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6 septembre 2024 5 06 /09 /septembre /2024 18:32
Jonathan ORLAND   Inner Landscape

JONATHAN ORLAND

Inner Landscape

Label Oddsound

 

www.JonathanOrland.com

 

Dix petites pièces pas si faciles en apparence composent cet album solo du saxophoniste alto Jonathan Orland, son septième depuis l’inaugural Homes en 2013.

Un album né à Montréal, au temps du Covid, en un sens providentiel puisque la pandémie a poussé le musicien à se lancer dans l’aventure toujours périlleuse du solo. Jonathan Orland a choisi de se portraiturer dès le délicat Lament inaugural, vraiment splendide ou plutôt de dévoiler  pudiquement quelques uns de ses “paysages intérieurs”.

Il s'est donc livré à ce travail solitaire et parfois ingrat, un exercice de style plutôt rare au saxophone qui peut pourtant – il nous le prouve, se passer d’accompagnement. Dans ce parcours variant nuances et atmosphères de l’instrument, Jonathan Orland fait se croiser imaginaire, mystères, instantanés et une certaine exigence. Ce n’est pas l’art du solo de saxophone en dix leçons mais des “études” qui proposent grâce à la souplesse et les couleurs de l’instrument des bibelots sonores, affirmant ainsi une dimension narrative ou émotionnelle comme dans ce Yiddish Lullaby dont il nous laisse recréer la scène.

Ces performances méritent d’être suivies en live mais on peut découvrir la teneur de ce parcours poétique avec les vidéos de Jérémy Soudant dont on avait aimé dans le temps pour la regrettée collection BD Nocturne les portraits de Stan Getz et de Ben Webster. Ses travaux mêlent le dessin aux techniques de l’image, y compris en 3D.  C’est encore lui qui a réalisé la pochette illustrant la composition Buffalo Island que le saxophoniste décrit ainsi : Nous prenons une route déserte et glaciale d’Alberta escortés par deux bisons ancestraux dont les nasaux expulsent d’épais nuages de vapeur”. On s'y croirait et une fois encore, on se joue le film dans notre tête... 

Jonathan Orland alterne des pièces vibrantes et enlevées avec d’autres moins rapides,  intégrant avec audace le vide, le vertige du silence qui est encore musique.

Ses improvisations laissent découvrir des formes ouvertes, libres, fluides, spontanées. 

Avec une énergie tranquille il  laisse grand'ouvertes les marges d’exploration, sachant écouter les oiseaux jusqu’à les imiter (Gazouillis, Oiseau Mouillé) .

On resterait contemplatif à l’écoute de cette ode à la nature si, par une pirouette, le saxophoniste ne revenait au bons vieux  fondamentaux du jazz, revisitant avec humour jusqu’au couic final, le We See de T.S Monk et s'il ne montrait son penchant mélodique en rendant un hommage singulier au merveilleux songwriter qu'était Cole Porter (Like Someone in Love) dans Like Someone-What

Un album quelque peu inattendu, dépouillé et pourtant fièvreux... à découvrir.

 

Sophie Chambon

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4 septembre 2024 3 04 /09 /septembre /2024 17:16

Paul Jarret (guitare, composition, direction), Thibault Gomez (harmonium), Élodie Pasquier (clarinette basse), Maxence Ravelomanantsoa (saxophone ténor), Fabien Debellefontaine & Fanny Meteier (tubas), Jules Boittin (trombone), Hector Léna-Schroll (trompette), Alexandre Perrot & Étienne Renard (contrebasses), Bruno Ducret (violoncelle), Fabiana Striffler (violon), Éléonore Billy (nyckelharpa), Maëlle Desbrosses (alto)

Nanterre, 12-13 octobre 2023

Pégazz & L’Hélicon / Inouïe Distribution)

 

