RHODA SCOTT LADY ALL STARS
Sortie d’album le 15 janvier 2022
Label SUNSET RECORDS/ BACO
Un septet féminin qui entoure la célèbre organiste? On croit rêver, la chose est assez rare pour qu’on s’interroge une fois encore sur la place des femmes dans le jazz. Les musiciens de jazz ont toujours aimé les femmes auxquelles ils ont consacré fort aimablement de nombreuses compositions, cherchant celles qui font rêver ou qui sont inspiratrices. Sans vraiment leur laisser une autre place. Dans l’histoire du jazz, il y eut pourtant des femmes formidables, souvent pianistes, car il faut bien l’admettre, les anches et les cuivres n’étaient pas prédominantes. Si on admet que la femme est un homme comme les autres, dans cet univers masculin pour ne pas dire machiste, les choses évoluent et les jazzwomen n’ont rien à envier à leur petits camarades.
L’organiste aux pieds nus, Rhoda Scott, plus de quatre vingt ans, installée en France depuis 1968, est l’une de ces pionnières qui continua d’innover en créant dès 2004 un premier Lady Quartet, avec Sophie Alour au saxophone tenor, Airelle Besson à la trompette et Julie Saury à la batterie. Puis l’arrivée de la saxophoniste alto Lisa Cat Berro, se substituant à Airelle Besson, transforma le groupe en un quartet à deux saxophones. Ces musiciennes ayant l’étoffe de leaders, avec des projets définis et leur propre groupe, la formation devint un collectif selon les disponibilités de chacune, accueillant de nouvelles venues, Géraldine Laurent et Anne Pacéo, puisque l’idée était de garder un personnel exclusivement féminin. Du souffle et une puissante rythmique! Cet septet girl power accompagnant une véritable lady du jazz, qui prit des leçons d’harmonie et de contrepoint auprès de la grande Nadia Boulanger, fut nommé Lady All Star par Stéphane Portet, le patron du club Sunset/ Sunside de la mythique rue des Lombards. Ce club ouvert en 1982, essentiel à la jazzosphère, pas simplement hexagonale, ouvert 7 jours sur 7, fête fin janvier ses 40 ans au Châtelet, et dans ce qui sera une fête illuminant comme dans le standard (sublimé par Fred Astaire, Chet Baker) "the night and the music", le groupe de Rhoda Scott a sa place!
Rhoda Scott qui a toujours ses entrées au club a d’aillleurs joué en quartet le 31 décembre dernier. Et c’est sur le label du Sunset que fut enregistré en live cette formation cuivrée et musclée, qui ne manque pas de charme, tant il est vrai que cet équipage a toutes les qualités, bousculant joyeusement un certain ordre établi sans renoncer à la tradition du jazz dans l’interplay et l’improvisation collective.
Ecoutons donc cette wild party de HUIT musiciennes qui font le jazz français actuel. L’album est emblématique de sensibilités et de jeux différents et complémentaires qui concourent à une mise en oeuvre collective autour de huit compositions sans recyclage, un matériau neuf pour cette rencontre au sommet de musiciennes aguerries, Rhoda Scott et Lisa Cat-Berro apportant deux titres, Julie Saury, Sophie Alour, Airelle Besson et Paceo Anne un seul, sans oublier les interventions décisives des saxophonistes baryton et alto, Céline Bonacina et Géraldine Laurent. Un mariage des timbres des plus heureux que tous ces cuivres, anches donc bois qui se réajustent en permanence. Les musiciennes surgissent, se glissent et se fondent, plus qu’elles ne s’effacent dans la masse orchestrale. Nous ayant définitivement conquis, elles emmènent sans effort, partageant l’affiche de la barefoot contessa, avec une complicité et un respect mutuels concourant à la réussite musicale de l’ensemble. Du lyrisme certes mais du rythme et de la vigueur impulsée aussi par nos deux batteuses, complétée par les ponctuations du baryton et le jeu de la ligne de basse de l’orgue Hammond grâce au pédalier. Pas vraiment de ballades sentimentales, seuls “Les châteaux de sable” d’Anne Paceo introduisent un climat délectable mais élégiaque. Les thèmes, accrocheurs, sont d’une efficacité certaine, mélodies lumineuses à la tension très moderne, que l’on a envie très vite de retenir et de fredonner. On aime toutes ces compositions sans distinguo “City of the rising sun”, “Escapade”, “I wanna move” qui contribuent au bel équilibre de l’album. Rhoda Scott ouvre le bal avec un premier thème de son cru, “R&R” où sa vitalité et sa créativité sont intactes, son chant hérité du blues et du gospel privilégiant conviction et urgence qui fusionnent en harmonie. Elle ferme la marche avec un “Short Night Blues”, où elle se déchaîne, soutenue par de subtils unissons et des chorus toujours vifs. C’est enlevé, allègre et ça swingue du tonnerre avec l’orgue qui ronfle de plaisir. Plus que réjouissant et hautement conseillé pour oublier ces temps difficiles!
Sophie Chambon