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23 août 2020 7 23 /08 /août /2020 08:49
DANCING IN YOUR HEAD(S)  ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ

DANCING IN YOUR HEAD(S)

ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ

www.onj.org

https://www.onj.org/programme/dancing-in-your-heads/

 

Album enregistré live au Festival JAZZDOR de BERLIN LE è JUIN 2019

 

Sortie nationale le 20 Août 2020

 

Deux albums complémentaires aux couvertures de couleur verte et orange sortent en cette fin d’été de pandémie, sous la direction artistique de Frédéric MAURIN avec un sacré orchestre de 15 membres et un invité de choix, le saxophoniste alto Tim BERNE. Un premier projet est dédié à la musique de ce musicien extra-ordinaire qu’était ORNETTE COLEMAN, décalé, moderne presque malgré lui, faute d’être de son temps. L’autre à un programme original de compositions collectives pour orchestre et 4 voix, un rituel quotidien de voix dont la création eut lieu à Perpignan, lors du Jazzèbre d’octobre dernier.

Le guitariste Fred Maurin dispose d’ une belle équipe, celle qu’il s’est choisi de l’Orchestre National pour écrire une nouvelle musique, complexe toujours mais différente de sa Ping machine qu’il a dû se résoudre à abandonner pour ce mandat et cette nouvelle mission. Il a néanmoins gardé certains compagnons de route, le noyau dur de sa rutilante machine pour se consacrer à cette nouvelle aventure toujours “grand format”. 

Cet album Dancing in your head(s) est un hommage personnel à cet étonnant chef de troupe sans véritable disciple, intégrant à des compositions du saxophoniste texan, issues de l’album éponyme de 1973, un pot pourri de titres datant de sa période électrique, et enfin de deux thèmes composés par Eric Dolphy et Julius Hemphill. On retraverse ainsi en touches légères, un peu de la longue histoire de ce musicien qui a vécu, joué, évolué  dans une période faste de l’histoire du jazz. Un projet électrique et électrisant comme cette formation, avec les arrangements frais, brillants, inventifs d’un maître en la matière, Fred Pallem, fou de funk, de musiques vintage qu’il sait moderniser, soul master au plus près de la Black music, le chef de l’insolent Sacre du Tympan.

Il dispose d’un collectif puissamment cuivré qui sonne avec une vitalité réjouissante: 2 sax alto, 2 sax ténor, un sax baryton, 2 trompettes, 1 cor, 2 trombones dont un basse, 2 guitares électriques, une guitare basse, et la section rythmique d’acier qui va de pair avec un tel ensemble! Car le rythme ne faiblit jamais avec ces hommes et femmes à pied d’oeuvre sur ce champ de  manoeuvres!

Pa vraiment du free jazz, (en référence à l’album conceptuel de Coleman qui fit date dans l’histoire du jazz en 1960) mais un projet exubérant, pour une musique librement décomplexée qui groove, spontanée et organique, que l’on avale d’un trait à grandes rasades! La musique ne cesse d’advenir au sein de happenings décoiffants, en un discours fluide et néanmoins fragmenté à partir d’une sinueuse ligne mélodique.

Dès l’introduction, nous sommes dans le bain avec ce “Feet music” des plus explicites qui vous met en jambes irrésistiblement comme le “Dancing fool” de ce "singing fool" de Frank Zappa qui remonterait, dans une forme certes  décalée,  à  la tradition de la musique populaire  américaine jusqu’au "42nd street" de Busby Berkeley et de Lloyd Bacon. Hypothèse posée mais qui répond à une certaine logique, car on ne fait pas que danser dans sa tête avec cet orchestre!  Un peu moins explosif, intrigant même, suit un “Jump street” toujours bondissant avec des écarts inattendus.

Au mitan de l’album, composé avec finesse, alternant subtilement tempi et climats, sans perdre jamais la cohérence du montage, le morceau de bravoure de Dolphy, empreint d’une spiritualité  immédiate, “Something Sweet, Something Tender” est dévoilé par l’attaque du tromboniste Daniel Zimmermann suivie de la trompette incisive de Susana Santos Silva.

On attendait au tournant l’orchestre avec sa version (une de plus) de l’éternel “Lonely woman”, l’une des plus belles mélodies du jazz et sans aucun doute, la composition la plus célèbre d’Ornette! Ça commence sur un tempo volontairement étiré, pour répondre, reprendre cette musique créée dans le blues; puis la formidable machine de l’ONJ s’emballe, tout en prenant son temps pour une longue variation comparée à la durée du thème originel! Une compréhension du standard dans sa mélancolie profonde, poignante.