Une nouvelle aventure pour le guitariste compositeur, et le choix d’un absolue singularité : un instrumentarium inédit : anches, cuivres, mais aussi deux basses, pas de batterie, des cordes, un harmonium, et l’étonnant nyckelharpa, instrument traditionnel suédois, déjà entendu du côté du jazz avec le ‘Super Klang’ de Sylvain Lemêtre et Frédéric Aurier. Comme l’instrumentation la musique, résolument acoustique, affiche aussi son puissant désir d’ailleurs. Même si Paul Jarret cite parmi ses références les répétitifs américains, un compositeur d’Europe centrale ou un groupe de rock britannique, nous sommes bien en présence d’un objet musical inédit, où se mêlent une formidable étendue de la dynamique, un puissant souci du détail signifiant, un indéniable sens collectif, et un goût de la liberté qui s’épanouit notamment dans les envolées des solistes, qui peuvent surgir dans une atmosphère de musique spectrale. C’est à la fois profondément mystérieux, et ponctuellement d’une évidence désarmante. Il se dégage de l’ensemble (l’ensemble du répertoire, et l’ensemble en tant que groupe) une sensation de ductilité : c’est fluide, ça bouge, c’est vivant et cela se transforme en permanence : ce pourrait être fragile mais chaque nouvelle étape, chaque nouveau paramètre d’orchestration, chaque intervention soliste nous confirme que cette œuvre en mouvement, œuvre ouverte en quelque sorte, est à écouter, à lire, à recevoir dans ce mouvement perpétuel. Instable et pourtant ferme dans son principe esthétique, dans sa force expressive. Audacieux, magistral, et tout simplement beau : beauté singulière, assurément.

Xavier Prévost

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Le disque paraît le 6 septembre, et le groupe est en concert le samedi 7 septembre à Paris à l’Atelier du Plateau dans le cadre de ‘Jazz under the radar’ pour Jazz à La Villette

https://jazzalavillette.com/fr/evenement/28066/under-the-radar-paul-jarret-acoustic-large-ensemble

Un avant-ouïr sur Youtube, extrait du concert de création en mai 2023

https://www.youtube.com/watch?v=3hjk4lTQx9c

Également en concert le 12 novembre à La Soufflerie de Rezé (Loire-Atlantique), et le 13 novembre au festival Djaz de Nevers

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6 juillet 2024 6 06 /07 /juillet /2024 11:42

Deux nouveaux disques pour célébrer les 20 ans du label lillois de création. Deux univers, deux approches, avec en commun le batteur. Système à contraintes voulues et assumées d’une part, liberté du free jazz d’autre part. Mais grande liberté dans les deux cas
 

TERNOY, CRUZ, ORINS «The Theory of Contraints »

Jérémie Ternoy (piano), Ivann Cruz (guitare), Peter Orins (batterie)

Ronchin, 17-19 octobre 2023

Circum Disc CIDI 2401 -2024

https://www.circum-disc.com/ternoy-cruz-orins-the-theory-of-constraints/

 

Il n’est pas ici question de produire une œuvre en s’imposant des contraintes par jeu de l’esprit. On n’est pas dans la revendication de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle) cher au cœur de Raymond Queneau. Et pourtant c’est bien le même esprit qui règne : faire œuvre d’art en tissant un réseau de contraintes qui fait que le jeu devient fécond, et que cette fécondité produit un objet artistique que l’on appelle œuvre (d’art), musique, performance…. que sais-je. Je me suis régalé à cheminer dans ce labyrinthe où chaque méandre me dit : là n’est pas le sens. Et pourtant sens il y a : giratoire, signifiant ou auditif. On s’immerge, on s’abandonne, la magie est là


WOO - HOO-HA

Christine Wodrascka (piano), Pauline Owczarek (saxophone alto), Peter Orins (batterie)

Ronchin, 12 décembre & Poitiers, 14 décembre 2023

Circum Disc CIDI 2402 -2024

https://www.circum-disc.com/woo-hoo-ha/


 

Elles-il se sont rencontrés en duo, puis en trio, pour des concerts. Et leurs improvisations font explicitement référence à l’univers du free jazz . Ici les libertés anciennes rejoignent les conquêtes du présent le plus vif. Entrée progressive dans une dramaturgie qui s’élabore, pas à pas, et se construit jusqu’au paroxysme, avec des pleins, des déliés, des foucades, des emportements, des méditations et des replis intimes. Musique libre, vraiment, qui nous saisit, et nous captive.

