John Coltrane (saxophones ténor & soprano), McCoy Tyner (piano), Jimmy Garrison (contrebasse), Elvin Jones (batterie)
Englewood Cliffs, 6 mars 1963
Impulse ! B0028228-02, B0028317-01 / Universal
Deux éditions d'une même séance oubliée, 7 plages sur un simple CD, 14 dans un coffret 'Deluxe Edition' (avec aussi un double vinyle) , et un événement largement commenté dans les media (presse, spécialisée ou non, radio, internet....) après 55 ans de placard pour les bandes enregistrées par Rudy VanGelder dans son célèbre studio.
Un événement assurément si l'on considère l'importance historique du musicien, la dévotion que suscite sa musique, la curiosité quant à son cheminement stylistique (notamment dans cette période), etc.... Peut-être légèrement surévalué grâce au génie de la mercatique, mais indiscutable événement quand même. La séance prend place le dernier jour d'une série de concerts (deux semaines) au Birdland de New York. Le quartette a fait une longue tournée européenne fin 1962 (beaucoup de témoignages phonographiques, pirates mais pas que....).
Les musiciens sont totalement investis, 'ça joue terrible' comme on dit. Le lendemain le quartette va enregistrer avec le chanteur Johnny Hartman («John Coltrane And Johnny Hartman», Impulse ! AS 40). et le mois suivant After The Rain qui trouvera place avec des enregistrements antérieurs dans l'album «Impressions» (Impulse ! AS 42). Bref l'époque est intense dans la vie musicale de Trane, d'autant que l'on est à la croisée du ténor et du soprano, et de deux esthétiques qui vont se tuiler avant que l'ultime idiome ne se fixe pour une forme d'éternité. Et 1963, c'est aussi l'année d'un choc traumatique : un attentat du Klu Klux Klan en septembre à Birmingham (Alabama) où quatre jeunes Afro-Américaines périrent, et qui inspirera au saxophoniste le déchirant Alabama, gravé en novembre dans le même studio, et qui complètera des enregistrements de club réalisés le 8 octobre, et publiés plus tard sous le titre «Live At Birdland» (Impulse ! AS 50). Qu'on me permette un souvenir : au mitan des années 60, l'adolescent que j'étais écoutait à la radio ce thème, sur un vieux poste à lampes dans une mansarde de la ferme familiale, sans savoir ce qu'évoquait cette musique. Pourtant le choc fut profond, instantané, et quand j'évoque aujourd'hui encore cet instant l'émoi me submerge. Décidément, quand je parcours le millésime 1963, jusqu'à la tournée d'automne avec son lot de pirates et d'enregistrements autorisés, je me dis que ce disque/coffret mérite son succès, pièce d'un puzzle historique où deux esthétiques se croisent : celle des concerts, où le présent domine, et celle du studio, qui convoque à nouveau quelques repères du passé. Les deux Coltrane y cohabitent sereinement, dans une intensité que rien ne saurait démentir.
Xavier Prévost
Le contenu : Untitled Original 11383; Nature Boy ; Untitled Original 11386 (Take 1); Vilia (Take 3); Impressions (Take 3); Slow Blues; One Up, One Down (Take 1). CD 2: Vilia (Take 5); Impressions (Take 1); Impressions (Take 2); Impressions (Take 4); Untitled Original 11386 (Take 2); Untitled Original 11386 (Take 5); One Up, One Down (Take 6)
Petite halte de 48h à Cluny et son entour pour goûter une fois encore le parfum singulier de ce festival du Mâconnais : le mâcon villages est tout près, Pouilly et Fuissé ne sont pas si loin, bref on est en bonne compagnie ! Et la musique surtout respire un parfum original dans l'uniformité festivalière hexagonale qui tend à prévaloir (j'espère que vous me pardonnerez de n'avoir pas écrit 'qui prévaut' , ce qui m'est toujours un peu difficile).
Tout commence pour moi dans les collines, à La Vineuse-sur-Frégande, dans la pierre brute de la Grange du Dîme, avec le très inclassable solo de violoncelle (et de voix) de Dider Petit : il célèbre la sortie du disque «D'Accord», publié voici quelques mois chez RogueArt (www.roguart.com), et enregistré à Pékin en 2016. Libre parcours de musique et de vie, théâtre musical, poésie révolutionnaire et révolution poétique tout à la fois, le tout emporté dans l'espace et l'impesanteur où le musicien s'épanouit ces derniers temps. Ici la Chine et l'Afrique se croisent, Bach s'invite comme horizon fantomatique, et la force de l'instant vécu impose sa douce loi.
On redescend ensuite vers la vallée de la Grosne, au Théâtre Les Arts de Cluny, pour un autre Bach, le vrai, celui des Variations Goldberg, lesquelles sont revues au vibraphone-marimba et à l'improvisation par David Patrois, qui dialogue avec une pianiste classique (et néanmoins japonaise), Remi Masunaga, laquelle va du texte littéral à des séquences en dialogue acrobatique, rendez-vous sur le temps, dans une précision infernale. Un ami musicien présent au concert a trouvé cela trop corseté. Pour moi c'était vivant, et je n'ai pas (comme les nombreux spectateurs de cette salle comble) boudé mon plaisir.
Le quartette de Céline Bonacina à la balance
Puis la saxophoniste (baryton et soprano) Céline Bonacina nous a entraînés dans le tourbillon de son quartette : entre vertige mélancolique et déboulés fulgurants (le pianiste Leonardo Montana !), un moment d'intensité musicale extrême.
Les stagiaires planchent sur l'harmonie
Le lendemain, escapade sur les hauteurs de Matour pour visiter l'un des stages. Il sont l'ADN du festival, dont ils furent voici quarante-et-un an la première manière (ou la matière première) : voir sur ce site l'incursion faite l'an dernier en ces territoires (http://lesdnj.over-blog.com/2017/08/jazz-campus-en-clunisois-40-ans-le-plus-bel-age.html). Cette année, la visite sera pour l'atelier du saxophoniste Guillaume Orti, qui conduit 11 instrumentistes-improvisateurs dans les dédales du jeu collectif, à partir du matériau musical qu'ils proposent eux-mêmes : dense, intense et vivant : trois heures passionnantes.
