Jazz & People 2015
Leïla Olivesi (p, vc), David Binney (as), Manu Codjia (g), Yoni Zelnik (cb), David Kontomanou (dms)
Jazz & People 2015
Leïla Olivesi (p, vc), David Binney (as), Manu Codjia (g), Yoni Zelnik (cb), David Kontomanou (dms)
L’âge d’or du Jazz
Coffret de 5 CD. Jazz Magazine-Jazzman- Wagram Music. Réalisation, Lionel Eskenazi
Tout comme la langue d’Esope, la compilation peut être soit la meilleure soit la pire des choses. Dans cette dernière catégorie (que nos lecteurs naturellement fuient) figurent les reprises d’enregistrements-pirate, de qualité sonore déplorable, sans indications discographiques. Le coffret signé par un ex-collaborateur des DNJ, Lionel Eskenazi appartient (on s’en serait douté vus les états de service d’icelui auteur des deux précédents coffrets annuels pour Jazz Magazine ) à la première.
Nous avons ici affaire à une sélection ciblée dans le temps, 1954-1962, intitulée sobrement « L’âge d’or du jazz ». Le choix de la date initiale a été opéré spécialement pour correspondre au lancement de Jazz Magazine par Frank Tenot et Daniel Filipacchi et accompagner les 60 ans du magazine-référence. Pour ceux qui aimaient le jazz à l’époque –parmi lesquels l’auteur de ces lignes- ces 100 titres rappellent une période foisonnante, où le hard bop voisinait avec le third stream et, au tout début des années 60, le free jazz. En cinq heures d’écoute, on retrouve les titres-phare de l’émission-culte quotidienne de Daniel et Frank.
Pour les jeunes générations, le réalisateur justifie son appartenance à l’Académie du Jazz par l’œcuménisme de ses choix. De Benny Goodman à Cecil Taylor, de Charlie Parker au MJQ, de Jimmy Giuffre à John Coltrane, de Nat King Cole à Nina Simone, de Lester Young à Ornette Coleman, d’Oscar Peterson à René Urtreger, d’Erroll Garner à Martial Solal… on pourrait allonger à l’envi l’exercice. Présentés de manière chronologique- ce qui permet de voir que Duke Ellington a gravé en dix jours en septembre 1962 un album en trio avec Max Roach et Charles Mingus – Money Jungle dont est extrait ici Fleurette Africaine, et une rencontre avec John Coltrane, présentée avec In a Sentimental Mood- ces 100 morceaux offrent un panorama aussi varié que surprenant. Et l’écoute en continu permet ainsi de passer pour l’année 59 d’Anita O’Day à Bud Powell, Tina Brooks, Bobby Timmons et Sun Ra. Sacré grand écart !
Evidemment, toute sélection présente ses limites, ne serait-ce que par les contraintes techniques imposées (difficile d’aller au-delà de 70 minutes par album). Pourquoi avoir écarté untel ? On peut deviser à l’infini. Laissons ce débat aux ayatollahs aigris ! Et plongeons dans ce bain de jouvence des années 50-60 sans nostalgie ni regret.
Jean-Louis Lemarchand
Jazz Magazine Jazzman présente : "L'âge D'or Du Jazz"
Il y a 60 ans, le 1er décembre 1954, paraissait dans les kiosques le premier magazine français dédié au jazz : Jazz Magazine. Pour célébrer cet anniversaire, le mensuel propose un coffret de ...
http://www.fipradio.fr/decouvrir/album-jazz/jazz-magazine-jazzman-presente-l-age-d-or-du-jazz-15741
Intuition Music
1 CD+ 1 DVD
Quel plus bel hommage pour les 80 ans du pianiste sud-africain Abullah Ibrahim !
Un choc !
Le label allemand Intuition a profité d’un concert en solo donné en Sicile en juin 2014 pour en graver à la fois sa captation mais aussi pour réaliser une magnifique interview filmée qui fait l’objet d’un DVD.
