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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 12:23
GÉRALDINE LAURENT « At Work »

Géraldine Laurent (saxophone alto), Paul Lay (piano), Yoni Zelnik (contrebasse), Donald Kontomanou (batterie)

Villetaneuse, mars 2015

Gazebo GAZ 123 / L'Autre distribution

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ATTENTION : ESPRIT LIBRE !

Ce qui frappe chez Géraldine Laurent, dès l'abord, c'est la liberté : de ton, d'inspiration, de style, de choix. Esprit libre, elle se fie à sa réflexion autant qu'à son instinct, et choisit d'échapper aux enfermements stylistiques. Elle aime Rollins, même si elle joue de l'alto ; elle aime le jazz de stricte obédience (un contrebassiste « à l'ancienne », qui joue sans ampli ni cellule) mais dans ce jazz elle joue in and out, dans les harmonies et en dehors, franchissant les balustrades du possible en tout sens (en cela, elle est magnifiquement aidée par un pianiste saute-frontières qui ne possède les codes que pour mieux les transgresser) ; elle aime le lyrisme, et sait aussi concocter des rythmes vertigineux. Avec elle, la musique semble un jeu infini dans lequel on s'engage, sérieusement, mais sans affectation introspective : la réflexion est indissociable de l'action, la pensée se meut à chaque mesure, dans chaque intonation, dans chaque accent. Suivons le fil de l'album : Odd Folk, comme un emblème de singularité, et un découpage rythmique qui défie le confort. Puis le tempo s'affaire, et ce devrait être l'enfer, mais les diablotins qui l'accompagnent ont compris que les démons sont aussi des anges déchus, et que l'enfer est une des formes du paradis, l'Eden de la cursivité poussée à la limite de l'équilibre. Vient une valse mélancolique, avec un choix d'accents et d'accords qui rappelle For Tomorrow, de McCoy Tyner (et le solo de piano paraît avoir le souvenir de McCoy). Mélancolique encore, la ballade qui vient, ode à la ville d'origine, chorus tout en volutes irisées, qui saisit à chaque phrase la lumière de l'instant. Et l'on file à nouveau, cursif toujours, car c'est du jazz, et le vertige est au terme de chaque nouvel élan. Rien ne manque à ce disque : compositions vraiment originales, standard magnifié (Chora Coraçao de Tom Jobim), classiques du jazz réinventés (Epistrophy, joué un demi-ton plus haut, pour échapper peut-être aux automatismes qu'impliquerait le maintien dans la tonalité d'origine....). Dans cette reprise de Thelonious Monk (exercice périlleux entre tous !) Paul Lay donne la pleine mesure de son considérable talent : ne pas mimer Monk, tout en respectant infiniment son esprit. Et pour clore l'album, Géraldine Laurent a choisi Goodbye Porkpie Hat : l'hommage de Mingus à Lester Young porté en quatre petites minutes à son exact degré d'incandescence expressive et rêveuse. Géraldine Laurent est décidément une grande musicienne, excellemment entourée, et ce disque une grande réussite, jusque dans son parti pris sonore : respect des timbres, équilibre des instruments pour faire entendre UN groupe, refus des artifices.... On y voit la marque du pianiste Laurent de Wilde, qui l'a produit pour son label Gazebo, et à son complice en matière de son, Dominique Poutet (partenaire des aventures électro de Laurent sous le nom d'Otisto 21, preuve que les choix sonores ne sont ni univoques, ni exclusifs).

Et en guise de coda, je m'en remets à la conclusion de Noëlle Châtelet, essayiste et romancière, sur le livret du cd : « Géraldine Laurent, au saxophone, nous fait cadeau de ce chant de l'urgence. Elle a raison. Il lui est nécessaire. À nous aussi ».