Le concert du soir, au théâtre, accueille «Letters to Marlene», un hommage à la Dietrich, à la militante plus encore qu'à l'actrice et chanteuse. Guillaume de Chassy (piano), Andy Sheppard (saxophones) et Christophe Marguet (batterie), sont les prêtres bienveillants de cette cérémonie secrète. Au répertoire du disque éponyme, paru voici quelques mois (chez NoMadMusic/Pias), se joignent des inclusions sonores (voix de Marlene, parlée et chantée, extrait de film, discours de Churchill, de Gaulle et Hitler....). La musique est forte, tout comme l'émotion. Encore un beau souvenir à rapporter du Clunysois (j'ose la graphie alternative, même si mon correcteur orthographique la récuse). On reviendra !
Après les deux soirées du tremplin jazz, le festival reprend avec deux soirées très différentes qui illustrent la variété des musiques liées au jazz.
Samedi 4 Août : le trio EYM et Erik TRUFFAZ Quartet, une soirée festive!
EYM Elie Dufour (p), Yann Phayphet (cb), Marc Michel (dm).
Le public du cloître venu très nombreux est sensible à ce périple immobile dans lequel entraîne le trio EYM. Plus inspirant que toute odyssée de vacances? Avec ce groupe issu du conservatoire de Lyon qui a remporté bon nombre de tremplins ( La Défense, St Germain, et le tremplin européen de Getxo) mais ne s'est jamais présenté au concours d' Avignon, la tentation était grande pour le conseiller artistique Michel EYMENIER de faire venir ce "power trio". Le style immédiatement reconnaissable renvoie à l'univers du regretté trio suédois E.S.T ou même des BAD PLUS. Formule antique s'il en est, du trio piano-basse-batterie, remaniée, post Bill Evansienne. Une lisibilité voulue et calculée, un certain brio, un minimalisme de la forme avec des cellules répétées ad vitam... Même si le terme est éculé, on a affaire à une musique plurielle, métissée, un concentré de toutes ces cultures musicales et expériences traversées lors de leurs nombreux voyages, de la Méditerranée au Japon, de la Bulgarie, jusqu'à l'Inde de leur dernier périple. L'un de leur titres n'est-il pas "Paradiso perduto" Partir pour se retrouver, se renouveler ou simplement s'évader, se divertir.
ERIK TRUFFAZ Quartet feat. NYA
Bending New Corners
Erik TRUFFAZ (tp), Christophe CHAMBET (contrebasse, basse electrique), Benoît CORBOZ (piano, fender rhodes) Marc ERBETTA ( batterie, voix) et NYA (voix);
Comme dans le célèbre ouvrage de Dumas, le trompettiste de l'Ain nous revient vingt ans après, avec ce projet qui reprend l'esprit de ce groupe formidable composé de Marc Erbetta aux percussions, Marcello Giulani à la contrebasse et basse electrique, Patrick Müller au clavier et Fender, avec lequel il enregistra chez BLUE NOTE des albums mémorables comme The Dawn, Bending New Corners, The Mask. Union libre et sincère du jazz, de la soul tendance nu, du rap, du funk.
Erik Truffaz a une longue histoire avec Avignon et le jazz, de l'AJMI au Tremplin jazz. Venu présenter ses disques en 1998, en 2001, il est revenu en 2004 dans la Cour d'Honneur pour un ciné-concert autour du film d'OZU, Gosses de Tokyo. Il est encore présent en 2011 pour les vingt ans du Tremplin jazz. Cette année, avant de jouer à Marciac, il a tenu à passer par ici, car il avoue devoir beaucoup à la ville; il rendra d'ailleurs un hommage émouvant au fondateur de l'AJMI, JP Ricard qui lui a donné sa chance et qui lui a permis de rencontrer celui qui allait le faire signer chez le prestigieux label. Soulignant aussi sa reconnaissance envers deux journalistes Frank Bergerot et Pascal Anquetil, membres du jury du concours de la Défense, il évoque aussi son Prix Spécial du Jury en 1993.
On se laisse séduire à nouveau, à l'écoute des versions d' "Arroyo", "Sweet Mercy", "Bending New Corners", "the Dawn" et "the Mask" qu'il enchaîne avec appétit. Benoît CORBOZ occupe le terrain autant au rhodes qu'au piano et déclenche l'enthousiasme du public qui agite ses teléphones portables à défaut des anciens briquets. Erbetta a gardé la même énergie. Même que ça gagne en épaisseur à chaque réécoute: les textures ouatées de la trompette, l'entêtant groove font à nouveau leur effet; ne restait plus qu'à coucher une voix, celle du "guest star" invité Nya, dont je me souviens très bien de la dégaine à l'époque, avec ses dreadlocks, sa nonchalance non feinte, et son doux flow. Car j'ai vu moi aussi le quartet mythique au Parc Floral de Vincennes, l'été 2000. Nya nous revient quelque peu transformé sur le plan vestimentaire, mais son chant chaleureux, intimiste nous met en apesanteur... comme autrefois, quand il laisse flotter sa voix sur une trame de claviers et d'électronique. La répétition jusqu'à l'obsession des lignes sinueuses, ondulantes fait son effet : Truffaz a une vibration bien à lui, il ne phrase pratiquement pas, tient la note longtemps, obtenant ce son ciselé, soyeux, enveloppant mais jamais insensibilisant ; comme s'il greffait de subtiles ramifications électroniques, des terminaisons nerveuses à sa trompette qu'il projette autant vers le ciel que vers le sol.
Le concert se termine dans l'allégresse avec de nombreux rappels dont l'un me fait tressaillir car je reconnais ce titre, c'est "Youri's choice" qui nous faisait chavirer autrefois. Tout le monde est heureux et les bénévoles montent sur scène comme ils le font à chaque fin de festival marquante. Sans temps faible, la musique de Truffaz a tenu le coup. Voilà d'heureuses retrouvailles!
Dimanche 5 août :
OWN YOUR BONES / JOE LOVANO & DAVE DOUGLAS Quintet : SOUND PRINTS
Own your bones: Jonas Engel (as), Karlis Auzins (ts), David Helm (cb), Dominik Mahnig (dms).