A l’aube de ses 80 ans Abdullah Ibrahim dégage une sorte de force tranquille et une sérénité que seuls quelques vieux sages dans ce monde agité peuvent transmettre. Lorsqu’il joue c’est comme si cette sagesse millénaire tombait sur vous et vous enveloppait. Chacune des notes du pianiste est en effet empreinte d’une exceptionnelle profondeur, d’une gravité qui va chercher au cœur même de l’essentiel. Qui va puiser au cœur de la vie, des hommes et de Dieu certainement.
Il y a bien sûr, comme souvent dans l’exercice du piano solo, une sorte d’introspection. Mais avec Abdullah Ibrahim elle prend la forme d’une sagesse chamanique. Une façon d’arrêter le temps. La musique d’Abdullah Ibrahim est méditative et si émouvante lorsqu’elle jette ce regard sur lui-même et sur ses propres racines. Le pianiste dit beaucoup, digresse autour d'une immense improvisation. On y entend parfois Ravel et Debussy, parfois Monk ou la religiosité de Coltrane dans ses réflexions et dans son cheminement. C’est que, comme chez le saxophoniste, il y a dans sa musique venue des township et du jazz d’Ellington une part de religiosité, de gospel et de profondeur croyante. Ce sont parfois comme des chants d’église qui s’élèvent vers le ciel.
La musique d’Abdullah Ibrahim se trouve ici au sommet de l’art du pianiste. Cette musique qui ouvre en chacun les portes d’une méditation profonde. La quintessence du piano solo.
Puis suit un documentaire tourné au même moment qu’avait lieu de concert. Documentaire magnifiquement réalisé où le pianiste y raconte l’histoire de ces chansons qu’il a composées. C’est magique comme lorsque, avec générosité il nous fait entrer dans l’intimité de ses compositions, comme lorsqu’il parle d’Aspen et de son imaginaire qui prend forme en musique. Et cette émotion qui surgit lorsqu’il parle de l’amour et de Blue Bolero dédié à la femme de sa vie. Il y raconte aussi avec tendresse ses influences sur la musique de Cap Town, l’apartheid, l’exil et l’incroyable pouvoir politique que sa musique a pu avoir sur tout un peuple en lutte (Mannenberg). Derrière l’apparente simplicité de ses mélodies, il évoque sans fausse modestie la complexité de ses structures musicales et parle de « la profondeur de la simplicité. ». Cette interview que l’on aurait voulu prolonger se poursuit par un extrait de ce concert solo du 26 juin 2014 au Fazioli Concert Hall, magnifiquement filmé au cœur du processus de l’improvisation comme rarement capté par l’écran.
On sort de là, le cœur et l’âme chavirée, persuadé d’avoir rencontré un être sublime, sorte de chamane magnifique dont chacune des phrases et chacun des sourires peuvent apporter un supplément de paix et d’amour.
C’est tout simplement bouleversant.
Jean-Marc Gelin
Cristal Records
Distribution Harmonia mundi
http://www.cristalrecords.com/fr/infos_album.php?&id=684
Si vous lisez les DNJ depuis quelque temps, vous connaissez la collection Original Sound DeLuxe qui propose des compilations thématiques qui ne traitent pas de l’œuvre d’un chanteur ou musicien mais envisagent de recenser des compositions selon une ligne de force originale (les saisons, la nuit, les instruments du jazz...). C’est Claude Carrière, un fin connaisseur du jazz qui a opéré la sélection musicale avec une grande pertinence, et rédigé des notes érudites, qui sont un régal de lecture. La partie illustrée est due à Christian Cailleaux, auteur de bandes dessinées qui sait s’adapter à chaque fois au thème imposé.
A l’occasion des fêtes on pourra ainsi découvrir 5 des quarante volumes de la collection Bass Masters, Portraits of Jazz, Piano Solo Legends, The Joy of Flying, A Jazz Calendar. Ce coffret a aussi l’avantage d’être à un prix très économique, il réjouira les amateurs de jazz qui redécouvriront des pépites oubliées et leur donnera une furieuse envie de lire, écouter, se replonger dans les trésors de leur discothèque. Et pour les néophytes, voilà la plus agréable immersion dans cette musique avec ces albums qui dessinent un portrait vif, aussi varié qu’original. Il serait vraiment dommage de se priver d’un tel objet...vous êtes prévenus.