Xavier Prévost

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Le groupe se produira le 2 novembre à Paris au Duc des Lombards, le 22 janvier au Chorus de Lausanne, et le 23 janvier à la Maison de la Radio pour un concert « Jazz sur le vif »

Sur Youtube, un reportage sur l'enregistrement, et un entretien avec Pascal Anquetil

https://www.youtube.com/watch?v=GBDisTGlDeE

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26 octobre 2015 1 26 /10 /octobre /2015 10:32
ARNAULT CUISINIER « Anima »

Arnault Cuisinier (contrebasse, composition), Jean-Charles Richard (saxophone soprano), Guillaume de Chassy (piano), Fabrice Moreau (batterie)

Malakoff, janvier 2015

Mélisse MEL666018 /Harmonia Mundi

Sur la première plage, dans une valse hyper expressive pleine de modulations, le saxophone soprano et le piano se jouent de ce parcours périlleux entre les accords, et la contrebasse dialogue, en une sorte de contrepoint rythmique et harmonique ; quant à la batterie, elle participe à cette joute amicale, combat de lignes antagonistes d'où surgit le sens et l'authenticité de l'objet musical. Toute prudence gardée en matière d'analogie, c'est un peu comme le conflit d'intelligence qui anime les mains droite et gauche de Glenn Gould quand il joue Bach. Et c'est cette profonde acuité musicale qui préserve cette musique, dans son caractère émotionnel, de toute sucrosité. Au delà des qualités instrumentales et musicales de chacun des membres du groupe, et de leur indiscutable vision esthétique, on se dit que ce n'est pas un hasard si le CD est produit par le pianiste Edouard Ferlet sur son propre label, et qu'il en assure la direction artistique. Il sait, comme les membres du quartette, que l'exigence musicale et l'intensité expressive se retrouvent quand on tutoie les sommets. Et cela se poursuit, de thème en thème : le lyrisme du deuxième, les rythmes segmentés du suivant, avec ici un tropisme hispanisant, façon Olé ! De Coltrane, obédience Dave Liebman.... Puis ce seront des accords mystiques,, avec un paysage en forme de sonate : dans cette tentative de décrire chaque plage, je mesure l'impuissance du langage à restituer la puissance d'évocation de la musique, et de la plage 9, Persona, je dirai simplement que c'est beau comme du Schubert.... Vous l'aurez compris, ce disque m'a enthousiasmé, notamment parce que le leader ne cherche pas à faire un disque de bassiste, mais fait un magnifique CD de compositeur- metteur en scène des talents qui l'entourent, une œuvre de groupe. Précipitez vous !

Xavier Prévost

Le quartette jouera le mardi 27 octobre à Paris au Sunside

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20 octobre 2015 2 20 /10 /octobre /2015 16:29
JEAN-MARC PADOVANI « Motian in Motion »

Jean-Marc Padovani (saxophones ténor & soprano), Didier Malherbe (doudouk), Paul Brousseau (piano, piano électrique), Claude Tchamitchian (contrebasse), Ramon Lopez (batterie, tablas)

Villetaneuse, 8-10 décembre 2014

Naïve NJ 625671, avec le concours de MFA, Musique Française d'Aujourd'hui

D'entrée de jeu, pour évoquer les racines arméniennes de Paul Motian, la parole est donnée au doudouk, présent sur la moitié de plages, et joué en praticien aguerri par Didier Malherbe. C'est ensuite The Sunflower, un thème enregistré pour la première fois par Motian en 1979 (« Le Voyage »), où l'on retrouve une bonne part du lyrisme déchiré de la version princeps, et une exaltation de cette construction si typique du batteur-compositeur, que l'on pourrait dire « en procession dissymétrique ». L'une des forces de ce disque en Hommage à Paul Motian, c'est de n'être pas allé systématiquement vers ses compositions les plus connues (Le Voyage, Dance....), mais de picorer au fil du répertoire des œuvres du même intérêt, mais de moindre notoriété. Jean-Marc Padovani est totalement en phase avec cet univers, où se mêlent le jazz de stricte obédience de l'après guerre (Shakalaka et ses multiples breaks : à sa manière, Motian était un enfant du bebop) et la liberté du free et de ses prolongements (prolongements dont le compositeur-batteur fut un acteur). Paul Brousseau, au piano comme au piano électrique, épouse les contours de ces paysages sonores ; Ramon Lopez est au diapason de ces univers contrastés, auxquels il procure avec pertinence des accents très libres (quand on joue dans un hommage à Motian, c'est une qualité indispensable !) ; et, convié dans les morceaux qui requièrent la couleur instrumentale du doudouk, instrument arménien à anche double, Didier Malherbe sert exactement cette musique, en lui apportant les prolongements improvisés les plus idoines. C'est un musicien lié à l'Arménie, comme Motian, qui tient la contrebasse : Claude Tchamitchian est ici en terre de connaissance, et à la fin du brillant solo de contrebasse de It Is, après avoir éloquemment joué en pizzicato, il se saisit de l'archet pour ouvrir l'écrin où vont se lover les ornementations du doudouk. Quant au saxophoniste-leader, qui avait joué naguère avec Motian, il est totalement engagé dans la musique qu'il a choisi de servir, et de célébrer, exact de bout en bout, tout en laissant à ses partenaires l'espace requis par une conception ouverte et démocratique de cette musique. Pas de doute, même s'il nous a quittés en 2011, Paul Motian est toujours vivant, car il est en mouvement, comme le titre du disque l'indique.

