Impulse 2014
Ran Blake (p), Ricky Ford (td), Laika Fatien (vc)
C'est un album choc. Certainement l'un des évènements majeur de cet automne ( avec celui d'Antonio Sanchez dont on vous parlera plus tard ).
Avec Cocktail at Dusk, le pianiste signe un hommage à la chanteuse américaine Chris Connor dont il fut l'un de ses amies et disparue en 2009. Chris Connor, malheureusement un peu ignorée du grand public était une immense chanteuse de jazz qui eut son heure de semi-gloire àla fin des années 50 lorsqu'elle signa chez le label Bethlehem ou encore pour le mythique label Atlantic sur lequel Creed Taylor signa aussi de fameuses chanteuses de jazz ( Julie London !!) avant d'aller créer Impulse. Mais ça c'est une autre histoire qui d'une certaine manière se perpétue ici puisque cet album est signé sur le même label repris récemment par Jean-Philippe Allard.
Ran Blake lui rend donc hommage par cet album tout en délicatesse qui mêle à la fois les parties instrumentales en solo ( les plus nombreuses) ou accompagné du sax tenor de Rick Ford sur deux titres mais aussi quelques parties chantées par la sublime Laika Fatien ou encore quelques discrets passages collés où l'on entend la voix de Chris Connor apparaître et disparaître de manière fantomatique.
Ran Blake, immense pianiste conversant sans cesse avec lui même et son propre piano dans une relecture souvent très monkienne est amoureux des chanteuses et des chansons elles mêmes. Sa carrière a d'ailleurs véritablement débuté avec un chef d'oeuvre iconique, son duo avec Jeanne Lee ( "The newest sond around "- 1962) qui continue à marquer de son empreinte des générations de chanteuses de jazz, au rang desquelles Laika elle même.
Tout au long de cet album c'est une succession de petits chefs d'oeuvre alignés les uns après les autres. Les interventions de Laika sont proprement renversantes. Sa version de All About Ronnie nous bouleverse. Comme si effectivement l'ombre de Jeanne Lee planait sur la session plus que celle de Chris Connor ( écouter la version de Jeanne Lee et ran Blake de 1963)
Chaque morceau, repris du répertoire qu'affectionnait la chanteuse, est une sorte de relecture très personnelle qu'effectue le pianiste maître dans l'art de la digression, de l'appropriation, de l'acculturation. Toute l'essence du jazz est au bout de ses doigts dans cette façon de relire et d'improviser sans jamais dénaturer. Car même si le pianiste on l'a dit, converse avec lui même, Ran Blake ne donne jamais le sentiment d'être un pianiste introspectif. Sa reprise répétée des motifs mélodiques de ces standards que nous connaissons bien nous aide àgarder pied et à nous sentir sous maîtrise. Sa version un peu sombre de Speak Low par exemple, est un modèle du genre.
Tout au long de cet album Ran Blake impose sa marque et semble nous inviter dans une sorte de confidence intimiste, dans une sorte de conversation évocatrice de quelques tendres souvenirs.
Juste sublime !
Jean-Marc Gelin