Sophie Chambon
Raphael Imbert (saxophones, clarinette basse, harmonium), Marion Rampal (chant et harmonium), Pierre Fenichel ( contrebasse) et Paul Elwood ( banjo, chant)
Label Durance/distribution Orkhêstra
Voilà un album que vous ne regretterez pas d’avoir écouté tant il communique joie de vivre, bonne humeur. Enregistré en 2008, il ne sort que maintenant avec l’acharnement de Raphael Imbert et du label Durance qui oeuvrent avec vaillance pour voir leurs projets arriver à terme.
Le titre n’est pas une coquille d’impression, mais un mot valise formé avec les noms des régions d’origine ou de cœur, de ces musiciens, « Alpes » et Appalaches. Un amour du « folk » des monts et des vallées unit, on le sait à présent, le saxophoniste Raphael Imbert avec les acteurs de sa compagnie Nine Spirit (ici du moins, la chanteuse Marion Rampal et le contrebassiste Pierre Fenichel). On sait qu’il travaille sur les racines spirituelles du jazz (« Holy Family » d’Ayler), tout en poursuivant son travail de musicologue et de chercheur ethnographique. Passionné d’échanges et de partages sur les terroirs et les identités, le saxophoniste a rencontré et invité sur ce disque Paul Elwood, compositeur contemporain, chanteur populaire et joueur de banjo inventif. Dans leur fief des Alpes de Haute Provence (d’où la production sur le label Durance) dans l’église haute de Banon, le quartet a enregistré ainsi des airs traditionnels, du gospel, des tubes de Bob Dylan, Joni Mitchell et aussi de très belles compositions originales comme « Petite sauge couleur garance ». Sans la mélancolie inhérente à l’univers de Bill Carrothers et de sa femme Peg, on pénètre dans cette version de l’americana mâtinée de la douceur alpine. Ce n’est pas non plus le « talking blues » de Woody Guthrie que reprit Dylan à ses débuts, dans le traditionnel « Freight train » que l’on entend au début du disque dans une version aussi enjouée (sans harmonica et les élucubrations vocales dylanesques).
Et cela est beau. La voix de Marion Rampal atteint sa plénitude dans ce registre plus « traditionnel », nettement moins expérimental, où l’émotion et la puissance sont plus fortement palpables. Sans affèterie, quand elle reprend « Urge for going » de Joni Mitchell, avec même quelques inflexions semble t-il de la Canadienne.
De toute façon quand Paul Elwood en s’accompagnant au banjo, chante « It takes a lot to laugh, it takes a train to cry » de Dylan, c’est une musique qui ne triche pas, populaire, accessible sans être nécessairement facile. Si entraînante que l’on a envie aussitôt de partager cet enthousiasme. Jusque dans le beau final à deux voix de « Lorena »
Sophie Chambon
Gaya Music Production 2014
Adrien Chicot (p), Sylvain Romano ( cb), Jean-Pierre Arnaud (dms)
Dans le flot des albums de jazz e que nous recevons ( surtout des trios), il y a parfois quelques petites pépites qui émergent. Des disques qu une fois insérés dans votre lecteur ont ce don de vous donner la banane, de faire bouger vos pieds en rythme et de vous rendre un peu heureux. Celui d’Adrien Chicot fait partie de ceux-là.
Adrien Chicot n'est pas un inconnu pour tout ceux qui s'intéressent de près
ou de loin à la sphère des frères Belmondo en ce compris celle du saxophoniste Samuel Thiebault dont Adrien a partagé quelques aventures et que nous aurons bientôt l’occasion d’évoquer dans ces colonnes. Et que ce pianiste soit si convoité n'est pas étonnant lorsque l'on entend dans cet album qu'il nous livre aujourd'hui son appétit de jeu, son phrasé optimiste, son sens du placement rythmique , son groove et sa grâce du swing aérien. Il a du Mc coy Tyner et du Herbie au bout des doigts lorsque l'on entend une compo comme all-in. Une lecture intelligente aussi des thèmes ellingtoniens et strayhorniens. Jous ballad qui sonne comme un vrai standard avec une superbe rythmique.Ce disque rend un poil heureux. Il donne des fourmis dans les jambes Il est juste lumineux.
