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david-krakauer14 juillet à Porquerolles. Du haut du Fort Ste Agathe on entend Anna Carla Maza faire ses balances avec Vincent Segal . Nous surplombons la baie de porquerolles aux couleurs  bleues turquoise.

2014 3932

 

 

David Krakauer le maître New-Yorkais du jazz New-Yorkais m’accueille dans les loges et me reçois dans un français impeccable même si l’interview mêle allègrement la langue de Voltaire et celle de Shakeaspeare.

David Krakauer est à l’image de sa musique : prolixe, généreux, amoureux des choses et des mots. Il se dégage de lui un amour de l’humanité.

Avec nous il survole son nouveau projet ( Ancestral Groove), qui vient prendre la suite de son précédent groupe, Klemzmer Madness et Abraham Inc.

Il le sait, il va encore une fois enflammer son public, aujourd’hui celui de Porquerolles qui, avec le bouillonant et génial clarinettiste viendra clôturer en dansant le festival qui ce soir là avait sur scène les véritables couleurs du feu d’artifice.

 

DNJ : C'est la première fois que tu viens à Porquerolles. C'est un lieu qui tinspire ?

 

 

David Krakauer : on ne peut pas être humain sans être touché par ce lieu magnifique. Cette vue, la mer, ce château magnifique c'est superbe. Cela fait une parenthèse extraordinaire sur le chemin de mes tournées.

 

 

DNJ : Ce soir tu vas jouer ton nouveau projet Ancestral Groove, et donc bien sûr ta musique essentiellement tournée sur la musique Klezmer. Comment abordes t-on un concert comme cela par rapport à un public qui n'a pas cette culture ?

 

DK : Mon groupe s'appelle Ancestral Groove. Avant c'était Klezmer Madness mais je trouvais que cela ne reflétait pas mon projet car je ne suis pas quelqu'un qui ne joue pas de la musique klezmer traditionnelle. Bien sûr je suis inspiré par les grands maîtres comme Naftule Brandwein par exemple mais c'était des musiciens des années 20. Je ne suis pas un nostalgique. Je suis plutôt dans l'exploration de mon patrimoine dans l'exploration des émotions très fortes de mes ancestres. J'ai trouvé que "Klezmer Madness" c'était finalement trop spécifique, trop étroit. Là dedans il y a tout mon amour pour le jazz sans quil ne sagisse simplement de coller le jazz avec le Klezmer. Avec Klezmer Madness il y a toute l'histoire que nous avons écrit avec So Called autour du Klezmer en ajoutant des samples et aussi tout ce que nous avons fait avec Fred Wessley autour du funk où nous avons créé une vraie rencontre entre le monde juif et le monde afro-américain. Tout cela, comme les rencontres avec  le répertoire de John Zorn, fait partie de ma propre histoire. Les premiers albums chez Tzadik et le Radical Jewish Culture, ce sont aussi des moments fondateurs pour moi. Lorsque j'ai sorti mes 2 premiers albums de Klezmer Madness et Klezmer New-York, je les ai fait écouter à mon ami Alex Dutilh ( Producteur de Open Jazz sur France Musique et alors rédateur en Chef de Jazzman). Il m'avait proposé de les faire jouer au Festival à Amiens en 1999. J'ai joué là-bas et tout de suite j'ai commencé ma collaboration avec Label Bleu. Ma carrière en France a commencé avec ces deux premiers disques sortis chez John Zorn. ET ensuite comme tu peux le voir beaucoup de chose ont contribué à la constitution de mon propre patrimoine musical. Mais dans le projet Ancestral Groove, il ne sagit pas que de mon patrimoine mais aussi de celui de mes ancestres.

 

 

DNJ : Revenons sur cette collaboration avec Fred Wessley. A t-elle marqué un tournant dans ta façon de voir l'évolution de ta propre musique ?

 

 

 

DK : Cette rencontre est importante. Elle a commencé surtout avec ma collaboration avec So Called. J'ai rencontré p Called en 2001. C'etait  un jeune homme d'une 20 aine d'années. Il m'avait proposé d'écouter un disque qu'il avait gravé dans son sous-sol à Montréal ( "Hiphopkhasene") et je me suis dit : franchement la musique pour Pâques juive avec des boucles de hip hop, ça va pas être très très bon. Mais j'aimais beaucoup ce garçon alors j'ai écouté son disque. J'ai été ébloui et je me suis rendu compte qu'il s'agissait  d'un garçon hyper créatif, hyper novateur pour sa génération. Et pour moi qui était toujours à vouloir renouveler le Klezmer à partir d'autres formes musicales, j'ai été emballé par l'idée. Nous étions sur le même chemin. Je l'ai donc invité comme Special Guest dans mon orchestre.

