ECM 2012
Chris Potter (ts, ss , clb), Craig Taborn (p), David Virelles (prepared piano, celeste, harmonium), Larry Grenadier (cb), Eric Harland drums
C’est du grand Chris Potter que l’on retrouve dans ce nouvel album paru chez ECM.
A 42 ans le gamin de Columbia s’impose aujourd’hui comme l’une des figures les plus impressionnantes du sax ténor. Celui que l’on connaissait impétueux et irrésistible sur des albums déjà mythiques comme le superbe « Follow the red line », accède, en signant chez ECM à une sorte de maturité impressionnante. Là où l’on entendait un génie débouler à fond la caisse, on entend désormais la vraie profondeur d’un discours. Qu’il s’agisse du
ténor ou de la clarinette basse sur laquelle il prend de plus en plus
plaisir à jouer. On entend toujours chez lui (écouter Wine dark Sea) les révérences qu’il voue à Michael Brecker dont il est l’un des grands suivistes ( au point d’avoir joué longtemps sur un Selmer lui ayant appartenu). Mais il y a maintenant une autre dimension chez Chris Potter.
Comme si, ayant définitivement dompté l’instrument ( i tant est que l’on y parvienne jamais), Chris Potter mettait son talent au service d’un vrai propos musical qui se traduit tant par sa science de l’écriture que par la dynamique d’un groupe qu’il crée et dont se nourri en retour. Ainsi par exemple sa complicité avec un Craig Taborn qui est ici fondamental, comme si Chris Potter avait trouvé dans le pianiste, son double parfait en complémentarité mais aussi en contraste. Craig Taborn en véritable magicien
sort ainsi très vite d’un rôle d’accompagnateur classique et son
association avec David Virelles fait merveille comme sur ce Wayfinder très surprenant dans leur manière de façonner un son envoutant. Il est un peu à Chris Potter ce que Jason Moran est à Charles LLyod par exemple.
A l’entame de l'album on est immédiatement saisi par le son de sax juste énorme et une mécanique rythmique qui se met immédiatement en place et place la barre très haute. Quelle puissance du discours ! Une stature à la dimension des très grands. Chez Chris Potter il y a (et c’est parfois ce que certains lui reprochent – voir dernière chronique dans Jazzmagazine) une sorte de véritable leçon d’histoire du ténor. Entendez par là, non pas les tenors de velours mais les incisifs, les puissants, les tranchants, ceux qui jouent la ligne droite à haute pression. Il lui arrive parfois de donner dans une inspiration très coltranienne comme sur The Sirens où il ouvre le morceau avec un passage admirable à la clarinette basse (vieil instrument des années 20 sur lequel il joue depuis plusieurs années) dans un moment d’envoutement total, de suspension du temps avant de reprendre le ténor dans une sorte de mystique coltranienne particulièrement. Cet exercice là apparait cependant un peu convenu comme un exercice quasi obbligé dans la maison de Manfreid Eicher. Mais la référence de Chris Potter, il ne fait pas l’oublier a longtemps été celle de Sonny Rollins.
Référence dont il se détache aujourd’hui peu à peu mais à laquelle il ne peut s’empêcher de rendre un hommage comme sur ce Kalypso (forcément !) où il reprend pour son compte les idiomes du maître.
S’appuyant sur une rythmique exceptionnelle d’où émerge un très grand Eric Harland et un Larry Grenadier pas moins exceptionnel (il faut écouter son chorus fascinant à l’archet), Chris Potter au-delà du name dropping de ceux qui fondent son identité de saxophoniste et par delà ce qui pourrait laisser penser à un exercice de style, signe au contraire un grand album.
Le gamin de caroline Du Sud ne prend pas de l’assurance puisque cette absolue confiance en son jeu a toujours été sa marque de fabrique. Mais en revanche avec « the Siren » le saxophoniste entre dans la quarantaine en
prenant de l’épaisseur, de la profondeur de champ et s’isncrit
définitivement dans la cour des très grands ténors, dans le panthéon d’une histoire toujours recommencée.
Jean-Marc Gelin
Wayfinder avec Joe Martin à la cb et David Virelles au piano.