Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
19 décembre 2020 6 19 /12 /décembre /2020 12:04

Edward Perraud (batterie, guitare, électronique, claviers, harmonica, composition)
Elise Caron (voix, flûte, textes, composition)

Fontenay-sous-Bois, mars 2018 ; Malakoff, février 2017 ; Ed Studio, 2014

Quark Records QR202026 / l'autre distribution

 

Deux personnes et deux personnalités (deux personnages aussi), d'une totale singularité. Près de dix ans après la parution de «Bitter Sweet» (Quark QR 0210630), les revoilà, avec un nouveau titre en forme d'oxymore ; c'est normal car leur singularité est plurielle, avec ce goût de franchir les frontières des genres musicaux, de mettre la fantaisie en abyme, de conjuguer la simple gaîté et l'émotion forte. Et aussi leur passion commune pour des univers musicaux chamboulés, entre l'improvisation, la musique contemporaine, le jazz, la chanson à (beaux) textes (en français, en italien), les rythmes du monde et les bruissements des musiques électro-acoustiques. Les percussions sont très présentes du côté d'Edward Perraud, mais aussi une foule d'instruments convoqués par les besoins de l'expression. Chez Élise Caron la voix (ou plutôt l'impressionnante palette de ses multiples voix : de chant, de théâtre, de murmure) cède ponctuellement le terrain à la flûte. Et tout cela nous raconte des histoires, étranges ou tendres, inquiétantes ou rieuses. Psalmodie de la peur ou vertige du temps suspendu, mystères de la mémoire, naufrage de l'innocence, chansons sans paroles, topographie de l'intime, tout converge, à force de ces multiples voix, de ces multiples expressions instrumentales, vers une fresque impossible à décrire, où l'humour, l'angoisse, côtoient l'émoi profond comme la légèreté parée d'insouciance. On a pu les écouter, l'une comme l'autre, dans des univers musicaux totalement différents. Mais ils se livrent là, en totale connivence ; l'écrit, l'improvisé, le finement élaboré et le totalement spontané se conjuguent et se côtoient : si l'on n'a pas le cœur sec ni l'oreille sourde, le bonheur est au bout du chemin.

Xavier Prévost

Partager cet article
Repost0
16 décembre 2020 3 16 /12 /décembre /2020 10:40
PASCALE BERTHELOT  SAISON SECRETE

PASCALE BERTHELOT

SAISON SECRETE

LABEL LA BUISSONNE

www.ecmrecords.com

www.labuissonne.com

 

CDs – pascale berthelot pianist, art director, pedagog, art-therapist.

Saison Secrète | Pascale Berthelot | La Buissonne (bandcamp.com)

 

Tout comme la plasticienne Fabienne Verdier1 qui illustre la pochette, en un camaïeu de gris verts sur feuilles d’eau, cette mystérieuse saison, une “cinquième saison, qui chante je ne sais quoi, transition vers un ailleurs inexploré, un état de conscience autre, la pianiste Pascale Berthelot se meut avec la matière. Elle se laisse agir, traverser par le chant du monde, ou autre chose qu’elle n’arrive pas à définir : ça parle au fond de moi...Je ne sais pas le dire et puis le corps sensible prend le relais et la musique parle d’elle même, la musique se fait d’elle même.

Et nous non plus, qui restons sensible à cette valse des correspondances, ces passages entre diverses disciplines qui se conjuguent.

Cinq pièces vibrantes, plutôt longues de “Balance des étoiles” à ce” Clair éclat de l’M” font varier nuances et atmosphères où la pianiste fait se croiser mystères et instantanés en un mouvement continu, dévoilant l’ exigence d’une personnalité musicale à découvrir.

Le piano est l’instrument de coeur de Gérard de Haro, le chef de la Buissonne qui a créé son propre label très singulier : connaissant par ailleurs le travail de Pascale Berthelot, il lui a demandé de jouer avec son piano, le grand Steinway du studio, la pièce maîtresse qui a déjà vu tant de musiciens s’ essayer à ce corps à corps, jouant autant de sensualité que de puissance de frappe. 

