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6 février 2021 6 06 /02 /février /2021 00:34

Archie Shepp (saxophone ténor et soprano, voix), Jason Moran (piano).
Paris Jazz à La Villette, 12 septembre 2017.
Manheim, festival Enjoy Jazz, 9 novembre 2018.
ArchieBall/L’autre distribution.

Figure de proue du free jazz, Archie Shepp a endossé ces derniers temps le costume de l’apôtre apaisé de la musique afro-américaine.
Aux saxophones et de plus en plus souvent à la voix, le jazzman n’a pourtant rien perdu de son engagement. S’il ne dispose plus du souffle de ses jeunes années, l’artiste désormais octogénaire (83 ans) conserve cette expression touchante, bouleversante même par sa fragilité.

 

Dans un format qu’il affectionne -le duo avec un pianiste-  Archie Shepp plonge dans les racines du jazz. C’est une sorte de retour aux sources qui nous est ici proposé en compagnie de Jason Moran. Le terrain choisi leur est majoritairement bien connu : des airs traditionnels - Go Down Moses, Sometimes I Feel Like a Motherless Child - et des standards : Lush Life (Billy Strayhorn), Isfahan (Strayhorn-Ellington) ou encore Round Midnight (Thelonious Monk-Cootie Williams).
Shepp n’oublie pas un hommage à John Coltrane en reprenant une de ses compositions (Wise One). Une occasion de rappeler son admiration pour celui qu’il considère toujours comme « un modèle » (« Coltrane était comme un gourou mais il était très humble et avait une discipline très forte. Il était très passionné, très motivé. Il a fait de la musique très sérieusement » nous confiait-il en 2007 dans 'Paroles de Jazz' (Editions Alter Ego).

 

Enregistré en concert en 2017 et 2018, cet album vient enrichir la production d’Archie Shepp en duo saxophones-piano qui comprend, sans viser l’exhaustivité, des rencontres avec Joachim Kühn, Abdullah IbrahimSiegfried Kessler ou encore Horace Parlan.  L’amateur pourra se reporter à l’album gravé en 1977 à Copenhague avec ce dernier (‘Goin’Home’, pour SteepleChase).

Alors dans sa quarantaine, le saxophoniste avait déjà inscrit à son répertoire, ‘The Troubles I’ve Seen’, ‘Deep River’, ‘Swing Low, Sweet Chariot’, ‘Sometimes I Feel Like A Motherless Child’, ‘Go Down Moses’.  

 

A des titres différents, ces deux albums méritent de figurer dans votre discothèque. Deux témoignages d’un parcours rare, d’un talent qui ne laisse jamais indifférent.

 

Jean-Louis Lemarchand.

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2 février 2021 2 02 /02 /février /2021 22:07

Pascal Bréchet (guitare), Thierry Waziniak (batterie)

Soissons, 30-31 janvier 2020

label Intrication Tri 003 / Orkhêstra

 

La musique de Monk, traitée sur le mode de l'allusion à mots couverts. Dix thèmes du Grand Thelonious, et un seul thème original, intitulé Three or Four Shades of Monk's Blues : on pense à un titre de Mingus, et aussi au cheminement mélodico-harmonique de Misterioso, mais c'est surtout très libre. D'ailleurs, l'intitulé de ce 'duo libertaire' annonce la couleur. Libre mais pétri d'intensité recueillie autour de cette musique. Ce n'est pas trahir un secret : la musique de Monk hante le guitariste Pascal Bréchet. En 1996, en compagnie des Amis regrettés, Jacques Mahieux et Jean-François Canape, et avec Phil Abraham et Marc Buronfosse, il avait signé «Autour de Monk» pour le label AA. Seuls trois des titres alors choisis en quintette se retrouvent pour ce duo. Ici on retrouve le goût prononcé pour l'inimitable claudication monkienne, souvent soulignée, et magnifiée, par le jeu du batteur Thierry Waziniak. L'accent souvent se place là où il n'est pas attendu. Et même quand on connaît les thèmes, on est toujours surpris par ce cheminement, qui jamais ne sombre dans la routine. Et pourtant ça swingue ! Plus qu'une allusion, c'est une grande déclaration d'amour à cette musique. Un amour libre, évidemment !

