comme sur ces envolées d'oiseau sur the Sea behind qui révèlent une écriture splendide d'une grande richesse harmonique. Et que dire de la brillance de Tomasz Dabrowski (Pologne) qui apporte une puissance éclatante à l’ensemble.
"Moving people" où se mêlent un jazz très américanisé et moderne ( on pense parfois à la musique de Chris Cheek p.ex) à une pop épurée est un album généreux et ouvert. Résolument Open Mind.
Prochains concerts 22 novembre : Les Trinitaires (Metz( 29 et 30/11 et 1/12 : Sunside feat.Kurt Rosenwinkell ( Paris) 2/2 : Radio France (Paris)
Moins qu’un chien Charles Mingus, traduction de Jacques B.Hess. collection Eupalinos. Editions Parenthèses. 272 pages. 12 euros.
Voici une réédition qui s’imposait. Le classique des classiques Moins qu’un chien, autobiographie hautement romancée et fortement engagée de Charles Mingus (1922-1979) n’était plus guère disponible. Publié pour la première fois en 1982 l’ouvrage a fait l’objet de cinq rééditions et s’est déjà écoulé à plus de 20.000 exemplaires, précisent les Editions Parenthèses. Les lecteurs retrouvent la rage du contrebassiste traduite avec talent par un contrebassiste Jacques B.Hess (1926-2011) au fait des subtilités du jazz (Hess-O-Hess. Chroniques. Editions Alter Ego) et de la langue américaine. Dans un avis aux lecteurs, Mingus remercie celui qui a collaboré à la rédaction de l’ouvrage, Nel King « probablement le seul Blanc qui en était capable ». Le ton est donné : Moins qu’un chien est un ouvrage qui mord. Charles Mingus piquait toujours une colère quand on l’appelait Charlie : je me dénomme Charles, Charlie c’est un nom de chien ! Sorti aux Etats-Unis en 1971, Beneath the Underdog (éditions Alfred A.Knopf) n’a rien perdu de sa puissance, pamphlet contre les oppressions de tous genres. Une œuvre littéraire majuscule à la hauteur du génie créateur d’un compositeur toujours révéré: ces derniers mois, pas moins de trois albums d’hommages ont été publiés par des jazzmen français, Géraud Portal, Jacques Vidal, Philippe Chagne. Jean-Louis Lemarchand
Toujours un plaisir de retrouver cet orchestre hors norme, dans lequel de jeunes musiciens très impliqués dans le jazz d'aujourd'hui (voire de demain !), et dans la musique improvisée, s'investissent tout autant dans cette aventure pilotée par le saxophoniste-chef d'orchestre Pierre-Antoine Badaroux. Ce passionné d'histoire du jazz, aux talents remarquables comme instrumentiste-improvisateur, mais aussi dans le domaine du relevé et de la transcription de documents sonores du passé (se rappeler les arrangements des big bands européens des années 30 exhumés en 2015), a cette fois puisé dans les compositions du formidable arrangeur que fut Don Redman. Le choix couvre 3 décennies, de 1927 à 1957, et des partitions écrites par Redman pour Fletcher Henderson, les McKinney's Cotton Pickers, Cab Calloway, Count Basie, et pour son propre orchestre. Sans oublier 7 œuvres inédites au disque, que le musicien-chercheur est allé débusquer (avec la complicité d'Alix Tucou, tromboniste français établi à New York), sous forme de partitions manuscrites, dans le fonds Don Redman d'une bibliothèque états-uniennes. Belle occasion pour l'amateur que je suis de longtemps (et demeure) de me replonger dans les versions princeps (une vingtaine sur 28 plages, 7 n'ayant pas été enregistrées), et de jauger la valeur de la restitution : pour moi, pas de problème, l'esprit et la lettre sont là, l'articulation, le désir de faire sonner, l'effervescence, et le plaisir aussi. J'adhère sans réserve à cette exhumation qui fleure bon la curiosité, la joie de jouer, et le goût de plonger dans la culture d'une musique dont le passé nourrit notre présent. J'attends avec gourmandise les débats qui ne manqueront pas d'animer la prochaine assemblée de l'Académie du Jazz, au moment d'établir le palmarès des CD parus cette année : je suppose qu'il va y avoir de l'ambiance, mais je n'ai pas eu le mauvais goût de titiller les dépositaires de la tradition pour connaître leur sentiment. On en reparlera, et d'ici là mon conseil est sans équivoque : on se précipite !