Dernière soirée du festival, la chaleur est toujours aussi intense...La programmation a choisi de mettre en valeur les vainqueurs du Tremplin Jazz 2017, le groupe allemand (Cologne) OWN YOUR BONES, qui pratique un jazz exigeant, intense, sans compromis. L'année leur a été profitable et l'enregistrement, auprès de Gérard de Haro, qu'ils viennent de terminer, leur a permis de peaufiner leur programme. Ils sont prêts à faire entendre un jazz de chambre très secoué, avec des lignes mélodiques qui s'étirent, s'enroulent, se séparent, construisant une architecture sonore très aboutie.
Rugueux, passionnés, les musiciens se lancent parfois dans des improvisations intarissables : le saxophoniste alto s'engage physiquement dans des solos contorsionnistes, plus abrupt, parfois à la manière aylerienne (Ghosts) que son complice letton (de Riga ) au ténor, à la sonorité vigoureuse mais plus tendre. Le batteur Dominik Mahnnig, déja repéré l'an dernier,pour son jeu explosif, a quelque chose de convulsif mais il sait à merveille explorer toutes les facettes, jouer des effets de la batterie. Le son de ces quatre musiciens conjugue ainsi élégance et rudesse, aligne rythmiques carrées avec des souplesses incroyables; ça sonne, ça rugit, ça claque mais ça murmure aussi. Ces variations d'atmosphère vibrante et poétique prennent le temps de se fixer dans des tableaux sonores complexes. Captivante, cette musique exige une écoute plus qu'attentive, complice, elle se risque dans le souffle, tente la déclaration, n'évite pas plaintes, cris et stridences mais ne cherche pas l'affrontement.
JOE LOVANO & DAVE DOUGLAS QUINTET
SOUND PRINTS
Joe LOVANO( ts), Dave DOUGLAS (tp), Lawrence FIELDS (p), Yasushi NAKAMURA (cb), Joey Baron (dms).
On attend à présent les Américains tout en espérant que la pluie ne vienne perturber le concert... Après un assez long "sound check", prévu au dernier moment, juste avant le concert, ce qui met les nerfs de l'ingé-son à rude épreuve, le groupe est enfin prêt mais il a été passionnant de voir comment chacun réagit, en particulier le bondissant Joey BARON, très attentif à tous les réglages, minutieux et professionnel jusqu'au bout de ses baguettes. Jean-Paul Ricard me fait finement remarquer que les Américains n'aiment jamais mieux jouer que resserrés, regroupés, pack soudé pour mieux s'entendre et faire ainsi leur propre son. Rien à voir avec la propension plus française à s'étaler, surtout quand on dispose d'un tel plateau. Ça commence très vite, sans préambule, le duo rompu à tous les terrains, attaque par surprise, se plantant comme un seul homme devant le micro. Ensemble, ils jouent mais ne croisent jamais le fer, Lovano est trop pacifique. Voilà donc ce quintet de luxe pour un jazz authentique, très vif, une musique nécessaire aujourd'hui. Qui interroge autant qu'elle ravive les émotions. Sans jamais être conventionnel ni sentimental, la tradition affleure même si l'histoire est pliée. Des musiciens de cette trempe tournent à plein, jamais en rond, dans un cercle défini. Lovano, écho des ténors de la grande époque, pas vraiment "latin souffleur" rend hommage à Wayne Shorter, célébrant, non pas tant sa musique, que l'homme et sa philosophie, ce que représente Shorter dans l'histoire du jazz. On n'entendra d'ailleurs qu'une version de "Juju", arrangée par Lovano, le reste des compositions étant très symétriquement partagé entre les co-leaders. A ce niveau de talent, le quintet roule pour lui. La musique se renouvelle au sein d'une structure très cadrée: unissons et contrepoints des soufflants, solo de chacun à tour de rôle et trio en déploiement, brillant soutien plus qu'accompagnement. Et c'est lumineux. Même si l'on pourrait souhaiter plus d'imprévu. Le programme de ce quintet Sound Prints joue le dernier album, Scandal, sorti chez Green Leaf, le label du trompettiste. Le répertoire est rôdé, mais la fraîcheur d'inspiration demeure. Dave Douglas, vif et précis, présente les compositions dans un français soigné avec cette formule charmante en introduction "Je suis votre trompettiste pour ce soir" .Vélocité contrôlée, phrasé limpide, son droit, clair, tranchant, mise en place sans faille.
Tous font preuve de talent, de sensibilité et d'une flamme intacte, du début à la fin de ce dernier concert de la tournée européenne (ils étaient sous le chapiteau de Marciac dimanche dernier). Même les deux plus jeunes (petite trentaine). Lawrence Fields, qui a joué avec Christian Scott, est un immense pianiste à tous les sens du terme, dont les mains fines ont quelque chose de fascinant. Guère prévisible, il parviendrait à nous faire croire qu'il a oublié certaines influences déterminantes. Toucher subtil, posé et équilibré, fluidité des échanges bien gouvernés dans un espace libre, renouvelé, entretenu par une rythmique exemplaire. Le remplaçant de Linda Oh, en tournée avec Pat Metheny cet été, est un japonais d'origine, grandi à Seatle, Yasushi Nakamura, surnommé affectueusement "sushi" par les autres (me dit-on) ...assure avec fermeté, souplesse et rondeur et s'arrime au tempo infernal du batteur. On ne peut pas détacher ses yeux de "smiling joey", boule de nerfs, "ball of fire", un batteur exceptionnel aux froissements d'aile aux balais, dont les découpes rythmiques, subtiles, sont dirigées par une gestuelle puissante, très ramassée : mouvements rapides, nerveux, insolites quand il semble "touiller" les peaux, quand il fait claquer ses baguettes qui n'ont pas le temps de danser sur les tambours. Ça déboule dans l'urgence....tout en restant musical !
Le festival se termine sur ce concert magnifique. Expressivité et savoir-faire. Du grand jazz. Une authentique déclaration d'amour à cette musique de partage et de liberté, à laquelle on ne peut rester insensible. Décidément, ce festival, original, garde raison et taille humaine. Il demeure mon coup de coeur estival et une fête entre amis.
Sophie Chambon
PHOTOS DE Claude DINHUT, Marianne MAYEN, J-H BERTRAND.
Retour à Avignon et partage de ces moment forts en jazz, au coeur d'un été caniculaire. Il n'est pas besoin de partir loin... Avignon est une destination jazz tout indiquée avec ce festival atypique qui inclut un tremplin jazz européen.