Xavier Prévost

Le groupe est en concert à Paris, à La Chapelle des Lombards, rue de Lappe, du 20 au 22 octobre, à 19h30. Et il sera le 7 novembre à Nevers pour le festival « D'Jazz ».

Une présentation sur Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=EHM8UPsZzc0

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17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 10:22

A quelques jours d’intervalles sortent dans les bacs deux albums de guitaristes particulièrement inspirés. Celui du guitariste israélien Gilad Hekselman et celui du français Romain Pilon.

Tous les deux ont en commun d’avoir longtemps arpenté les clubs de jazz de New-York où ils élirent domicile, s’imprégnant de cette culture de ce jazz raffiné sur lequel Kurt Rosenwinkel laissa son empreinte. Tous les deux se sont frottés aux plus grandes pointures du jazz de Big Apple jusqu’à se fondre totalement dans le paysage de ce jazz modernisé.

Et si l’on retrouve chez les deux garçons le même terreau, qui passe autant par la mapitrise des grands standards que par les flottements harmoniques de Jim Hall, tous les deux affirment une personnalité bien différente.

Gilad Hekselman : « Homes »

Jazz Village 2015

Gilad Heksleman (g), Joe Martin (cb), Marcus Gilmore (dms)

Des cordes très sensibles : deux guitaristes d’exception, Romain Pilon et Gilad Hekselman

A 32 ans, Gilad Hekselman signe ici un nouvel album avec deux compagnons de route rencontrés de l’autre côté de l’atlantique, le superbe bassiste Joe Martin et le batteur Marcus Gilmore qui appris jadis les rudiments des baguettes avec son illustre grand-père, le légendaire Roy Haynes.

Gilad joue avec en background une vraie référence à Pat Metheny. Dans le son tout d’abord mais aussi dans sa façon de tourner autour des lignes mélodiques. Assez diversifié dans les compos qu’apportent le guitariste, «  Homes » s’écrit et s’entend au pluriel d’inspirations musicales multiples allant des espaces minimalistes à la profusion be boppienne d’un standard comme Parisian Thouroughfare de Bud Powell. Le trio fonctionne à merveille, en pleine communion musicale et les deux compagnons du guitariste lui offrent véritablement un écrin rythmique à sa dimension.

Raffiné et élégant, Gilad Hekselman  s’impose de plus en plus comme l’un des références de la six cordes, maître dans la souplesse et dans la sensibilité de l’improvisation terriblement et irrésistiblement cool.