Xavier Prévost

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2 juillet 2024 2 02 /07 /juillet /2024 17:51
ALVIN QUEEN TRIO      Feeling good

ALVIN QUEEN TRIO      Feeling good

Stunt Records

www.alvinqueen.com

 

 

 

Est-il besoin de présenter Alvin Queen, batteur de légende qui, encouragé par Elvin Jones, a accompagné un soir Coltrane? En sideman ou en leader, il a tourné avec les plus grands Kenny Barron, Horace Silver, Dizzy Gillespie, Nina Simone... dans une carrière de plus de soixante ans.

Pour cet album en leader, il a choisi d’enregistrer en trio-le format classique-un album conçu à l’ancienne, en parfaite synergie avec son pianiste le très doué Carlton Holmes et son contrebassiste Danton Boller qui lui aussi a fait ses preuves.

Le titre Feeling good est une invitation à laquelle on s’abandonne avec plaisir tant le trio sait travailler à sa manière épurée l’héritage de la musique américaine, revoir divers répertoires du jazz, des thèmes de l’American Songbook déployés avec succès sur scène ou dans les films qui sont toujours source d’inspiration. Soit un spectre large composé de six chansons sorties de musicals, de quatre de jazzmen dont deux du pianiste Cedar Walton, deux autres issues de B.O de films dont le fameux Love Theme d’Alex North dans le Spartacus de Kubrick et aussi une chanson pop de 1961 devenue un standard de jazz The Night has a thousand eyes dont on se souvient de l’interprétation magistrale de Sonny Rollins.

Ce nouvel album ne changera pas la donne, au champ ouvert mais délimité puisqu’il enjambe une grande partie de l’histoire du jazz, de l’ineffaçable mais toujours émouvant-quand le piano sonne aussi bien, Someone to watch over me de Gershwin (1926 ) à Bleeker Street ( Cedar Walton 1985).

La science de l’alternance dans le montage confère tout son relief à cet album: loin d’une relecture facile des standards, on suit une progression lente menée de main de maître, un patient travail d’élaboration. Dès le démarrage allègre d' Out of this world d’Harold Arlen et Johnny Mercer, la complicité est immédiate entre ces trois musiciens qui avancent comme un seul homme. It ain’t necessarily so groove joliment. Waltz for Ahmad de Joe Wilson est un thème magnifique qui souligne l’habileté d’un pianiste vraiment talentueux accompagné d'un batteur  des plus caressants aux balais. Que dire de leur version de cette imparable mélodie Love theme de Spartacus qui vous cueille sans crier gare où, après une exposition élégiaque du thème, le pianiste développe une improvisation soignée aux variations recherchées? Changement de style avec Love will find a way, une chanson douce et chatoyante de 1977 de la femme de Pharoah Sanders où le pianiste joue aussi de synthés dans un esprit très pop.

La suite du programme n’en est pas moins réjouissante, le tempo s’accélère avec cette version éponyme de Feeling Good qui n’aurait pas déplu à Nina Simone qui connaissait la chanson et s’en empara dans son I put a spell on you. C’est en effet mérité que Feeling good donne son titre à l’album tant il a de quoi nous plaire réunissant dans un "mash up" réussi un soupçon de bossa, le thème mais aussi des citations de James Bond qui “matchent” particulièrement .

Impérial aux baguettes, stimulant sur les cymbales dans The night has thousand eyes, Alvin Queen entre dans la danse avec son solo (roulements secs sur la caisse claire) introduisant Firm Roots ; sans jamais forcer le ton,  il  sait utiliser toutes les nuances des peaux et des fûts, batteur “quintessential” qui commente, ponctue, rythme avec un drive d' une rare élégance, propice à induire des plages d’improvisation dont une écoute attentive révèle les subtilités.