Tim Berne intervient sur 3 titres dont l’étonnant “Kathleen Gray” composition de Pat Metheny et Ornette Coleman, en hommage à une personnalité remarquable, écrivain, artiste pluridisciplinaire qui a produit le documentaire de Shirley Clark (The Connection, 1971) sur Ornette: made in America (1985).

Le final poétique démarre en douceur (les baguettes imprimant un léger beat) vite détrompé par une cavalcade en fanfare qui traite par dessus la jambe, un thème dénommé "symphonique", jusqu’au murmure déclinant en souffle, soupir de retour au silence qui referme l’album!

Cette musique de l'ONJ a pris ses marques assez vite, rencontrant l’adhésion d’un collectif qui a (un peu) tourné, avec des musiciens qui se connaissent, certains reconstituant les pivots de l’ancienne Ping Machine. L’équipage mené avec une efficacité fougueuse parvient à insuffler lyrisme et sensibilité, donne une touche actuelle à cette série de thèmes si bien construits qu’il n’est vraiment pas nécessaire de chercher à (trop) les détraquer. Un certain désordre, juste apparent, est ainsi mis en scène, suite d’emballements, d’échappées libres, embardées suivies de moments plus tendrement rêveurs. Un vif plaisir d’écoute en tous les cas. Fortement conseillé, cet album, voilà notre prescription de rentrée.

Sophie Chambon

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9 août 2020 7 09 /08 /août /2020 17:04

Rudresh Mahanthappa (saxophone alto), François Moutin (contrebasse), Rudy Royston (batterie).

Montclair, New Jersey, 24-25 janvier 2020

Whirlwind WR 4760 / Bertus

 

Après quinze albums sous son nom, ou en co-leader (j'ai eu l'occasion d'écouter une bonne moitié d'entre eux, et je l'ai écouté plusieurs fois en concert), Rudresh Mahantappa n'en finit pas de m'étonner : par sa singularité, par la vivacité de son propos, par sa fine musicalité et par la hardiesse de ses options. Son texte de présentation affiche son admiration pour les grands trios de même instrumentation (Rollins, Ornette, et Lee Konitz), et si le répertoire porte trace de ce glorieux passé, la musique nous emporte vers un présent plus qu'immédiat. Plus largement il rend hommage à ceux qui furent les héros de son initiation musicale. Sur trois plages des thèmes de Charlie Parker (dont un mêlé de Coltrane), traités avec une liberté digne d'Ornette, et des interludes lyriques qui nous rappellent que cette musique chante, avant tout, même quand son chant 'sort des clous', in and out dans un même geste musical. Il fait aussi chanter la musique de Stevie Wonder, mais dans un autre registre. Et fait revivre à sa manière une chanson de Johnny Cash et un thème de Keith Jarrett (période «Belonging») : bref il joue à fond le jeu du jazz, qui dans l'une de ses approches travaille la musique d'autrui pour la faire irrémédiablement sienne. Il est assisté, ou plutôt propulsé, dans cette belle entreprise par la fougue finement maîtrisée de François Moutin et Rudy Royston. Tous trois sont de grands jazzmen, et c'est donc, tout naturellement, un grand disque de jazz !

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube 

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6 août 2020 4 06 /08 /août /2020 19:36

Dee Dee Bridgewater (voix), Cecil Bridgewater (trompette), Ron Bridgewater (saxophone ténor, percussions), Roland Hanna (piano, piano électrique), George Mraz (contrebasse), Motohiko Hino (batterie, percussions)

Tokyo, 12-14 mars 1974

Mr. Bongo MRBCD 216 & MRBLP 216 / Bertus

 

Le premier disque de Dee Dee, une chanteuse que le public des festivals français (et les auditeurs de l'ORTF) avaient découverte en 1973, lors du festival de Châteauvallon, au sein du big band de Thad Jones-Mel Lewis. Ce premier opus est un disque de jazz autant que de soul music . Il commence avec une très libre escapade sur Afro Blue qui dit assez le cousinage des deux langages, après un prélude qui respire l'Afrique. Du blues aussi, avec un medley qui associe Everyday I Have The Blues et Stormy Monday Blues : Dee Dee enflammée par la musique comme jamais ! Et une très belle valse de Bobby Hutcherson (retour au 6/8 qui nous transportait sur Afro Blue). Et plein d'autres très belles choses. Bref c'est la réédition d'un disque qui fut surtout disponible en import japonais, et qui est désormais à partager largement, comme l'album de référence qu'il est devenu : on se précipite !