Début du mois d'août. Les murs grattent leur peau d’affiches, la ville tente de revenir à elle-même après le marathon théâtral de juillet. Le tremplin européen se glisse après la première soirée de festival (Django Charlie et le trio de la jeune bassiste Kinga Glyk) pour deux soirées très suivies par un public local, fidèle et quelque peu ouvert au jazz. Nous sommes à deux encablures de l'Ajmi, la scène de jazz avignonnaise qui fête cette année ses quarante ans! Retour donc au cloître des Carmes avec une furieuse envie de continuer à suivre l'aventure de ce concours, initié en 1991 par des passionnés de musiques, toujours actifs pour cette 27ème édition. Michel Eymenier en est le conseiller artistique avisé, collectionneur fou, amoureux de Lester Young,entouré de deux dynamiques co-présidents, Robert Quaglierini et du plus jeune Jean Michel Ambrosino (dont c'est tout de même la dixième participation). Sans oublier Jeff Gaffet et l' équipe épatante de bénévoles qui se déploient sur tous les fronts, par cette chaleur, à la buvette, au catering, à la technique, sans oublier les chauffeurs et les photographes. Tous fidèles en dépit des fragilités inhérentes aux associations organisatrices, dépendantes de subventions et de la générosité de mécènes.
La vocation du tremplin est de donner un espace d'expression à la jeune scène européenne, d'aider à l'émergence de groupes pré sélectionnés qui pourront mettre à profit cetteexpérience unique (le concours a commencé dans le quartier difficile de la Barbière, puis dans le square Agricol Perdiguier, avant de se fixer aux Carmes), jouersur cette scène rêvée à l'acoustique exceptionnelle. Car, si les voûtes du cloître ne parviennent pas, cette année, à prodiguer une ombre fraîche et salutaire, le son est toujours assuré avec finesse par Gaetan Ortega qui officie sur la terrasse, en maître de l'espace sonore. Quant aux pierres et gargouilles du cloître, elles sont mises en lumière par un artiste des découpes et de l'éclairage. Ce plaisir de l'oeil décuple le soin porté à l'écoute. Les six groupes quientrent en lice, cette année, pour ce qui reste l'un des rares tremplins européens, sont allemands, hollandais, serbes et français.
Rappelons que le Grand Prix consiste en un enregistrement et mixage au Studio de la Buissonne et un concert en première partie d'une des soirées du festival de l'année suivante. Les autres prix (Soliste, Meilleure Composition) sont récompensés d'un chèque de 500 euros offerts par les divers partenaires; sans oublier le Prix du Public très convoité et des cadeaux offerts sur tirage au sort des votants.
Première soirée : jeudi 2 août
SHIFT Sextet françaisNicolas Algan (tp), William Guyard (sax), Arthur Guyard (p, clavier), Dorian Dutech(g), Louis Nicolas Gubert (b), Guillaume Prévost (dm).
Ce premier groupe toulousain fait impression dès le démarrage du set, s'installe vite dans une forme de jazz rock célébrée dans les années soixante-dix/quatre vingt, tendance Brecker Brothers ou Uzeb,esthétique et musique qui peuvent se révéler dangereuses car elles génèrent souvent des clichés. Quelque difficulté à trouver un son de groupe original avec ces collages, changements de rythme, ces inflexions reggae qui pimentent leurs compositions. Néanmoins, on reste sur le premier titre orchestral Impressions d'ivresse qui a cependant de quoi séduire avec de beaux unissons des soufflants.
SIMON BELOW quartet
Simon Below (p), Fabian Dudek (as, ssax), Yannick Tieman (cb), Jan Philipp (dm).
Dès leur première composition "Into the Forest", ce très jeune quartet allemand, qui vient de Cologne, école réputée et vivier inépuisable de jeunes talents, s'impose très vite par la qualité poétique de leur musique, avec des ruptures de rythme au sein d'un même morceau, de la ballade au free. Le saxophoniste, délicat au soprano, change à l'alto, gronde et rugit sur "Late Mate", soliste saisissant qui ne prend pas pour autant le pouvoir, tant le batteur assure des glissements rythmiques assez extraordinaires. Le pianiste qui est aussi le leader, est constamment inventif, ses arpèges pouvant se transformer en accords plaqués vigoureusement. Une des dernières compositions "Wailing Wind's Story", rêverie inquiète, à la douceur mélancolique, retient notre attention. Quelle étonnante complicité des quatre musiciens, dont les commentaires spontanés entretiennent et relancent l'échange. Ce groupe dont les mélodies empruntent un chemin quelque peu brisé, a une capacité à ouvrir des passages entre les genres, au gré d'une improvisation sensible et très suggestive.
DEXTER GOLDBERG trio
Dexter Goldberg (p), Berrand Beruard (cb), Kevin Luchetti (dm)
Ah ça joue, c'est enlevé dès l'ouverture. Peut être même un peu trop. Les lignes mélodiques s'emballent sur un rythme faussement enjoué. Le pianiste, Dexter Goldberg, fils de saxophoniste (!), issu du CNSM parisien, fait entendre un beau son, mais, en dépit d'une réelle maîtrise du clavier, ne se révèle t-il pas un peu trop démonstratif, voire désorienté quand il s'abandonne à certaines bifurcations?
Deuxième soirée : vendredi 3 août
TORUNSKI BROTHERS QUARTET
Greg Torunski (as), Piotr Torunski (bcl), Mike Roelots (Rhodes), Ron Van Stratum (dm).
Voilà assurément une formation très étonnante venue des Pays-Bas (Maestricht) engagée dans une musique personnelle, originale et inspirée. Première impression très forte, presque définitive. Confirmée par la ballade qui suit, Hands up, sifflée au tout début. Les soufflants ont une complicité quasi-gemellaire et cela s'entend. A défaut de respirer d'un même souffle, ils semblent se passer le relais, en un élan continu. La clarinette basse joue fort avantageusement la carte rythmique de la basse et soutient ainsi un claviériste efficace. Le groupe a cependant tendance à se perdre dans des ramifications inépuisables de la mélodie, et l'ensemble du set dépassera les 40 minutes imparties. Sans les disqualifier, cette tendance à la divagation les pénalisera. Une transe dans laquelle ils aiment se perdre, à l'évidence, et dans laquelle ils embarquent certains d'entre nous. Mais pour être vainqueur, n'auraient ils pas besoin d'un projet plus structuré, une écriture plus resserrée? D'ores et déjà, on s'achemine vers un duel allemand/ néerlandais. Bien que les frères Torunski viennent de Pologne à l'origine, du conservatoire de Katowice.