Il est de retour le festival du label marseillais EMOUVANCE et les souvenirs affluent, du temps où je collectionnais, chroniquais les albums de ce label indépendant créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, Gérard de Haro (La Buissonne) et Françoise Bastianelli : je découvrais alors ces musiques affines, improvisées, plutôt éloignées du jazz classique que j'affectionnais et aime toujours au demeurant. J'ai pu rencontrer ainsi des musiciens emblématiques du label (40 albums à ce jour) : Claude Tchamitchian créateur, âme vive du label et du festival, mais aussi le clarinettiste Jean-Marc Foltz ("Virage facile", mon premier coup de cœur du label), le pianiste Stephan Oliva, les guitaristes Philippe Deschepper, Raymond Boni qui, avec Eric Echampard jouait l'extraordinaire "Two Angels for Cecil", le saxophoniste Daunik Lazro....Hommage aux cultures méditerranéennes (bien avant le Mucem) et pas seulement, avec d'autres voix, d'autres frères de son, à défaut de sang.
Evoquons aussi les pochettes abstraites du label, sa charte graphique unique (police Bodoni) qui se marie si bien avec la ligne musicale d'Emouvance.
Toujours voir la musique en action et cette année plus que jamais, la thématique de cette édition étant la poétique du mouvement avec des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’imprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau, vivantes.
Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la sixième édition. Le festival a commencé en 2012 à la Friche de la Belle de Mai, autre lieu emblématique et branché de la cité phocéenne et depuis l'an dernier, pour le plus grand plaisir de tous, dans la chapelle néoclassique du lycée Thiers, côté prépa, la chapelle des Bernardines, au coeur de la ville, à côté du cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port . Un festival désireux de s'ancrer dans la région SUD (on ne dit plus PACA) et de faire découvrir des musiques inouïes ici.
L'ami Xavier Prévost a rendu compte des concerts des deux premières soirées. Je partage son enthousiasme pour les deux concerts de jeudi soir (ma première soirée) le formidable "The Emovin Ensemble" qu'Andy Emler nous présenta avec son humour et sa pédagogie particuliers. Création, musique commandée par l'ami et partenaire "Tcham" du Mégaoctet. Un hommage au mouvement, dynamique fondamentale de la vie. Avec l' é motion évidemment.
Un nouveau groupe est né avec ces 5 superbes solistes autour du pianiste : Dominique Pifarély, Eric Echampard, Mathieu Metzger et Sylvain Daniel.
Quant au concert de la première partie, il s'articule autour de la musique du compositeur allemand Hans Werner Hemze, c'est à un travail d'arrangement pour son quartet, The Henze Workshop" que s'est livré le saxophoniste Stéphane Payen, à partir des neuf pièces ou courts mouvements originaux, "Sérénades". Un concert en miroir avec la contrebassiste Charlotte Testu, révélation de la soirée.
Samedi 29 septembre
AUTOUR DE JOHN CAGE
LE QUAN NINH SOLO (19h00)
Voilà bien une musique que je n'écoute pas naturellement, programmée ce soir dans le cadre de la chapelle des Bernardines à l'acoustique exceptionnelle. Quand on évoque la musique contemporaine, on tombe vite dans des clichés, inaudibles ces sons frottés, nouveaux, mystérieux? Sérielle, répétitive, concrète, minimaliste, comment la qualifier? Il y a tellement de variétés possibles qu'il est sans doute utile d'avoir quelques éclaircissements.
Pendant une heure environ, quatre pièces seront présentées par le percussionniste qui ne dit mot, que l'on sent extrêmement concentré, autour d'un dispositif centré autour d'une grosse caisse, d'un triangle monté sur un axe muni de deux micros et d'une caisse claire.