Pour paraphraser l’on pourrait dire « pour ceux qui n’aiment pas le jazz ! ». Parce que l’on est sûrs au moins qu’ils changeront radicalement d’avis après avoir écouté cet album d’Adrien Chicot.
A mettre dans la hotte du père noël !
Jean-Marc Gelin
Avec Franck Amsallem, Pierre de Bethmann, Thomas Enhco, Manuel Rocheman, Baptiste Trotignon, (piano), Thomas Bramerie (basse), Lukmil Perez (batterie).
Backstage/L’autre distribution
Encore une chanteuse, me direz-vous…Elle ne nous est pas tout à fait inconnue, Mélanie Dahan. On l’avait remarquée par des choix artistiques hors des sentiers battus pour ses deux premiers albums, l’un dédié à la chanson française, l’autre aux courants latins. Une personnalité qui illustre toujours son troisième disque. Certes le répertoire s’y révèle des plus classiques, les airs consacrés, mille fois entendus de la chanson et du jazz américains. Jugez un peu, Cole Porter, Victor Young, Herbie Hancock, Benny Golson…
Le choix de ces titres a été effectué en harmonie avec les pianistes invités, Franck Amsallem, Pierre de Bethmann, Thomas Enhco, Manuel Rocheman, Baptiste Trotignon. Pourquoi ces cinq-là ? Réponse de Mélanie en forme de portrait express : « Franck ?, « le swing », Pierre « Une frénésie réjouissante », Thomas, « la délicatesse mélodique », Manuel « Coloriste raffiné et subtil », Baptiste « La virtuosité éclairée ».
Résultat : un puzzle réjouissant où Thomas Bramerie (contrebasse) et Lukmil Perez, (batterie) apportent leur pièce avec justesse et vélocité. Un beau voyage au pays des sons et des songes avec des titres éternels Whisper Not, Every Time We Say Goodbye, Star Eyes, Dedicated to You, What’s new. Et surtout une voix qui ne manque pas de sel et de swing.
Jean-Louis Lemarchand
En concert les 27 et 28 novembre au Sunside (75001) avec Thomas Bramerie et Lukmil Perez et Pierre de Bethmann et Baptiste Trotignon (27), Manuel Rocheman et Franck Amsallem (28).
Fidel Fourneyron trombone, Geoffroy Gesser saxophone ténor, et clarinette, Sébastien Beliah contrebasse
Concerts 14 novembre D’Jazz Nevers festival
21 janvier La Dynamo de Banlieues Bleues- Pantin
Dès l’ouverture de la pochette, où figure sur un éclatant fond jaune, un tableau du peintre renaissance autrichien Marx Reichlich « Un fou », on se dit que cette émanation de l’ONJAZZFABRIC a parfaitement illustré le titre de l’album et de la première composition « Un poco loco » de Bud Powell qui l’était un peu ...fou. Puis on s’aperçoit que logiquement, le trio d’improvisateurs (trombone/sax ténor, clarinette/ contrebasse) a choisi de reprendre dans ce programme le répertoire du jazz des années cinquante, en particulier du bop... C’est en effet la « redécouverte de ces airs passés qui ont fait en leur temps la folie du jazz » que le trio nous propose. Et s’ils ne paraissent toujours pas sages, ils sont encore capables d’enflammer un auditoire qui aime le jazz. On est donc content de réentendre ces compositions superbes réarrangées, assez fidèlement cependant pour que la mélodie soit reconnaissable. Il est bon de revenir aux compositions de Dizzy Gillespie ....sans oublier Lee Morgan dont il n’existe pas encore de biographie en français. Et si vous ne vous mettez pas à danser sur la compo « Minor’s holiday » de Kenny Dorham magnifiée par la contrebasse de Sébastien Beliah, consultez...