 

 

Romain Pilon : «  The Magic eyes »

Jazz & People 2015

Romain Pilon (g), Walter Smith III (ts), Ben Wendel (ts), Yoni Zelnik (cb), Fred Pasqua (dms)

Des cordes très sensibles : deux guitaristes d’exception, Romain Pilon et Gilad Hekselman

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Romain Pilon lui, dispute à Gilad cette sensibilité douce mais la joue plus discret, moins exposé. C'est surtout en maître de cérémonie qu'il officie apportant ses compositions magnifiques et surtout en mettant ses partenaires flamboyants en situation d'un jeu exalté. Romain Pilon adore jouer avec des saxophonistes. On se souvient qu’il partagea longtemps la scène à New-York ou Paris avec le ténor David Prez. Il est aussi le co-fondateur du Paris Jazz Underground, collectif parisien de jazzmen amoureux de ce jazz New-yorkais qui porte aujourd’hui une très forte identité bien au-delà de big apple. Ici c’est avec deux très grosses pointures qu’il s’associe. Walter Smith III que l’on adore ici, est notamment un des piliers du groupe d’Ambrose Akinmusire alors que Ben Wendel brille avec le groupe Kneebody.

Romain Pilon, moins soliste que véritable metteur en scène et en espace, organise son monde autour de ses compositions très powerful. Le groupe monte en incandescence, offrant des plages d’héroïsme au groove funky où le lyrisme des deux saxophonistes emporte tout comme sur Triptuch par exemple qui atteint des sommets de lave en fusion d’une rare expressivité.  Il faut dire que l’association de ces deux nouveaux maîtres du ténor est un coup de génie qui fonctionne à merveille. Il faut les entendre sur ce presque boppien Tumbleweeds pour se convaincre qu’il se passe vraiment quelque chose de rare dans cet album.

Romain Pilon joue sur tous les formats que lui permet cette formation en quintet. Toujours, il apporte une rare sensibilité et une intelligence musicale qui  l’amène à explorer registres très intenses comme cet Oxygence Choice où l’on sent chez lui des propensions à flirter avec l’univers de Wayne Shorter ou de celui de Jim Hall sur Jumping at Shadows tout en subtilité aérienne et encore sur cette compo d’Ellington, Fleurette Africaine amenée sur un territoire différent de celui que l’on connaît, totalement réinventé et mis en lumière tamisée.

Là encore chez Romain Pilon un  travail d’orfèvre et au final une très belle réussite à découvrir absolument.

 

Jean-Marc Gelin

 

 

 

Gilad Hekselman sera en concert à Paris du 26 au 28 novembre au Duc des Lombars

Et

Le 3 decembre à Marseille au cri du Port

 

 

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7 octobre 2015 3 07 /10 /octobre /2015 16:24
ANDY EMLER MegaOctet « Obsession 3 »

Philippe Sellam & Guillaume Orti (saxophone alto), Laurent Dehors (saxophone ténor), François Thuillier (tuba), Laurent Blondiau (trompette), François Verly (percussions), Éric Échampard (batterie), Claude Tchamitchain (contrebasse), Andy Emler (piano, composition, direction)

