Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 juillet 2010 3 14 /07 /juillet /2010 22:54

Autoproduction  http/jazz.laurentepstein.com 

Laurent Epstein (p), Yoni Zelnik (cb), David Georgelet (dm), 2010

 laurentepstein.jpg Toutes  les  chanteuses  de  la  capitale,  toutes  celles  qui  ont  l’habitude de pratiquer les jam de       « Autour de Minuit », toutes les ex du regretté Studio Des Ilettes connaissent bien Laurent Epstein. Elles ont  toutes eu  l’occasion  de savourer son immense talent d’accompagnateur, cette abnégation et cette façon discrète qu’à le pianiste de servir la musique avec autant d’apparente simplicité que d’amour mutin de la musique. Et nous étions donc quelques uns à attendre avec impatience qu’il enregistre son premier disque et qu’il se lance enfin dans le grand bain de l’édition phonographique. D’autant que ses fidèles complices, ses compagnons d’armes des premières heures sont  rompus à l’exercice.  Yoni  Zelnik  que  l’on  ne présente plus est assurément l’un des contrebassistes les plus demandé de la scène parisienne et ne compte plus ses sessions en studio alors que le batteur David Georgelet a fait le buzz cette année avec deux albums sous deux noms différents (Frix et Akala Wubé).

 

Seulement  voilà,  Laurent  Epstein  partage  avec  les  grands musiciens cette élégante humilité qui l'a toujours fait rechigner à s’exposer, à se mettre sur le devant des scènes. Pas une coquetterie de star, non plutôt la modestie des vrais gentlemen. Et c’est avec cette humilité qu’aujourd’hui c’est tout juste s’il ne s’excuserait pas de venir nous présenter son nouveau-premier album. Et pour tous ceux qui le connaissent déjà, ce que nous découvrons ici ne fait que confirmer tout le talent que nous lui connaissions déjà. Celui d’un pianiste aussi sensible que délicat dans sa façon de tourner autour des harmonies, de  chalouper  le  swing  (La Madrague), de « bopper » gourmand (That’s all), d’aller dénicher les subtilités mélodiques (un Locomotive de Monk pas si atonal que ça), et de révéler tous les atours de thèmes faussement simples mais qui, sous ses doigts coulent toujours comme une belle évidence. En toute simplicité. Il faut dire et répéter que Laurent Epstein est accompagnateur dans l’âme. Accompagnateur des autres, des chanteurs et des chanteuses, accompagnateur de la musique dont il ne cherche qu’à mettre en évidence la beauté  des  lignes  mélodiques  (enfin  un pianiste qui aime la mélodie !). Mais aussi accompagnateur de lui-même dans cette façon si subtile et suprêmement élégante de servir la musique. En toute simplicité. Il y a chez lui cette façon de s’effacer  devant  la  phrase  musicale  et  de  la  laisser  vivre.  Comme s’il voulait disparaître devant la musique, ne pas en imprimer sa propre marque, juste la jouer avec cette grâce et cette légèreté qui est comme un défi aux lois de l’apesanteur. On ne peut s’empêcher de penser qu’il partage cette apparente modestie musicale avec un Alain Jean-Marie, lui aussi grand accompagnateur devant l’éternel.

Laurent  Epstein  choisi  avec  un  goût  exquis ses compositions, passe en revue quelques standards (mais pas forcément les plus fréquents), joue quelques unes de ses propres compositions (au demeurant superbes)  avec autant de détachement élégant  que de gourmandise mutine, s’amuse même avec une chanson comme La Madrague dont il met en exergue tous les trésors cachés. Sorte de petit clin d’œil pour dire que cela n’est jamais tout à fait sérieux. Jamais trop grave. C’est que, pour Laurent Epstein , tout est matière à faire chanter le swing pour peu qu’il s’arrête un peu sur son cas.

