OKEH 2013
Michel Camilo ( piano solo)
C’est le deuxième album pour la renaissance du célèbre label Okeh. Label légendaire s'il en est, qui a publié dans les heures glorieuses et primitives du jazz les célébrissimes enregistrements de Louis Armstrong et de bien d’autres. Si le premier album de ce label ressuscité est signé du pianiste John Medeski, en solo (pianiste notamment du célèbre trio Martin, Medeski & Wood") on se réjouit que le suivant laisse encore la part belle à l’exercice solitaire du piano en y accueillant le grand Michel Camilo.
Un démarrage sur des chapeaux de roues ragtime histoire de montrer qu'il est bien un maître plasticien rythmicien et un clin d’œil à ceux qui l’ont précédé sur le mythique label. Aussi une très respectueuse version de Take Five de Paul Desmond en hommage peut être à la disparition de Dave Brubeck. Où l'on voit l'incroyable agilité du pianiste, la souplesse de son phrasé et la parfaite maîtrise des intentions. Dans l'exercice souvent introspectif du piano solo, Michel Camilo fait ici exception par
sa générosité. Qunad il joue, il donne. Aussi swinguant que tendre ou émouvant il sait se faire percussif ou rechercher des harmonies graves et belles. Ecoutez A sandra serenade, belle déclaration d'amour.
Il y a chez Camilo quelque chose de certains maîtres classiques. Erroll Garner pour quoi pas quand à son sens de la mélodie, ou Bill Evans ( Alone together) par son art de la sublimer. Petrucciani encore, avec sa précision rythmique exceptionnelle. Bien sur chez lui, prennent parfois le dessus ses airs de pianiste « latino » avec ce sens de la rumba et de la danse ( formidables Island beat, Paprika ou On fire) qui lui donnent cette capacité à groover. On n’est pas originaire de République Dominiquaine sans en garder quelques ADN du swing.
Et cette version de Chan Chande Compay Segundo dont la chanson est ici sauvegardée et nous renvoie au Buena Vista Social Club de Ry Cooder sans être dénaturée.
Michel Camilo sait donner de l'air à sa musique par surcroît de légèreté et de fluidité du langage. Prodigieuse main gauche, aussi alerte dans la puissance percussive que dans les renversements d'accord. Il faut l'entendre sur Alone Together, entendre son hommage aux mâitres du piano jazz pour comprendre quelle maestria ils lui ont transmise. Un peu d'Art Tatum dans son jeu quand il emprunte la vélocité des fioritures. Fort !
Toute l'affirmation de son identité de pianiste de jazz et de blues enfin dans cette version de Love Forsale aussi où derrière le reprise du thème, c'est toute l'inventivité de son discours qui éclate .
Et c'est au final une sorte de parenthèse enchantée dans l'avalanche des publications actuelles. Une façon de se ressourcer à un jazz bel et bien enraciné dont certains, comme Michel Camilo sont de flamboyants porteurs de flamme. Porteurs de grâce.
Jean-Marc Gelin