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29 août 2018 3 29 /08 /août /2018 18:54

 

John Coltrane (saxophones ténor & soprano), McCoy Tyner (piano), Jimmy Garrison (contrebasse), Elvin Jones (batterie)

Englewood Cliffs, 6 mars 1963

Impulse ! B0028228-02, B0028317-01 / Universal

 

Deux éditions d'une même séance oubliée, 7 plages sur un simple CD, 14 dans un coffret 'Deluxe Edition' (avec aussi un double vinyle) , et un événement largement commenté dans les media (presse, spécialisée ou non, radio, internet....) après 55 ans de placard pour les bandes enregistrées par Rudy VanGelder dans son célèbre studio.

Un événement assurément si l'on considère l'importance historique du musicien, la dévotion que suscite sa musique, la curiosité quant à son cheminement stylistique (notamment dans cette période), etc.... Peut-être légèrement surévalué grâce au génie de la mercatique, mais indiscutable événement quand même. La séance prend place le dernier jour d'une série de concerts (deux semaines) au Birdland de New York. Le quartette a fait une longue tournée européenne fin 1962 (beaucoup de témoignages phonographiques, pirates mais pas que....).

 

 © Jim Marshall Photography LLC 

Les musiciens sont totalement investis, 'ça joue terrible' comme on dit. Le lendemain le quartette va enregistrer avec le chanteur Johnny Hartman («John Coltrane And Johnny Hartman», Impulse ! AS 40). et le mois suivant After The Rain qui trouvera place avec des enregistrements antérieurs dans l'album «Impressions» (Impulse ! AS 42). Bref l'époque est intense dans la vie musicale de Trane, d'autant que l'on est à la croisée du ténor et du soprano, et de deux esthétiques qui vont se tuiler avant que l'ultime idiome ne se fixe pour une forme d'éternité. Et 1963, c'est aussi l'année d'un choc traumatique : un attentat du Klu Klux Klan en septembre à Birmingham (Alabama) où quatre jeunes Afro-Américaines périrent, et qui inspirera au saxophoniste le déchirant Alabama, gravé en novembre dans le même studio, et qui complètera des enregistrements de club réalisés le 8 octobre, et publiés plus tard sous le titre «Live At Birdland» (Impulse ! AS 50). Qu'on me permette un souvenir : au mitan des années 60, l'adolescent que j'étais écoutait à la radio ce thème, sur un vieux poste à lampes dans une mansarde de la ferme familiale, sans savoir ce qu'évoquait cette musique. Pourtant le choc fut profond, instantané, et quand j'évoque aujourd'hui encore cet instant l'émoi me submerge. Décidément, quand je parcours le millésime 1963, jusqu'à la tournée d'automne avec son lot de pirates et d'enregistrements autorisés, je me dis que ce disque/coffret mérite son succès, pièce d'un puzzle historique où deux esthétiques se croisent : celle des concerts, où le présent domine, et celle du studio, qui convoque à nouveau quelques repères du passé. Les deux Coltrane y cohabitent sereinement, dans une intensité que rien ne saurait démentir.

Xavier Prévost

Le contenu : Untitled Original 11383; Nature Boy ; Untitled Original 11386 (Take 1); Vilia (Take 3); Impressions (Take 3); Slow Blues; One Up, One Down (Take 1). CD 2: Vilia (Take 5); Impressions (Take 1); Impressions (Take 2); Impressions (Take 4); Untitled Original 11386 (Take 2); Untitled Original 11386 (Take 5); One Up, One Down (Take 6)

Un extrait sur YouTube  

https://www.youtube.com/watch?time_continue=36&v=EH3mb3oXCpw


 

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4 août 2018 6 04 /08 /août /2018 16:57

 

Martial Solal (piano)

Glendale (Comté de Los Angeles), 19 & 21 juin 1966

Fresh Sound Records FSR -CD 960 / Socadisc

 

Disons-le tout net d'entrée : pièce maîtresse, grand moment de piano, et de jazz. La qualité technique de l'enregistrement est plus homogène que pour le volume 1 (cliquer pour accéder à la chronique du vol. 1) : pas de pleurage, diapason assez constant, tout juste un tout petit peu de pré-écho de temps à autre. J'en suis à me demander si l'éditeur n'a pas craint, s'il avait publié en premier ce volume, d'altérer la réception de l'autre, dont la qualité sonore était moindre : mystère de la mercatique.... Mais on peut se dire aussi que, ces séances ayant été conduites par Ross Russell, qui avait produit des enregistrements de Parker en Californie, et aussi publié un livre sur le 'Bird', il était naturel de publier d'abord un volume faisant la part belle au répertoire Parkérien.