 

Sa  musique ne réinvente jamais le jazz. Pas de ça chez lui ! Phineas Newborn, Hampton Hawes, Hank Jones, Wynton Kelly et Bill Evans lui ont forcément soufflé deux ou trois trucs de pianistes. Et d’eux Epstein a gardé cette façon de jouer, de  swinguer,  de  balancer en toute simplicité. Aucune introspection sombre chez ce pianiste-là. A la limite du modal. Il suffit d’entendre le Lullaby of leaves qu’il joue en solo pour entendre chez Epstein l’anti-pianiste tourmenté et solitaire.

 

Ses  camarades  de  jeu,  indéfectibles  amis lui offrent comme en cadeau un écrin affectueux dans lequel il s’en va chercher ses pépites, celle qu’il offre avec l’œil attendri et amoureux de ceux pour qui l’amour est justement une offrande belle et joyeuse.

Et avec cette façon de donner vie et âme à son piano, on jurerait même que pour une fois, la vraie chanteuse, c’est lui.


Jean-Marc Gelin

Ps : pour les parisiens, n’hésitez pas à aller l’entendre au Sunside le 20 septembre

 

 

Partager cet article
Repost0
12 juillet 2010 1 12 /07 /juillet /2010 22:10

 «  Harvesting semblance and affinities »

PI recordings 2010

Steve Coleman (as), Jonathan Finlayson (tp), Tim Albright (tb), Jen Shyu (vc), Thomas Morgan (cb), Tyshawn Soreu (dm), Marcus Gilmore (dm on 5), Ramon Garcia Perez (percus on 5)

 

 

 

steve-coleman.jpgIl y a dans la musique de Steve Coleman quelque chose de fascinant. De toujours fascinant. C'est un peu comme si l'on partait à la découverte d'une civilisation disparue dont on apprenait les usages et la langue. Et ce dès le début du présent album, qui ouvre comme sur une sorte de rituel ou de rite initiatique. On retrouve d’ailleurs ici l’inspiration des Rituals que l’on retrouvait dans Weaving Symbolics ( Label Bleu 2006). Et cette sensation est renforcée par les volutes vocales de Jen Shyu qui depuis quelques temps déjà accompagne Steve Coleman ( quand ce n’est pas Sarah Murcia) et dont la voix de vestale posée sur la musique est une sorte d’appel à une mystérieuse célébration mystique. Se reporter à la définition du Petit Robert,  vestale : "prêtresse de Vesta qui entretenait le feu sacré".

Mais la musique de Steve Coleman c'est aussi cette géométrie à multiples variables où les frontières entre l'écrit et l'improvisation sont instables (à l'exception des parties chantées), comme le sont aussi celles qui sont censées séparer le chant et le contre-chant au gré des combinaisons rythmiques et harmoniques. Et le lien, dans ces flottements de la forme, c'est cette formidable énergie qui circule et passe de part en part entre les musiciens.

Sur chacune des phrases vocalisées, des ramifications harmoniques se croisent portées par Coleman à l'alto ( quel son !), par   Jonathan Finlayson ( superbe) à la trompette et par Tim Albright au trombone. La rythmique quand à elle apporte une vie puissante, une sorte de force tellurique à cette fête païenne.

On ne peut que suivre Steve Coleman et entrer avec lui dans un univers totalement captivant.  Semblant s’être, débarrassé de son langage mathématico philosophique souvent (trop)  complexe, cet univers-là maintient tous les sens en éveil. On croit retrouver ce qui avait fait la force de M'base notamment. Cette force de la pulse viscéralement chevillée à la musique colemanienne.

La structure reste pourtant complexe et le système Colemanien reste fondé sur une approche systémique caractérisée par la numérotation de ses compositions laquelle renvoie à des combinaisons harmoniques et rythmiques bien définies comme autant de ramification possibles. Ce sont des systèmes a priori qui délimitent le cadre. Dans cet écheveau les voix se croisent mais se complètent aussi comme sur ce Middle of Water où les chorus vocaux sont doublés par les cuivres dans un mélange d'unisson et de contre chant vibrants. Une force vitale incroyable frémit, s'élève, vibre et plane aussi dans un univers parfois évanescent, en apesanteur comme sur Flos Ut Rosa Floruit composé par le compositeur Danois Per NÆrgard et inspiré des textes sirptuels du moyen âge, où la voix magique nous entraîne dans une sorte d'opéra entre rêve éveillé et paysage fantasmagoriques.