Der Weise PandaMaïka Kuster (voc), Felix Hauptmann (p), Yannick Tiemann (cb), Joe Beyer (dm)
Que nous réserve le deuxième groupe allemand, venu lui aussi de Cologne? Qui a attendu sagement, non sans inquiétude, que l'averse, qui ne rafraichira même pas l'atmosphère, leur permette de s'installer. Nuit des étoiles filantes ou pas, on espère que la pluie ne viendra pas ruiner les espérances des finalistes, car il n'y a pas d'alternative à l' "open space" du cloître…
Ce "panda sage" et non blanc ( weis et non weiSS) est conduit par une jeune chanteuse, Maïka Küster, alerte et mutine. Maïka Küster a un joli brin et grain de voix, montre musicalité et justesse dans le placement de sa voix, a visiblement travaillé quelques effets avec et sans micro, elle charmera certains membres du jury et le public (à l'applaudimètre, ce groupe remporte la palme), avec cette grâce encore enfantine. Si l'on peut s'en réjouir, la prestation ne nous a cependant pas séduit. Dommage que la sonorité de ses mots ne se fonde pas mieux dans le tissu mélodique, en dépit du soutien actif du contrebassiste, déjà remarqué la veille dans le trio allemand. Est-ce dû à un défaut d'énonciation en anglais ou en allemand, une absence d' improvisation digne de ce nom qui conduit à cette impression de "remplissage", à ce qu'il me semble du moins?
HASHIMA quartet
Igor Miskovic (g), Srdjan Mijalkovic (ts), Vanja Todoravic (cb), Aleksandar Hristic (dm).
Contraste assuré avec le dernier groupe venu de l'Est, ayant roulé depuis la Serbie sans s'arrêter, pour rejoindre Avignon. Le leader, un brin exalté, souffle le chaud et le froid, dans une scénographie travaillée. Quand il ne mord pas ou mange sa guitare, volubile, il explique son projet assurément éclectique, qui court de Stravinsky aux Pink Floyd (avec rafale de fumigènes).
Avec une suite inspirée du Jardin des Délices de Bosch (au Prado à Madrid) où les trois registres, céleste, terrestre et infernal sont très longuement développés. Rythmiquement très lourd. Reste l'énergie et un évident plaisir à être là, sur scène, dans la fournaise avignonnaise. Un peu de la folie des orchestres cuivrés de Goran Bregovic, avec ces résonances balkaniques, qui se justifient pleinement, pour une fois. Mais, comme le fera remarquer un des membres du jury, pourquoi s'appeler du nom de cette île japonaise, désolée et dévastée, quand le passé récent est aussi lourd? Une des compositions décrit en effet la vie des enfants à Belgrade sous les bombardements, en représailles des forces alliées de l' OTAN, en 1999.
Epilogue bizarre au concours 2018. Mais le Tremplin répond à cet objectif initial qui est de donner sa chance à des groupes aux projets très différents. Cette année encore, on peut repérer un engagement très sérieux de certains qui s'inspirent fort de la tradition, qu'ils maîtrisent tout en la faisant vivre intelligemment, alors que d'autres manifestent plus de fantaisie, tentent autre chose, quitte à se perdre et à sortir du cadre?
Le jury n'aura pas trop de difficulté à choisir cette année. Deux groupes se détachaient assez nettement du reste des participants. Décidément le jazz souffle fort de Septentrion. Et à l'unanimité, pour le Grand Prix, ce sera le Simon Below trio. Le Prix de l'instrumentiste est décerné au duo inséparable des frères Torunski. Le Prix de la composition ira à Shift (Arthur Guyard, p et compo).Le public, lui, a tranché très vite, en votant en faveur de Der Weise Panda. Cette année, son choix ne correspond pas avec celui du jury. Qu'à cela ne tienne, c'était encore une belle édition que ce tremplin jazz 2018. Mais la suite vaut le détour….l'AVIGNON JAZZ FESTIVAL se poursuit!
NB : un grand merci aux photographes du Tremplin sont Marianne MAYEN, Claude DINHUT et J-H BERTRAND.
Sophie Chambon
Prix de la composition SHIFT Sextet Nicolas Algan (tp), William Guyard (sax), Arthur Guyard (p, clavier), Dorian Dutech(g), Louis Nicolas Gubert (b), Guillaume Prévost (dm).
Glendale (Comté de Los Angeles), 19 & 21 juin 1966
Fresh Sound Records FSR -CD 960 / Socadisc
Disons-le tout net d'entrée : pièce maîtresse, grand moment de piano, et de jazz. La qualité technique de l'enregistrement est plus homogène que pour le volume 1 (cliquer pour accéder à la chronique du vol. 1) : pas de pleurage, diapason assez constant, tout juste un tout petit peu de pré-écho de temps à autre. J'en suis à me demander si l'éditeur n'a pas craint, s'il avait publié en premier ce volume, d'altérer la réception de l'autre, dont la qualité sonore était moindre : mystère de la mercatique.... Mais on peut se dire aussi que, ces séances ayant été conduites par Ross Russell, qui avait produit des enregistrements de Parker en Californie, et aussi publié un livre sur le 'Bird', il était naturel de publier d'abord un volume faisant la part belle au répertoire Parkérien.