Xavier Prévost

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Un avant-ouir sur Youtube

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6 août 2020 4 06 /08 /août /2020 14:30

Jean-François Pauvros (guitare, archet, chant, piano), Antonin Rayon (orgue, clavinet, synthétiseur, épinette, piano), Mark Kerr (batterie, percussions, flûte, chant)

Villetaneuse, 2019-2020

nato 5569 / l'autre distribution

 

Pauvros, le franc-tireur absolu : souvenirs pour le vieux soixante-huitard lillois que je fus, épaté par son duo avec Gaby Bizien, par le trio Moebius avec Philippe Deschepper (deux autres francs-tireurs avérés....), et plus tard par son duo ave Siegfried Kessler («Phenix 14», Le Chant du Monde, 1978). Beaucoup d'aventures polymorphes pour ce guitariste hors-norme, dont quelques-unes sous le label nato, qui l'accueille à nouveau. Ici tous les tropismes du musicien sont visités, par un trio dont l'urgence jamais n'asservit la rigueur. C'est un voyage dans une vie de musicien gourmand de lyrisme transgressif et de radicalité suave. Antonin Rayon, qui tient les divers claviers, est né l'année même -1982- où paraissait «Pénétration», l'album du groupe Catalogue, où Jean-François Pauvros œuvrait en compagnie de Jac Berrocal. Autant dire que le temps s'efface devant la verve créatrice du guitariste. Quant au batteur Mark Kerr, entre les Rita Mitsouko et quelques tours de piste dans le groupe Simple Minds de son frère Jim Kerr, il est aussi de ceux qui parcourent tous les horizons jusqu'à extinction des feux. Bref un mélange détonant, détonnant aussi parce qu'il casse les codes, et qui nous étonne par la somptueuse diversité de ses inspirations. Des textes également, sur trois plages, de Pauvros, de Mark Kerr, et de Rimbaud comme en un songe morbide qu'illuminerait la poésie. Ambiance de tourneries hypnotiques ou sons fracturés, pop-rock subvertie ou délices mélodiques, tout concourt à composer un objet artistique aussi cohérent que singulier, bref une œuvre. Car le franc-tireur est un artiste. Bien entouré par des musiciens de la même trempe, il nous entraîne dans une aventure musicale aussi singulière que palpitante. Avec, comme toujours chez nato, un livret qui déborde d'images et d'imagination. À découvrir et à goûter, avec la passion qui s'impose !

Xavier Prévost

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À découvrir aussi : le DVD «7 films de Guy Girard», paru l'an dernier, et chroniqué dans Les Dernières Nouvelles du Jazz en suivant ce lien

http://lesdnj.over-blog.com/2019/12/jean-francois-pauvros-7-films-de-guy-girard.html

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Jean-François Pauvros jouera avec les dessins en direct de Zou (illustrateur de l'album) sur le parvis du château de Valenton (Val-de-Marne) à 20h, le 8 août. 

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5 août 2020 3 05 /08 /août /2020 18:37

Aruán Ortiz (piano, voix), Andrew Cyrille (batterie), Mauricio Herrera (percussions, voix)

New York, 24-25 mai 2019

Intakt CD 339 / Orkhêstra

 

Un nouveau disque du pianiste cubain de Brooklyn, et encore une surprise : un monde musical totalement transversalisé, où les polyrythmies africaines croisent les rythmes caribéens, et où la poésie (celle du pianiste, et aussi celle d'un chant populaire cubain) fait écho à l'univers pianistique écartelé, voire éclaté, de Cecil Taylor. La science polyrythmique d'Andrew Cyrille n'y est pas pour peu, et elle est magnifiée par la liberté d'Aruán Ortiz, et la pertinence rythmique de Mauricio Herrera. C'est un perpétuel dialogue entre le discontinu (une vision fragmentée du temps musical héritée du free jazz) et l'irrépressible mouvement des percussions. Chaque plage est comme une porte ouverte sur un monde singulier habité par les multiples fractures du temps. Tout commentaire serait superflu, car en deçà de ce que l'on peut percevoir. À DÉCOUVRIR D'URGENCE !!!

