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31 mars 2022 4 31 /03 /mars /2022 21:34

Ingrid Laubrock (saxophones ténor & soprano), Brandon Lopez (contrebasse), Tom Rainey (batterie)

New York, 25 avril 2021

Intakt CD 376 /Orkhêstra International

 

Les multiples collaborations, dans divers contextes (dont le duo) entre Ingrid Laubrock et Tom Rainey, ont aussi débouché voici quelques années sur un premier trio, en concert, avec Brandon Lopez. Ce disque concrétise la fructueuse pertinence de cette rencontre. Après un début rêveur et méditatif, qui nous révèle une fois de plus l'étendue de la palette de la saxophoniste, la même plage s'épanouit en libre cavalcade et trilogue effervescent. Et cette connivence va trouver au fil des plages une foule d'expressions différentes, mettant à profit toutes les singularités des protagonistes pour une véritable œuvre collective. Ça bouge, ça vit, ça s'interpelle, et ça nous interpelle, nous qui sommes auditeurs (et presque spectateurs) de cette cérémonie secrète qui mêle transgression des codes et adhésion sans faille à tous les sortilèges de la musique. C'est fascinant, puissant, et riche de toutes les métamorphoses. Le cinquième titre nous embarque dans une sorte de périple abstrait, dont l'abstraction semble feinte, car la sensualité des sons, leur richesse timbrale, convoque simultanément une espèce de chaleur organique, comme une ode à la musique incarnée, au sens propre, une musique qui prend chair. Et cela se conclut dans l'ultime plage par une folle explosion. Magnifique !

Xavier Prévost 

 

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20 mars 2022 7 20 /03 /mars /2022 19:11
PRONTO! Daniel Erdmann & Christophe Marguet  Hélène Labarrière Bruno Angelini

PRONTO! Daniel Erdmann  & Christophe Marguet

Hélène Labarrière Bruno Angelini

Label Mélodie en Sous-Sol

 

Soir Bleu (avec Hélène Labarrière et Bruno Angelini) - YouTube Music

 

Prêts, nous le sommes toujours avec ces musiciens qui se retrouvent depuis quelques années pour des projets excitants. Le duo saxophone-batterie, voilà une association réduite à l’essentiel qu'aiment le saxophoniste Daniel Erdmann et le batteur Christophe Marguet-on se souvient de leur Together, Together en 2013, qu’ils prolongent à leur manière aujourd’hui en demandant à la contrebassiste Hélène Labarrière et au pianiste Bruno Angelini de les rejoindre. De vieilles connaissances, puisque Hélène Labarrière joue dans le quartet de Christophe Marguet Happy Hours et Bruno Angelini dans son autre quartet Résistance poétique.

Rapides, voire prompts à trouver leurs marques, ils forment  à eux quatre, dès l’initial “Numero uno” un équipage qui tient la route. Chacune des interventions de cette bande complice sonne juste et dans une écoute mutuelle, la musique respire. Le quartet évolue sur des terres musicales connues, des références fortes sur lesquelles repose ce Pronto! jusqu’à la photo de la pochette délicieusement vintage, celles d’un jazz familier, “ancien” mais qui ne date pas, nuance. Pour une formation qui paraît historique, comme le fait remarquer subtilement Francis Marmande dans les notes de pochette. Car ces magnifiques musiciens ne perdent jamais leurs repères. S’il y a belle lurette qu’ils ont brisé les codes, ils restent dans l’idiome jazz et cela s’entend dans le son, le jeu de Daniel Erdmann sans qu'il se livre pour autant à des hommages pontifiants.

Pas de pas de côté ni de pas en arrière avec ce groupe qui est un exemple de maîtrise et d’interaction tout au long de huit pièces, sans désaccord entre titres et formes, sujet et matériau sonore. Leur musique paraît à la fois simple et intrigante. Simple car accessible, mélodique, avec des sonorités rondes, douces et chaudes du ténor qui joue moins cette fois avec les aspérités du métal, distille un souffle moins rugueux. Christophe Marguet est aux aguets, délicat, en phase avec son camarade, dans un équilibre sonore adapté, léger aux baguettes ou aux mailloches.