Comme à chaque fois que je suis confrontée à ces musiques expérimentales et contemporaines (pièces de la fin des années 80), j'essaie de suivre les mouvements du musicien, de comprendre ce qu'il fait, d'analyser ses gestes, la façon dont il bouge et anime ses instruments (cymbales, baguettes, pommes de pin, bols), de définir ce que j'entends: crissements, chuintements, frottements, stridences, effleurements, froissements, frémissements....variant en intensité, en volume, fréquence, durée. Il me semble paradoxalement que j'entends mieux les yeux fermés, immergée dans ce son qui ne me paraît pas naturel pour autant. Il ne provient pas de la rue, il n'est pas fabriqué par accident mais construit par un processus que je ne comprends pas. Qui correspond cependant à une performance, un voyage au coeur du son plus que du souffle (je repense à Scelsi par exemple).
La pièce autour du triangle me frappe, elle dure très longtemps me semble t-il : je me demande comment le musicien arrive à jouer sans s'arrêter, en frappant de petits coups secs avec une sorte de stylet, sur l'un des côtés du triangle, l'autre main maintenant immobile l'autre côté. Ce bruit répété nous immerge dans des harmoniques étranges qui restent supportables cependant.
Le concert fini, je me prépare à sortir alors que des spectateurs passionnés venus pour entendre du Cage, s'approchent de la scène et commencent à poser des questions au percussionniste. Je les rejoins et j'ai alors la réponse à certaines de mes interrogations.
La pièce qui m'a fascinée est une composition d' Alvin Lucier (1988), pionnier dans le domaine de la performance instrumentale, avec notamment une notation rigoureuse des gestes des instrumentistes. Il brode ici une variation très précise autour d'une évocation d'un tramway. Soudain, je visualise ces bruits secs, tintements précis et incessants, j'entends Judy Garland évoquer la cloche dans "TheTrolley Song"de Meet me in Saint Louis de Vincente Minelli. Etrange rapprochement de temps et de musiques.
La pièce de LUCIER qui dure 15 minutes est dirigée selon un mode opératoire très précis qui dicte et impose des contraintes : jouer sur l'alternance de 5 paramètres, en n'en variant qu'un seul à la fois, toutes les 20 ou 25" : il s'agit du temps, de la vitesse (320 à la minute), de l'étouffement ou amortissement du son ("damp" en anglais), du "damp location" (à savoir l'emplacement des doigts pour étouffer le son), du "beater location" (la position de la batte). Pour jouer du triangle, le percussionniste dispose d'une batte, court stylet précis, oblique à un bout. Travail qui demande une concentration extrême, un calcul mental incessant pour effectuer les changement imposés. Il nous avoue d'ailleurs s'être trompé sur la fin d'une pièce, introduisant ainsi une entropie tout à fait regrettable. Évidemment, lui seul a pu le noter... Cette musique sérieuse suit des règles implacables, "oulipo" transposé où la fantaisie pourrait se glisser, tout en restant sensible au son en tant que phénomène physique. S' il s'agit de jouer avec les contraintes pour créer des résonances et sensations inédites, l'improvisation ne peut-elle pas suivre divers chemins, donnant place à un autre univers de possibles?
Lē Quan Ninh sort aussi la partition de John Cage intitulée Composed improvisaton for Snare Drum Alone (1990) et un coup d'oeil rapide montre la complexité du modèle.
Seules les pièces sur la grosse caisse sont des improvisations qui sont élaborées avec soin, selon une gymnastique parfaite. Où le musicien devient athlète du geste. Et non plus seulement artiste peintre du son.
REGIS HUBY BIG BAND
"THE ELLIPSE" (21h00)
Quel plaisir de retrouver le violoniste Régis HUBY avec ce nouveau projet, présenté pour la première fois à Malakov l'an dernier, au Théâtre 71, Scène Nationale! Il a réuni une troupe, un big band de 15 partenaires formidables, qu'il a pu apprécier ces dernières années dans divers projets. C'est en effet en pensant à ces rencontres, ces bouts de vie partagés, ce cheminement commun qu'il a conçu cette pièce de près d'une heure quinze, gigantesque travail de composition architecturé avec le plus grand soin. Sa direction possède ce qu' il faut de tension, de passion pour emporter celle des spectateurs.