Xavier Prévost

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Le disque vient de paraître. On aurait dû pouvoir écouter le duo en février à Villeneuve d'Ascq, près de Lille (Jazz à Véd'A). Mais les circonstances épidémiques en ont décidé autrement : patience !

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2 février 2021 2 02 /02 /février /2021 10:17

Florin Niculescu (violon), Hugo Lippi (guitare), Philippe Aerts (basse), Bruno Ziarelli (batterie). Invité : Stochelo Rosenberg (guitare).
Théâtre de Longjumeau, novembre 2019. Label Ouest/L’autre distribution. Sortie le 5 février.

Trente ans déjà que Florin Niculescu arpente la scène française. Le temps du souvenir est arrivé pour le violoniste formé à l’école classique de sa Roumanie natale. Il prend la forme d’un album en petite formation qui rend hommage à ses idoles françaises de l’instrument.

 

Un titre, pièce maîtresse de cet enregistrement, résume cet esprit de révérence, ‘Suite for Michel, Stéphane, Jean-Luc et Didier’.  Dans le livret, Florin s’explique : Michel Warlop* « merveilleux violoniste et concertiste », Stéphane Grappelli* « mon père spirituel », Jean-Luc Ponty « un des premiers à avoir introduit des éléments rock et pop », enfin Didier Lockwood* « avec un système de pédales d’effet, il s’exprime de façon unique ».


Après les mots, les notes. En quelque treize minutes, déroulées en quatre mouvements (The Classician, Swing Wave, The Romantic, The Fusional) Florin Nicolescu retrace ainsi l’histoire du violon jazz à la française. Loin de l’hommage compassé, le violoniste délivre tout au long de ce disque où alternent compositions personnelles et standards (Stardust, The Nearness of You, Fascinating Rhythm) un salut bien vivant à ces maîtres de l’archet qui met en lumière sa virtuosité et sa sensibilité.
Stardust

Le Temps des Violons

 

Dans ce parcours vagabond, Florin Nicolescu peut compter sur deux guitaristes d’excellence, Hugo Lippi (prix Django Reinhardt 2019 de l’Académie du Jazz) et, sur trois titres, Stochelo Rosenberg. Un album qui met en joie ... hautement recommandé.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

Concert de sortie prévu le 23 mars au Studio de l’Ermitage, Paris.

 

SYMPHONIC Violin Jazz Classical Gipsy Tzigane
Florin Niculescu - Opportunity (Grappelli)
Florin Niculescu "La chanson des rues"
Florin Niculescu

 

*Michel Warlop (1911-1947),
Stéphane Grappelli (1908-1997),
Didier Lockwood (1956-2018).

 

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31 janvier 2021 7 31 /01 /janvier /2021 17:44

Rose Kroner, Neïma Naouri, Vanina de Franco, Emmanuel Lanièce, Augustin Ledieu (voix), Sylvain Bellegarde (voix, direction, réalisation), Stéphane Crochet (piano), Gille Naturel, Raphaël Devers (contrebasse), Frédéric Delestré (batterie)

Invité.e.s : Anne-Marie Jean, Chloé Cailleton, Solange Vergara, Emmanuel Inacio, Larry Browne, Edward Randell, Laurent Naouri (voix), Glenn Ferris (trombone), Jean-Loup Longnon (trompette), David Sauzay (saxophone ténor)

Villetaneuse (Seine-Saint-Denis), Peillac (Morbihan), Verrières-le-Buisson (Essonne), sans date(s)

Black & Blue BB 1085.2 / Socadisc

 