On connaît aussi l’importance que Steve Coleman a toujours accordé aux batteurs et à leur force d’attraction mutuelle. Il n’est que d’entendre Attila 04 , cycle de 32 mesures (sorte de rituel de clôture, danse frénétique) pour comprendre l’importance du travail d’orfèvre laissé aux baguettes de Tyshawn Sorey .

Assurément il y a un style « Steve Coleman » qui, en dépit de sa complexité, revient aujourd’hui à une forme d'épure qui relève toujours pour l’auditeur, du domaine de l'expérience musicale. Le monde de Steve Coleman nous happe et nous captive. Il appartient définitivement à ceux qui savent le conquérir.

Jean-Marc Gelin

ma pomme

 

Partager cet article
Repost0
12 juillet 2010 1 12 /07 /juillet /2010 18:16

Desordres.jpgDESORDRES

ZOONE LIBRE (collectif de musiciens)

Circumdisc 2010/ Les Allumés du jazz


Article paru le 12 septembre 2010

 



Voilà le premier album du quartet lillois ARSIS né en 2002, composé du trompettiste Christian Pruvost, du guitariste et auteur de la plupart des compositions Ivann Cruz, de Charles Duytschaever à la batterie, et de Mathieu Millet à la contrebasse.
Cette formation appartient à la grande famille nordiste de Circum et en particulier du collectif ZOONE Libre.
Désordres est un titre tout indiqué pour désigner une déconstruction orchestrée savamment, un détournement de formes radical où la texture sonore est travaillée avec le plus grand soin  Trompette au son épuré qui s’étire sur la première partie de «Volutes sonores» pour donner aussitôt après des sons plus écorchés et acides, riffs de guitare saturés, traits énervés de contrebasse, fougueuse batterie, se fondent en un maelström d’improvisations rugueuses, fusionnant acoustique et effets électroniques.
Animés d’une irrépressible envie de partager ce flux constant d’énergie, les musiciens nous servent des pièces engagées et percussives aux sonorités brutes, industrielles dans la mini-suite qui donne son nom à l’album, avant  de se transformer transitoirement  en grooves minimalistes, et sons atmosphériques.
Il en résulte un chant profond et continu d’un groupe qui explore les formes les plus ouvertes, en des échappées libres, pas vraiment planantes, qui ne dérapent jamais avec un foisonnement de sonorités déglinguées, trafiquées et pas toujours identifiables.
D’où un son particulier, inquiétant et étrange, une atmosphère insolite, avec ces bruits parfaitement maîtrisés dans leur dérangement, qui parfois enflent au débouché d’une trompette profondément irritée ; on est au cœur d’un thriller postmoderne pour le « Tredici » final. Créateurs de ces architectures massives mais aussi fragiles,
le résultat est une musique à la trame complexe. C’est ce que l’on retiendra, ces quatre-là concoctent, à partir de sons recherchés un magma très personnel.
A  suivre …

 

Sophie Chambon

 

NB : Et toujours comme pour les disques de Circum, un bel objet à la pochette et au graphisme soignés !

 


Partager cet article
Repost0
1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 22:37

Plus Loin 2010

Cesario Alvim (p), Eddie Gomez (cb)

alvim

Sous ses airs de colosse mi-breton- mi-brésilien, du genre à déplacer les montagnes d’une seule main, Cesario Alvim est un tendre. Je veux dire, un vrai tendre. Un type qui lorsqu’il prend sa contrebasse se met à lui jouer la sérénade comme si c’était la plus belle des filles et qui lorsqu’il se met au piano, l’effleure avec des mots doux d’une infinie délicatesse.

Le pianiste-contrebassiste n’en est pas à sa première rencontre avec Eddie Gomez. Ce dernier, contrebassiste de Bill Evans avait en effet cajolé la grand-mère dans le trio original que Cesario Alvim avait constitué avec un autre Breton, le trompettiste Eric Le Lann en 1988.