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Bandcamp

https://aruanortiz.bandcamp.com/album/inside-rhythmic-falls

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4 août 2020 2 04 /08 /août /2020 22:14

Lennie Tristano (piano); Lenny Popkin (saxophone ténor) ; Connie Crothers (piano); Roger Mancuso (batterie).  Enregistrements de 1967 à 1976. Dot Time Records. 2020.

 

Figure mythique de la jazzosphère, Lennie Tristano « a malheureusement très peu gravé », (Lewis Porter/Michael Ullman/Edward Hazell, 'Le jazz des origines à nos jours'. Ed. Outre-Mesure. 2009). C’est dire si la sortie d’inédits -pas moins de seize- ne peut laisser indifférent. Réunis par la fille du pianiste, Carol, ces titres ont été enregistrés entre 1967 et 1976, soit les dernières années de la vie de Tristano (1919-1978), alors que l’artiste avait arrêté de se produire en public en 1968.

 

 

The Duo Sessions, album de 70 minutes laisse à entendre un musicien qui s’exprime comme à son habitude en toute liberté, sur ses propres compositions, et en compagnie intime d’un.e seul.e comparse. De surcroît ces interlocuteurs sont des proches : le saxophoniste ténor Lennie Popkin (toujours en activité à ce jour dans les clubs de Paris, sa ville de résidence), la pianiste Connie Crothers (1941-2016), qui suivit les cours de Lennie à New-York et le batteur Roger Mancuso, membre du groupe de Tristano entre 1965 et 70.

 

 

 

Tout au long de ce disque, on retrouve les qualités qui ont fait de Tristano un jazzman d’exception, brillant, marginal, rigoureux, émouvant, qui mériterait de rentrer dans l’histoire de la musique par une seule composition de 1955, Requiem, hommage au défunt Charlie Parker.

 

Longtemps considéré comme un pianiste pour pianistes, Lennie Tristano a pu de volonté délibérée « s’enfermer dans une tour d’ivoire », selon l’expression d’Alain Tercinet (West Coast Jazz. Editions Parenthèses). La sortie de ces inédits, initiative du producteur américain Jerry Roche, grand défenseur du patrimoine avec la collection ‘Dot Time Legends’ devrait, s’il en était besoin, contribuer à braquer le projecteur sur un des créateurs les plus originaux du XXème siècle.

 

Jean-Louis Lemarchand.

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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 21:18

Ambrose Akinmusire (trompette, piano électrique, composition, textes), Sam Harris (piano, synthétiseur), Harish Raghavan (contrebasse), Justin Brown (batterie) + Genevieve Artadi (voix, texte), Jesus Diaz (percussion, voix)

Brooklyn, date non précisée

Blue Note 00602508926198 / Universal (CD et vinyle)

 

D'une certain manière, c'est un disque de mélancolie autant que de combat (mais un combat qui n'étoufferait pas la musique). De retour dans sa ville d'Oakland après de longues années passée à New York et à Los Angeles, il prend conscience des changements survenus, alors que la population afro-américaine a été majoritairement remplacée par des habitants à la situation matérielle plus confortable, et qui semblent tout ignorer du passé et de la culture de cette ville. De cette conscience des mutations intervenues, le trompettiste-compositeur va tirer, pour exprimer l'âpreté de chaque calloused moment, une suite de paysages musicaux, aussi expressifs que sophistiqués, sans que jamais l'évidence artistique ne soit altérée par une quelconque bouffissure. Bref c'est du (très) Grand Art, une œuvre cohérente où se disent une sourde colère métamorphosée en allégorie de combat, et une analyse fine d'une réalité 'socio-culturalo-poétique' transformée en pure émotion musicale. Dès la première plage, après une courte phrase de trompette, il nous embarque dans un monde de tensions complexes et d'éclats effervescents, lesquels vont se résoudre en un chant yoruba dans la voix de Jesus Diaz. On est littéralement happé par l'urgence du propos, et la cohérence des formes, sans que jamais l'abstraction n'efface la chair et le sang qui composent, autant que le corps du musicien, le cœur de la musique. De plage en plage la perspective se déploie, l'émotion va croissant, sans défaut d'inspiration, d'expression ou de densité formelle. Au fil du disque sont évoquées des figures prépondérantes dans la mémoire du musicien (Roy Hargrove, Roscoe Mitchell....), et le temps d'un titre Ambrose Akinmusire s'installe au piano électrique (sur cet instrument il nous offrira aussi une plage conclusive en solo) pour dialoguer avec la voix et le texte de Genevieve Atardi. À aucun moment l'intensité ne sera démentie, et la musicien nous conduira, émerveillés, au terme de ce que j'appellerai, en pesant le poids de ce mot, un Chef-d'Œuvre.