L'hommage des Voice Messengers à leur fondateur et leader, Thierry Lalo, mort en 2018, et qui avait inventé en 1992, et porté avec passion, ce 'big band vocal' unique. Des arrangements qui n'avaient pas été enregistrés sur disque, et des pièces inédites, comme une composition de Vladimir Cosma, extraite de son opéra Marius et Fanny. Au renfort de chanteurs et chanteuses qui participèrent à l'aventure à différentes époques (Anne-Marie Jean, Solange Vergara, Chloé Cailleton, Larry Browne....), ou qui sont de fervents admirateurs (le baryton-basse Laurent Naouri, grand jazzfan devant l'éternel) s'ajoutent des instrumentistes-solistes amis (Jean-Loup Longon -qui signe un arrangement-, Glenn Ferris, David Sauzay). Un pur régal, de plage en plage, avec en apogée Mimi Medley, un florilège des adaptations vocales de Mimi Perrin pour les Double Six (Fascinating Rhythm, Tickle Toe, For Lena and Lennie, Rat Race....). Il en existait une formidable version dans le DVD filmé en concert voici plus de cinq ans -chronique sur le site des DNJ en suivant ce lien-, avec en soliste, notamment, Chloé Cailleton). Celle-ci ne démérite pas, loin de là. Et pour la plage conclusive, la voix de Thierry Lalo, en répétition : hommage à celui qui inventa ce groupe hors du communBref il faut se précipiter vers ce magnifique travail de jazz vocal, ou plutôt de jazz ET de voix. Des concerts avaient été prévus fin janvier pour la sortie du disque, concerts hélas annulés. On attend avec impatience de les retrouver sur scène, où ils donnent à chaque fois une formidable performance de musique intensément VIVANTE !

Xavier Prévost

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Vous ne saurez jamais, poème de Marguerite Yourcenar, musique de Thierry Lalo

Mimi Medley, version de concert 2015, sur le DVD «Spring Tout Live !»

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4 janvier 2021 1 04 /01 /janvier /2021 08:49

 

Alexandra Grimal (saxophones ténor, soprano & sopranino, voix), Edward Perraud (batterie, percussions)

enregistré en 2014

unsui | Alexandra Grimal & Edward Perraud | Alexandra Grimal (bandcamp.com)

 

Sans édition CD ni label, et donc seulement accessible en fichier numérique via la page bandcamp d'Alexandra Grimal, un duo enregistré voici plus de six ans, qui vient d'être publié, et dont le titre a été inspiré par la lecture de François Cheng : 'Unsui' est un terme chinois qui dans la tradition zen désigne simultanément le nuage et l'eau, ce qui glisse comme le nuage et coule comme l'eau. Et cette musique improvisée est comme un flux mouvant, une matière diaphane qui poursuit son essor et se répand dans notre esprit et nos sens, tantôt comme un baume qui nous envelopperait de ses sortilèges, tantôt comme une danse qui nous conduirait sur des chemins insoupçonnés. Un dialogue incessant entre les deux artistes, conversation qui procède simultanément de la puissance matérielle du son et de l'exercice spirituel en quoi s'accomplit la musique. Et le lyrisme aussi s'empare des saxophones, stimulé par la frappe ou les frottements qui font chanter les percussions. On se laisse embarquer, suivant un fil que l'on perd forcément (le luxe de l'auditeur, c'est qu'il a le droit de perdre le fil), et l'on arrive au terme de ce voyage improvisé après un texte qui nous égare comme en un rêve. Une très belle page de musique scénarisée, à laquelle il suffit de s'abandonner, avec bonheur et recueillement.