En lisant la présentation de l’album, on apprend que Fidel Fourneyron, membre des très dynamiques et contemporains collectifs Radiation X, ou Coax (avec Geoffroy Gesserd’ailleurs) est un amoureux des orchestres swing, soliste chez Laurent Mignard (relecteur passionné de Duke Ellington) et de l’Umlaut big band spécialisé dans la musique de danse...Il y aurait donc des jeunes musiciens qui ne s’affranchissent pas du passé et remontent le temps musical au delà des années 60 ?
L’un des atouts de cette démarche est de reprendre ces thèmes gravés dans les mémoires des plus anciens, avec une autre instrumentation. On oublie donc les trompettistes, on écoute une autre «orchestration», des arrangements enlevés car le trio parvient à retranscrire le jus, à garder la sève de cette musique enthousiasmante. Le démarrage nous met dans l’ambiance, tout en payant respect à la mélodie : ça éructe, vrombit, s’interrompt pour mieux rebondir, klaxonne presque...vrille comme un bourdon. C’est rapide et enlevé. Et ça continue avec «Tin Tin Deo » très métallique, chaloupé et lancinant ...quand il le faut. Nos compères arrivent à ajouter encore de la chair à des compositions qui n’en manquaient pas , ainsi du moelleux fondant du trombone sur le moins connu « Rondolet ». C’est souvent humoristique avec changements et variations de tons à la klezmer ou à la Goodman. Dès l’exposition de certains thèmes, on sent une volonté d’en faire autre chose, de casser les attentes, de broder d’autres variations, de déstructurer le morceau. Et cela ne peut se faire que si l’on connaît bien le répertoire et ses chausses trappes (« A Night in Tunisia »). D’autres thèmes donnent naissance à des pépites comme ce « Ca-Lee-So » de Lee Morgan, aux rythmes latins et aux motivations plus commerciales alors, au tournant des années soixante. La version revisitée de ce calypso donne une composition moins heureuse, plus compliquée, inquiétante et hypnotique par endroits. Quant au thème émouvant de «Poor Butterfly», il est attaqué de façon étrangement lente, étirée pour rendre un peu de la langueur de la mélodie originale... « And then she stopped » de Dizzy Gillespie devient du jazz de chambre...à la Giuffre quand il ne jouait pas encore free. Ecoutez encore “Back for Berksdale” de Gerry Mulligan, où ça marmonne, “moane and groane”, jouant sur les citations, allitérations, contrepoints : cela fourmille d’idées, et c’est intelligemment rendu.
On se régale d’un bout à l’autre de l’album qui n’est pas trop long, on aimerait bien les entendre en live, ils vont passer à Nevers et on espère qu’ils feront date...
Sophie Chambon
Invite Glenn Ferris, Boris Blanchet, le Well String quartet
dans Précious liquids
ICI LABEL
Sortie du disque le 5 novembre au Sunside à Paris et au Caméléon en ...Picardie le 7 novembre.
Une présentation originale, une annonce qui promet des «liquides précieux » à goûter, à s’administrer différemment par la voie auriculaire.... On est un peu surpris mais pourquoi ne pas essayer ?[i] L‘album est accompagné d’un bel objet sous forme de clé USB, créé artisanalement par le pianiste...
Puis on met le disque dans le lecteur et on écoute cette musique réjouissante, séduisante à plus d’un titre, assurément un jazz vif qui surgit d’une vraie culture musicienne. Le trio qui a démarré son aventure musicale en 2008 a beaucoup joué en clubs et a ainsi acquis une aisance perceptible dès les premières mesures. Avec le temps et l’expérience du terrain, il s’est créé un répertoire qu’il n’hésite pas à dévoiler avec une conviction irrépressible, en plus grande formation, aidé de Glenn Ferris au trombone, Boris Blanchet au sax ténor et soprano ainsi que le quatuor à cordes Well String Quartet. Un beau casting avec des musiciens qui déclinent ainsi toutes sortes de combinaisons instrumentales qui étoffent le projet, renouvelant élégamment l’art du trio puisque le NicoDri Trio (il est temps de le présenter) est composé du pianiste leader (qui pratique aussi le Fender) Nicolas Dri, du contrebassiste Sébastien Maire et du batteur Andreas Neubauer.