Pernes-les-Fontaines, 16 & 17 décembre 2014

Label La Buissonne RJAL 397024 / Harmonia Mundi

L'histoire commence par un malentendu : la radio de Cologne (WDR : Westdeutscher Rundfunk) promet à Andy Emler une commande ; le compositeur-pianiste propose un concerto pour trio de jazz et orchestre symphonique, mais quand la chose se concrétise, c'est une commande pour le MegaOctet, et pour le festival de la WDR à Gütersloh, en Rhénanie du Nord-Westphalie. Qu'à cela ne tienne : le concerto a fini par voir le jour en juin 2015 avec l'Orchestre National de Lille, et Andy s'est mis au travail sur la partition d'Obsession 3, créée le 2 février 2014 au festival de jazz de la WDR. Après avoir, pour le disque précédent « E Total », pris le parti de ne composer que des pièces en tonalité de Mi (E, selon le code où chaque tonalité est abrégée par une lettre), il choisit cette fois de s'astreindre au rythme à trois temps. Pas beaucoup de valses ici, mais trois temps malmenés, subvertis, sublimés.... et souvent dévoyés dans leurs multiples (6, 12....). On est ici exactement dans tout ce qui constitue l'univers d'Andy Emler, toujours reconnaissable, mais jamais redondant, d'un disque à l'autre, d'une composition à une autre. Parmi les fondamentaux, l'extraordinaire groove entretenu par le trio de base (Emler-Tchamitchian-Échampard), constamment enrichi par les fantaisies rythmiques qui se jouent entre le bassiste et la batteur, qui sont magnifiées par les percussions de François Verly. Ce dernier fait d'ailleurs partie intégrante du « système Emler », dont il est l'un des ingrédients de base depuis des décennies. Les pièces présentent souvent des analogies de construction : une base rythmique (le tuba, ou la section rythmique, marimba compris....), des lignes jouées par les sections (les sax, ou l'ensemble des souffleurs) sur des intervalles assez distendus, et la montée progressive du phénomène collectif (émulation, excitation, extase), avec toujours, à un moment ou un autre, une place de choix pour les solistes : Philippe Sellam, Guillaume Orti (qui remplace Thomas de Pourquery, très accaparé par ses autres groupes), Laurent Dehors, François Thuillier, Laurent Blondiau.... Le MegaOctet nous rappelle cette définition, que l'on prête à Max Roach, du jazz comme seule démocratie réalisée. Tous ces moments d'intensité maximale sont alternés avec phases recueillies, méditatives, et sont aussi régulièrement soumis à des ruptures brutales. Bref tous les ingrédients de la forme musicale sont choisis sur une palette très riche, comme l'est la culture musicale d'Andy Emler. Au détour d'un fragment, l'ombre de Stravinski (Petrouchka, Le Sacre....), le souvenir de Bartók, un clin d'œil à Zappa (« The Grand Wazoo », mais pas que...) ; et pourtant chaque fois la cuisine révèle de nouvelles saveurs, des nuances inattendues, des bonheurs insoupçonnés. Décidément Andy est irremplaçable, et ce disque indispensable !

Xavier Prévost

Le teaser du disque sur Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=shbn3mtLZ7M

Un extrait du concert de création d' Obsession 3 au festival de la WDR à Gütersloh , au début de la dernière émission « Le Bleu, la nuit.... », toujours en réécoute sur francemusique.fr :

http://www.francemusique.fr/emission/le-bleu-la-nuit/2013-2014/le-big-band-du-trompettiste-jean-loup-longnon-radio-france-le-megaoctet-du-pianiste-et

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7 octobre 2015 3 07 /10 /octobre /2015 15:58
BARRY ALTSCHUL'S 3dom Factor « Tales of the Unforeseen »

Barry Altschul (batterie, percussions), Jon Irabagon (saxophones ténor, soprano & sopranino ; flûte), Joe Fonda (contrebasse). New York, 11 & 12 février 2014

TUM Records TUM CD 044 / Orkhêstra

http://www.tumrecords.com/044-tales-of-the-unforeseen

Dès les premières mesures il est patent que nous sommes en présence de ce que le regretté Jean-Pierre Moussaron appelait du « jazz vif » : une pédale de ré, obstinément scandée par la contrebasse, mais avec des incartades propres à toute vitalité ; la batterie profuse, qui lance la direction de tous les possibles ; et le saxophone ténor, qui exacerbe l'expressivité au point que l'on a quitté l'expressionnisme pour quelque chose qui pourrait s'appeler l'expressivisme (revendication de l'expressivité plus que de l'expression). Vient ensuite un dialogue croisé, cursif, qui nous plonge plus profond encore dans le souvenir de grands trios de même instrumentation (tiens... au hasard.... le trio de Sam Rivers, avec Dave Holland, et justement Barry Altschul à la batterie!). Dans les notes de livret le batteur évoque la genèse de ce disque : après une tournée, une pause en studio, pour jouer librement, sans contrainte (le trio est livré à cet imprévu que suggère unforeseen). Et l'enchaînement de ces improvisations raconte une histoire, une succession de contes improvisés où deux reprises (Thelonious Monk, Annette Peacock) s'insèrent comme par enchantement. À l'issue d'une première improvisation de quelque 26 minutes, le trio croise Ask Me Now, dont il donne une version largement commentée d'escapades libertaires. Et l'histoire se poursuit avec une autre improvisation sans forme préméditée qui débouchera très naturellement sur une composition d'Annette Peacock (Barry Altschul a enregistré naguère avec elle, et a joué sa musique en compagnie de Paul Bley et Gary Peacock). Et après une courte pièce en solo du batteur, le disque se conclut par une dernière improvisation collective, où Jon Irabagon prend la flûte, puis le ténor. C'est intense, subtil, ouvert, vivant, parfois violent, toujours inspiré. Bref une totale réussite dans le registre du jazz toujours déjà libéré....