Xavier Prévost

 

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31 décembre 2020 4 31 /12 /décembre /2020 18:31

François Lana (piano, synthétiseur), Fabien Iannone (contrebasse), Phelan Burgoyne (batterie)

Vevey, mars & août 2019

Leo Records CD 884 / Orkhêstra

https://francoislana.bandcamp.com/album/cath-drale

 

Un oublié de l'automne : l'album est arrivé en octobre, au moment de sa parution, quand attendaient un foule de CD à paraître en novembre mais reçus dès septembre. Une revendication d'influence explicite, dans le texte du livret, qui cite Monk, Paul Bley, Andrew Hill (une plage lui est dédiée) et le plus rarement évoqué Herbie Nichols. Et c'est bien cette dernière influence qui m'a frappé de prime abord : thèmes fragmentés, sinueux, mais forme cohérente, servie par des jaillissements soudains qui sont la vie même. Entre deux improvisations collectives (la première et la dernière plage), des compositions tissées d'inventivité, d'énergie, de swing. Du piano pensé mais qui déborde de vitalité, une interactivité manifeste entre les membres du trio, et le goût de faire chanter les instruments sans étouffer l'énergie. Au fil des plages le très troublant Hillness, dédié comme son titre le laisse supposer à Andrew Hill, avec aussi tous les jeux de mots implicites qui peuvent nous entraîner ailleurs.... Une intro sur des harmonies tendues, un basculement vers un climat de blues 'à la Monk', et quelques escapades qui fleurent bon la revendication de singularité. La plage suivante lance des fusées qui me rappellent Herbie Nichols, que j'adore. Et partout de la liberté, de l'inventivité, de l'audace. Et, du début à la fin, un vrai bon disque de jazz (très) moderne !

Xavier Prévost

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Un vidéo de 2019 filmée à la Halle Papin de Pantin

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23 décembre 2020 3 23 /12 /décembre /2020 10:17
CHRISTOFER BJURSTRÖM PIANO SOLO    L’ECUME DE MAI

CHRISTOFER BJURSTRÖM

L'ECUME DE MAI

SORTIE DECEMBRE 2020

MZ Records – Label de disques

 

 

 

L’écume de mai surgit en bord de mer, souvent au printemps. Produit du bouillonnement de la mer, elle est portée par le vent vers le rivage. Christofer Bjurström évoque dans cet album ce qui nous constitue dans les diverses temporalités de nos vies, comment nous sommes présents au monde. Comme des tableaux sonores qui ouvriraient une fenêtre idéale dans laquelle s’inscrit le visage intérieur du pianiste.

Explorant les possibilités d’un instrument complet, il affirme une dimension narrative, qui ne va pas sans émotion. Il choisit ainsi de se portraiturer à travers un choix de textes et par des plages improvisées. Travail solitaire et plus ingrat mais adapté sans doute à cette période introspective. Rappelons que le disque fut enregistré en juin dernier pour le label Marmouzic records. Une musique sensible, qui nous met aussi à l’épreuve, qui trace au fil de 9 compositions le relief de ses humeurs troublées, sceau du confinement?
Cette aventure toujours risquée du piano solo décline donc 9 pièces libres, vives, inspirées de poèmes de Jules Supervielle, Abdellatif Laâbi, Claude Roy, Bo Carpelan, Emily Dickinson, Sylvia Plath et Raymond Carver.

Ce qui est devenu écume, le tout premier titre, en réponse à Supervieille dans Oublieuse Mémoire, éclaire le projet sans ambiguïté:

C’est tout ce que nous aurions voulu faire et n’avons pas fait,

Ce qui a voulu prendre la parole et n’a pas trouvé les mots qu’il fallait,

Tout ce qui nous a quittés sans rien nous dire de son secret …

Ce qui est devenu écume pour ne pas mourir tout à fait ...

Ce qui avance dans les profondeurs et ne montera jamais à la surface, Ce qui avance à la surface et redoute les profondeurs;

 

La musique est plus que jamais une tentative de fixer l’éphémère même siRien de ce qui arrive ne demeurera” écrit Raymond Carver dans La vitesse foudroyante du passé.