Rompue au répertoire classique et contemporain, elle se livre alors à un exercice de style, d’improvisation à la manière des baroques et laisse advenir ce que le corps lui dicte, une expérience du solo magistrale où les flux s’épanchent en direct, au prix d’un effort préparatoire, une révélation inconsciente, non contrôlée en tous les cas, attendue, espérée peut être, ou simplement qui se délivre, écrite à l’encre du feutre des marteaux

Son imaginaire est traversé de multiples influences, car elle n’oublie pas non plus, dans ce projet de littérature musicale, l’accord avec les grands textes, comme celui de la Dixième élégie de Duino du poète Rainer Maria Rilke, traduite par Philippe Jaccottet : il ne s’agit pas d’une illustration des mots ou des encres diluées, mais la musique correspond à la palette de couleurs, de grains, de pigments, comme des rayons de lumières qui percent à travers le feuillage de Fabienne Verdier.

Une expérience de corps en action, où par son cheminement propre, elle s’engage body and soul comme on le chante en jazz, et la musique advient, une transcendance de chaque jour.

La musique varie en couleur et intensité, impressionniste, traversée d’une pulsation brillante, celle d’un piano percussif qui marque son empreinte, mu par cette force mystérieuse et vitale. La fougue suffisamment expressive d’une musique audacieuse, authentique, spontanée, généreuse, si elle n’est pas du jazz, caractérise un certain engagement de la musique actuelle européenne. Moment singulier, qui nous laisse entrevoir tout simplement une certaine expérience des limites, la traversée rarement autorisée des apparences! Cette performance mérite d’être suivie en live mais on saisit grâce à la beauté de l’enregistrement à la qualité inouïe du grain sonore, la teneur de cette aventure, où il est question d’un moment poétique.

 

Sophie Chambon

 

(1) Fabienne Verdier s’est passionnée pour la calligraphie chinoise, travaille sur la Montagne Ste Victoire mais aussi sur ces feuilles d’eau, ornements des chapiteaux des abbayes cisterciennes si pures, du XIIème siècle, comme l’abbaye de Silvacane, au pied du Luberon.

Partager cet article
Repost0
11 décembre 2020 5 11 /12 /décembre /2020 11:17
TRIO KOSMOS   HUBERT DUPONT/ ANTOINE BERJEAUT/STEVE ARGÜELLES

TRIO KOSMOS

Hubert DUPONT(electric bass, fx)/ Steve ARGÜELLES (drums, fx)/ Antoine Berjeaut (tp, fx)

 

Ultrabolic


Enregistré en Ile-de-France, aux Musiques au Comptoir, le partenaire de longue date, situé à Fontenay-sous-Bois, ce trio Kosmos, toujours dans le cadre de sa structure Ultrabolic, est le dernier projet en leader du contrebassiste( ici à la basse électrique) Hubert Dupont, au demeurant sideman confirmé, multipliant rencontres et rythmes divers.

Une musique de forme rigoureuse qui nous propulse dans le cosmos avec un grand K pour planer, curieusement sans apesanteur, avec une gravitation bien perceptible. C’est que la rythmique intense groove formidablement, retrouvant même, par moment, les pulsations et rythmes africains aimés d’Hubert Dupont, sensible aux musiques du monde, aux voyages terrestres. Mais pourquoi ne pas tenter l’espace de l’infini, aidé en ce sens par les effets électro, plus étrangers qu’étranges, car on ne comprend pas bien comment cela fonctionne? On se laisse prendre, cela fonctionne, sonne irrésitiblement et conduit jusqu’à une transe doucement contrôlée. Enigmatique, la musique se déploie dans l’espace vibrant, en expansion, soutenu par les accents irrésistibles aux balais de Steve Argüelles, qui apporte sa patte. Le troisième élément de ce trio équidistant est la trompette aux accents davisiens certains, mais allant voir ailleurs, à l’aise. Souple, mobile, infatigable, son phrasé entêtant, combatif suggère en petites touches des impressions vivaces.