Ils ont écrit chacun, à armes égales, une histoire sensible où flotte parfois un parfum de mélancolie, un temps dilué dans une ballade superbe “Elevation”, où piano et contrebasse prennent aussi leur part dans d’exquises nuances. Enclins à faire une musique qui flotte presque sans attache, avec des séquences immersives, une tension certaine sur les creux et  une attente sensuelle de la narration dans “Soir bleu”. “Avant la parole” a la beauté d’un chant élégiaque. La force de leur engagement, leur vive énergie ne semblent pas alors primer sur l‘intime dans cet album. Faux-calme cependant quand on connaît ces musiciens soudés, combatifs et habités. Quelle intensité des instants traversés dans “Tribu” ou le vigoureusement balancé “Hotel Existence” qui rocke véritablement malgré le contrepoint du piano. Quant au final, où règne un motif chaloupé, pirouette charmante qui illustre “DE Phone Home”, il laisse vite éclater la folie communicative du piano et de la batterie. C'est ainsi que jaillit la revendication pour une urgence du jeu, qui est la signature de ces musiciens, la marque de leur identité. Alora, pronti, via! 

 

Sophie Chambon

 

 

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18 mars 2022 5 18 /03 /mars /2022 22:49

Franck Tortiller (vibraphone, arrangements, composition), Patrice Héral (batterie, percussion, voix), Vincent Tortiller (batterie), Jérôme Arrighi (guitare basse), Matthieu Vial-Collet (guitare, voix), Olga Amelchenko (saxophones alto & soprano), Maxime Berton (saxophones ténor & soprano), Gabriel Rachel Barbier-Hayward (trombone), Joël Chausse (trompette, cornet, trompette piccolo)

Maisons-Alfort, sans date

Label MCO 14 / Socadisc

 

Plus de 15 ans après l'album «Close To Heaven» (Le Chant du Monde, 2005) de l'Orchestre National de Jazz qu'il dirigeait alors, Franck Tortiller revient vers l'une des passions-rock de ses jeunes années. Pour le chroniqueur chenu que je suis (j'ai quand même 14 ans de plus que le vibraphoniste-chef d'orchestre), Led Zep' c'est un souvenir lointain de l'année de mes 20 ans (1969), avec un premier disque qui m'a surtout marqué par deux reprise de blues (Willie Dixon, comme l'avaient fait 4 ans plus tôt les Stones pour leur premier album). Mais j'ai quand même écouté la plupart des disques de Led Zeppelin chez mes potes, moi dont le discothèque contenait 80 pour 100 de jazz, quelques disques des Animals (à cause des reprises de la musique afro-américaine), et aussi Nougaro, Ferré, Janis Joplin, Bach, Beethoven, Liszt, Debussy, Stravinski & Bartók....

Autant dire qu'en voyant revenir un programme consacré à ce groupe, j'ai scruté le rétroviseur. Et j'y ai vu que Franck Tortiller, s'il joue dans ce nouvel album des titres de 7 des 9 albums du groupe britannique, ne rejoue aucun des titres de Led Zeppelin choisis pour l'album ONJ de 2005. Il reprend en revanche sa composition Moby and Moby, inspirée par un titre du deuxième album du groupe. Sa version est d'ailleurs très elliptique si on la compare à sa source très blues (hard) rock. Pour les titres repris du groupe, le résultat est saisissant : c'est assurément une reprise jazz, orchestration et solistes compris, dans un arrangement qui repose sur l'exploitation des accents des thèmes d'origine, et semblent aussi inspiré par le drumming si particulier de John Bonham, avec en prime quelques saillies vocales de spoken words très syncopés. Et une alternance de frénésie rock, de fines orchestrations et d'échappées mélodiques. Comme chez le groupe inspirateur, contraste entre le dur et le tendre, le rugueux et le mélancolique. Going to California se voit paré de sonneries monterverdiennes, et l'on chemine ainsi de surprise en nostalgie. Jouissif, non par passéisme, mais par esprit prospectif. Il faut dire que l'orchestre, qui compte en la personne de Patrice Héral et Joël Chausse des partenaires historiques de Franck Tortiller, se compose pour le reste de ses membres de jeunes gens dont les parents devaient être encore à peine adultes quand le groupe d'origine s'est éteint avec la mort de son batteur, en 1980. Bref on tire son chapeau à cette belle réussite !