On prend plaisir à cette balade dans un paysage musical américain éternel où tout part et ramène aux chansons. En cette période tourmentée, il n’y a vraiment pas de mal à se faire du bien avec ce rappel bienvenu de Send in the clowns de Steven Sondheim ou le final Three Little Words léger et rebondissant comme Fred Astaire. Un trio qui enthousiasme par son aptitude à faire revivre loin de toute performance, avec intelligence et conviction, des musiques essentielles.

Sophie Chambon

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29 juin 2024 6 29 /06 /juin /2024 11:21

Ludovic Ernault (saxophone alto),
Pierre Bernier (saxophone ténor),
Jean-Christophe Kotsiras (piano, composition),
Blaise Chevallier (contrebasse),
Ariel Tessier (batterie).
Enregistré en juin 2021 à Paris.
Soprane Records. Paru en juin 2024.


     Quoi de neuf ? Lennie Tristano (1919-1978).

 

     Un brin de provocation assorti d’un retour aux sources en forme de réhabilitation pour la jeune génération. Quand fleurissent à ne plus finir les adeptes de Brad Mehldau, Esbjorn Svensson et autres, se plonger dans l’univers du pianiste-professeur marginal mais central relève de l’exercice salutaire.

 

     « Contaminé par le virus tristanien », selon ses propres termes, le pianiste Jean-Christophe KOTSIRAS nous avait déjà donné un album en duo (Linea Bach with Tristano) avec Alice ROSSET, formation dénommée HASINAKIS, où alternaient titres de Tristano, Lee Konitz, Lennie Popkin, Jean-Sébastien Bach, et ses propres compositions.
      Enthousiaste, Kotsiras vante le jeu de Tristano « très fluide, très lié, d’apparence monotone mais en réalité avec beaucoup de relief un peu comme un dessin en noir et blanc ».


     Un enthousiasme qui incite aujourd’hui Jean-Christophe Kotsiras à proposer un second disque (espérons qu’un troisième interviendra) traitant de la musique de Tristano avec un quintet (deux saxophones et une rythmique), rappelant le groupe qui fit fureur à la fin des années 40 où se côtoyaient Lee Konitz (alto), Warne Marsh (ténor), Billy Bauer (guitare).
    Kotsiras présente des œuvres de Tristano (Wow), Konitz (Lennie’s, It’s You, Palo Alto) Billy Bauer (Marionette) s’ajoutant à trois compositions personnelles (Anamnèse, Emelia, Shining).

 

     Avec « LENNIE’S » (Soprane Records), nous disposons d’un quintet qui tout en sobriété (9 titres pour une durée totale de 43 minutes) propose l’exploration d’un univers envoûtant où l’émotion (sans pathos) se conjugue à la rigueur avec une élégance de classe ... Avis aux programmateurs de festivals et de concerts qui souhaitent sortir des sentiers (re)battus !  

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo X. (D.R.)

 

Cet été, on pourra entendre le duo HasinAkis le 20 juillet  à 19 h dans le cadre d'une résidence au Grand Bain de la Madelaine-sous-Montreuil  (62) et les deux pianistes (en solo ou duo) en Charente-Maritime dans des lieux non encore définis.

 

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29 juin 2024 6 29 /06 /juin /2024 08:20

Claude Barthélémy (guitares & autres instruments)

pour l’instant en numérique sur Bandcamp

https://claudebarthlemy.bandcamp.com/album/panorama

 