Passé la première impression volontiers hypnotique, qui engourdirait même dans un sentiment presqu’amniotique, on se rend compte que ce n’est pas qu’une question de techniques, les mélodies surgissent, presque toutes improvisées à trois dans diverses tonalités. Près de la mitan surgit ce titre paradoxal “Not jazz” d’Antoine Berjeaut, ou même le “Reckon” du leader pour se sentir à l’aise, en immersion ( titre d’un morceau au demeurant). “Not jazz” qui l’est plus pourtant ainsi que “Free Blue” fait retour à cette musique jusqu’aux accents bourdonnants du “BusyB” final.

Un travail soigné où les trois voix prennent leur place, se répartissent l’espace musical, se déploient dans ce paysage sidéral, ne se confondant jamais, s’agençant au contraire avec une lisibilité impeccable dans une “conceptual continuity” qui donne à l’album une cohérence forte.


 

Sophie Chambon


 


 

Partager cet article
Repost0
6 décembre 2020 7 06 /12 /décembre /2020 17:59

Emmanuel Bex (orgue, clavier-guitare, accordéon), Antonin Fresson (guitares électrique & acoustique), Tristan Bex (batterie, batterie électronique, cajón)

Les Lilas, 13-15 juillet 2020

Le Triton TRI-20561 / l'autre distribution

 

Entouré de son fils et d'un de leurs voisins, tous deux très impliqués dans l'énergie rock, Emmanuel Bex confirme son refus des cloisonnements et autres étiquetages. Cela nous vaut en ouverture une Marseillaise façon (presque hard) rock, et en coda le même hymne national(iste?) à l'accordéon, sur une même énergie rock. Et de l'un(e) à l'autre, toute une gamme de titres qui me font souvent penser, par le groove et la qualité des improvisations, aux héritages multiples de la musique afro-américaine plus encore qu'au rock. Par exemple une version très personnelle du traditionnel Sometimes I Feel Like a Motherless Child, traité dans un esprit bluesy alors que sa structure n'est pas vraiment celle d'un blues, mais qu'importe : le feeling est là, pour l'orgue comme pour la guitare, et la retenue rythmique de la batterie accentue le sortilège. Esprit blues aussi, au-delà de la forme, dans Manèges, et ainsi de suite. Hommage dans Jacques Brel Always, où Emmanuel Bex dit un court texte où cet artiste exalte la prise de risque jusqu'à tutoyer la peur, assumée. Fantôme du bop dans le vertige du phrasé de Charlie Of Course mais ailleurs, dans Bleu et Vert , souvenir (totalement fantasmé par le vieil amateur névrosé que je suis -mais rassurez-vous, je me soigne....) d'un certain Blue In Green . Et puis J'irai revoir ma Normandie transformé en poème mnémonique d'un lyrisme tranquille (et encore une fois assez bluesy....). Sans parcourir toutes les plages de manière exhaustive, une mention émue à propos de Pour Alain, dédié à l'Ami Guerrini. Dans le texte du livret, chaleureusement personnel, Franck Bergerot rappelle qu'Emmanuel l'a joué au grand orgue de Saint Eustache pour les obsèques de notre Ami à tous, Alain Guerrini. J'y étais, et j'en frissonne encore. Dans une ou deux plages, ce disque m'a rappelé l'esprit d'un long titre instrumental éponyme sur l'album «Métronomie» de Nino Ferrer. Bref c'est un disque hautement recommandable, sauf évidemment aux sectateurs du jazz pur et dur.