Quoi qu'il en soit, voyons le programme du disque : une traversée de l'histoire du jazz, de Scott Joplin à Bud Powell en passant par Fats Waller, Jelly Roll Morton, Gershwin, Cole Porter, une poignée de standards, et même Offenbach (La Chaloupée, que Martial avait enregistré en trio dès 1953). Et bien évidemment, le tout traité 'à la Solal', c'est à dire avec virtuosité, virevoltes, humour, impertinence et passion pour ce jazz de toutes les époques. Il y même un boogie de sa plume (Blues Martial ), dans la tradition, mais avec quand même un petit coup de hachoir.... On trouve aussi une version façon antépisode de Ah Non ! , fameuse pirouette sur la méthode de Charles-Louis Hanon, professeur qui tortura bien des pianistes. Jusque là, la version princeps au disque était millésimée 1971 (33 tours RCA enregistré au Théâtre de l'Ouest Parisien), mais manifestement cela faisait un moment que Martial se jouait de ces exercices pianistiques pour les déjouer.... et les enjouer. Et puis une mystérieuse Suite # 105 qui n'est pas sans parenté avec la Suite n° 105 jouée en concert au studio 105 de Radio France le 20 décembre 1975 pour un concert 'Jazz Vivant' d'André Francis', et que l'on peut écouter sur le site de l'INA ; et aussi dans une certaine mesure avec la Suite for trio enregistrée en 1978 avec N.H.O.P. et Daniel Humair. Les standards de Broadway sont traités par Solal avec sa liberté coutumière (nourrie d'une longue pratique), tandis que les 'classiques du jazz' (Joplin, Fats, Jelly Roll) sont parcourus avec une joie aussi mutine et transgressive que déférente.... Martial s'amuse, et loin de nous amuser, il nous éblouit et nous transporte dans un monde insoupçonné, voire inouï.

Ce disque, comme le volume 1, se conclut par Un Poco Loco de Bud Powell : seul doublon, et totalement justifié. Plus qu'un peu fou, c'est complètement fou. Version un peu plus longue, plus libérée encore, dans l'exposé du thème comme dans l'improvisation. Martial, qui avait entendu Powell dans sa période parisienne, qui n'était pas la meilleure, a su garder le souvenir de la grande époque de Bud (1949-1951), et comme on le fait dans le jazz quand il est vécu intensément, il a su donner une autre vie à un chef d'œuvre.

Dans le long entretien qu'il m'avait accordé en 2003 (publié en DVD accompagné d'un livre en 2005 : Martial Solal, Compositeur de l'instant, INA-Michel de Maule), le pianiste situe vers la fin des années 70 le moment où, stimulé par la rencontre de Pierre Sancan quelques années plus tôt, il se sent un pianiste accompli : «J'avais un peu plus de 50 ans, déjà, et c'est seulement à ce moment-là que j'ai senti que je devenais un pianiste, après quelques années de travail». Pourtant en 1966, et même bien avant, son aisance et sa créativité nous éblouissent. Ce disque en témoigne plus qu'éloquemment !

Xavier Prévost

 

À signaler la parution récente chez Frémeaux & Associés d'un enregistrement de Stan Getz dont Martial est le pianiste, en janvier 1959 aux côtés de Jimmy Gourley, Pierre Michelot et Kenny Clarke : 9 plages d'un concert à l'Olympia, et 3 plages dans les studios d'Europe N°1 («Live in Paris, 1959»). Plusieurs enregistrements de 1958 (Paris, Cannes), où Solal accompagnait déjà Getz avaient déjà été publiés sous diverses formes.

