Autoproduction http/jazz.laurentepstein.com
Laurent Epstein (p), Yoni Zelnik (cb), David Georgelet (dm), 2010
Toutes les chanteuses de la capitale, toutes celles qui ont l’habitude de pratiquer les jam de « Autour de Minuit », toutes les ex du regretté Studio Des Ilettes connaissent bien Laurent Epstein. Elles ont toutes eu l’occasion de savourer son immense talent d’accompagnateur, cette abnégation et cette façon discrète qu’à le pianiste de servir la musique avec autant d’apparente simplicité que d’amour mutin de la musique. Et nous étions donc quelques uns à attendre avec impatience qu’il enregistre son premier disque et qu’il se lance enfin dans le grand bain de l’édition phonographique. D’autant que ses fidèles complices, ses compagnons d’armes des premières heures sont rompus à l’exercice. Yoni Zelnik que l’on ne présente plus est assurément l’un des contrebassistes les plus demandé de la scène parisienne et ne compte plus ses sessions en studio alors que le batteur David Georgelet a fait le buzz cette année avec deux albums sous deux noms différents (Frix et Akala Wubé).
Seulement voilà, Laurent Epstein partage avec les grands musiciens cette élégante humilité qui l'a toujours fait rechigner à s’exposer, à se mettre sur le devant des scènes. Pas une coquetterie de star, non plutôt la modestie des vrais gentlemen. Et c’est avec cette humilité qu’aujourd’hui c’est tout juste s’il ne s’excuserait pas de venir nous présenter son nouveau-premier album. Et pour tous ceux qui le connaissent déjà, ce que nous découvrons ici ne fait que confirmer tout le talent que nous lui connaissions déjà. Celui d’un pianiste aussi sensible que délicat dans sa façon de tourner autour des harmonies, de chalouper le swing (La Madrague), de « bopper » gourmand (That’s all), d’aller dénicher les subtilités mélodiques (un Locomotive de Monk pas si atonal que ça), et de révéler tous les atours de thèmes faussement simples mais qui, sous ses doigts coulent toujours comme une belle évidence. En toute simplicité. Il faut dire et répéter que Laurent Epstein est accompagnateur dans l’âme. Accompagnateur des autres, des chanteurs et des chanteuses, accompagnateur de la musique dont il ne cherche qu’à mettre en évidence la beauté des lignes mélodiques (enfin un pianiste qui aime la mélodie !). Mais aussi accompagnateur de lui-même dans cette façon si subtile et suprêmement élégante de servir la musique. En toute simplicité. Il y a chez lui cette façon de s’effacer devant la phrase musicale et de la laisser vivre. Comme s’il voulait disparaître devant la musique, ne pas en imprimer sa propre marque, juste la jouer avec cette grâce et cette légèreté qui est comme un défi aux lois de l’apesanteur. On ne peut s’empêcher de penser qu’il partage cette apparente modestie musicale avec un Alain Jean-Marie, lui aussi grand accompagnateur devant l’éternel.
Laurent Epstein choisi avec un goût exquis ses compositions, passe en revue quelques standards (mais pas forcément les plus fréquents), joue quelques unes de ses propres compositions (au demeurant superbes) avec autant de détachement élégant que de gourmandise mutine, s’amuse même avec une chanson comme La Madrague dont il met en exergue tous les trésors cachés. Sorte de petit clin d’œil pour dire que cela n’est jamais tout à fait sérieux. Jamais trop grave. C’est que, pour Laurent Epstein , tout est matière à faire chanter le swing pour peu qu’il s’arrête un peu sur son cas.
Sa musique ne réinvente jamais le jazz. Pas de ça chez lui ! Phineas Newborn, Hampton Hawes, Hank Jones, Wynton Kelly et Bill Evans lui ont forcément soufflé deux ou trois trucs de pianistes. Et d’eux Epstein a gardé cette façon de jouer, de swinguer, de balancer en toute simplicité. Aucune introspection sombre chez ce pianiste-là. A la limite du modal. Il suffit d’entendre le Lullaby of leaves qu’il joue en solo pour entendre chez Epstein l’anti-pianiste tourmenté et solitaire.
Ses camarades de jeu, indéfectibles amis lui offrent comme en cadeau un écrin affectueux dans lequel il s’en va chercher ses pépites, celle qu’il offre avec l’œil attendri et amoureux de ceux pour qui l’amour est justement une offrande belle et joyeuse.
Et avec cette façon de donner vie et âme à son piano, on jurerait même que pour une fois, la vraie chanteuse, c’est lui.
Jean-Marc Gelin
Ps : pour les parisiens, n’hésitez pas à aller l’entendre au Sunside le 20 septembre