Xavier Prévost

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L'orchestre sera en concert, avec ce programme, le dimanche 20 mars, 17h30, à Paris au Pan Piper

 

https://www.facebook.com/franck.tortiller.vibraphoniste/videos/3056910911215740/

 

https://www.francktortiller.com/project/back-to-heaven-led-zeppelin.html

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17 mars 2022 4 17 /03 /mars /2022 16:52

ÉRIC DUBOIS QUARTET

Éric Dubois (guitare), Benoit Baud (saxophones alto & soprano), Mathieu Millet (contrebasse), Éric Navet (vibraphone, batterie)

Tilly (Yvelines), mars 2021

Circum-Disc microcidi 026

https://www.circum-disc.com/eric-dubois-quartet/

 

Sur le site du label lillois, le texte du guitariste-leader-compositeur évoque un «pillage nourricier auquel se livrent tous les artistes, consciemment ou pas», évoquant «une succession de moments musicaux reflétant diverses influences : du jazz au classique, du rock à la musique contemporaine». J'y entends plutôt, dans le registre de la composition, pour une partie des thèmes, comme une reprise d'un chemin de liberté qui s'est tracé des années 60 aux années 2000, de Dolphy et Paul Motian, à Frisell et au-delà.... Un goût (et un talent) de l'écriture qui va chercher des lignes et des textures qui élargissent l'espace circonscrit du jazz, fût-il au sens large. Beautés mélodiques, tensions subtiles, lyrisme sans emphase et nuances en cascade : c'est un bonheur d'écoute. Éric Dubois, actif depuis plusieurs décennies dans sa région du Nord, a très peu enregistré, et s'est produit en concert, parallèlement à son métier d'enseignant de musique. Il signe là un bel opus, entouré de très bons solistes : à savourer.

Xavier Prévost

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Le groupe sera en concert au Phénix de Valenciennes le 23 mars, puis le 2 avril à L'Horloge de Tracy-le-Mont (Oise) et le 30 avril à la Médiathèque de Villeneuve d'Ascq (Nord)

 

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2 mars 2022 3 02 /03 /mars /2022 15:56

Andy Emler (piano), Claude Tchamitchian (contrebasse), Éric Échampard (batterie)

Pernes-les-Fontaines, 3-5 janvier 2021

Label La Buissonne RJAL 397041 / PIAS

 

En deux décennies, le Trio ETE n'aura publié que 3 CD (plus une partie de DVD), mais donné une foule de concerts, et aussi constitué l'épine dorsale du MegaOctet. De cette très ancienne (et très fructueuse) connivence, il tire aujourd'hui ce disque qui, comme les récentes publications de MegaOctet, nous délivre une sorte d'état des lieux. Si certains titres font allusion aux tourments de notre monde (The Fake, The Lies, The Worries....), d'autres nous invitent à un autre horizon (The Resistant,The Endless Hopelude). Il est peu probable que la clé de cette musique réside dans ces titres. En revanche, si clé il y a, il se pourrait qu'elle se trouve dans une sorte de manifeste pour le jeu collectif. Difficile de démêler l'écrit de l'improvisé, le concerté du concertant, le prévu de l'imprévisible : tout paraît se jouer dans l'intensité de l'instant, dans le dialogue permanent entre ce qui est projeté et ce qui, déjà, est advenu, par une sorte de magie télépathique. Les styles, les genres et les langages musicaux ne permettent pas de rendre vraiment compte de ce qui se joue ici. Ce qui frappe surtout, c'est la faculté d'être ensemble tout en gardant le pouvoir de diverger, de s'évader, sans pour autant quitter la logique du jeu collectif. Impressionnant et jouissif.

