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Frédéric MARTEL

Flammarion, 460p., 22,50euros

 

mainstreamQuel est l’état de la culture et de la diffusion des contenus dans le Monde et quels sont les modèles dominants ?  quel est l’avenir de ces modèles dans un monde global où les flux circulent plus facilement et où internet bouleverse la donne, voilà le constat que Frédéric Martel ambitionne de réaliser au travers de cette magistrale enquête qui a mené le journaliste aux quatre coins du monde à la rencontre de tous les grands décideurs en matière de culture. 30 pays visités et plus de 1200 personnes interviewées dans le monde !

 

A priori, rien de très nouveau dans cette étude. Le constat de départ est sans appel en tout cas dans sa présentation un peu tronquée des chiffres : les Etats-Unis diffusent 50% du contenu culturel dans le monde avec une balance commerciale très largement excédentaire. Rien de très nouveau sous le soleil pourrait-on dire. La Culture mainstream vient de là-bas c’est toujours une évidence incontournable et se diffuse dans le monde entier grâce au savoir faire des américains, à leur puissance financière mais aussi à la maîtrise impressionnante de tous le processus « créatif » qui ne peut se résumer aux seuls blockbusters et autre produits hypermarkétés. Les studios d’Hollywood continuent d’inonder le monde avec des films à la stratégie marketing de supermarché mais les « agences de talent » où se font désormais les contenus de demain ouvrent la voie à des processus créatifs plus audacieux et laissent libre cours à un grand nombre de producteurs et d’artistes indépendants. Tout l’art du savoir faire américain est ainsi de pouvoir rendre à peu près tout mainstream.

 

Mais Frédéric Martel, qui nous avait livré une intéressante étude sur la culture en Amérique («  de la culture en Amérique » - Gallimard, dont « Mainstream » reprend une grande partie de l’analyse),  nous montre surtout un monde culturel bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Les pays émergents prennent désormais une place locale très importante dans la diffusion des contenus avec ses propres vecteurs de diffusion, ses canaux et des moyens de plus en plus considérables. Les marchés de dupes qui ont eu, en Chine, raison de la patience des majors américains n’empêchent toutefois pas la majorité de la population chinoise à aspirer à cette culture fondamentalement américaine.  Mais le monde si Mainstream il y a, cette culture dominante prend aussi différentes formes adaptées aux contextes régionaux. Sans parler de l’énorme production Bollywoodienne, des modèles apparaissent ici où là avec des lieux de diffusion de contenus adaptés, véritables enjeux de pouvoirs mondialisés. Des chaînes de télé comme Al Jezeera par exemple, des trusts comme Rotana prenennt la main sur cette diffusion culturelle. Mais l’image d’une télévision panarabe totalement islamisée ne tient pas à l’épreuve de la réalité et de la diffusion des contenus est bien plus ambiguë qu’il n’y paraît dans un subtil équilibre entre culture islamique et « américanisation » de la société.

Reste que ces énormes multinationales culturelles qui émergent partout dans le monde, en Chine, en Inde, au Brésil ou dans les pays Arabes, avec des moyens absolument colossaux, s’ils parviennent à laisser émerger une contre-culture mainstream adapté aux cultures régionales, ne sont pas parvenues aujourd’hui à diffuser au delà. S’il existe bien une culture panarabe ou pan asiatique, ces cultures « mainstream » ne sont toutefois pas parvenues à imposer un modèle culturel mondialisé.

 

L’émergence de nouvelles formes de culture tout aussi mainstream, la délocalisation des savoir-faire et l’émergence de blocs régionaux et surtout l’interaction entre les studios d’Hollywood et le reste du monde rendent la lecture de ce gigantesque réseau bien plus complexe qu’il n’y paraît.  Où l’on voit que «  l’entertainment américain est souvent produit par des multinationales européennes, japonaises ou indiennes, alors même que les cultures locales sont de plus en plus souvent coproduites par Hollywood. Quant aux pays émergents ils entendent exister dans ces échanges et concurrencer l’empire   ».

Frédéric Martel a réalisé là un travail considérable d’interviews de tous les décideurs mondiaux en matière de culture. Qu’ils viennent de New Delhi, de Mexico City, de Syrie, de Ryad ou de Beijing, ils parlent plus ou moins librement. Leur vision de la diffusion culturelle est à la fois celle de réels chefs d’entreprise mais aussi empreinte de la conscience aigue de leur rôle politique dans un monde en mutation. Monde complexe où les aspirations de chacun se globalisent autant qu’elles se nourrissent de forts particularismes locaux. La lecture de l’ouvrage de Frédéric Martel, si elle ouvre des portes ouvertes nous montre cependant tous les corridors qui y mènent et nous permet de casser bon nombre d’idées préconçues et de préjugés sur un monde en profonde mutation.

A lire absolument.

Jean-marc Gelin

 

 

 

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