Nous étions en tournée en 2004 , dans une chambre d'hôtel tard le soir à refaire le monde et à discuter de notre prochaine étape. Et c'est So Called qui a dit tout à coup : et pourquoi pas Fred Wessley ! Et cela nous a paru évident dans notre démarche de rechercher la musique de nos ancestres, chacun etant porteur d'une tradition musicale, l'un le klezmer, l'autre le hip hop et l'autre enfin la funk. Il y avait là un creuset. Chacun d'entre nous avait la volonté de fusionner nos musique et c'était la condition de base pour faire marcher "Abraham Inc.". Maintenant cela a évolué. So Called a sa propre carrière. Mais Ancestral Groove c'etait un peu la synthèse du monde de David Krakauer.

 

Les DNJ : Pourquoi un autre groupe ?

 

DK : Michael Sarin (dms), Sheryl Bailey (g) ont joué déjà avec moi pendant plus de 10 ans. Aussi Jérome Harris ( b) pendant 7 ou 8 ans. Et Keepalive (sample) je le connais aussi depuis longtemps. Donc ce sont des musiciens avec qui je m'entend très bien. Il y a toujours sur scène des choses différentes qui peuvent se produire parce qu'il y a cette manière de jouer ensemble qui fait que l'on se sent très bien. Je tiens beaucoup à cette fusion entre nous.

 

Les DNJ : Il y a un rapport étroit entre ton jazz et les jeunes. Dans le monde du jazz ce n'est pas si fréquent. On est frappé de voir qu'à tes concerts les jeunes envahissent l'avant-scène pour danser. Est ce que l'ouverture du jazz aux jeunes ne passe pas par la danse finalement ?

 

DK : Oui absolument ! Quand j'ai commencé la musique Klezmer je me suis dit que c'était une opportunité de jouer une musique qui se danse. Mais avant lorsque l'on jouait la musique Klezmer on disait quil fallait la danser comme elle était dansée en Europe de l'Est avant la guerre, quil fallait des professeurs pour cela etc.... C'est devenu une sorte de musée dont je ne voulait pas. C'est en ajoutant les boucles, les samples que les jeunes ont pu s'y retrouver dans une forme de musique à danser plus contemporaine.

 

Les DNJ : Mais cette façon de faire danser le public, cela veut dire qu'il faut de la part des musiciens beaucoup de générosité.

 

DK : effectivement il faut être généreux. Encore une fois le jazz, le klezmer sont des musiques vivantes qui ne peuvent pas devenir des musées. On dit que Charlie Parker écrivait pour la danse. On dit aussi que le Be-bop était une musique cérébrale. Mais non ! Cela venait, du swing, de la grande tradition du jazz à danser. Lorsque je mets Giant Steps chez moi, je danse chaque fois, parce que tout simplement cela groove. Et donc Ancestral Groove cela parle bien sûr des ancestres mais cela parle aussi du groove.

 

Les DNJ : mais s'agissant de toi, ne vaut t-il pas mieux parler de ton patrimoine que de tes ancestres. Les références au jazz, sont quand même à la base non ?

 

DK : Oui mais je me défini pas seulement comme juif mais aussi comme américain. Lorsque j'écoute les vieux disques des années 20, il y a un groove terrible là dedans ! Et quand j'écoute le klezmer un peu reconstruit dans les enresgitrements actuels, je trouve cela vraiment très aride. Cest pourquoi jy mêle tout ce qui fait mon identité musicale de juif américain.

 

Les DNJ : Est ce qu'il n'y a pas dans la musique Klezmer le même risque de voir cette musique prendre le chemin du jazz manouche, c'est à dire une sorte de fossilisation ?

Finalement n'est ce pas l'esprit de John Zorn qui a évité à cette musique le risque de se figer ?

 

DK : Oui ce risque existe évidemment. Pour ma part j'ai vraiment rencontré John Zorn en 1992. J'étais déjà confirmé comme musicien mais je n'avais pas beaucoup écouté sa musique avant. Mais il faut dire, et Zorn sera daccord là-dessus que ce n'est pas lui qui a inventé le Radical Jewish Culture. Cela existait avant avec les Klezmatics, Don Byron

et tout ce qui se passait à la Knitting Factory à New-York. Mais le génie de John Zorn a été d'encadrer ce mouvement, de créer un label, de lui trouver un titre et surtout de créer un répertoire avec Masada. Et nous sommes tous reconnaissants à John Zorn de tout le travail qu'il a fait autour du Radical Jewish Culture même s'il n'en est pas l'inventeur.

Ce mouvement c'était aussi la fin des années 80, la Perestroïka, la chute du mur de Berlin, l'arrivée des écrivains d'Europe de l'Est comme Kundera. C'était toute une tendance culturelle d'ouverture de l'Europe de l'Est qui s'est déversée à New-York. Mais John Zorn au commencement des années 90 a compris cela et a pu donner une identité à ce mouvement.