Xavier Prévost

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Le trio sera en concert le 9 mars à Paris, au Studio de 'Ermitage

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Un avant-ouïr sur Youtube

 

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Et chez La Buissonne

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26 février 2022 6 26 /02 /février /2022 19:02
INDIGO THE MUSIC OF DUKE ELLINGTON    JEAN MARC FOLTZ & STEPHAN OLIVA

Indigo The Music of Duke Ellington 

Jean Marc Foltz Stephan Oliva

 

VISION FUGITIVE - Label

Distribution L’autre distribution

Un album spontané et fraternel qui exalte la rencontre toujours renouvelée de deux musiciens à l’écoute attentive et complice. On suit les chemins du compagnonnage peu balisés de ce duo que nous aimons depuis vingt ans, toujours encouragé par Philippe Ghielmetti (alors Sketch), acteur du formidable label Vision fugitive, né de la complicité du guitariste Philippe Mouratoglou avec le clarinettiste Jean-Marc Foltz.

Un label "indé" très autonome, à la signature affirmée : maquette et direction artistique de Philippe Ghielmetti, livret toujours conçu avec un soin particulier, pochettes peintes par Emmanuel Guibert . Cette fois, un imaginaire exotique est déployé avec cette représentation incarnée du blond et du brun, de Lawrence d’Arabie et de son ami le Shérif Ali (aux clarinettes). Allusion à cette vision fantasmée du “Caravan” de Juan Tizol, arrangé pour la circonstance par Stephan Oliva car ce tube a tout d’une scie tant il fut repris et souvent sans imagination.

 Quant à l’objet INDIGO, magnifique, il se décline autour de photographies de Duke Ellington at his best, illustrant un texte fort pertinent de Gilles Tordjman “Duke, duo: le jazz et son double” qui résume le propos du disque et de l’aventure duelle du pianiste Stephan Oliva et du clarinettiste Jean Marc Foltz. Comment ne pas être sensible à l’intelligence de ces lignes qui tranchent avec l’indigence des livrets actuels (quand ils existent) et la faible qualité des illustrations graphiques?

Cela commence en effet par une citation de Paul Valéry dans l’Idée fixe : “Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie” soit le fil rouge de la méthode du Duke. Sa solitude se diffractait dans les singularités des solistes de son orchestre, particulièrement expressifs, les Bubber Miley, Cootie Williams, Rex Stewart, Jimmy Blanton, Paul Gonsalves, Johnny Hodges...avec lesquels il savait obtenir un échange révélateur.

Une fois encore, s’attaquant aux classiques comme avec leur Gershwin de 2016, le duo livre sa version ellingtonienne avec une certaine assurance, chacun ayant su trouver sa place dans l’univers de cet immense musicien. C’est une traversée réussie, une réinterprétation libre et fidèle à l’esprit du compositeur, en dix pièces assez courtes, plus méditatives que ludiques, teintées de recherches sur les couleurs mélodiques et harmoniques. Neuf thèmes du Duke et le final de son alter ego, Billy Strayhorn, l’admirable “Lotus Blossom”. On apprécie tout particulièrement comment les deux musiciens emboîtent dans un formidable “Medley” six thèmes livrés en fragments aux transitions et passages réussis, exquisement détaillés dans un minutage précis. Il y a de l’art dans cette restitution.

On ne saurait dire quel titre est le plus émouvant “The single petal of a rose”, “Reflections in D”, ou ce “Black and Tan Fantasy” qui a un petit air d’ "Echoes of Spring" avant de se muer en un chant funèbre. Comment ne pas admirer cette finesse chambriste qui parvient à restituer sans le moindre accroc, une musique conçue pour un grand orchestre? Une fois le répertoire choisi -et ce n’est pas une mince affaire, Foltz et Oliva savent rester au plus près de la mélodie, reprenant les standards dans leur substance même, les déconstruisant  subtilement (on songe au travail de Stephan sur les musiques de films, à sa relecture de Bernard Hermann) dans une épure qui restitue jusqu’au murmure final ces partitions trop familières.

Chacun plonge à la source de l’autre, n’intervenant que dans le désir d'en prolonger les traces et d’apposer son empreinte, étirant le temps dans un échange télépathique, sûr de la réponse du partenaire.  Dans le chant grave de leurs mélodies, tous deux, jouant avec le silence, maniant suspension et retrait, insistent sur la clarté et l’élégance du phrasé. Quels échos le piano de Stephan Oliva, singulier pluriel, réveille-t-il dans notre mémoire? A l’intérieur du son, comment Jean Marc Foltz trouve-t-il sa musique? On se souvient alors de leur travail dans Soffio di Scelsi, de cet usage du son comme d’une force cosmique essentielle, premier mouvement de l’immobile. En plongée au coeur du son, magistralement rendu par Gérard de Haro et son équipe de la Buissonne.