Xavier Prévost

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4 octobre 2015 7 04 /10 /octobre /2015 21:22

L’électricité sur « Miles » est une découverte à laquelle les jazzmen ne cessent de se référer depuis la révolution Bitches Brew et la rencontre du trompettiste avec les claviers de Joe Zawinul. Au point que régulièrement sortent dans les bacs des albums résolument inspirés de cette esthétique post 68 où les nuées électriques s’évaporaient dans une sorte d’espace interstellaire.

Cette année, presque coup sur coup deux albums sont venus nous rappeler cette époque finalement pas si révolue que cela, avec plus ou moins d’acuité et surtout une approche radicalement différente.

ANIMATION MACHINE LANGUAGE

RareNoise records 2015

Bob Belden (fl, sax), Peter Clagett (tp), Roberto Verastegui (cl), Bill Laswell (b), Matt Young (dms), Kurt Elling (spoken words)

ELECTRIQUES ET LUNAIRES

Mort d’une crise cardiaque près de 6 mois après l’enregistrement de cet album, le saxophoniste Bob Belden a signé avec « Animation machine language » un album qui possède ce charme désuet d’une musique faite de tramages et de tuilages électriques sans pour autant chercher à renouveler le genre. Le fil conducteur de cet album est l’ensemble des textes (un peu indigents tout de même) que Bob Belden a écrit sur la relation entre la machine et l’humain. On passera vite sur la voix chaude d’un Kurt Elling narrant des formules pseudo philosophiques du genre : « does a machine can dream ? The pure machine begins to dominate the perfect machine etc… » pour rester sur la musique fusionnelle, psychédélique et lunaire où les espaces sont flottants et l’ambiance fascinante. Il y a une réelle fusion entre des musiciens concentrés sur leur sujet, prompt à glisser leurs improvisations sur les nappes sonores avec un trompettiste, Peter Clagett particulièrement inspiré dans son rôle Milesien, trompettiste au son ample. Dans ces tuilages sur lesquels l’immense Bill Laswell donne, à la basse toute l’élasticité en apesanteur, il y a une dimension onirique qui enveloppe son auditeur dans une sorte de rêve sous substance. Une sorte de lenteur en mouvement. Comme un ralenti dans l’espace. Avec en fond de cour, un énorme travail d’assemblage et de composition.

Pas très neuf mais carrément réussi.

LES AMANTS DE JULIETTE s’electrolysent

Quoi de neuf docteur 2015

Serge Adam (tp), Benoît Delbecq (cl, samplers, basss station), Philippe Foch ( tablas, laptop)

ELECTRIQUES ET LUNAIRES

C’est dans un même esprit d’ambiance électrique que le trio des Amants de Juliette s’ouvre aux musiques du monde. L’électricité n’y est plus urbaine mais va puiser à des sources intemporelles. En ce sens c’est un peu comme s’il y avait fusion entre l’esprit de Miles Davis et celui de Don Cherry mais avec une approche fondamentalement moderne. Comme dans le cas de Bob Belden, le trio cherche ici les espaces, les grands espaces. Cherche les juxtapositions des nappes dans une sorte de voyage sonore auquel contribue l’apport évident des tablas de Philippe Foch. Il y a une forme de complémentarité évidente entre les trois musiciens animés chacun par une réelle personnalité musicale différente et pourtant symbiotique. Ça joue à très haut niveau dans tout ce que le trio permet de combinaison différente. Là où Belden puise dans un jazz électrique, le trio porte ce même jazz aux confins du monde porté par des mélismes orientaux, des incises, des mélange acoustiques et électroniques. Les trois s’en donnent à cœur joie, un peu comme de géniaux chercheurs pour s’affranchir de toutes barrières stylistiques et tenter tout ce qui leur passe par la tête comme sur ce morceau où Delbecq que l’on attend électrique mais qui pourtant s’empare du piano pour jouer sur un contraste fascinant.