Xavier Prévost

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11 juillet 2020 6 11 /07 /juillet /2020 19:31

John Scofield (guitare), Steve Swallow (guitare basse), Bill Stewart (batterie)

New York, mars 2019

ECM 2679 /Universal

 

On pourrait dire de cette musique qu'elle est quintessentielle, en cela qu'elle concentre au degré le plus élevé l'intensité, la pure musicalité, avec ce détachement propre aux artistes qui n'érigent pas le goût de plaire en doctrine, et savent pourtant toucher au plus profond les amateurs mélomanes, en quête d'une jouissance musicale plutôt que d'un plaisir négociable. Cela relèverait de la part de Scofield d'une sorte d'hommage à son ami presque vénéré, Steve Swallow, et à ses compositions tissées d'élégance autant que de mystère, comme l'immarcescible Falling Grace, en plage 2 du CD, qui n'en finit pas de procurer des joies infinies au vieil amateur que je suis, sans jamais dévoiler tous ses secrets harmoniques (je dois à la vérité d'avouer que ma compétence musicologique est plus que lacunaire....). Le guitariste dialogue avec le compositeur dont la guitare basse ne cesse de chanter, de phrase en phrase, qu'il accompagne ou qu'il livre un solo. C'est de la pure magie, attisée par un orfèvre d'autres mystères, rythmiques ceux-là, en la personne de Bill Stewart. Qu'il s'agisse d'Eiderdown, maintes fois enregistré par une foule de musiciens qui cherchent à en déjouer les arcanes, ou du plus confidentiel She Was Young, inauguré par Swallow voici plus de quarante ans sous le même label, le miracle est permanent, tissé de connivences anciennes et du présent le plus immédiat, celui de jouer ensemble. En compagnie de ce tandem très exceptionnel John Scofield vole littéralement, de phrase en phrase, de nuance en éclat. Sur In F, d'après les harmonies de I Love You , signé Cole Porter, on assiste à un échange qui va du dialogue au trilogue, sans jamais laisser poindre ni redite, ni cliché. Les trois compères tiennent à l'auditeur la dragée haute, mais leur exigence est notre plaisir. Magistral, de bout en bout, ce disque est un cadeau à nous offert autant qu'un message qui nous serait adressé : «soyez par votre écoute à la hauteur de la musique qui se joue». L'extase est au bout du chemin....

Xavier Prévost

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5 juillet 2020 7 05 /07 /juillet /2020 18:57
EMMA          PAUL JARRET QUARTET

EMMA  Paul JARRET Quartet

NEUKLANG

 

Paul JARRET (g), Eleonore BILLY (Nickelharpa),  Etienne RENARD (cb), Hannah TOLF (voix et percussions)

www.neuklangrecords.de

www.bauerstudios.de

 

Voilà un album pour le moins singulier dans le paysage du jazz hexagonal, encore qu’européen serait plus exact, puisque le projet du guitariste franco-suédois Paul JARRET est sorti, le 19 juin dernier, sur le label allemand NEUKLANG.

C’est un voyage qui part de Suède, le pays de Pelle le Conquérant (film de Bille August palmé à Cannes en 1987), où un père et son fils, poussés par la faim et le chômage débarquaient au Danemark.

Sauf que cette fois, les migrants dont l’arrière grand-mère du guitariste, Emma Jonasson, allaient bien plus loin, traversant l’océan jusqu’en Amérique.

Si on sait que l’Amérique fut peuplée de vagues de diverses nationalités tout au long du XIXème siècle, on ignore en général l’importance de l’immigration suédoise dans le Midwest, correspondant à un cinquième de la population, soit 1,3 million de personnes. C’est un hommage sincère à tous ces immigrants courageux qui risquèrent leur vie, ne sachant rien de la terrible épreuve qui les attendait : ces paysans qui n’avaient jamais vu la mer, partaient, des images de la terre promise en tête, prêts à tout pour fuir la misère! 

Le guitariste a réuni autour de lui des musiciens experts à rendre l’intensité de cette musique qui s’apparente à un collectage musical de chansons “trad”, de complaintes folk, avec une tendance marquée pour une musique répétitive (“The Crossing”) voire minimaliste. C’est que Paul Jarret a écrit lui même les six compositions, amplement développées qui forment un ensemble d’une continuité conceptuelle intéressante, depuis le lancinant prélude “Sjutton Är” avec de belles variations d’intensité,  et le chant qui s’achève en gouttes qui drippent, la traversée, l’arrivée sur le nouveau continent, les espoirs d’une vie facile (“Kanon”) vite détrompés, de terribles désillusions, l'envers du “rêve américain”. Au point qu’Emma réussira à repartir en Suède, en 1910, où elle fondera une famille.