Ils arrivent à construire une musique qui semble venir d’une contrée lointaine et pourtant immédiatement familière, une musique forte et tendre, rigoureuse et poétique. Une véritable fascination se dégage de cette suite de mélodies qui s’enchaînent inéluctablement avec de légères variations, creusant un sillon connu, dans un écrin de textures tramées à deux, à la résonance rare. C’est une rencontre idéale, quelque peu somnambulique, le clair-obscur d’une musique de rêve éveillé. Captivant et obsédant.

 

Sophie Chambon

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22 février 2022 2 22 /02 /février /2022 07:53
Une histoire du jazz pour les XX et XXI siècles    Un cours particulier de Laurent Cugny

Une histoire du jazz pour les XX et XXI siècles

Un cours particulier de Laurent Cugny

4 CD Audio PUF

Une collection Frémeaux & Associés

Grand Prix de l’Académie Charles Cros pour la Défense du Patrimoine sonore

www.fremeaux.com

 

Laurent Cugny Jazz histoire du jazz une musique pour les xxe et xxie siècles Un cours particulier de Laurent Cugny (puf/fremeaux) - Frémeaux & Associés éditeur , La Librairie Sonore

 

Un titre simple et éloquent pour présenter cent cinquante ans d’une musique complexe, le jazz, par un expert en la matière, musicien, pianiste, arrangeur, qui a joué avec Gil Evans, créé le big band Lumière, fut directeur de l’ONJ (1994-1997). Laurent Cugny est en outre un chercheur universitaire, professeur à la Sorbonne. Engagé depuis 2014 dans l’écriture de l’Histoire générale du jazz en France, il dresse ici un parcours du jazz, de sa création dès l’enregistrement de cette musique à aujourd’hui, un cours de près de 4h en 4 CD audio chez les très sérieux Frémeaux & associésUn travail de référence qui peut intéresser aussi bien des amateurs que des musiciens, des néophytes ou des étudiants en musicologie, une source d’informations remarquable.

Vaste programme et véritable défi que de chercher à définir, pour mieux le comprendre sans doute, ce qu’est le jazz, d’en montrer ses différents aspects, de rendre compte de son évolution. Comme dans l’un de ses ouvrages précédents sur Panassié, il tente de rétablir des équilibres parfois malmenés, déjoue mythes et idées reçues, et revient sur certaines présentations souvent manichéennes. Une sorte de mise au point précise et rigoureuse, qui interroge le jazz dans toutes ses dimensions, musicale, sociale, culturelle, économique...

On peut écouter au hasard chacun des Cds très finement découpés, se concentrer sur une période ou un musicien. Une présentation claire, efficace, d’une voix un rien lancinante mais qui ne fait aucune erreur. Laurent Cugny assume et justifie ses choix, divisant son cours en quatre séquences : après une première partie instructive qui revient aux origines et expose les possibles méthodologies, il adopte une approche chronologique, en suivant le concept d’intrigue défini par l’historien Paul Veyne : “On raconte l’histoire comme un roman et il existe une multitude d’intrigues selon l’histoire que l’on raconte”.  D’où le titre de la deuxième partie L’intrigue linéaire principale de 1917 à 1976, qui identifie 9 styles, du Nouvelle Orléans au jazz rock. Une intrigue s’est imposée, celle des styles, qui forme le tronc principal de l’arbre jazz, avec des musiciens essentiels et une série d’enregistrements spécifiques incontournables. Mais d’autres intrigues pourraient compléter le tableau, de même que certains musiciens et non des moindres s’avèrent inclassables. La troisième partie couvre L’ère postmoderne de 1976 à nos jours. Comme il s’avérait impossible de continuer à définir des écoles avec des maîtres, le jazz est questionné avec l’éclectisme, l’éclatement de son paysage en diverses tendances et mouvances : World Jazz, musiques improvisées européennes, néo classicisme... On est libre aussi de s’intéresser à d’autres paradigmes comme la géographie avec un focus sur l’Europe qui a réinventé le jazz, ou la guitare, instrument postmoderne par excellence… Plus original encore, en comparant l’extraversion solaire de Louis Amstrong à l’ expressivité distante, impressionniste, voire lunaire de Bix Beiderbecke, cette image inversée crée une opposition qui pourraiT aussi structurer l’histoire du jazz!