Cette rencontre ressemble donc plutôt à des retrouvailles avec pour thème central le fantôme en filigrane de Bill Evans et la place de la contrebasse dans le jeu modal de ce dernier. Le Dictionnaire du jazz dit à propos de Cesarius Alvim que ce dernier est « l’un des premiers pianistes à avoir favorisé l’émancipation de la basse comme une surenchère mélodique à force d’exploration harmonique ». Un peu excessif mais quand même pas trop loin du propos à l’écoute précisément de cet album-là.

Le jeu d’Eddie Gomez s’y reconnaît à 10.000 lieues à la ronde à tel point qu’on a le sentiment que le propos est renversé et que Cesarius Alvim va se mettre à jouer comme Bill Evans. Mais ce dernier évite les piège d’un discours archétypal  et sur ses compositions partage l’espace mélodique et harmonique avec celui dont a pu dire qu’il était dans le trio de Bill Evans l’héritier direct de Scott La Faro. Le temps, le tempo s’écoulent alors doucement et avec une immense légèreté. Chacun alterne l’accompagnement de l’autre, avance à tout de rôle tout en se tenant la main.

On a pu entendre récemment un duo fabuleux piano/contrebasse entre Jarrett et Haden. Il s’agissait d’émotion palpable d’une formidable densité. Ici c’est une tout autre couleur où domine la retenue et où chacun ne s’insère pas dans les espaces que lui laisse l’autre mais vient en compléter la tonalité, la couleur.

Cesarius Alvim peintre à ses heures, ( il signe d’ailleurs la belle pochette évoquant la falaises bretonnes) joue dans le pastel une musique d’une immense zénitude. Eddie Gomez en apporte une profondeur rare et une fort belle résonance.

Jean-Marc Gelin

Trouvé sur le net un sublime solo de contrebasse de Cesarius Alvim sur My Foolish Heart de Eric Le lann. Chapeau à ce dénicheur….

 

Fhttp://www.onf-contrebasse.com/forum/topic2162.html

 

http://www.deezer.com/listen-3657735

 

 

 

Partager cet article
Repost0
1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 22:15

ANTONIO SANCHEZ : «  Live in New York at Jazz standards »

Cam Jazz 2010

Miguel Zenon (as), David Sanchez (ts), Scott Colley (cb), Antonio Sanchez (dm)

antonio sanchez

Si vous voulez avoir une idée sur ce qui se pratique de mieux dans le jazz actuel, allez voir (ou plutôt écouter) du côté de cette nouvelle génération du jazz issue de l’immigration portoricaine, indienne etc … et forgée dans les meilleures écoles  de  musique.  C’est  une  génération  qui  possède,  bien ancrée en elle ses propres racines métissées à un jazz aussi savant que sauvage, mélangeant ses idiomes avec les patterns  traditionnels du jazz, du rythme, du swing et de la syncope.   Il  suffit  d’entendre  les  prodiges  de  Miguel Zenon, de Vijay Iyer, Guillermo Klein, Rudresh Mahantappa ou encore de David et de Antonio Sanchez ( qui ne sont pas de la même fratrie ) pour s’en rendre compte. Il y a dans leur musique et à des degrés divers, une rage de musique intacte et cristalline.

Et la magnifique idée de la part du label italien d’avoir mis la main sur la captation live d’un concert donné par le quartet d’Antonio Sanchez au Jazz Standard en 2009 en est une illustration flagrante.

Sous  la  houlette  de  ce  magnifique  batteur d'à peine 39 ans, demandé par les plus grands du jazz (trois fois primé aux Grammy Awards et membre permanent de la formation de Pat Metheny) c’est un superbe quartet powerful qui en effet, se dégage  ici.  Une réunion aux sommets de 4  immenses talents bourrés d’une énergie de tous les diables. Deux solistes poussés, portés, expulsés, balancés en l’air par une rythmique de choc qui avec Scott Colley (génial et ultra puissant) et Antonio  Sanchez  (  en trublion inventif) emporte tout sur son passage, la musique, les solistes, les spectateurs du soir, les auditeurs accrochés à leurs earphones, les cravates qui s’envolent au comptoir du bar et les pékins accrochés au zinc  pour  ne  pas s’envoler. Impossible de résister à son flot. Et s’il n’y a avait que cela ! Mais ce serait oublier cette musique pour l’essentiel composée par Antonio Sanchez, matériau qui déborde de trouvailles, multiplie les formats, enchaîne  les  séquences  de contrepoint avec des unissons furieux et laisse place à des espaces parfois ultra denses  ( les deux premiers morceaux, Greedy Silence et H & H mettent littéralement le feu) et parfois au contraire très étirés ( Ballads, The Forgotten Ones).