Par contre, le rapport à l’artiste plasticienne Louise Bourgeois n’est pas immédiat et se comprend par le titre qui renvoie à une installation Precious Liquids, présentée à la Documenta IX de Kassel en 1992.[ii] Peut être est-ce pour expliquer quelques excentricités de ce voyage musical. Mais après tout ... le « dérangement » est l’une des choses les mieux partagées dans le domaine artistique et volontiers accepté comme ici, quand il propose des couleurs nouvelles avec une urgence tranquille...en se tenant au niveau des apports les plus incisifs du phrasé et de l’attaque des sons dans le jazz.
L’album est bien construit, alternant ballades subtiles « Louise Bourgeois » avec des pièces swingantes « Born to the chapel of sacred mirrors », des accents funky sur F.I.T, un formidable « Yellem » très coltranien avec le soprano Blanchet. Avec« Clara est rentrée », c’est une histoire qui nous est contée, peut être une suite au « She ‘s leaving home » des Beatles. Le trio élabore une musique raffinée où font retour par infimes fragments ses références. Il semble qu’un peu de la « poussière (d’étoile)du jazz des décennies antérieures se soit déposée à la surface de ces compositions, suscitant un sentiment étrange de (re)connaissance. Ces réminiscences placent en terrain connu, sans que l’on sache pourtant - et cela est délicieux- où mène le voyage. Ces compositions révèlent un classicisme un peu ambigu qui renvoie l’amateur de jazz à ses mythes personnels, en prolongeant la mémoire de musiques obsédantes. On traverse avec plaisir ce passage du temps, appréciant la sobriété fluide d’une esthétique volontiers en retrait, tout en hommage, mais qui ne cède rien sur l’essentiel, c'est-à-dire la manière. Ce sont des musiques de rencontres reflétant d’abord trois, puis plusieurs voix qui savent chanter et construire un parcours éloquent par une expression équilibrée. A l’évidence le Nicodri trio a trouvé ses marques sur un répertoire auquel tous contribuent. Les mélodies (du jeune pianiste sauf la dernière) sont clairement affirmées, avec le phrasé délié, agile, le grain tendre du piano, sans oublier les ponctuations et les élans décisifs de la contrebasse. Quant au drumming ferme mais énergique, il suit le rythme du corps dans ce qu’il a de pulsionnel comme dans ce « Droit dans le mur ». La nostalgie demeure avec le final, «La chanson d’Hélène » du film Les Choses de la vie de Claude Sautet. Romy Schneider n’en interprète plus les paroles, mais la seule mélodie du trio est un bel hommage à ce grand compositeur de musiques (de films), Philippe Sarde.
Un disque plus que prometteur, à la fois ambitieux et accessible. Un talent qui ne demande qu’à croître et embellir...
Sophie Chambon
[i] Si vous lisez ce message c’est forcément que vous avez choisi de participer à cette nouvelle expérience. Aussi je commencerai donc par vous remercier pour votre curiosité et votre confiance.
Le projet IN medias sensitifs a vu le jour suite à un constat général, fruit de longues réflexions relatives à la dématérialisation de la musique. Il en est émergé l’idée qu’il serait intéressant de recentrer une production artistique dans la peau d’un objet, tout en gardant les possibilités actuelles de connexion. Souvenez-vous de ces belles pochettes vinyles sur lesquelles on pouvait largement s’exprimer. Rognées ensuite au format CD, on perdait déjà énormément. Puis maintenant, à l’ère du numérique (qui n’est pas forcément une mauvaise chose), il devient impossible de « toucher la musique ».
L’idée est simple : associer un bel objet à une production artistique. Une nouvelle ouverture sensorielle s’offrant alors à toutes directions créatives, il était intéressant d’illustrer sous forme de Liquide connecté le nouvel album Precious Liquids de NicoDri Trio.
Merci de participer à cette expérience...