Une musique commencée pendant le confinement, avec tout le confort moderne des outils numériques ; mais le virtuel n’évacue pas le concret : des guitares, un peu de batterie et un piano jouet…. le tout mixée ensuite en studio. C’est du Barthélémy pur sucre, mélange de débordements et de finesse, de nuances et d’éclats, de mélodie entêtantes et de constructions musicales vertigineuses, de sons saturés et de sonorités bercées dans leur naturel. Des compositions nouvelles, mais aussi des thèmes qui appartiennent au passé, récent ou lointain, du compositeur-guitariste. On se surprend à écouter cette musique comme si, déjà, elle nous était familière. Comme si nous l’avions guettée, derrière ‘la balustrade du possible’, selon l’expression du poète Bruno Capacci. Le résultat de cette aventure solitaire est assez bluffant. Mais le projet musical n’est pas autarcique : au contraire. Claude Barthélémy veut de cette musique donner une version vivante, incarnée, par des musiciens/musiciennes qui lui donneront une autre vie, un nouvel essor, comme une aventure renouvelée. Bref pour en faire ‘de la musique de musiciens, entièrement faire à la main’, comme aimait à le dire notre Ami Jacques Mahieux, longtemps batteur au côté de Claude Barthélémy. Et en l’écoutant dans cette version princeps, on se prend à rêver de la voir resurgir, sous cette forme de réinvention foncière que l’on appelle ‘le jazz’

Xavier Prévost

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22 juin 2024 6 22 /06 /juin /2024 08:48

Christophe Monniot (saxophones, composition), Aymeric Avice (trompette), Jozef Dumoulin (claviers), Nelson Veras (guitare acoustique), Nguyên Lê (guitare électrique), Bruno Chevillon (contrebasse), Franck Vaillant (batterie), Sylvie Gasteau (textes)

Les Lilas, 19-20 mai 2023 et Berlin, 6 juin 2023

Le TritonTRI-23577 / l’autre distribution


 

Un disque-manifeste, qui aborde avec une forme de radicalité artistique la question des migrants, de la migration, de la lutte pour le respect d’autrui, de l’hospitalité…. Toutes choses dont un cruel présent crie, plus fort que jamais, l’absolue nécessité. Un manifeste artistique, pas un prêche édulcoré par une simulation de bienveillance. Les formidables musiciens que l’on écoute ont tous une relation personnelle avec la migration : nés ailleurs, ou de parents nés hors de notre cercle territorial, voire immigrés de l’intérieur, ils se sont retrouvés dans notre capitale cosmopolite. Leur musique parle d’ailleurs et d’ici, de mélange et de singularité. Une aventure née voici plus de 4 ans, dans différents lieux, avec les incertitudes du temps, et des partenaires parfois différents (mais toujours porteurs d’un excentrement par rapport à leur origine). La musique jaillit, elle est forte, presque implacable, et son parcours s’émaille de voix multiples, venues d’ailleurs, qui nous parlent de ces déplacements : subis, forcés ou contraints par la nécessité de survivre. Surgissent des paroles de Martin Luther King, de l’Abbé Pierre, de l’écrivain Abdoul Ali War, de la philosophe Marie-José Mondzain, ou de Bruno Chevillon parlant dans langue de sa mère, italienne…. Et la musique, plus que tout, nous parle avec force, exubérance, violence et conviction. Une très belle réussite artistique conjuguée au présent de l’humanité qui, toujours, doit prévaloir.

Xavier Prévost

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Le groupe sera en concert au Triton, près de la Mairie des Lilas, le samedi 29 juin

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Un avant-ouïr sur Youtube

 

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19 juin 2024 3 19 /06 /juin /2024 18:04
Nell' Italia di Ennio Morricone

 

Vincent Beer Demander    Grégory Daltin

Nell' Italia di Ennio MORRICONE

 

www.labelmaisonbleue.com

Accueil - Compagnie Vincent Beer-Demander & Co (compagnievbd.org)

 

Le mandoliniste Vincent Beer Demander et son ami et complice, l’accordéoniste Grégory Daltin savent faire preuve d’une formidable ouverture musicale. Avec ce nouveau projet Nell’ Italia di Ennio Morricone sorti sur le label Maison Bleue, ils ont voulu enregistrer diverses musiques du maestro mais mettre aussi en lumière ce qu’elles ont pu inspirer à des compositeurs français...Une façon de reprendre des thèmes moins connus et de lui rendre ainsi un hommage plus soutenu encore. Comme ils l’avaient fait pour Lalo Schifrin ( Lalo Schiffrin for mandolin) et Vladimir Cosma avec sa Suite Populaire, ils participent à la création d’un nouveau répertoire avec des commandes passées à François Rossé (à la Calabrese), à Richard Galliano (Umoresca) qui révèle toute son habileté  à faire revivre l'esprit du compositeur.

