JONATHAN ORLAND
Inner Landscape
Label Oddsound
Dix petites pièces pas si faciles en apparence composent cet album solo du saxophoniste alto Jonathan Orland, son septième depuis l’inaugural Homes en 2013.
Un album né à Montréal, au temps du Covid, en un sens providentiel puisque la pandémie a poussé le musicien à se lancer dans l’aventure toujours périlleuse du solo. Jonathan Orland a choisi de se portraiturer dès le délicat Lament inaugural, vraiment splendide ou plutôt de dévoiler pudiquement quelques uns de ses “paysages intérieurs”.
Il s'est donc livré à ce travail solitaire et parfois ingrat, un exercice de style plutôt rare au saxophone qui peut pourtant – il nous le prouve, se passer d’accompagnement. Dans ce parcours variant nuances et atmosphères de l’instrument, Jonathan Orland fait se croiser imaginaire, mystères, instantanés et une certaine exigence. Ce n’est pas l’art du solo de saxophone en dix leçons mais des “études” qui proposent grâce à la souplesse et les couleurs de l’instrument des bibelots sonores, affirmant ainsi une dimension narrative ou émotionnelle comme dans ce Yiddish Lullaby dont il nous laisse recréer la scène.
Ces performances méritent d’être suivies en live mais on peut découvrir la teneur de ce parcours poétique avec les vidéos de Jérémy Soudant dont on avait aimé dans le temps pour la regrettée collection BD Nocturne les portraits de Stan Getz et de Ben Webster. Ses travaux mêlent le dessin aux techniques de l’image, y compris en 3D. C’est encore lui qui a réalisé la pochette illustrant la composition Buffalo Island que le saxophoniste décrit ainsi : “Nous prenons une route déserte et glaciale d’Alberta escortés par deux bisons ancestraux dont les nasaux expulsent d’épais nuages de vapeur”. On s'y croirait et une fois encore, on se joue le film dans notre tête...
Jonathan Orland alterne des pièces vibrantes et enlevées avec d’autres moins rapides, intégrant avec audace le vide, le vertige du silence qui est encore musique.
Ses improvisations laissent découvrir des formes ouvertes, libres, fluides, spontanées.
Avec une énergie tranquille il laisse grand'ouvertes les marges d’exploration, sachant écouter les oiseaux jusqu’à les imiter (Gazouillis, Oiseau Mouillé) .
On resterait contemplatif à l’écoute de cette ode à la nature si, par une pirouette, le saxophoniste ne revenait au bons vieux fondamentaux du jazz, revisitant avec humour jusqu’au couic final, le We See de T.S Monk et s'il ne montrait son penchant mélodique en rendant un hommage singulier au merveilleux songwriter qu'était Cole Porter (Like Someone in Love) dans Like Someone-What …
Un album quelque peu inattendu, dépouillé et pourtant fièvreux... à découvrir.
Sophie Chambon