Ce qui demeure, trace de l‘instant qui se joue, de la musique qui advient, fait de la place à nos images mentales, à nos paysages intérieurs. Christofer Bjurström parvient à produire une musique à la fois résistante et liquide, avec des formes qui naissent et s’évanouissent, en une plongée dans les tréfonds de l’intime. Notes en pluie serrée et persistante, ou qui perlent et rebondissent un un friselis moutonnant, martèlement audacieux du clavier ou bruit sourd dans les bois et cordes quand le piano est préparé, superpositions d’accords et de brisures rythmiques composent un chant jamais plaintif mais lucide, une mélodie souvent heurtée, des tressaillements qui remontent avec le souffle du temps. Avec l’appréhension d’un certain vide qui devient silence, dans une tonalité volontairement grave, s’inscrivent pauses, ruptures, blancs. Un rythme souvent insistant, obsessionnel parcourt ses solos qui racontent presque toujours une histoire. Surgissent aussi des mélodies plus fluides, impressionnistes, des élans lumineux réparant les horizons éclatés, qui ramènent vers des rivages connus, avec l’espérance.

Ainsi écoutons nous ce piano en archipel, singulier pluriel qui sait accompagner les images d’un film qui se projette dans notre imaginaire.

Sophie Chambon

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21 décembre 2020 1 21 /12 /décembre /2020 09:31

Sylvain Daniel (guitare basse, voix, claviers, percussions, piano, bugle, batterie), Guillaume Poncelet (trompette), Sophie Agnel (piano, synthétiseur), David Aknin (batterie), Johan Renard & Anne Le Pape (violons), Cyprien Busolini (alto), Jean-Philippe Feiss (violoncelle), Olivier Augrond (voix)

sans date, Pantin & Paris

Kyudo Records / l'autre distribution

https://sylvaindaniel.bandcamp.com/album/pauca-meae

 

J'aborde ce disque avec circonspection : il est construit autour de poèmes de Victor Hugo. Or les héros de mon dix-neuvième siècle littéraire s'appellent plutôt Balzac, Flaubert, Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Jules Vallès, Nerval, Mallarmé (liste non exhaustive), le Père Hugo m'étant toujours apparu comme un notable certes souvent contestataire (les exils, Napoléon le Petit, Le Dernier jour d'un condamné, L'homme qui rit, Quatrevingt-treize....), mais tellement installé dans le parcours qui devait le conduire depuis la position de Pair de France jusqu'aux obsèques nationales, malgré les désagréments causés par ses engagements successifs. Et sa poésie m'a toujours semblé d'une correction bourgeoise qui m'anesthésie.

Mais j'aime beaucoup la musique de Sylvain Daniel, donc je m'y suis plongé. Après avoir lu dans une gazette culturelle un article qui s'étendait longuement sur Hugo plus que sur la musique, je vais tenter d'esquiver le piège, et de me concentrer sur cette œuvre musicale. Une musique autour du texte assurément. Dans le texte aussi, parfois contre, mais pour mieux l'évoquer. Le texte, c'est le livre IV des Contemplations, un recueil intitulé 'Pauca Meæ' : peu de vers (60 pages, quand même, dans le tome 2, cinquième édition, des Contemplations chez Hetzel en 1858), pour cet ensemble de poèmes suscité par la mort de Léopoldine. Soixante pages, c'est déjà beaucoup quand le titre suggère peu....

