Géraldine Laurent (saxophone alto), Paul Lay (piano), Yoni Zelnik (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie)
Villetaneuse, mars 2015
Gazebo GAZ 123 / L'Autre distribution
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ATTENTION : ESPRIT LIBRE !
Ce qui frappe chez Géraldine Laurent, dès l'abord, c'est la liberté : de ton, d'inspiration, de style, de choix. Esprit libre, elle se fie à sa réflexion autant qu'à son instinct, et choisit d'échapper aux enfermements stylistiques. Elle aime Rollins, même si elle joue de l'alto ; elle aime le jazz de stricte obédience (un contrebassiste « à l'ancienne », qui joue sans ampli ni cellule) mais dans ce jazz elle joue in and out, dans les harmonies et en dehors, franchissant les balustrades du possible en tout sens (en cela, elle est magnifiquement aidée par un pianiste saute-frontières qui ne possède les codes que pour mieux les transgresser) ; elle aime le lyrisme, et sait aussi concocter des rythmes vertigineux. Avec elle, la musique semble un jeu infini dans lequel on s'engage, sérieusement, mais sans affectation introspective : la réflexion est indissociable de l'action, la pensée se meut à chaque mesure, dans chaque intonation, dans chaque accent. Suivons le fil de l'album : Odd Folk, comme un emblème de singularité, et un découpage rythmique qui défie le confort. Puis le tempo s'affaire, et ce devrait être l'enfer, mais les diablotins qui l'accompagnent ont compris que les démons sont aussi des anges déchus, et que l'enfer est une des formes du paradis, l'Eden de la cursivité poussée à la limite de l'équilibre. Vient une valse mélancolique, avec un choix d'accents et d'accords qui rappelle For Tomorrow, de McCoy Tyner (et le solo de piano paraît avoir le souvenir de McCoy). Mélancolique encore, la ballade qui vient, ode à la ville d'origine, chorus tout en volutes irisées, qui saisit à chaque phrase la lumière de l'instant. Et l'on file à nouveau, cursif toujours, car c'est du jazz, et le vertige est au terme de chaque nouvel élan. Rien ne manque à ce disque : compositions vraiment originales, standard magnifié (Chora Coraçao de Tom Jobim), classiques du jazz réinventés (Epistrophy, joué un demi-ton plus haut, pour échapper peut-être aux automatismes qu'impliquerait le maintien dans la tonalité d'origine....). Dans cette reprise de Thelonious Monk (exercice périlleux entre tous !) Paul Lay donne la pleine mesure de son considérable talent : ne pas mimer Monk, tout en respectant infiniment son esprit. Et pour clore l'album, Géraldine Laurent a choisi Goodbye Porkpie Hat : l'hommage de Mingus à Lester Young porté en quatre petites minutes à son exact degré d'incandescence expressive et rêveuse. Géraldine Laurent est décidément une grande musicienne, excellemment entourée, et ce disque une grande réussite, jusque dans son parti pris sonore : respect des timbres, équilibre des instruments pour faire entendre UN groupe, refus des artifices.... On y voit la marque du pianiste Laurent de Wilde, qui l'a produit pour son label Gazebo, et à son complice en matière de son, Dominique Poutet (partenaire des aventures électro de Laurent sous le nom d'Otisto 21, preuve que les choix sonores ne sont ni univoques, ni exclusifs).
Et en guise de coda, je m'en remets à la conclusion de Noëlle Châtelet, essayiste et romancière, sur le livret du cd : « Géraldine Laurent, au saxophone, nous fait cadeau de ce chant de l'urgence. Elle a raison. Il lui est nécessaire. À nous aussi ».
Xavier Prévost
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Le groupe se produira le 2 novembre à Paris au Duc des Lombards, le 22 janvier au Chorus de Lausanne, et le 23 janvier à la Maison de la Radio pour un concert « Jazz sur le vif »
Sur Youtube, un reportage sur l'enregistrement, et un entretien avec Pascal Anquetil