On  aurait  certes  pu  craindre  à l’usure face à ce double CD « live » où les morceaux durent chacun au bas mot, 17 à 20 mn. Mais il n’en est absolument rien.  Et c’est tout au contraire une sorte d’émulation perpétuelle qui nous maintient toujours  en  haleine  à  force  d’énergie  toujours redoublée. Où l’on ne sait plus trop, dans la rythmique, qui galvanise l’autre de Sanchez et de Colley. Deux saxs  (ténors et alto), époustouflants où chacun imprime sa marque et porte le témoignage  de  deux  personnalités  fortes,  deux discours pleinement affirmés. Jamais dans l’esprit d’un duel mais plutôt dans celui d’une complémentarité d’où naît la surprise de deux discours fleuves et formidablement riches. L’un c’est l’aîné, le protégé de Dizzy Gillelspie il n’y pas si longtemps, c’est le Nil majestueux et puissant débordant les plaines ensevelies et l’autre plus jeune mais déjà immense saxophoniste c’est l’Amazone et le Yang Tsé Kiang réunis.

Formidable choc de rentrée……

Jean-marc Gelin

 

Partager cet article
Repost0
1 juillet 2010 4 01 /07 /juillet /2010 19:09

ECM 2010

Tim Berne (as), Craig Taborn (p),Michael Formanek (cb), Gerald Cleaver (dm)

 

FORMANEK.jpg Il y a des disques dont on sort de l’écoute en se sentant un peu idiot. En ayant le sentiment  d’être passé à côté de quelque chose sans réellement savoir de quoi il s’agit. On sent bien, on sait bien qu’il s’est passé quelque chose de beau, de très beau mais sa forme reste difficilement saisissable. On est face à une esthétique esthétisante, un pur moment intellectuel, un  art un peu conceptuel dont on appréhende d’abord les contours avant de se l’approprier réellement.

C’est un peu ce qui se produit avec cet album du contrebassiste Michael Formanek qui signe là son premier disque ECM avec u  quartet inédit. Pour l’occasion il retrouve le saxophoniste New-Yorkais Tim Berne avec qui il a eu l’occasion de travailler souvent ainsi que Craig Taborn aux claviers et Gerald Cleaver aux baguettes. Il s’agit alors pour eux d’explorer des espaces d’improvisation  de se rencontrer, de se séparer, de faire vibrer la forme, lui donner une vie modelée comme de la pâte. Tim Berne que l’on connaît fougueux et presque free se trouve ici un peu à contre-emploi dans une musique qui n’est pas réellement la sienne mais qu’il parvient à animer. Craig Taborn quant à lui est véritablement le centre du propos bien que lui aussi soit dans un registre qui n’est pas le sien, abandonnant ici les claviers électriques pour le piano acoustique.  Un jeu égrené d’arpéges filants sur une onde invisible (Twenty Three Neo), ou bien posant les résonances d’accords graves ou encore tournant autour d’une pièce tonale (Tonal Suite) montre l’étendue d’un jeu décidemment inclassifiable.  Craig Taborn ne se réduit pas à la simple partie d’une rythmique mais en véritable co-leader aux côtés du saxophoniste. Il ne s’agit pas dans son jeu de contre-chant classique mais d’un jeu en véritable contraste. Visiblement très à l’aise avec la musique de Formanek, Craig Taborn lui apporte une fraîcheur magnifique. Dès lors les 4 acteurs de cet espace d’improvisation se concertent, se suivent parfois, martèlent les lignes, déforment légèrement les espaces dans un cadre harmonique qui reste très construit et très strict. Et c’est tou leur art de parvenir à cet ensemble kaléidoscopique dans un système plutôt contraignant.