La dernière séquence traite enfin du jazz vocal de façon séparée, la chronologie étant moins évolutive que pour le jazz instrumental, un seul style s’imposant à travers de nombreuses déclinaisons et esthétiques. 

Un plan impeccable qui permet de se retrouver tout au cours de l’enregistrement et de comprendre l’évolution de cette musique. La conclusion de ce voyage de cent cinquante ans à travers le jazz selon différents critères et temporalités est plus que positive : cette musique s’avère plus vivante que jamais, elle se pratique, s’enregistre, s’enseigne et s’accroche précieusement à quelques valeurs de... liberté, d’épanouissement des individus dans un souci de fraternité raciale et musicale.Ce travail de synthèse bluffant qui balaie le sujet ne donne qu’une seule envie, furieuse, celle d’ aller écouter les enregistrements évoqués.

 

Sophie Chambon

Une histoire du jazz pour les XX et XXI siècles    Un cours particulier de Laurent Cugny
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17 février 2022 4 17 /02 /février /2022 19:11
FRED PALLEM & LE SACRE DU TYMPAN

 

FRED PALLEM & LE SACRE DU TYMPAN

Réédition Street machine/ Kuroneko

 

Sortie le 18 février

 

 

Compositions et arrangements, basse électrique– Fred Pallem,

Alto Saxophone, Sopranino Saxophone – Christophe Monniot,

Baritone Saxophone, Alto Saxophone, Soprano Saxophone, Flute – Rémi Sciuto,

Bass Saxophone, Sopranino Saxophone,Tenor Saxophone – Fred Gastard,

Cornet, Vocals – Médéric Collignon,

Bugle, Trumpet –Fabrice Martinez, Guillaume Dutrieux, Yann Martin,

Tenor Saxophone, Sopranino Saxophone – Matthieu Donarier,

Drums – Vinz Taeger,

Flute, Piccolo Flute – Aude Challéat,

Glockenspiel, Vibraphone, Xylophone – Nicolas Mathuriau,

Guitar, Banjo – Ludovic Bruni,

Piano, Synthé,orgue – Vincent Taurelle,

Trombone – Daniel Zimmerman, Julien Chirol, Lionel Seguy, Pascal Benech,

Tuba – Renald Villoteau

 

Une réédition bienvenue sous forme de CD mais aussi de vinyls avec une pochette vintage d’ Elzo Durt qui m’a rappelé, allez savoir pourquoi, celle de Déja Vu du mythique CSN&Y, pour le côté rétro sans doute, alors qu’il faudrait aller voir du côté de l'imagerie de Wes Anderson dans Moonlight Kingdom. C'est que le cinétempo est au coeur de l'univers de Fred Pallem depuis longtemps.

On avait oublié la magie de cette musique du Sacre du Tympan (quel titre magnifique dû à Serge Rosenberg, journaliste à Politis ), formation qui apparut comme un OVNI, il y a 20 ans, avec la fine fleur du jazz français, musiciens frais émoulus du CNSM pour beaucoup, les meilleurs solistes de l’époque, la génération de Baby Boom, les Donarier, Monniot, Sciuto, Zimmermann...

Ces vingt musiciens constituent le “Sacre de l’Ouïe” selon la formule de Fred Goaty (Jazzmagazine et Muzik) qui a recueilli, dans les liner notes, petit carnet fort instructif, les impressions des membres de l’orchestre, certaines à l’époque et d’autres aujourd’hui, vingt ans après.