Nicolas Dri
[ii] Precious liquids s’intercale entre deux séries de « the Cells » (les cellules). Espace clos, obscur que l’on peut néanmoins traverser par deux portes, avec un lit, divers vêtements, des récipients en verre... Il s’agit d’un réservoir d’eau d’immeuble new yorkais cerclé d’un bandeau métallique où l’on peut lire « Art is a guaranty of sanity ». Richesse et diversité d’une œuvre qui résulte d’une position singulière, décalée entre ordre et chaos, organique et géomérique. Une expression très personnelle qui revient toujours à l’enfance et aux relations ambiguës, parfois vénéneuses à la mère, avec certains thèmes obsessionnels déclinés avec des matériaux différents.
Cam Jazz 2014
Quoi de neuf ? Three time three. Trois fois trois, c'est trois trios, 9 titres, trois morceaux par formation.
Mais c'est aussi trois éléments. C'est à la fois la terre, c'est l'air et c'est l'eau. C'est une sorte de dream team avec ce qui se conçoit de mieux en matière de musiciens de jazz. Antonio Sanchez, l'un des batteurs le plus talentueux du moment (nous ne cessons de le dire dans ces colonnes !) est ici accompagné de Brad Meldhau et de Matt Brewer (1er trio) , de Joe Lovano et de John Pattituci (2eme trio) et enfin de John Scofield et Christian Mc Bride (3eme trio).
La terre ce sont ces quelques morceaux enregistrés avec Brad Meldhau dont il ressort cette impression d'un groove ancré en profondeur dans le sol. Chacun des trois membres du trio semble fusionner à un très haut degré d'intensité. On pourrait presque évoquer le trio jarretien tant celui-ci s'élève à un niveau incroyable, Brad Meldhau trouvant là, au-delà de son habituel trio une force supplémentaire tirée de la puissance et de la précision d'un Matt Brewer mais aussi et surtout d'un Antonio Sanchez hallucinant , sorte de résultat d'un mariage métissé d'Elvin Jones et de Jack De Johnette. Excusez du peu ! L'association de Brad et de Sanchez s'y fait totalement fusionnelle ( Constellations ! Quel morceau !). Un superbe relecture du thème de Miles ( Nardis réintitulé Nar-this) au groove intelligent emporte surtout une sorte de flot irrésistible qui balaie tout sur son passage. Une sorte de glissement de terrain puissant.
Avec Scofield c'est tout autre chose. Une vision plus swinguante et limite funkisante du jazz voire même très jazz-rock sur Nooks and crannies avec un Mc Bride débridé. De quoi voir encore l'apport incroyable d'Antonio Sanchez sous un jour différent.
Puis apparaît Lovano et là c'est encore un autre courant qui balaie tout. Un courant d'air décoiffant ! Lovano dans une forme olympique comme on ne l'a plus entendu depuis fort longtemps. Une version de I mean you qui nous en fait voir de toutes les couleurs. Antonio Sanchez qui dialogue avec le saxophoniste dans une débauche d'énergie et de puissance. Du très très grand Lovano qui s'insère alors dans le dispositif avec autant de fougue que d'engagement radical et tout cela dans la bonne humeur ponctuée par le rire final de Lovano ( ?) visiblement très heureux de faire en bonne compagnie de la très très bonne musique. Ecouter aussi Leviathan avec ce gros son de Lovano cherchant dans des inflexions mystérieuses l'apport à la basse d'un Pattituci incroyable de profondeur et enfin le drive endiablé, endiablant d'Antonio Sanchez. Du très très grand art. Ca joue à un incroyable niveau.
Croyez moi sur mesure, cela fait longtemps que l'on avait pas entendu du jazz de cette qualité-là avec autant d'engagement, de puissance et de télépathie. Il faut des musiciens d'une sacrée trempe pour parvenir à jouer sur de si hauts sommets. Les musiciens dont s'est entouré Antonio Sanchez font partie de la race des seigneurs. Quant au batteur lui même, exceptionnel, il est assurément de celle des heros.
Jean-Marc Gelin
Les Dernières Nouvelles du Jazz