Le résultat, pour autant, est assez conventionnel et ne surprend pas réellement. L’ouvrage n’est pas réellement difficile d’accès et reste dans le domaine des musiques improvisées. Mais il paraît parfois un peu hermétique par son aspect un glacé qui s’écoute, s’entend mais peine à imprimer durablement son empreinte.

Jean-Marc Gelin

Partager cet article
Repost0
29 juin 2010 2 29 /06 /juin /2010 16:28

made-of-dust.jpg

Autoproduit – 2010

 

 

Article publié le 30 août 2010

 

Fabian Daurat (elg), Albert Marques (p), Samuel Hubert (cb), Rémi Vignolo (dr)

 

Premier cd pour ce guitariste français récemment sorti de la Berklee. Au premier abord, « Made of Dust » ne paie pas de mine, alors qu’il réserve quelques surprises. La première d’entre elles est d’entendre Rémi Vignolo,  « Ze contrebassiste » passé à la batterie, au sein de ce quartet composé de Samuel Hubert (cb) et Albert Marques au piano - deux musiciens qui sont pour votre serviteur  inconnus. La deuxième est l’espace accordé au pianiste qui a composé trois des titres - Fabian Daurat a composé les quatre autres - et dont le piano est tout aussi présent que la guitare. Enfin, Fabian Daurat s’avère être un guitariste avec une large palette de styles - de Wes Montgomery à Pat Metheny, avec la forte empreinte de George Benson – et un jeu très sobre.

Sur « Syrius », ballade composé par Daurat, le guitariste fait une entrée discrète et mesurée. Puis les vocalises, qui doublent la guitare, et son jeu rappellent le Pat Metheny group des années 80-90. Une fois cette mise en bouche avalée, Daurat pousse la chansonnette sur « Bye Bye Blackbird » et « Les feuilles mortes ». Et il s’en tire bigrement bien. On aime mieux la voix, claire légèrement naïve, de Daurat-chanteur sur « Bye Bye Blackbird » que sur « Les feuilles mortes » où le chant en français lui réussit moins associé à un petit manque d’imagination.

Sur « Call It A Day », composition enlevée du guitariste, Daurat dévoile un jeu tout en accord, initialement développé par Wes Montgomery, et une jolie maitrise de l’instrument sans éclats forcés, avec retenue poétique. Sur « Granollers » de Marques, le jeu du guitariste est à nouveau discret et voluptueux ; il laisse la part belle au pianiste dont le jeu et la rythmique rappelle « Con Alma » de Ray Bryant. En revanche, il prend la main sur « Blues #N », un blues Be-bop tout à fait classique doté d’une tension pulsatile, et emmène tout le groupe avec lui sur une très sympathique cavalcade. La rythmique complexe de « IDN » est le fait du pianiste et fait de cette pièce moderne, l’œuvre la plus aboutie du cd, sans oublier « Made of Dust ». Ce morceau introspectif à la contrebasse envoûtante et à la guitare distante est l’éponyme de l’album. La signification du titre de l'album et sa musique nous ont interpellé et nous avons demandé à Fabian Daurat de nous l’expliquer par ces mots : «"Le morceau Made of Dust porte ce nom car il est conçu comme une méditation. Il évoque ma conception de la condition humaine :  Nous sommes une poussière en suspension dans l'univers, une poussière infiniment précieuse. J'ai baptisé ainsi l'album car cette idée me guide dans mon rapport à la musique, et à travers elle, à la vie en général, ainsi que j'essaie de l'exprimer à travers chaque note."»

Avec ce premier album, Daurat surprend par une musique délicate, un jeu sobre sans bavure et de jolies compositions. Il montre qu’il sait accorder une part importante de liberté et de confiance à ses musiciens (on pense à Marques et à Vignolo à la batterie qui n’usurpe en rien sa place de batteur, au contraire son jeu est limpide et sa frappe est solide.) et pose de cette manière les fondements d’un véritable groupe.

Derrière la discrétion et l’espace, Daurat rapproche les talents et sait les écouter. Il cheville les énergies et développe avec « Made of Dust » un délicieux moment musical gonflé d’une belle âme.