Quoi qu'il en soit, voyons le programme du disque : une traversée de l'histoire du jazz, de Scott Joplin à Bud Powell en passant par Fats Waller, Jelly Roll Morton, Gershwin, Cole Porter, une poignée de standards, et même Offenbach (La Chaloupée, que Martial avait enregistré en trio dès 1953). Et bien évidemment, le tout traité 'à la Solal', c'est à dire avec virtuosité, virevoltes, humour, impertinence et passion pour ce jazz de toutes les époques. Il y même un boogie de sa plume (Blues Martial ), dans la tradition, mais avec quand même un petit coup de hachoir.... On trouve aussi une version façon antépisode de Ah Non ! , fameuse pirouette sur la méthode de Charles-Louis Hanon, professeur qui tortura bien des pianistes. Jusque là, la version princeps au disque était millésimée 1971 (33 tours RCA enregistré au Théâtre de l'Ouest Parisien), mais manifestement cela faisait un moment que Martial se jouait de ces exercices pianistiques pour les déjouer.... et les enjouer. Et puis une mystérieuse Suite # 105 qui n'est pas sans parenté avec la Suite n° 105 jouée en concert au studio 105 de Radio France le 20 décembre 1975 pour un concert 'Jazz Vivant' d'André Francis', et que l'on peut écouter sur le site de l'INA ; et aussi dans une certaine mesure avec la Suite for trio enregistrée en 1978 avec N.H.O.P. et Daniel Humair. Les standards de Broadway sont traités par Solal avec sa liberté coutumière (nourrie d'une longue pratique), tandis que les 'classiques du jazz' (Joplin, Fats, Jelly Roll) sont parcourus avec une joie aussi mutine et transgressive que déférente.... Martial s'amuse, et loin de nous amuser, il nous éblouit et nous transporte dans un monde insoupçonné, voire inouï.
Ce disque, comme le volume 1, se conclut par Un Poco Loco de Bud Powell : seul doublon, et totalement justifié. Plus qu'un peu fou, c'est complètement fou. Version un peu plus longue, plus libérée encore, dans l'exposé du thème comme dans l'improvisation. Martial, qui avait entendu Powell dans sa période parisienne, qui n'était pas la meilleure, a su garder le souvenir de la grande époque de Bud (1949-1951), et comme on le fait dans le jazz quand il est vécu intensément, il a su donner une autre vie à un chef d'œuvre.
Dans le long entretien qu'il m'avait accordé en 2003 (publié en DVD accompagné d'un livre en 2005 : Martial Solal, Compositeur de l'instant, INA-Michel de Maule), le pianiste situe vers la fin des années 70 le moment où, stimulé par la rencontre de Pierre Sancan quelques années plus tôt, il se sent un pianiste accompli : «J'avais un peu plus de 50 ans, déjà, et c'est seulement à ce moment-là que j'ai senti que je devenais un pianiste, après quelques années de travail». Pourtant en 1966, et même bien avant, son aisance et sa créativité nous éblouissent. Ce disque en témoigne plus qu'éloquemment !
Xavier Prévost
À signaler la parution récente chez Frémeaux & Associés d'un enregistrement de Stan Getz dont Martial est le pianiste, en janvier 1959 aux côtés de Jimmy Gourley, Pierre Michelot et Kenny Clarke : 9 plages d'un concert à l'Olympia, et 3 plages dans les studios d'Europe N°1 («Live in Paris, 1959»). Plusieurs enregistrements de 1958 (Paris, Cannes), où Solal accompagnait déjà Getz avaient déjà été publiés sous diverses formes.
JULIAN LAGE , un ange du jazz au pays du rock’n roll
Julian Lage, sur la route de sa tournée était à Marciac le 29 Juillet pour un concert en trio à l’Astrada. Celui que la presse américaine qualifie de jeune prodige a déjà, malgré son jeune âge joué avec à peu près tout ce que le gratin du jazz compte de célébrités. Avec des yeux bleus clairs et une voix douce, le guitariste nous accueille avec une grande gentillesse pour quelques mots attrapés au sortir de ses balances…..
Les DNJ : « Heureux d’être à Marciac ? »
Julian Lage : « Absolument. C’est un festival très prestigieux et donc c’est un honneur pour moi d’y être programmé. Plusieurs amis musiciens m’en parlaient depuis longtemps »
Les DNJ : « Julian, il semble que « Morning lore » votre dernier album prend un direction assez nouvelle dans votre discographie ? »
JL : « Oui, tout à fait. Il s’agit d’une nouvelle interprétation de la musique que je voulais jouer en trio. Il s’agit du rock’n roll des premières années. Cela veut dire des morceaux très courts, très concis, très axés sur la mélodie. L’idée c’est sur une 12aine de morceaux de pouvoir les écouter et les réécouter encore. Avec peut être moins de place pour l’improvisation. Nous avons enregistré cet album très vite, juste en quelques jours mais c’était un vrai challenge ».
Les DNJ : « Mais ce n’est pas exclusivement rock’n roll …. »
JM : « Il y a un ou deux morceaux plus jazz…. »
Les DNJ : » Comme Look book ? »
JL : » Oui c’est l’un d’eux. Earth Science est le deuxième. Cela préfigure ce que je voudrais faire ensuite. Quelque chose plus axé sur la façon dont nous pourrions improviser collectivement. Mais là, pour cet album il était important pour moi de faire un album avec ce que j’avais écris moi-même, mon propre matériau »
Les DNJ : « Vous jouez énormément. A quel moment en êtes vous : au début, au milieu ou à la fin de votre tournée ? »
JL : « On arrive à la fin. »
Les DNJ : « Hier il y avait Pat Metheny qui jouait. Est il quelqu’un d’important pour vous, dans votre carrière de musicien ? »
JL : » Absolument. A l’âge de 10 ans, je jouais ses morceaux. »
Les DNJ : « Justement beaucoup de médias, parlent de vous comme d’un génie. Comment réagissez vous à cela ? »
JL : « Je ne sais pas si je le mérite et pour tout dire cela n’a pas beaucoup d’importance pour moi. J’essaie juste de m’améliorer toujours à la guitare. Je pense que ceux qui disent cela parlent plus d’eux-même que de moi. Ils ont besoin de faire de moi un « prodige » mais cela n’a aucune signification pour moi. Je continue de jouer, à essayer de progresser, exactement comme lorsque j’étais enfant »
Les DNJ : « qui vous a donné l’envie de devenir guitariste ? »
JL : « Cela m’a été naturel car mon père était lui-même guitariste.Nous avons joué ensemble. Et avec le temps il jouait moins et je jouais plus, mais il était comme un coach. C’est un super musicien et en plus visionnaire. Ma mère aussi m’a inspiré, pas comme musicienne mais dans le domaine de l’art. »
Les DNJ : « En écoutant ce dernier album, j’y ai retrouvé des sonorités à la Bill Frisell. c’est quelque chose que vous aviez en tête ? »
JL : « Pas vraiment même si j’adore Bill. Il nous est arrivé de jouer ensemble. Je trouve que nous sonnons au contraire très différemment »
Les DNJ : « Mais vous avez en commun cette façon de jouer avec les réverbérations et aussi avec les sonorités country ? »
JL : « Le point commun c’est que nous partageons le même patrimoine musical de notre pays. »
Les DNJ : « Modern Lore est il un album « américain » » ?