La révélation de cet album est la chanteuse-compositrice Hannah Tolf, basée à Göteborg, une performeuse qui stratosphérise, joue fort habilement des percussions pour s’accompagner. Dans sa voix de sirène, Hannah Tolf a des accents plus proches de l’Islandaise Björk que de la toujours très aimée Monika Zetterlund (avec Bill Evans, dans Waltz for Debby)Sur “Amerikavisan”, au mitan de l’album, sa voix résonne avec une belle fraîcheur pour conter le chant des émigrants.

L’autre singularité de la musique de Paul Jarret est la constitution d’un quartet de chambre  insolite où se fondent magnifiquement les timbres des divers instruments dont un très original, traditionnel suédois, à cordes frottées de la région d’Uppland, la Nyckelharpa, un hybride de clavier et de violon à quatre cordes. Le son que l’on entend fait penser à celui d’une vièle à roue. Fort de ce sentiment de grande authenticité d’une musique populaire, on saisit parfaitement l’intérêt de cette recherche musicologique pour  des chants s’inspirant de récits comme La Saga des Emigrants de Vilhelm Moberg, décrivant l’état physique et psychologique après trois mois d’une traversée épouvantable. Ou encore la chanson sur ce pain de seigle, noir, dur à la dent, le dernier pain cuit dans un four du pays natal ( “Svart Bröd”).

Ce projet décidément incomparable est un chant d’amour du guitariste à ses ascendants courageux et à leur périple fou. La musique suit leurs sentiments, leurs émotions : parfois âpre, avec des motifs répétitifs (un bourdon jouant son rôle de note continue), des accents qui vrillent le coeur, entrecoupés de silences qui ont toute leur place. Une sacrée découverte!

 

Sophie Chambon

 

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1 juillet 2020 3 01 /07 /juillet /2020 23:15

Barney Wilen (saxophones ténor et soprano), Alain Jean-Marie (piano). En concert au Festival International de Montréal le 4 juillet 1993. Elemental Music/Distrijazz. Juin 2020. (Coffret de deux cds. Egalement disponible en vinyl -six titres-)


C’est toujours un bonheur de retrouver la grâce nonchalante de Barney Wilen. Son fils, Patrick, qui avait sorti voici deux ans des concerts inédits captés à Tokyo en 1991 (Live in Tokyo) nous propose aujourd’hui des enregistrements toujours en public effectués en 1993 à Montréal.  Après le quartet du Japon (Olivier Hutman, Gilles Naturel, Peter Gritz), voici le temps du duo avec le pianiste Alain Jean-Marie. Les deux musiciens s’appréciaient, s’écoutaient, ainsi qu’en témoignait déjà le concert de 1991 (Dreamtime-Harmonia Mundi), au festival de Cully (Suisse).


 « Avec Barney, on partageait le même goût pour la musique, à condition qu’elle soit simple, sobre et élégante qu’elle swingue et qu’elle émeuve aussi », témoigne dans le livret de Montreal Duets le pianiste auprès de Pascal Anquetil. Les deux concerts captés le même soir dans le club montréalais, le Church of the Gésu, salle intimiste, offrent une éclatante illustration de cette complicité. Sur la même longueur d’ondes, Barney et Alain se baladent avec décontraction. Le répertoire leur est familier : Round Midnight, A Night in Tunisia, All the Things You Are, No Problem, My Funny Valentine, Besame Mucho et cet air qui achevait souvent les concerts de Barney, Goodbye de Gordon Jenkins.


Alternant le ténor et le soprano, Barney Wilen, tout à la joie de ce premier concert sur une scène québécoise, semble effectuer un retour aux sources, celles du be-bop, tout en réaffirmant sa filiation avec la distinction de Lester Young. En ce sens, cet enregistrement de Montréal constitue un témoignage rare, comme un testament de ce jeune prodige (Prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz à 21 ans), devenu une légende quelque peu mystérieuse, qui disparaîtra moins de trois années plus tard, le 25 mai 1996, à 59 ans.


Jean-Louis Lemarchand

 

©photo Jean-Michel Sordello et Denis Alex, FIJM.

 

 

 

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