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr sur Youtube

Partager cet article
Repost0
5 décembre 2020 6 05 /12 /décembre /2020 18:04

Music for chamber orchestra and small ensemble

CD 1 «Dreamt Twice»

EOS Chamber Orchestra, direction Susanne Blumenthal &
Sam Pluta (électronique), Cory Smythe (piano & clavier quarts de tons), Robert Landfermann (contrebasse), Tom Rainey (batterie), Ingrid Laubrock (saxophones ténor & soprano)

Cologne, 5-6 décembre 2019

CD 2 «Twice Dreamt»

Ingrid Laubrock (saxophones ténor & soprano), Cory Smythe (piano & clavier quarts de tons), Sam Pluta (électronique) + Zeena Parkins (harpe électrique), Adam Matlock (accordéon), Josh Modney (violon)

Mount Vernon (État de New York), 22-23 décembre 2019

Intakt Records CD 355 / Orkhêstra

 

Double CD qui offre, en miroir, deux regards sur les mêmes compositions qui dialoguent dans des instrumentations différentes, avec un noyau de trois interprètes-improvisateurs/trices comme pivots de cette construction un peu folle, autour des rêves transcrits par Ingrid Laubrock dix années durant sur un carnet que lui avait offert la guitariste Mary Halvorson. La saxophoniste allemande explique dans les notes du livret que, durant ses années londoniennes, avant son installation à New York, elle avait côtoyé le spiritisme. Mais plutôt que de procéder à une écriture musicale sous influence médiumnique, elle a composé cette musique à partir de la relecture des transcriptions de rêves passés. Après avoir d'abord écrit la version pour petite formation, la saxophoniste dit l'avoir plutôt «ré-imaginée que ré-arrangée» pour l'orchestre de chambre. Laissons là cette cuisine compositionnelle pour nous concentrer sur ce que nous percevons et ressentons à l'écoute de chacun de ces disques, et sur ce que notre esprit construit de perception globale à partir de ces écoutes successives. Les écoutant dans l'ordre du disque (le CD 1 d'abord, avec l'orchestre de chambre, puis le CD 2, par la petite formation), j'ai élaboré une écoute personnelle qui inverse la démarche d'écriture. Cette écoute fondée sur l'ordre du disque a-t-elle une incidence sur ma perception ? Je ne le saurai jamais puisque qu'il m'est impossible de faire ensuite l'expérience inverse : écouter en commençant par la fin du CD2 ne peut me faire oublier la première écoute qu'inaugurait la version avec orchestre de chambre. C'est donc un jeu labyrinthique qui me tiendra lieu de perception et d'écoute réfléchie. Et pour tenter de relater cette expérience de la manière la plus concise j'écrirai ce qui suit. J'écoute cette musique comme s'il s'agissait d'un concert improvisé, tant la liberté qui s'en dégage fait oublier qu'il y a là une forme élaborée, et cette liberté dispense de faire le départ entre le préconçu et l'instantané. En écoutant cette musique dans l'ordre des CD et des plages, c'est à dire libérée de la construction en miroir qui a présidé à son élaboration, j'ai la sensation confuse de me livrer à une escroquerie esthétique, un affront au respect de la forme. Mais cette écoute possède manifestement sa propre cohérence, et elle est infiniment jouissive. L'œuvre, finalement, appartient à ceux qui l'écoutent. L'enfance de l'Art.

Xavier Prévost

Partager cet article
Repost0
3 décembre 2020 4 03 /12 /décembre /2020 22:04

Antonin-Tri Hoang (saxophone alto, clarinette, clarinette basse), Julien Pontvianne (saxophone ténor, clarinette), Francesco Diodati (guitare), Yannick Lestra (piano électrique, synthétiseur, piano), Matteo Bortone (contrebasse, guitare basse, électronique, glockenspiel, voix), Ariel Tessier (batterie)

Antony, 8-9 mars 2020

Auand Records AU 9102 / l'autre distribution

 

Un disque qui traverse les styles et les sources d'inspiration. Disque singulier, et même intrigant. Sa palette très étendue couvre tout le spectre des productions musicales des dernières décennies. La première plage commence par une fréquence continue (1900 hertz ?) qui va se fondre dans un spectre, une palette mouvante d'où surgiront des variations instrumentales. Puis c'est un jazz anguleux qui paraît resurgir du début des années 80, avant de libérer les improvisateurs dans leurs désirs profonds. On se promène ensuite entre le meilleur de la fusion et les escapades du rock progressif, avant de s'aventurer dans les territoires de l'étrange. C'est lyrique souvent, composé constamment, même dans les espaces que l'on devine libérés. Et cela se termine par une sorte de pop expérimentale et (très) sophistiquée que l'on croirait surgie de la fin des sixties. Singulier donc, déroutant même, et pourtant d'une parfaite cohérence. Musique servie par des musiciens entendus ailleurs dans une foule de contextes différents, mais qui tous comptent parmi les figures majeures des nouvelles générations, et apportent à ce disque la force de leur talent. Hautement recommandable, donc !