Ce que l'on connaît d' Ennio Morricone, c’est l’accord parfait avec son copain d’enfance Sergio Leone depuis Per un pugno di dollari jusqu'à l’émouvant et crépusculaire chant de C’era una volta in America   en écho au premier et légendaire Il était une fois... qui finit l'album. Or Morricone est l’auteur de plus de cinq cents musiques de films depuis le début des années soixante, un arrangeur extraordinaire, un compositeur attiré par toutes les musiques, du classique symphonique au contemporain.

Nell'Italia di Ennio Morricone est une façon de montrer la variété d' inspiration du maître avec des reprises qui jouent d’une instrumentation des plus originales, un duo qui “matche” accordéon/mandoline agrémenté accessoirement  de l’apport de complices, à la voix (Petra Magoni) et au piano et aux percussions, Claude Salmieri, auteur d’une Valse di Roma lente et mélancolique. 

L’album commence avec des reprises de colonne sonore de Morricone moins connues comme l’entraînant Viaggio (tout un programme), l’un des thèmes de Stanno tutti bene du Sicilien Giuseppe Tornatore, autre ami de longue date du compositeur qui écrivit la musique si nostalgique de son plus grand succès Cinema Paradiso.

Suivent Variazioni da un tema sereno issu de La Chiave, film érotique de Tinto Brass avec Stefania Sandrelli, un thème baroque, de la musique de chambre où la mandoline se glisse dans le rôle de la flûte, épaulée par un accordéon souverain. Avec Regalo di Nozze du Novecento de Bertolucci en 1976, c'est un changement d’atmosphère plus sombre et entêtante, un inquiétant décompte,  compte à rebours fatal. Le duo alterne les rôles, l’accordéon se chargeant souvent des ostinato de basse dans ce mécanisme d’horlogerie fine. Hundred Yards Dash du film Les Anges de la nuit de Phil Joannon (State of Grace-1990) nous régale d’une montée tout en pizz déchaînés.

Avec Una serenata passacaglia per Cervara, il s’agit de s’amuser comme dans le jazz, avec des variations “rafraîchies” à partir d’une danse d’origine espagnole des XVIè et XVIIème siècles, à l’origine une cantate avec accompagnement de guitare jouée ici par la mandoline, “la petite soeur de la guitare”. L’instrument de quatre cordes doubles se joue sur une corde ou sur les doubles, avec des trémolos tenus ou des notes poussées au plectre, entre pouce et index, à la “plume” comme on disait à l’époque baroque, âge d’or de l’instrument.

On entend dans les quinze petites pièces de l'album une musique solaire aux accélérations brusques, sur un rythme qui jamais ne faiblit comme dans le très insolite  Tango cromatico per il maestro de Régis Campo qui joue d'effets que n'aurait pas renié le maître. Ou comment faire un clin d’oeil à ce qui est aussi l'une de ses signatures, l'utilisation d’instruments des plus originaux guimbarde, sifflets, flûte de pan, hautbois, fouet, enclume...

L’interprétation des musiciens souligne la qualité narrative de pièces témoignant d’une véritable science d’écriture et d’inspiration mélodique comme dans le passionnant A la calabresa de François Rossé, une pièce plus résolument contemporaine,  à l'émancipation parfois dissonante où le duo s’étoffe de percussions et du chant rauque de Petra Magoni. On se souvient de son duo de Musica Nuda avec le contrebassiste Ferrucio Spinetti. Plusieurs lignes mélodiques qui ne s’unissent pas souvent, révèlent cependant toutes les possibilités de la mandoline, si expressive. 