Musique en éveil, musique en mouvement perpétuel, musique de l’inattendu et de l’impromptu.

Superbe.

Jean-marc Gelin

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2 octobre 2015 5 02 /10 /octobre /2015 20:15
Africa Jazz

Africa Jazz

Cristal records/harmonia mundi

www.cristalrecords.com

Avec Cristal records, on a souvent de belles surprises, et les albums des différentes collections reviennent souvent sur les incontournables de l’histoire du jazz. C’est absolument le cas avec Africa Jazz qui explore brillamment les liens entre le Jazz et l’Afrique. Il y aurait tellement à dire et à écouter sur cette thématique. Justement, la valeur de ce double album est de proposer de l’ancien et du nouveau. Dans le premier volume, les jazzmen afro-américains rendent un formidable hommage à leurs racines africaines avec des titres devenus emblématiques « Liberia » de John Coltrane ou « The Cape Verdean Blues » d’Horace Silver. Il serait vraiment difficile de choisir dans ce florilège de compositions absolument indispensables si l’on veut comprendre d’où vient le jazz et peut-être où il va, même aujourd’hui. On peut évidemment faire confiance à Claude Carrière pour avoir concocté une sélection des plus séduisantes, une quintessence sur un seul CD. Du sublime « Fleurette africaine » de Duke Ellington avec Max Roach et Charles Mingus à ses côtés en septembre 1962 à New York à son «Springtime in Africa» qui finit en beauté le premier Cd, il faut tout écouter et tout garder tant cette musique, si belle, exprimant le rayonnement évident du jazz des années cinquante et soixante, avec « la crème de la crème » des musiciens. Ils sont (presque) tous là : pianistes, trompettistes, saxophonistes, batteurs, Dizzy Gillespie, Sonny Rollins, Art Blakey, Cannonball Adderley, Max Roach, Woody Shaw... et donnent à entendre quelques uns des standards éternels, d’une modernité à toute épreuve : «A Night in Tunisia», «Airegin», «Man From South Africa». Avec quelque appréhension, on écoute le deuxième album qui brode sur le même thème, s’exerce sur cette fusion, en donnant de nouvelles compositions plus récentes évidemment, toutes issues du catalogue Cristal ; et là, très vite, on est rassuré, le flambeau est repris et porté très haut avec ces quelques noms qui sortent du lot, le batteur Simon Goubert avec le joueur de kora Ablaye Cissoko dont la musique pourrait illustrer les films de Abderrahmane Sissako, le batteur Bertrand Renaudin avec le regretté saxophoniste et chanteur Momo Wandel Soumah, Philippe Combelle aux clave dans une version très originale et chantée (Mina Agossi) d’ «Afro Blue» de Mongo Santa Maria. De la belle ouvrage et sans nul doute, une transmission réussie, avec cette continuité conceptuelle que l’on retrouve jusque dans les titres des albums qui s’échelonnent de 2004 avec Tribute to the Mother of Groove (Philippe Combelle) à African Jazz Roots en 2012 ( Simon Goubert, Ablaye Cissoko, le regretté J.J Avenel ) en passant par Lekere en 2006 où s’illustre le trompettiste Nicolas Genest avec une fine équipe.
Avec cet Africa Jazz, en un album, vous aurez, tout loisir, plutôt que de foncer tête baissée dans l’actualité pléthorique des sorties musicales, la possibilité de vous ressourcer en regardant dans le rétroviseur et cela ne fait pas de mal.