JL : « Très ! Mais il est surtout très lié à la musique des années 50 et 60 quand la guitare est devenue de plus en plus électrique. Des gens comme Jimmy Bryant et les guitaristes texans par exemple m’ont inspiré »
Les DNJ : « vous faites partie des rares guitaristes qui savent faire sonner en même les lignes mélodiques et les harmoniques »
JL : « Le maître entre tous, sur ce plan, c’est Jim Hall ! Pat (Metheny) et Bill ( Frisell) aussi »
Les DNJ : « Quelques mots sur vos nouveaux projets ? »
JL : « Dans l’immédiat il y a une collaboration avec John Zorn qui va être publié dans les mois à venir. Un travail avec le guitariste Gyan Riley. Nous avons déjà collaboré sur plusieurs projets, Book of Angel, Masada, aussi un travail sur Shakespeare. Il y a aussi un quelque chose plus heavy metal. Nous travaillons aussi en trio sur un nouveau projet, mais là je ne voudrais pas trop en parler maintenant »
Les DNJ : « Merci beaucoup Julian ! »
Propos recueillis par Jean-Marc Gelin le 29 juillet 2018 à l’Astrada - Marciac.
Jazz in Marciac, dimanche 29 juillet : Brad Mehldau, Dave Douglas & Joe Lovano
Mes amis, comment vous dire ? On pourrait aujourd’hui vous parler de cette belle journée dominicale sous le soleil gersois, des bulles de champagne et de l’ambiance toujours joyeuse dans les rue de Marciac. Vous parler du off et de ces belles rencontres.
Seulement voilà, ce matin encore tout le monde se réveille avec des étoiles dans les yeux et Marciac bruisse encore des échos du concert de la veille. Tout le monde ne parle que de ça. Les touristes chez mon logeur n’en revenaient pas. Marciac se réveille ce matin sous le choc de la claque reçue lors du concert du trio de Brad Mehldau, assurément l’un des plus beau concert de l’année.
Durant la journée nous avons eu la chance de capter quelques mots de Julian Lage, le guitariste prodige qui donnait un concert le soir même à l’Astrada. L’occasion de parler de son dernier album ( « Morning Lore ») et de ses projets avec John Zorn. Mais nous y reviendrons dans un autre papier. Mais le meilleur allait venir un peu plus tard sous les coups de 21h.
BRAD MEHLDAU TRIO
Etait ce parce qu’il était arrivé la veille ( tout simplement parce qu’il avait envie de prendre son temps ) ? Etait ce parce qu’il s’agissait du tout dernier concert de leur tournée (et que le trio ne se retrouvera qu’en juin 2019) ? Au final, l’un des plus beau concert de l’année en forme de claque magistrale ! Et cela n’a pas traîné. Cela n’a pas mis de temps à s’installer. Dès le premier morceau ( For David Crosby) c’est énorme. Brad est dans la place, laissant déjà le public abasourdi. Et tout le concert sera ensuite au diapason, si l’on peut dire. Au niveau des sommets ! Si Bill Evans se posait souvent la question de la place du batteur, on peut dire que Brad Mehldau a réglé le problème depuis longtemps. Avec Larry Grenadier et Jeff Balard, ils sont en emphase. En fusion d’énergie. Incroyables de densité. S’en est suivi un 2ème morceau qui n’avait pas vraiment de nom mais qu’il baptisait au micro d’Alex Dutilh, Blues in C. Morceau aux accents plus bop. Un standard de Cole Porter ensuite, I concentrate on you. Brad joue les yeux fermés, comme si ses doigts prolongeaient ses idées, surnaturellement. Suivent ensuite des compos (Greens M&Ms, Higway Rider). Puis un moment de grâce exceptionnel avec I Should care pour conclure le concert avec un moment d’apesanteur lorsque la rythmique laisse Brad se lancer dans un solo très Debussien. Le silence est total dans le public et la grâce tombe sur Marciac. Forcément une longue standing ovation. Et pour conclure un rappel en douceur avec Tenderly. Certains spectateurs désertaient ensuite le chapiteau et le 2ème concert, voulant absolument rester sur cet instant magique derrière lequel on ne peut pas rajouter grand chose.
DAVE DOUGLAS & JOE LOVANO
Ils arrivaient tout droit du festival de Lisbonne. Pas eu le temps de faire le balances. Le répertoire : celui de Sound Print et de leur tout dernier album (« Scandal ») chroniqué récemment sur les DNJ (http://lesdnj.over-blog.com/2018/05/joe-lovano-dave-douglas-sound-print-scandal.html). L’inspiration est clairement celle venant de la musique de Wayne Shooter. Dave Douglas arborait des lunettes de soleil blanches se donnant ainsi des allures de Miles. Le répertoire est riche et parfois complexe, comme l’est la musique de Shorter. Celle de « Adam’s apple » (1954) ou de « Speak no evil » (1955). Avec Dave Douglas (tp) et Joe Lovano (ts), l’inégalable Joey Baron (dms), le jeune Lawrence Fields (p) et pour remplacer Linda May Han Oh, un contrebassite aux allures de guerrier japonais, Yashuki Nakamura.
Sound Print travaille ensemble depuis plusieurs années et forcément les réflexes s’installent. Dave Douglas et Joe Lovano se répondent, s’entremêlent et contre-chantent. Le saxophoniste dans une veine shorterienne, tournant autour des harmonies et Dave Douglas, gonflé à mort, mordant dans trompette avec une brillance acérée.
L’album est passé en revue : Mission Creep, Full moon puis Juju magnifiquement arrangé par Lovano ou encore The corner Tavern aux accents plus bop. Ca joue terrible et Lawrence Fields, tout en délicatesse amène une couleur fine avec des improvisations en dentelle. Petit bémol toutefois : on sentait le quitte un peu trop en promotion de l’album. Doing the job. Et si Dave Douglas tentait d’allumer quelques mèches, le feu peinait quand même à s’installer.