Un projet électrique et électrisant pour une formation luxueuse aux vives couleurs, avec les arrangements brillants, inventifs d’un maître en la matière, Fred Pallem. Fou de funk, de musiques vintage qu’il savait déjà moderniser, soul master au plus près de la Black music, celle qui court de la fin des années soixante à la fin des années quatre vingt, le chef de l’insolent Sacre du Tympan s’est confectionné un orchestre sur mesure, un collectif puissamment cuivré qui sonne avec une vitalité réjouissante: 2 sax alto, 2 sax ténor, un sax baryton, 1 sax basse, 3 trompettes, 1 cornet, 3 trombones et 2 basse, 1 guitare électrique, 1 guitare basse, et une section rythmique d’acier , dominée par un Vinz Taeger impérial à la batterie, gardien du tempo et de la structure. Car le rythme ne faiblit jamais avec ces 20 musiciens à pied d’oeuvre sur le champ de manoeuvres!

Dès un premier titre épatant ( regardez la vidéo de 2002), on est plongé au coeur du chaudron, bonheur rare de voir et revoir -on ne s’en lasserait pas, cette “Procession d’illuminés” avec le solo décapant de Rémi Sciuto. Quelque chose de “cartoonesque” indiscutablement, dans le rythme fou et un retour du cinéma encore et toujours, celui deTim Burton à son meilleur avec les musiques de Danny Elfman. Oui, cette musique inouïe, il fallait la voir autant que l’écouter! Un soupçon de Nino Rota, pas vraiment du Bernard Herrmann. Fred Pallem aimait déjà, assurément- mais pas encore au point d’en graver une cire -cela viendrait après, la musique du génial François de Roubaix, l’homme-orchestre, touche-à-tout, autodidacte qui jouait avec les timbres et instruments bizarres, composait, bricolait dans son “home studio” l’un des inventeurs de musique de film, à la française, avec Michel Magne dans laquelle le jazz, le rock avaient grande part.

Le bassiste leader du Sacre est toujours un formidable arrangeur, il a fait son chemin depuis et participé au programme de Fred Maurin pour le dernier ONJ, sur Ornette Coleman, à sa place dans un programme qui danse, Dancing in your head, plus que sur l’autre volet, Rituals.

Avec la suite de titres qui mettent en jambes irrésistiblement comme le “Dancing fool” du "singing fool" de Frank Zappa. On ne fait pas que danser dans sa tête avec cet orchestre, idéal pour se démarquer des autres grands formats, un vrai groupe de jazz avec la puissance de feu d’un groupe de rock, un mélange entre Genesis et Stan Kenton.

Peu d’orchestres sonnaient alors aussi intelligemment tout en restant très accessibles. Stimulant l’imagination, en racontant des histoires de cow-boys au galop (fantastique «A l’Ouest» désorientant rodéo, en accéléré à la Benny Hill). C’est volontiers potache, délicieusement régressif, on sent que les musiciens s’amusent en osant beaucoup, même si cette musique réglée au cordeau n’est pas facile. Un univers burlesque pour ne pas dire déjanté, mais aussi onirique dans cette suite en quatre volets, inspirée du Little Nemo de Mc Kay (“Au fond de l’oreiller”, “Des lits avec des jambes”, “Poursuivi par des éléphants géants” où s’illustre Donarier, “Réveil” où comme le personnage, on se retrouve par terre!).

On est  aussi dans le conte, la fantaisie, dans un jazz pluriel que l’on regarde comme au cirque, en attendant jeux et numéros.“Une de perdue, une de perdue” en est tout à fait exemplaire avec les élucubrations vocales du trublion Médo avant son solo au cornet, et la tellurique prise de son de Fred Gastard qui lui emboîte le pavillon.

Composée en alternant subtilement tempi et climats, sans perdre jamais la cohérence du montage, toujours bondissante avec des écarts inattendus, la musique est rendue avec une efficacité fougueuse par cet équipage dans un désordre juste apparent, emballements, échappées libres et embardées, suivis de moments plus tendrement rêveurs. Nous voilà happés sans pouvoir reprendre souffle  avec des moments de grâce pure dans “C’est l’Illyrie, Madame”, une guitare cristalline qui insuffle douceur et lyrisme dans ce monde velu, une ballade rêveuse, romantique. Pas le temps de s’émouvoir, survient un titre farfelu, trivial même “Et pour quelques fayots de plus”, back chez Davy Crockett, au pays du western spaghetti, façon pasta  e fagioli, avec des nappes gazeuses au synthé.