Côté texte d'abord, la diction d'Olivier Augrond est constamment adaptée au poème convoqué. Intimité chaleureuse pour 'Elle avait pris ce pli' (cinquième poème du recueil, mais première plage du CD) ; violence à peine contenue (et soulignée par un changement de prise de son) dans 'À Villequier' (les huit derniers vers d'un long poème) après une formidable séquence musicale de profonde mélancolie où la trompette nous envahit d'émois. Les poèmes ne sont pas évoqués dans l'ordre du recueil et d'ailleurs, pour la plage suivante du disque, 'Aux anges qui nous voient', c'est un double emprunt au livre VI du recueil, et donc plus à 'Pauca Meæ'. Mais la musique est toujours d'une grande intensité, et sur un canevas répétitif le spleen est toujours là. Puis vient la folie du père égaré par son chagrin. La musique encore dit plus que l'essentiel. L'inoxydable Demain, dès l'aube (souvenir du premier poème que l'on m'a fait apprendre à l'école, à l'âge de cinq ou six ans....) est esquivé pour n'offrir qu'un court-circuit entre les vers 5 à 8 et 11-12 de la fin du poème. Belle manière de nous épargner la grandiloquence du début du poème (Hugo n'est pas Baudelaire, hélas!). Il y a ensuite encore des emprunts au livre sixième, mais sans détailler chaque plage, je dois dire que, du début à la fin, Sylvain Daniel m'a convaincu musicalement par la pertinence de son choix hugolien. Et la conclusion chambriste qui, dans la dernière plage, reprend le thème de la première, sans texte mais avec quatuor à cordes, m'a énormément plu. Pas fan du Père Hugo (sauf les exceptions que j'ai mentionnées), mais enchanté par ce disque puissamment évocateur !

Xavier Prévost

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20 décembre 2020 7 20 /12 /décembre /2020 14:55

Ma Rainey’s Black Bottom. Bande originale du film de George C.Wolf. Branford Marsalis. Sony Music/Milan. Décembre 2020.

Avec Bessie Smith, Ma Rainey (1886-1939) figure au panthéon des chanteuses de blues des premières années du jazz au début du siècle passé. Dotée d’une voix de contralto « parfaitement contrôlée » et de rondeurs généreuses, Ma en imposait sur scène. « Véritable arbre de Noël décoré de bijoux, elle jouait admirablement de son physique », observe François Billard (Les chanteuses de jazz. Ed.Ramsay).

 

Sa forte personnalité et ses qualités artistiques d’interprète (dès l’âge de douze ans) et de compositrice -on lui doit ainsi en 1924 'See See Rider', un des futurs hits d’Elvis Presley- ont inspiré le théâtre, avec une pièce, ‘Ma Rainey’s Black Bottom’, signée August Wilson et jouée à Broadway en 1982.
Le récit des aventures à Chicago en 1927 de la chanteuse de Colombus (Georgie) -imaginées sous la forme d’un huis clos dans un studio d’enregistrement- vient d’être porté à l’écran par George C.Wolfe avec le même titre, celui d’une composition de la chanteuse, film qui est diffusé sur Netflix depuis le 18 décembre.

 

Dans le rôle-titre, Viola Davis (Oscar en 2017 pour son interprétation dans 'Fences') partage la vedette avec Chadwick Boseman (le héros du film 'Black Panther') qui incarne un trompettiste dans ce qui s’avèrera sa dernière apparition à l’écran (il est décédé d’un cancer en août dernier à l’âge de 43 ans).

 

La bande-son en a été confiée à Branford Marsalis qui s’est plongé dans l’univers musical des années 20 et plus spécialement, précise-t-il dans le livret, dans les interprétations de King Oliver et de Paul Whiteman. Le saxophoniste et arrangeur de la Nouvelle-Orléans souligne combien les deux musiciens ont su élargir le format traditionnel des petites formations de l’époque (trompette, clarinette, trombone, banjo ou piano, basse ou tuba et batterie).

 

A la tête d’une grande formation avec force violons, violoncelles, saxophones (ténor, alto), trombones, cornets, Branford Marsalis reproduit brillamment l’atmosphère de cette époque flamboyante sans céder à une quelconque nostalgie poussiéreuse. Des 24 titres joués ici, quatre sont des compositions de Ma Rainey y compris celle qui donne son nom au film et ‘Those Dogs of Mine’ interprétée par Viola Davis ... Un album qui mérite d’être classé au milieu de la centaine d’enregistrements laissés par Gertrude, Malissa Pridgett surnommée  « la mère du blues ».


Jean-Louis Lemarchand.