Plaisir intact et toujours renouvelé. Je file en voiture, dernière ligne droite et enfin je vois le panneau d’entrée de ville et les premières affiches des sponsors officiels. Ca y est, je suis à Marciac, dans la place, heureux de retrouver la famille du jazz, les afficionados et l’ambiance toujours joyeuse et bon enfant de la petite ville du Gers.
La place du village commence à s’animer, ça sent le magret et les effluves de Plaimont nous font un peu tourner la tête à l’approche de la belle soirée qui s’annonce plutôt pas mal. Que du bon ! Ce qui nous attend ? Une première partie de luxe avec Dave Holland-Zakir Hussain-Chris Potter et une deuxième avec le quarte de Pat Metheny. Rien que ça !
C’est l’alliance du lapin et de la carpe. Celle qui va de la profusion rythmique aux volutes harmoniques.
Côté fourmillements rythmiques, c’est le trio de Dave Holland-Zakir Hussain et Chris Potter.
Les polyrythmies s’affolent sous les doigts volubiles du tablaïste Zakir Hussain qui fait office de maître de cérémonie, véritable pièce maîtresse de ce trio. Ça vibre, ça pulse et ça frémit au son des tablas (peut être un peu trop surexposées à mon goût). Là dessus Chris Potter démontre qu’il n’a rien perdu de sa filiation Rollinsienne, adepte du gros son et d’un placement rythmique hallucinant. Et pour en rajouter une couche, Dave Holland impose un son à nul autre pareil. D’une formidable rondeur et d’une profondeur qui pose les bases solides de cette musique syncrétique, entre jazz et musique du monde. Les chorus du saxophoniste qu’il soit au ténor ou au soprano impressionnent toujours autant mais celui qui fait le show c’est un peu Zakir Hussain dont les caméras du festival parviennent à capter les grands yeux d’enfant un peu halluciné. La magie est dans l’air.
Elle se poursuit ensuite avec le quartet de Pat Metheny. Aux commandes à côté de l’homme à l’éternelle marinière bleue et blanc, le Bad Hombre (*), le génie du drumming, Antonio Sanchez. La non moins géniale Linda May Han Oh est à la contrebasse. Et au piano, la gallois Gwilym Simock. En somme, les fidèles qui tournent depuis quelques temps avec Metheny, dans la configuration que les parisiens avaient vus à l’Olympia il y a un an. Le guitariste entame son concert avec son instrument étrange à plusieurs manches alliant la guitare et la mandoline ( de Linda Manzer je crois). Ça commence doucement, presque mollement, pas aidés par un son assez cotonneux au départ. Et puis, magie des concerts, ça vient, le son devient plus net et Metheny entre vraiment dans son concert. Et là ce ne sont que profusions harmoniques et mélodiques sur lesquelles le guitariste laisse traîner les notes, les caressent avec une rare subtilité. Gwilym Simeck se révèle, Linda May Han Oh prend ma musique à bras le corps et Antonio Sanchez allie les caresses et le tonnerre
Avec Metheny, comme toujours la virtuosité se dissout dans une sorte d’évidence musicale. Les lignes mélodiques restent flagrantes malgré ses déambulations harmoniques. Mais bon, cela vous le savez déjà…… La nuit sera étoilée.
Un disque très singulier, qui repose à la fois sur la qualité de la rencontre et sur les partis pris sonores et musicaux. La rencontre, c'est ce mystère de la vie d'artiste qui fit se croiser, dans l'un des groupes du bassiste britannique Barry Guy, le plus français des batteurs andalous et le trompettiste (dans d'autres contextes également contrebassiste) Percy Pursglove, qui a roulé sa bosse sur les deux rives de l'Atlantique, depuis le jazz de stricte obédience jusqu' aux formes les plus contemporaines. Dans la foulée naquit le désir de faire groupe avec le guitariste basse polonais Rafał Mazur, très impliqué dans les rencontres d'improvisateurs, en Europe et au-delà. Le parti pris sonore, c'est de croiser un son de basse électro-acoustique très très rond, une trompette très naturelle, jusque dans le grain le plus intime du timbre, et des percussions captées avec une netteté et une précision qui les installent d'emblée au cœur même du son collectif. La musique s'organise en quasi alternance de compositions de Ramon Lopez et d'improvisations collectives. Le langage prend son bien dans tous les territoires, de l'Orient à l'Espagne en passant par le jazz, les multiples visages de l'impro, et même furtivement par un certain rock qui groove, et parfois les intervalles distendus des musiques dites savantes du vingtième siècle. Avec toujours aussi un parti pris mélodique, qui se déploie dans les compositions comme dans les improvisations. On part d'un chant, et plutôt que dans les contrechants, la musique se déroule sous forme d'entrechants, un territoire de liberté où l'expressivité va prévaloir. Belle aventure, aboutie : beau moment de musique !
Une rencontre intéressante à plus d'un titre : un toujours jeune vieux routier de la contrebasse tout-terrain, et un souffleur très libre, pilier du réseau imuZZic dans la région lyonnaise (et au-delà). Et aussi deux musiciens connus pour ce mélange d'exigence musicale et d'esprit prospectif. Le terrain de jeu, c'est une sorte de jazz de chambre, des thèmes majoritairement composés par le trompettiste-bugliste, et un cheminement très ouvert, qui conduit de mélodies extrêmement chantournées, avec dialogue harmoniquement sophistiqué, jusqu'à des échanges très segmentés, occasion d'une espèce de contrepoint aussi hétérodoxe que subtil. Et constamment, chez chacun des deux interlocuteurs, un sens du chant et de la nuance qui porte en permanence le dialogue à un très haut niveau d'expression, et d'expressivité. Et l'on va repartir, d'un échange très librement improvisé (belle écoute, belle interaction) vers une plage recueillie, un hymne presque sacré pour une célébration païenne de la beauté. Puis revoilà une jazz syncopé qui se souviendrait d'Ornette Coleman sans oublier les fondamentaux. À cette danse presque libertaire va succéder la majesté d'une mélodie grave qui aura aussi ses sentiers de traverse. Et jusqu'à la fin du disque ce sera ce mélange de liberté revendiquée et d'allégeance à des formes de beauté adoubées par l'histoire. Belle réussite, vraiment, que cette connivence librement assumée dans un champ musical aussi large qu'ambitieux ; ambition pleinement réalisée.