 

Myspace

 

 

Jérôme Gransac


 

 

 

Partager cet article
Repost0
27 juin 2010 7 27 /06 /juin /2010 23:21

dave_king_indelicate-200.jpg

 

Sunnyside Records - 2010

 

 

 

 

 

Dave King (p, dr)t

Aricle publié le 28 juillet 2010

 

 

 

 

Dans les notes de livret, Dave King annonce d’emblée : « j’ai toujours voulu faire ça. Maintenant c’est fait, pour le meilleur et pour le pire ». Ça, c’est jouer du piano et de la batterie en solo. Si l’indication est délicate de la part du batteur, sa formulation semble appeler à l’indulgence.

Batteur des Bad Plus, de Happy Apple ou Buffalo Collision et anciennement d’Ursus Minor, nous connaissons bien Dave King le batteur. Au piano, en revanche, Dave King nous réserve quelques heureuses surprises bien qu’il soit loin d’être un virtuose. En effet, avec « Indelicate », Dave King parcours les touches du piano de manière plus rythmique et percussive que lyrique. Minimaliste, la musique sonne mécanique. Le batteur martèle le piano et adopte un style monkien plutôt original dans un jeu tonal/atonal. Ensuite, il agrémente ses atmosphères percussives par des éléments électro-saturés, comme une sonorité de boite à rythmes ou des sonneries, qui donnent curieusement un arrière-gout post moderne (new wave, punk ?) plutôt inattendu!

L’expérience est touchante et n’est pas dénuée de sens, au contraire. Surtout, Dave King porte au piano quelques unes de ses compositions. D’ailleurs, on y entend les stigmates du power trio au piano et on y retrouve les aspects rythmiques rock et les mélodies accrocheuses. Plus exactement, on ressent fortement l’influence du pianiste Ethan Iverson des Bad Plus. Ainsi « Indelicate » est « très Bad Plus », « I see you, you see me » tape dans le registre de la mélodie émouvante et « The Black Dial Tone of Night » est introspectif.

La belle surprise réside dans la place qu’occupe la batterie.  Elle tient le rôle d’instrument principal qui apporte le décodage rythmique et la voie mélodique des compositions de King. Le piano devient un instrument de percussion, comme une extension harmonique de la batterie.

Avec « Indelicate » , Dave King nous surprend avec une musique originale, enthousiasmante quelques fois. Résolument moderne.

 

Jérôme Gransac

Site de Bad Plus

 

 

Partager cet article
Repost0
21 juin 2010 1 21 /06 /juin /2010 22:49

ma pomme

 

www.lindaohmusic.com

Ambrose Akinmusire (tp), Lindah Oh (cb), Obed Calvaire (dm)

LindaOhEntry.jpg Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler : attention nouveau talent à suivre impérativement ! Car lorsque l’on a entendu ce premier album de la contrebassiste originaire de Malaisie, Linda Oh, on acquiert immédiatement la certitude que la jeune femme a devant elle une carrière plus que prometteuse. Ce n’est donc pas un hasard si Linda Oh qui vit désormais à New York a obtenu en 2009 une mention au concours de basse Thelonious Monk et fut désignée par Downbeat comme l’une des 10 grandes révélations parmi les jeunes musiciens.