 

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20 décembre 2020 7 20 /12 /décembre /2020 10:39

Pierre de Bethmann (piano, piano électrique), Sylvain Romano (contrebasse) Tony Rabeson (batterie)

Pompignan (Hérault), 7-8 septembre 2019

Aléa 013 / Socadisc

http://aleamusique.fr/fr/disques/72-pierre-de-bethmann-trio-essais-volume-4

 

Le quatrième volet d'une série entamée en mars 2015, avec le beau projet de jouer les standards, et pas que (dans les volumes précédents Gabriel Fauré, Gainsbourg, Ravel, Boris Vian, Brassens, Stevie Wonder....), et toujours ce beau souci de vraiment réinterpréter. On pourrait même dire déconstruire/reconstruire, avec amour et respect pour les musiques choisies. Cette fois le choix de Pierre de Bethmann s'est porté sur des standards du jazz au sens strict (Anthropology, Saint Thomas, Think of One), mais aussi sur des grandes compositions de jazzmen (et jazzwomen) que l'on ne qualifierait pas forcément de standards (et pourtant....) : Three Blind Mice de Carla Bley, Deluge de Wayne Shorter, Ma Bel de Kenny Wheeler.... Sans oublier une chanson de Paul Mac Cartney (This Never Happened Before), et une autre du pianiste argentin Guillermo Klein, Moreira, reprise notamment par Miguel Zenón. De tout cela le pianiste fait œuvre nouvelle. Parker, Rollins et Monk sont joyeusement (mais amoureusement) pervertis dans leur rythme, leurs harmonies, ou dans leur ligne mélodique. Parfois le piano sort du cadre quand la basse rappelle les fondamentaux, et tout cela débouche sur des improvisations qui renouvellent la longue histoire de ces thèmes. Sylvain Romano, solide comme le roc, permet à ses partenaires toutes les audaces (Ah! les commentaires de Tony Rabeson, qui sont en eux-mêmes des histoires autonomes....). Pierre de Bethmann s'évade volontiers, avec toujours une grande pertinence (citer Night Train en improvisant sur Monk, il faut oser). Le traitement réservé à Wayne Shorter, Carla Bley et Kenny Wheeler paraît moins radical, tout simplement peut-être parce que ces thèmes sont moins ancrés dans nos mémoires par leurs interprétations de référence, et forcément moins porteurs aussi de souvenirs de relectures. En tout cas, d'une plage à l'autre, et d'un bout du disque à l'autre, on se régale de la liberté avec laquelle ce répertoire choisi est interprété, réinterprété, métamorphosé (c'est la nature-ou plutôt la culture- du jazz même).

Un avant-ouïr en suivant ce lien

http://pierredebethmann.fr/audio-player/72

 

 

On retrouve ce volume 4 dans le coffret publié simultanément, accompagné des volumes précédents. Chroniques de ces volumes antérieurs dans les Dernières Nouvelles du Jazz en cliquant sur vol.1, vol.2, vol.3

 

Encore quelques jours avant Noël ou le Nouvel An pour offrir ce coffret en cadeau !

Et il y a une surprise dans ce coffret : un volume complémentaire, intitulés «Essais/supplément», avec des plages inédites issues de l'ensemble des séances depuis 2015 : Introspection de Monk, en solo, qui raconte l'histoire dans un dialogue entre les deux mains du pianiste ; Les feuilles mortes, en trio cette fois, en se jouant du thème et des accords, avec une cavalcade improvisée ; Stablemates, de Benny Golson, en solo, avec encore un jeu de mains ; retour au trio pour Melody of the Moment, impromptu surgi de la rencontre entre Herbie Hancock et Jacob Collier ; et solo de la dernière plage sur As Time Goes By. Ces inédits sont un supplément d'âme pour un bonheur conclusif.

Xavier Prévost

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Des extraits du coffret en suivant ce lien

http://pierredebethmann.fr/fr/fr/albums/73-pierre-de-bethmann-trio-essais-volumes-1-a-4

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