Xavier Prévost

Partager cet article
Repost0
30 novembre 2020 1 30 /11 /novembre /2020 14:24

Jean-Jacques Birgé invite Samuel Ber, Sophie Bernado, Amandine Casadamont, Nicholas Christenson, Médéric Collignon, Pascal Contet, Élise Dabrowski, Julien Desprez, Linda Edsjö, Jean-Brice Godet, Alexandra Grimal, Wassim Halal, Antonin-Tri Hoang, Karsten Hochapfel, Fanny Lasfargues, Mathias Lévy, Sylvain Lemêtre, Birgitte Lyregaard, Jocelyn Mienniel, Edward Perraud, Jonathan Pontier, Hasse Poulsen, Sylvain Rifflet, Eve Risser, Vincent Segal, Christelle Séry, Ravi Shardja, Jean-François Vrod - détail des instruments sur le site http://www.drame.org/2/Musique.php?D=164

2010-2019, Bagnolet (Studio GRRR), et pour quelques plages Les Lilas (Le Triton) et Paris, Maison de Radio France

GRRR 2031-32 / Orkhêstra

 

Double CD de rencontres suscitées par Jean-Jacques Birgé, sur une longue période, et comme toujours chez ce musicien, désir d'élaborer des objets musicaux et sonores très singuliers. C'est ce qu'il pratique depuis des lustres, et une fois encore il ne déroge pas. Toutes les plages retenues proviennent de plus d'une quinzaine d'albums virtuels publiés sur le site http://www.drame.org . Ça commence par un dialogue entre le violoncelle de Vincent Segal et le tenori-on (séquenceur où est échantillonnée, entre autres éléments, la voix d'Elsa Birgé), cela se terminera 22 plages plus tard avec la clarinette (et divers objets sonores) de Jean-Brice Godet, et la contrebasse de Nicholas Christenson, dialogue arbitré par divers instruments de Jean-Jacques Birgé. Rencontres à deux, parfois à trois, avec une foule de surprises musicales, mais aussi des moments de mélancolie, des bouffées de mystère ou de fantaisie débridée (deux plages successives avec Alexandra Grimal), des élans lyriques et compositionnels dans l'improvisation, des escapades vocales (Médéric Collignon, évidemment, Sophie Bernado, Élise Dabrowski...), des partenaires récurrents et inspirants (Antonin-Tri Hoang). Bref un voyage sensoriel et musical qui vaut son pesant d'inouï. Une immersion s'impose dans ces univers multiformes engendrés par le seul désir de 'faire musique ensemble'. Belle réussite et promesse, pour qui s'y plonge, de surprises jouissives.

Xavier Prévost

Partager cet article
Repost0
29 novembre 2020 7 29 /11 /novembre /2020 10:21
  CAMILLE THOUVENOT METTA TRIO        CRESISTANCE

CAMILLE THOUVENOT METTA TRIO

Crésistance

Christophe LINCONTANG (contrebasse) Andy BARRON ' batterie)

 

 

Premier album à la fois fluide et haletant du Metta trio, ce Crésistance suscite rapidement une attention bienveillante. C’est une histoire de famille au sens large, d’amitié entre potes, depuis la création de la pochette (Victor Costes et Lucas Linares ) qui tranche heureusement de la production actuelle en jazz assez médiocre, aux effets sonores et habillage d’Audrey Podrini (la compagne du pianiste). Même Bérénice, la fille de l’un des concepteurs Lucas Linarès, gazouille sur la coda du titre éponyme.