Sophie CHAMBON

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30 septembre 2015 3 30 /09 /septembre /2015 09:11
CHICO FREEMAN-HEIRI KÄNZIG « The Arrival »

Chico Freeman (saxophone ténor), Heiri Känzig (contrebasse)

Winterthur, 13-14 décembre 2014

Intakt Records CD 251 / Orkhêstra

Quelques mois après la parution en Autriche d'un disque en quartette (« Spoken Into Existence », Jive Music JM-2080-2, www.jivemusic.at ), Chico Freeman publie sous étiquette suisse un duo avec le contrebassiste dudit quartette, Heiri Känzig. Et c'est tant mieux, car les amateurs se languissaient du saxophoniste, qui a fait en juillet dernier des prestations remarquées en France, au festival Jazz à Vienne. C'est en 2013 que les deux musiciens se sont rencontrés, à Lausanne, quand le saxophoniste cherchait un bassiste pour son « 4-tet » (Fourtet, ainsi appelle-t-il ce groupe, auquel s'associent le pianiste Antonio Farao et la batteur Michael Baker). Parallèlement à cette collaboration en quartette, qui se poursuit, le saxophoniste a voulu installer avec son bassiste un dialogue, qui se révèle très fécond. Chacun apporte ses compositions : pour Heiri Känzig un hommage à Paul Chambers (Chamber's Room), un autre à Eddie Harris (One For Eddie Who 2, extrapolé d'une des compositions du contrebassiste pour le groupe « Depart »), et aussi Eye of the Fly, issu de son premier CD en 1994.... ; pour Chico Freeman The Essence of Silence, un thème qu'il avait enregistré en duo avec le pianiste autrichien Fritz Pauer, et de nouvelles compositions, comme cette ballade qui pourrait devenir un standard (Will I See You In The Morning). Et des plages co-signées, comme le très spontané Just Play, qui dit assez la connivence où sont les deux hommes. Des reprises également, avec Dat Dere, de Bobby Timmons, immortalisé naguère par les Jazz Messengers, mais aussi par une version vocale d'Oscar Brown Jr. ; et le magnifique After The Rain de John Coltrane (album « Impressions »), traité avec l'intense lyrisme qui convient. Au total une belle réussite, qui rappelle à bon escient que le jazz (et le duo l'exacerbe) est d'abord la communication des êtres et des consciences.

Xavier Prévost

Le duo se produira le 9 octobre au Moods de Zürich

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29 septembre 2015 2 29 /09 /septembre /2015 18:58
RAN BLAKE « GHOST TONES, PORTRAITS OF GEORGE RUSSELL»

Ran Blake (piano & piano électrique), Peter Kenagy (trompette), Aaron Hartley (trombone, ordinateur), Doug Pet (saxophone ténor), Eric Lane (piano & piano électrique), Jason Yeager (piano), Ryan Dugre (guitare), Dave “Knife” Fabris (pedal steel guitar), Rachel Massey (violon), Brad Barrett (contrebasse & guitare basse), David Flaherty (batterie & timbales), Charles Burchell (batterie, timbales & vibraphone), Luke Moldof (effets électroniques).

Boston, New England Conservatory, 24 & 26 juin 2010 sauf Vertical Form VI, Londres, Barbican Hall, 7 mars 1998

A-Side Records 001 ( http://a-siderecords.com/ )

C'est, de l'aveu-même du pianiste, un album audio-biographique, et donc simultanément un hommage à celui qui fut son mentor, son ami et son collègue au New England Conservatory de Boston : le regretté George Russell (1923-2009). Outre des standards en solo (Autumn in New York, qui ouvre et clôt l'album, dans une version plus que lente d'une intense charge émotionnelle ; Manhattan ; You Are My Sushine), le disque déploie des compositions du dédicataire, et des thèmes originaux en rapport avec la vie de George Russell (Alice Norbury, qui évoque sa femme ; Cincinnaty Express, allusion à sa ville natale....). Ran Blake avait déjà enregistré en solo des compositions de George Russell : Stratusphunk en 1966, Ezz-Thetic en 1985.... Il donne ici une version de Living Time en sextette, et de Jack's Blues en quintette. C'est comme un monument d'affection, érigé par ceux qui tenaient, à juste raison, George Russell pour un créateur majeur de cette musique. Vertical Form VI, en 4 minutes et 45 secondes exhumées d'une concert londonien de 1998, met l'accent sur l'extraordinaire diversité du génie singulier de Russell. Le piano de Ran Blake respire, comme toujours, d'une retenue qui décuple l'intensité de l'expression : une idée de la beauté telle qu'on la rêve, inaltérable !

Xavier Prévost

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