Pour ces retrouvailles qui s'enrichissent de toutes les expériences traversées, il a envisagé des regroupements en unissons éclatants, des montées en puissance enivrantes jusqu'au vertige mais aussi des parcours fragmentés, lignes de fuite comme dans les solos si différents des deux guitaristes (sur les bords supérieurs de la scène en amphithéâtre), le délicat travail "folk" qui raconte toujours une histoire, de Pierrick Hardy sur guitare acoustique et les sorties de route toujours intenses, précises de Marc Ducret, que Régis Huby qualifie de "soliste concertiste".
Tous se retrouvent avec un plaisir évident pour servir la musique qu'ils aiment, celle de Régis Huby en l'occurrence, le grand ordonnateur de cette ellipse musicale. Une forme circulaire, en tension et détente, avec reprises, variations, répétitions subtilement décalées...Il est "très reichien" me confiera backstage Guillaume Séguron, tout en soulignant la vitalité, le lyrisme de cette écriture pleine, dense, presqu'opératique (on peut penser à des envolées verdiennes) qui travaille sur l'épuisement des motifs rythmiques entre écriture continue et giclées d' improvisation. Un travail soigné, cohérent, édifié sur la recherche des timbres, couleurs et textures qui s'emboîtent selon la forme d'une suite en trois mouvements, avec un scherzo au centre. De toutes les manières, Régis Huby a pensé à chacun, leur laissant ainsi donner la pleine mesure de leur talent.
Quand on entre dans la salle, on est saisi par la taille de l'orchestre et la disposition particulière des pupitres étudiée pour que tout converge vers les basses, le grave et une certaine frénésie rythmique : ainsi pour la première fois, le tromboniste Matthias Mahler est au centre du plateau.
Seul cuivre de l'ensemble, il apporte la chaleur, l'opulence et le moelleux de la chair, serré de près par la clarinette basse, profonde (Pierre François Roussillon). Derrière lui, le vibraphoniste et marimbiste Illya Amar joue un rôle moteur dès l'ouverture, s'élançant d'un instrument à l'autre, plus impressionnant encore que le batteur Michele Rabbia, renfort puissant. Au dernier registre, les deux contrebasses côte à côte, solidaires et complémentaires jouent alternativement en pizzicati et à l'archet (Guillaume Séguron et Claude Tchamitchian). Doubler certains instruments pour étoffer les graves, assurer l'assise, le socle de l'orchestre. Mais étoffer n'est pas répéter, les guitares ne jouent pas le même rôle, la clarinette claire et joueuse de Catherine Delaunay ne se confond jamais avec le son insolite du flûtiste Joce Mienniel modifié par les effets contrôlés aux pédales. Il agit souvent en interaction avec Bruno Angelini, souple transformiste au piano, fender et litlle phatty, dans des duos poétiques, privilégiant fluidité et énergie.
Si on peut penser à un orchestre symphonique, la répartition est originale, les cordes étant limitées aux seules présences vibrantes du violon, alto et violoncelle, respectivement Régis Huby, Guillaume Roy et Atsushi Sakaï (compagnons du quatuor IXI).
Vous l'aurez compris, on ne saurait trouver meilleure façon de terminer le festival avec ce concert euphorisant. On n'a pas pu quitter le plateau des yeux et l'on sort un peu sonnée, mais totalement réjouie. Comme dans toutes les fins de festival, nous nous attarderons longtemps autour de petites tables, en un salon improvisé, dans la nuit douce qui remue, à parler du concert, les musiciens improvisant de petites "masterclasses" décontractéees pour nous tous, public, photographes, rédacteurs, organisateurs, amateurs. Un "debriefing" amical et chaleureux : il y eut dans cette oeuvre, quelque chose d'insaisissable, de libre et de créatif, quelque chose de contagieux dont les musiciens se sont emparés avec délectation.
Un de ces moments rares que l'on aime à partager. Vivement l'édition prochaine...