Metta est une référence bouddhiste qui éclaire sur le propos de l’album : Crésistance est pensé comme une histoire, dans laquelle on vous parle d'amour, de bienveillance, d'inspiration, d'émotions, de créations et résistances. Quant au titre Crésistance, il fait écho à la formule célèbre du regretté Stéphane Hessel, apôtre de l’indignation : “Créer c’est résister et résister c’est créer”.

Camille Thouvenot est un musicien talentueux, curieux de tout, à la gouaille enjôleuse: né dans le Gard, étudiant au Conservatoire de Nîmes, il intègre ensuite le CNR de Lyon où il étudie avec Mario Stantchev. Des rencontres nombreuses l’ont fait s’orienter vers le jazz avec un bagage plus que consistant, puisqu’il a une double culture. D’où des résurgences classiques dans les harmonies enrichies et le phrasé, du rhythm &blues, tout un brassage avec des couleurs franches. Assurément mélomane -et ce n’est pas toujours le cas chez les musiciens, il a écouté les styles les plus divers, faisant son miel de certaines manières. Chaque composition trouve son inspiration dans une “rencontre”. Et comme il n’en est pas à sa première expérience de groupes (le trio Desiderio, le Dreisam trio qui s’est fait connaître au Tremplin Jazz (s) RA en 2012), il a acquis une assurance qui s’entend dès le premier titre. Eclectique donc, il virevolte avec aisance et a su s’entourer de complices attentifs d’où un trio soudé, plutôt équilatéral: un sens du collectif, du souffle et du lyrisme, un rythme soutenu, car il n’y a pas de temps à perdre pour ce boulimique de musiques.

Le programme est bien composé, les titres s’enchaînent sans que la tension ne retombe, entrecoupés de montages sonores divers qui font retour au jazz ( fragments d’interview de Duke Ellington, Miles, Wynton Marsalis, Coltrane). Et à l’actualité.

Généreusement, le pianiste se livre dans des notes de pochette, confidences instructives. Ainsi se dessine un auto-portrait kaléidophonique, où il indique  influences, préférences,  emprunts,  faisant  défiler des musiciens de générations diverses, de Gérard Clayton à Tigran Hamasiyan, Herbie Hancock et même dans une pirouette finale “a ghost title” surprenant, cet “Indifférence” du roi de la valse musette swing jazz Tony Murena, que cite volontiers Michel Portal.

Sur les 15 compositions, neuf sont des originaux d’Audrey Podrini et de Camille Thouvenot et le reste des reprises arrangées avec une science que le pianiste possède à un haut niveau. On se souviendra de la version endiablée de “Caravan”, ce standard rebâché qui connaît une nouvelle jeunesse, retricoté entre le sens de l’espace d’Ahmad Jamal et les rythmiques néo orléanaises. Il faut aussi écouter ce “Cherokee” sous le patronage de Wynton Marsalis, ces lectures de “Nardis”, “On green Dolphin Street” et un double“moment” Coltrane. En travaillant les répertoires, le trio joue ce que souffle la mémoire, s’en inspirant librement, toujours un peu sur le fil. Toutes ces compositions ont en commun un fort caractère mélodique, favorisant le travail sur les dynamiques, l’espace. Le pianiste sait se renouveler, introduire nuances, contrastes, profiter des ruptures que la rythmique introduit. Une belle et rare synthèse entre exigence et lyrisme, préméditation et spontanéité .

L’ensemble dégage une joie de vivre communicative,  une exceptionnelle vitalité qui tranche sur la production de CDs qui sortent en ces temps de confinement. Un album des plus réjouissants, surprenant d’intensité, qui allie à une réelle fantaisie un sens de la liberté qui n’exclut jamais une maîtrise certaine.

