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Yolk 2009

Matthieu Donarier ( saxophones), Mznu Codjia (g), Joe Quitzke (dm)




Matthieu Donarier signe avec son trio habituel, son deuxième album après, « Optitopic » largement salué par la presse en 2004. Ce nouvel opus en « live » à Saint Nazaire et à Angers témoigne à nouveau de la très forte intimité entre ces trois musiciens habitués à jouer ensemble depuis leurs années d’école et de CNSM. C’est avec eux que Matthieu Donarier, que l’on connaît dans d’autres collectifs ( avec Daniel Humair, Alban Darche ou Patrice Caratini) se révèle à la fois comme un saxophoniste total mais aussi superbe compositeur.

Pour Matthieu Donarier, grand dévoreur depuis l’enfance de musiques de toutes sortes, tout est prétexte au jeu (aux jeux) et aux détournements. Il peut aussi bien s’agir d’une musique inspirée du jazz New-Yorkais, de chansons françaises de Charles Trenet (Il pleut dans ma chambre) à Georges Brassens ou encore des gnosiennes de Satie, Matthieu Donarier peut tout faire avec tout. Adversaire de toute linéarité et adepte d’une musique à tiroirs et à surprises, tout lui est prétexte à la construction de larges espaces d’improvisation. Où l’on entend le travail de Donarier sur les tensions harmoniques (Abrakadabra), sur les lignes mélodiques (Au refuge) et les atonalités. Prenons l’exemple de Brassens. On a beau dire qu’il est l’un des chansonniers le plus « jazz » de la chanson française,  on sait pourtant combien il est périlleux de s’y aventurer et les expériences passées ont souvent été désastreuses  (pour preuve les essais pas très concluants de Moustache dans les années 80). Pourtant, sous la plume du jeune saxophoniste, l’entreprise fait preuve d’autant de malice que d’humour, ainsi qu’en témoigne  Le Roi des cons pris sur un fond reggae ou Le temps ne fait rien à l’affaire sur un arrière-goût de mambo, s’émancipant toujours de la simple mélodie pour les emmener bien ailleurs, sur son propre terrain de jeu. Quand aux thèmes composés par Donarier (comme Abrakadabra) ils laissent émerger l’entente parfaite du trio et un Manu Codjia toujours brillant (écouter leur complémentarité sur Novosibirsk) . Leur entente fusionnelle porte  à la fois sur le jeu mais aussi sur l’alliage des sons.

Mais au-delà du travail compositionnel, c’est Matthieu Donarier lui-même qui impressionne. Matthieu Donarier qui se révèle être un immense saxophoniste, de l’étoffe des plus grands. Dès l’entame de l’album, c’est le surgissement d’un « son » d’une rare amplitude, toujours avec une immense maîtrise de soi et sans aucune exubérance. Pas étonnant que Stéphane Kerecki  l’ait associé récemment à Tony Malaby, ils se ressemblent tellement. Dans l’un où l’autre cas, la passion du « son » qu’il soit dans l’hyper grave ou dans l’hyper aigu (underwater scene), lyrique ou posé, fougueux ou évanescent. Un self contrôle incandescent. On pourrait penser à Donny Mc Caslin ou à Dave Binney autres révélateurs d’une école moderne du saxophone si Donarier ne s’obstinait surtout à se classer d’abord…. parmi les inclassables, impossible à enfermer dans une expression saxophonistique stéréotypée. Donarier que l’on sait par ailleurs immense clarinettiste (il a commencé l’instrument à l’âge de 5 ans !), montre au ténor un éventail de talents impressionnant : une sensualité du phrasé, un son projeté et puissant, un vibrato parfaitement maîtrisé. Il peut alors passer alors avec aisance du son le plus suave aux fluidités boisées d’un Art Pepper. Un ténor au velouté Lesterien qui se travestirait en se revêtant des voilages légers d’un alto. 

Ce que nous entendons là provient d’une expression profonde. De l’indicible des grands saxophonistes qui ont depuis longtemps remplacé les mots par une autre émergence d’eux-mêmes. S’agissant de Matthieu Donarier ce n’est certes pas une révélation. C’est juste la confirmation d’un immense talent.

Jean-Marc Gelin

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