La nostalgie est de mise en redécouvrant les débuts de cet orchestre inclassable des premières années du millénaire. Un vif plaisir d’écoute en tous les cas. Fortement conseillé, cet album sera notre prescription de rentrée de vacances.

 

Sophie Chambon

 

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17 février 2022 4 17 /02 /février /2022 15:24

Tony Malaby (saxophones ténor & soprano), Ben Monder (guitare), Michael Formanek (contrebasse), Tom Rainey (batterie)

Astoria (New York), 24 juin 2021

Pyroclastic Records PR 18

https://tonymalabypyroclastic.bandcamp.com/album/the-cave-of-winds

 

Marc Ducret était le guitariste du premier CD de ce groupe, enregistré en 2000 (Arabesque Jazz AJ0153), mais Ben Monder l'avait précédé dans la première mouture du quartette, qui n'a pas laissé de trace phonographique, et avec ce disque il revient dans le jeu. La musique, composée par le saxophoniste (sauf une plage improvisée collectivement), procède de son univers coutumier. Ici un thème fortement ancré dans le jazz (la première plage) va se dissoudre progressivement dans les lignes très libres qui s'entrecroisent dans une sorte de contrepoint à la partie de saxophone ténor. Et dans la plage suivante l'improvisation collective va dessiner l'autre rive de ce langage qui irrigue la totalité du disque, entre fines constructions audacieuses et déchaînements expressifs. Avec, tout au long du CD, une intensité musicale et une cohérence esthétique qui nous captivent.

Xavier Prévost

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La maturation de ce disque est le prolongement des groupes de travail presque clandestins que Tony Malaby a rassemblés pendant les confinements sous un pont du New Jersey, et où se sont succédés Tim Berne, Mark Helias, William Parker, Kenny Warren et quelques autres : 5 CD à découvrir ici

https://tonymalaby.bandcamp.com/ 

Et aussi sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=ih-dtMCxuMg&t=2s


 

Tony Malaby sera en tournée avec Angelica Sanchez & Tom Rainey,

le 22 mars à Strasbourg (Jazzdor) , et le 24 mars en Avignon (AJMI)

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15 février 2022 2 15 /02 /février /2022 21:57

Wadada Leo Smith (trompette), Vijay Iyer (piano, piano électrique, orgue, électronique), Jack DeJohnette (batterie & percussion)

New York, 22 novembre 2016

TUM CD 060 / Orkhêstra

 

Paru à la fin de l'année, mais enregistré voici plus de 5 ans, un hommage très personnel du trompettiste-compositeur, et de ses partenaires, à Lady Day. Le thème-titre, composé par le trompettiste, commence par une sorte d'ouverture intense et mystérieuse du batteur, jouant des timbres en virtuose. Puis vient la trompette, entre cri et mélancolie, tandis que le piano pose des accords aussi sombres que tendus. Ensuite c'est une composition du pianiste, où la voix de Malcolm X, traitée en fragments, semble épaissir un mystère attisé par les effets électroniques. Suit une pièce composée par Wadada Leo Smith en hommage à Anthony Davis, partenaire historique du Golden Quartet du trompettiste : cette fois c'est fureur et mystère, associés. Le disque se poursuit avec un classique du batteur, qui a joué ce thème dans toutes les configurations, y compris en piano solo : escale mélancolique et déchirée (le son de la trompette, avec sourdine, surfant sur le dilemme entre justesse et expressivité), qui nous ramène dans le vif du sujet, avant une dernière plage, concise, en forme d'impro collective façon fusion libertaire. Il ressort de ce répertoire d'apparence composite une constante d'intensité, d'engagement, d'expressivité : le plus bel hommage à Lady Day.

Au même moment, juste avant l'hiver, et sous le même label, paraissait ce coffret de 4 disques qui reprend 4 pièces enregistrées par Wadada Leo Smith en 2015 et 2018, en quartette, avec Henry Threadgill (puis Jonathon Haffner), John Lindberg & Jack DeJohnette. Ces 'Chicago Symphonies' ne font pas référence aux grands effectifs de la musique classique européenne, mais à la légendaire Symphony For Improvisers (1966) de Don Cherry. Un ensemble d'une belle intensité, à découvrir d'urgence.

Xavier Prévost 

 

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