Il y a une réelle cohérence dans cet album car le chant profondément italien, ces rythmes de mélodies populaires se conjuguent avec l’art savant de réharmoniser, le jeu avec la matière musicale pour en faire des miniatures pour mandoline comme dans Il Padrino de Nino Rota (!). Cet arrangement magistral du marseillais Christian Gaubert n’est pas une erreur dans ce programme tant ce thème mondialement connu semble avoir été écrit pour la mandoline qui nous en met plein l’ouïe. 

 

Sophie Chambon

 

Nb: Emouvant aussi à la fin du Cd  cet enregistrement téléphonique de Morricone qui remercie les musiciens pour leur fidélité et justesse d'interprétation. 

 

 

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6 juin 2024 4 06 /06 /juin /2024 19:08
HELVETICUS TRIO                OUR WAY

HELVETICUS TRIO      OUR WAY

 

Produit par Samuel Blaser sur le label Blaser Music

www.samuelblaser.com

 

On retrouve avec plaisir le trio Helveticus découvert il y a quatre ans dans le programme de 1291, date de création de la Confédération Helvétique. Ils continuent cette aventure après avoir beaucoup tourné en Europe et on n’est pas déçu du résultat. Sans se réinventer, il poursuivent l’exploration d’un champ musical aussi ouvert que délimité à la reprise de standards du jazz classique de Duke Ellington, Thelonius Monk (Jackie-ing et un Bemsha Swing métamorphosé sur un tempo étiré au maximum), de traditionnels suisses (Traume der liebe) et des anciens titres de Daniel Humair Ira, Genevamalgame.

Le programme de 1291 tournait déjà autour de reprises de mélodies des origines du jazz à partir du Dixie et du Créole néo-orléanais. Les trois comparses tordent le cadre de la tradition, engagés dans un processus de relectures inventives avec des pièces plutôt courtes, intenses, retrouvant l’esprit des fanfares, parsemant leur interprétation de ces fredons qui courent dans la mémoire collective. Chaque pièce est une succession de séquences libres, du jazz toujours vif, saisissant dans l’instant les voisinages et associations libres. Une musique qui n’oublie donc pas d’où elle vient mais sait se dégager des codes et styles trop marqués. Pas de remise en question radicale mais une appropriation intelligente et sensible, intuitive et logique. Sans thématique précise, le trio s’empare des diverses compositions avec cette qualité pas si fréquente dans le monde du jazz, un humour imparable dans les “déconstructionsapparentées à des arrangements. Un patrimoine inoubliable revu à leur goût, à leur manière, in their Own Way, le titre de l' album à la pochette mise en oeuvre par Daniel Humair qui n’a jamais pu choisir entre peinture et musique, aimant autant peindre que jouer des peaux et des fûts, aussi à l’aise avec les brosses et pinceaux que les baguettes. Si cette fois sa palette travaille plus les neutres, on reconnaît bien ses formes fixes et flottantes.

L’expression collective est essentielle dans ce trio “osmotique” à la formule instrumentale originale (trombone/contrebasse/batterie) avec une rythmique jamais surpuissante, qui soutient et propulse un soliste phénoménal, qui ne prend d’ailleurs pas vraiment de solos tant tous trois se rejoignent constamment, s’épaulant dans ces chemins qui bifurquent selon les changements de couleurs, de tempo de phrasé. 

Affranchi depuis belle lurette des contraintes techniques, Samuel Blaser contrôle le sens narratif de chaque pièce car il sait tout faire avec son instrument, du growl le plus attendu aux glissandi acrobatiques et autres stridences atonales. Il a intégré les styles qui ont irrigué l’histoire de son instrument dans un apprentissage qui a bouleversé parfois la chronologie. Il a écouté Jay Jay Johnson et Albert Mangelsdorff avant de découvrir Jack Teagarden avec Armstrong. Et même rendu hommage au reggae et au ska et à Don Drummond dans son dernier RoutesIl ne la joue pas souvent balade moelleuse et caressante à la Lawrence Brown, surtout quand il reprend du Duke jungle dans “Creole Love Call”. On entendrait plutôt le gouailleur Joe Tricky Sam Nanton rauque sans la wah wah. Utilisant tout le registre de son instrument, il nous offre un feu d’artifice d'effets possibles du plus gouleyant au plus vibrant ou au plus rude. Quant au blues il n’est pas oublié sur son “Root Beer Rag” après un désopilant “Tiger Rag”.