 

Sophie CHAMBON

Partager cet article
Repost0
27 novembre 2020 5 27 /11 /novembre /2020 13:28

Matteo Pastorino (clarinette, clarinette basse), Giovanni Ceccarelli (piano), Mauro Gargano (contrebasse), Patrick Goraguer (batterie)

Meudon, 3-4 décembre 2019

DigginMusic Prod / Absilone Socadisc

 

Un disque très singulier parce que très personnel. Mauro Gargano part d'un souvenir d'enfance, et d'une chanson entendue dans un film à sketches dont Pier Paolo Pasolini avait réalisé l'un des volets, et pour lequel il avait écrit le texte d'une chanson. C'est cette chanson, Che Cosa Sono Le Nuvole ? (C'est quoi les nuages ?) qui resurgit à la mémoire du contrebassiste, et sera tout à la fois l'ouverture et le fil conducteur de ce disque. Belle chanson mélancolique, magnifiée par la clarinette de Matteo Pastorino. Et chaque plage qui suit se rattache, fût-ce par un fil, à ce désir initial, à cette anamnèse qui va dessiner le projet artistique. On croisera encore Pasolini, et le souvenir de Velázquez, Nino Rota, Hermeto Pascoal, Enrico Rava, un roman d'Elsa Morante, des mots surgis de la province natale des Pouilles, l'image de la mère, et en métaphore conclusive Nuages de Django Reinhardt. Les thèmes sont de facture très variée, obéissant à des styles et des tempi très divers, avec cependant un voile de nostalgie, une nostalgie sublimée qui sera l'un des autres fils conducteurs. Le piano de Giovanni Ceccarelli et la batterie de Patrick Goraguer tissent mille nuances, même sur tempo vif, et la contrebasse de Mauro Gargano, qui n'envahit pas l'espace soliste, chante constamment. De bout en bout, ce très beau disque est porté par une sorte d'urgence poétique. Là où la séquence filmée de Pasolini (inspiration initiale) évoquait Shakespeare, c'est une autre musique en forme de poésie qui traverse mon esprit, L'Étranger, un poème en prose de Baudelaire : «Eh ! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? -J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages !»

Xavier Prévost

.

Un avant-ouïr sur Youtube

Partager cet article
Repost0
25 novembre 2020 3 25 /11 /novembre /2020 13:41

Cédric Caillaud (contrebasse), Gilles Réa, (guitare), Hervé Meschinet (flute). Joël Fajerman studio, Paris. 10-11 janvier 2020.
Fresh Sound Records FSR-CD 5107 / Socadisc.
Sortie le 27 novembre.

 

Antonio Carlos Jobim –ou plus simplement Tom Jobim-fut l’un des plus prolifiques compositeurs du XX ème siècle. Les œuvres signées du musicien brésilien (1927-1994) se comptent par centaines. Surtout son nom évoque immanquablement la bossa nova dont il fut à la fois le héraut et le héros.

 

« J’aime les compositions de Jobim car elles sont abouties, fortes, complexes et en même temps très séduisantes et populaires », explique le contrebassiste Cédric Caillaud. Une justification au choix de l’hommage rendu par ce jazzman natif de La Rochelle rompu aux finesses de la scène en vingt ans de carrière et qui apprécie les bassistes au jeu solide, citant notamment Ray Brown, Ron Carter, NHOP ou encore pour les interprètes hexagonaux Pierre Michelot et Luigi Trussardi.

 

Onze compositions ont été retenues dont le célébrissime Chega de Saudade. L’approche se veut dépouillée, intimiste. Un objectif atteint par le contrebassiste qui a fait appel à deux complices, le guitariste Gilles Réa et le flutiste Hervé Meschinet (un vrai flutiste, et non un saxophoniste jouant de la flute). Fluidité, légèreté, et une pointe de mélancolie sont au rendez-vous.  Aucun des comparses ne « tire la couverture » à lui et s’instaure une conversation à trois qui invite à la rêverie, à une certaine nonchalance, particulièrement bienvenues en ces temps maussades. Un album qui fait du bien. Et aussi une forme d’hommage à un guitariste, Marc Fosset, tout récemment disparu –après cet enregistrement- et avec lequel Cédric Caillaud a joué à de nombreuses reprises. (« Je l’admire. Avec lui la musique est une conversation »).  

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

https://music.youtube.com/watch?v=P_c985Dk1no&list=RDAMVMP_c985Dk1no

 

http://cedriccaillaud.free.fr/

 

Partager cet article
Repost0