Pour son premier album, la contrebassiste s’est adjoint les services du jeune prodige de la trompette, Ambrose Akinmusire, lui aussi premier prix du concours Thelonious Monk en 2007 et que l’on annonce en signature chez Blue Note. À la batterie, pour former le trio, Obed Clavaire jadis entendu aux côtés de Wynton Marsalis, Danilo Perez ou Steve Turre. Jeune casting de premier choix effectivement.  Belle complicité entre les trois musiciens qui, font vivre cette musique de manière très fusionnelle . Et surtout révélation de cette jeune prodige de la contrebasse. On ne se lasse pas en effet d’être impressionné par sa puissance, par sa rondeur et par ce son profondément ancré au plus profond du tréfonds du sol. Linda Oh fait ainsi preuve d’une insolente maîtrise technique virtuose et gardienne intraitable du groove. Elle qui dit s’être inspiré pour composer cet album de groupes Rock de son enfance comme les Red Hot Chili Peppers (dont elle reprend avec une  incroyable maestria Soul to squeeze de l’album éponyme) est pourtant bien ancrée dans les fondamentaux de ce jazz aussi tonique qu’inspiré. Nous la voyons pour notre part venir plutôt d’un autre monde. Jouant exclusivement de la contrebasse, la jeune fille nous évoque parfois William Parker dans ce jazz très ancré dans la scène post free New Yorkaise ou plus près de nous Claude Tchamitchian dans la perfection de sa ligne mélodique. Linda Oh ne rechigne pas à la tâche et s’y atèle même avec une certaine gourmandise comme dans ce Fourth Limb où Akinmusire est littéralement porté par cette pulse et cet ostinato que vient juste ébranler un admirable solo de contrebasse. Linda Oh tout au long de l’album affiche son sens du jeu mêlant le contre-chant et l’improvisation harmonique. Pour nous maintenir en éveil sur la base de cette formation terriblement exigeante ( contrebasse-trompette-batterie), les trois acteurs semblent réinventer constamment leur instrument dans une remise en cause permanente Entre free et improvisation structurée, la belle Linda Oh tient la baraque et délimite le champ de jeu, pose le tempo avec une assurance qui force l’admiration. Rarement depuis Avishai Cohen et Esperanza Spaulding avions nous entendu un jeu si affirmé que celui de la jeune Linda OH. Ceux qui seront au Sunside Mercredi 30 juin pourront à coup sûr en témoigner. Jean-Marc Gelin

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
12 juin 2010 6 12 /06 /juin /2010 18:18

 

CamJazz 2010

Urs Bollhaler (p), Raffaele Bossard (cb), Christophe Müller (dm)

 

Urs-Bollhaler.jpg


Le label Cam Jazz, un peu à l’instar du label Fresh Sound, a ouvert une division, « Cam Jazz présents »  dont le focus porte sur la découverte de jeunes talents. Ils ont traversé le massif Alpin pour aller découvrir du côté de la Suisse ce jeune et splendide trio helvétique emmené par son pianiste et compositeur Urs Bollhaledr. Un vrai coup de cœur que nous n’hésitons pas à partager pour ce trio qui s’inscrit sans complexe dans la tradition des trios modernes dans la lignée des Meldhau ou des Svensson. Ils ont en effet parfaitement intégré les bases de ce jazz moderne dont on ne peut plus dire exactement s’il va chercher plutôt du côté du jazz ou du côté de la pop, plutôt Rosenwinkell ou plutôt Radiohead, tant leur syncrétisme les amène à développer un savant mélange de ces univers. Urs Bollhalder qui a déjà joué avec des musiciens comme Randy Brecker, Franco Ambrosetti ou Bob Berg est trompettiste de formation Ce qui explique peut être son goût pour les mélodies sublimées. A moins que ce ne soit ses premières armes avec Abdullah Ibrahim dont l’influence compositionnelle peut se concevoir à l’écoute de l’album.

Un vrai trio disions nous. Car ces trois-là développent effectivement un  vrai son de trio ( je sais c’est un peu con de dire ça mais je vous jure c’est vrai !) et des compositions qui savent manier le groove avec finesse et naviguent sans caricature entre l’atonalité et la modalité. Sans jamais forcer le trait ils font preuve à la fois d’une grande élégance dans leur façon de développer leur jeu, se donnant le temps de construire une improvisation retenue, et d’installer la pulse sous jacente. Ces trois-là se connaissent bien et tournent ensemble depuis 4 ans. De quoi maîtriser avec une rare précision le répertoire où le piano mis remarquablement en évidence, s’affiche dans un écrin de luxe digne d’une joaillerie suisse. Et c’est avec beaucoup de retenue que ces trois jeunes garçons s’expriment et surtout avec beaucoup de maturité qu’ils donnent à leur musique une profondeur rare. Une belle découverte

Jean-marc Gelin

 

site de Urs Bollahlder

 

Partager cet article
Repost0