Pour ma part celui qui m'a le plus influencé à aller dans cette voie c'était Antony Coleman. Nous étions copains de lycée tu sais. Son esprit d'avant-garde m'a toujours plu. C'est cela qui m'a incité à écouter Zorn dans les années 80. C'était très très undergournd. J'ai vraiment été intéressé lorsque j'ai vu Cobra pour la première fois ( le groupe de Zorn créé dans le milieu des années 80) mais ce n'était pas réellement une influence.

 

 

Les DNJ : Comment ta musique est elle accueillie aux Etats-Unis

 

DK : Elle ne rencontre pas beaucoup d'audience. C'est la même histoire que beaucoup de musiciens de jazz qui viennent en Europe pour être reconnus. Mais je  j'ai des projets aujourd'hui et notamment the Big Picture qui commencent  avoir un certain écho là-bas.

C'est un projet qui prend la musique des films " iconiques" mais chaque film connu comme Cabaret etc... mais avec pour tous les films une connexion avec le judaïsme. Cela commence donc avec Cabaret et cela fini avec le Violoniste sur le toit. D'autres films parlent de la Shoah, du Choix de Sophie,The Pianist, la musique qui vient de Woody Allen. Quil sagisse de films juifs ou des films à sensibilité juive. C'est quelque chose qui intéresse vraiment le public américain.

 

 

 

 

DNJ : Nous venons d'apprendre la mort de Charlie Haden. Tu as déjà joué avec lui ?

 

 

DK : Non jamais et je ne l'ai jamais rencontré.Mais bien sûr cela me rend triste. Dans le début des années 70 lorsque j'étais tout juste adolescent ( David Krakauer est né en 1956) j'ai commencé à entendre parler de la mort des grandes légendes du jazz. Cela revanait comme une scansion. J'ai vu Duke Ellington plusieurs fois, j'ai vu Charles Mingus au Five Spot, j'ai vu Monk aussi dans les années 70. La mort de Coleman Hawkins ou celle de Johny Hodges m'avaient réellement beaucoup affecté. Je suis allé aux funérailles de Duke Ellington. Ce jour là je suis allé sur le toit de mon immeuble et j'ai joué en solo un morceau de Duke. J'ai vécu toutes ces disparitions bien tristement et aujourd'hui je les  vis comment la fin d'une grand ère du jazz de musiciens réellement libres.

 

DNJ : Johny Hodges, c'est une vraie influence pour toi ?

 

DK : Oui absolument. mais aussi et surtout Syndey Bechet. Quand j'avais 11 ans j'ai entendu deux notes de Bechet et je suis immédiatement tombé amoureux de ça. Ma mère etait viloniste et j'étais donc entourré de musique chez moi. Mais à 11 ans en entendant Bechet j'ai eu la révélation que je voulais devenir un musicien professionnel. Ce n'est pas simplement le fait de jouer de la musique. Tu sais ma mère etait une grande musicienne, elle avait un son magnifique. Mais c'etait ma mère et elle jouait sa musique, de la musique classique. J'aurai pu faire carrière dans la musique classique mais cela me semblait trop distant. Mais lorsque j'ai entenu bechet, cela m'a tout de suite semblé comme quelque chose de si naturel, comme respirer. Pas quelque chose de travaillé et d'académique. Un

peu comme une voix humaine qui me racontait une histoire. Alors j'ai déroulé le fil. J'ai commencé à ecouter cette musique, Bechet et les autres, Charlie Parker, Kenny Clarke. Et forcément Coltrane si l'on tient compte de l'influence que Bechet a eu sur le jeu de Coltrane au soprano.

 

 

DNJ : l'autre jour je réécoutais un morceau de Tommy Ladnier ( Mapple Leaf Rag) et j'ai réentendu le solo de Bechet. J'ai trouvé cela stupéfiant !

 

 

 

 

DK : Personne n'ai jamais joué comme Bechet sur Mapple Leaf rag. Mais tu

sais, ces enregistrements de 1932 font  partie des plus grands enregistrements jamais réalisé. Ces sessions  des New Orleans Feetwarmers avec Bechet, Ladnier, Wilson Myers, Hank Ducan et Teddy Nixon sont des monuments inégalés. Cette puissance ! Bechet parlait de Scott Joplin des années avant The Entertainer, il disait " pourquoi pas jouer Scott Joplin. En fait Sydney Bechet c'est mon professeur que je n'ai jamais rencontré. Quand à Hodges, c'est lorsque j'ai écouté son solo au soprano sur Dear Old Southland que j'ai compris qu'il allait devenir l'un de mes Dieux.

 

Interview David Krakauer réalisée par Jean-Marc GELIN le 14 juillet 2014 dans le cadre de Jazz à Porquerolles

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