Au cours de sa longue et prolifique carrière Daniel Humair a connu toutes les périodes ou presque du jazz, accompagné les plus grands musiciens européens et américains. Gaucher naturel, ambidextre par ailleurs, son style et sa technique travaillent à l’égal des percussionnistes les timbres les plus variés, distribuant de façon complexe et asymétrique les accents tout en conservant la continuité rythmique, sa pratique des balais et des baguettes qui caressent, frottent, cliquètent, transposant le geste pictural en geste musical. Il ne faudrait pas laisser de côté le troisième homme, la gardien de la rythmique Heiri Kanzig. La prise de son remarquable souligne ses interventions d’une précision et d’une intensité rares, une énergie irrésistible dans ses envolées et ses rebonds organiques, son ostinato sur son Heiri’s idea.

Nos Suisses n’ont aucun mal à dépasser les frontières de la création, à plonger dans l’improvisation y compris sur les airs plus traditionnels comme dans cette Mazurka du tessin insolite. Helveticus ou le goût de la liberté non surveillée sans faire table rase de l’histoire du jazz.

 

Sophie Chambon

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2 juin 2024 7 02 /06 /juin /2024 12:08

Catherine Delaunay (clarinette, cor de basset), Nathan Hanson (saxophones ténor & soprano), François Corneloup (saxophones baryton & soprano), Tony Hymas (piano électrique), Hélène Labarrière (contrebasse), Davu Seru batterie). Invitée pour une plage : Billie Brelok (voix)

Langonet & Brest, 2022

nato 5890 / l’autre distribution

https://www.natomusic.fr/actualite-jazz-cd-concert/actualite-detail.php?id=665

 

Collectif, dans tous les sens du terme : communauté des artistes qui se sont engagé.e.s mutuellement dans ce groupe sans leader, sextette qui rassemble des musiciennes et musiciens qui ont souvent joué les uns-les unes avec les autres (tiens : les autres échappent à la pesante tyrannie du genre). Amitiés, goût de faire de la musique (de la porter, de la penser, de l’offrir) en commun. Choix de thèmes empruntés aux admirations collectives, au souvenir des figures marquantes des musiques libres et émancipatrices.

Plaisir d’écouter des compositions qui parlent de légèreté autant que de gravité, de découvrir sous un nouveau jour une musique de Michel Portal pour un film de Jean-Louis Comolli, ou un thème de Beb Guérin pour rappeler ce  contrebassiste  qui fut une sorte d’étoile filante dans l’effervescence des années 60-70. Se souvenir autrement de ce qui ne peut demeurer immuablement même, identique au souvenir arraché au fil du temps : Cinq Hops, du disque éponyme de Jacques Thollot ; Four Women, à jamais marqué par l’aura de Nina Simone ; Charangalila, naguère gravé par Lol Coxhill avec les Melody Four, ou Waste No Tears, inauguré par Sidney Bechet au temps du 78 tours…. Nostalgie ? Que non ! Cri d’amour joyeux et obstiné, avec La Paloma métamorphosée par l’arrangement de François Corneloup ; et salut amical, et posthume, à Jef Lee Johnson, compagnon de route d’Ursus Minor. Avec aussi des compositions originales des membres du groupe, pour célébrer les surgissements de liberté et de révolte. Les textes du livret, signés Jean Rochard, nous en disent plus encore sur ce qui se joue dans la mise en abyme de l’identité et de l’altérité. Et une plage résume peut-être ce qui, précisément, ne saurait être rejoué, et pourtant nous saisit comme le retour d’émotions surgies du passé : la Romance de la Guardia Civil española, ici dans la voix de la rappeuse Billie Brelok, fait resurgir en nos mémoire la façon dont Violeta Ferrer portait ces mots de Federico García Lorca, comme une tragédie immémoriale.

Xavier Prévost

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