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24 juillet 2018 2 24 /07 /juillet /2018 09:10

 

Ramon Lopez (batterie, percussions), Percy Pursglove (trompette, bugle), Rafał Mazur (guitare basse électro-acoustique)

Niepołomice (Pologne), 31 mai 2017

Not Two MW973-2 / www.nottwo.com

 

Un disque très singulier, qui repose à la fois sur la qualité de la rencontre et sur les partis pris sonores et musicaux. La rencontre, c'est ce mystère de la vie d'artiste qui fit se croiser, dans l'un des groupes du bassiste britannique Barry Guy, le plus français des batteurs andalous et le trompettiste (dans d'autres contextes également contrebassiste) Percy Pursglove, qui a roulé sa bosse sur les deux rives de l'Atlantique, depuis le jazz de stricte obédience jusqu' aux formes les plus contemporaines. Dans la foulée naquit le désir de faire groupe avec le guitariste basse polonais Rafał Mazur, très impliqué dans les rencontres d'improvisateurs, en Europe et au-delà. Le parti pris sonore, c'est de croiser un son de basse électro-acoustique très très rond, une trompette très naturelle, jusque dans le grain le plus intime du timbre, et des percussions captées avec une netteté et une précision qui les installent d'emblée au cœur même du son collectif. La musique s'organise en quasi alternance de compositions de Ramon Lopez et d'improvisations collectives. Le langage prend son bien dans tous les territoires, de l'Orient à l'Espagne en passant par le jazz, les multiples visages de l'impro, et même furtivement par un certain rock qui groove, et parfois les intervalles distendus des musiques dites savantes du vingtième siècle. Avec toujours aussi un parti pris mélodique, qui se déploie dans les compositions comme dans les improvisations. On part d'un chant, et plutôt que dans les contrechants, la musique se déroule sous forme d'entrechants, un territoire de liberté où l'expressivité va prévaloir. Belle aventure, aboutie : beau moment de musique !

Xavier Prévost

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8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 10:06

 

 

Rémi Gaudillat (trompette, bugle), Jean-Philippe Viret (contrebasse)

Bourgoin-Jallieu, décembre 2107

IMR 017 / Muséa

 

Une rencontre intéressante à plus d'un titre : un toujours jeune vieux routier de la contrebasse tout-terrain, et un souffleur très libre, pilier du réseau imuZZic dans la région lyonnaise (et au-delà). Et aussi deux musiciens connus pour ce mélange d'exigence musicale et d'esprit prospectif. Le terrain de jeu, c'est une sorte de jazz de chambre, des thèmes majoritairement composés par le trompettiste-bugliste, et un cheminement très ouvert, qui conduit de mélodies extrêmement chantournées, avec dialogue harmoniquement sophistiqué, jusqu'à des échanges très segmentés, occasion d'une espèce de contrepoint aussi hétérodoxe que subtil. Et constamment, chez chacun des deux interlocuteurs, un sens du chant et de la nuance qui porte en permanence le dialogue à un très haut niveau d'expression, et d'expressivité. Et l'on va repartir, d'un échange très librement improvisé (belle écoute, belle interaction) vers une plage recueillie, un hymne presque sacré pour une célébration païenne de la beauté. Puis revoilà une jazz syncopé qui se souviendrait d'Ornette Coleman sans oublier les fondamentaux. À cette danse presque libertaire va succéder la majesté d'une mélodie grave qui aura aussi ses sentiers de traverse. Et jusqu'à la fin du disque ce sera ce mélange de liberté revendiquée et d'allégeance à des formes de beauté adoubées par l'histoire. Belle réussite, vraiment, que cette connivence librement assumée dans un champ musical aussi large qu'ambitieux ; ambition pleinement réalisée.

Xavier Prévost

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6 juillet 2018 5 06 /07 /juillet /2018 07:52

 

John Hébert, basse, Eric McPherson, batterie. Flagey Studio 4. Bruxelles. 24 novembre 2017. Palmetto Records/ Bertus Distribution.

 

 

Reconnaissance bien méritée : Fred Hersch, qui joua dans un club parisien désert voici trois-quatre ans, tient l’affiche de quelques festivals qui comptent cet été : Marciac –dans la salle de l’Astrada, et donc dans des conditions acoustiques « humaines », La Petite Pierre et Ramatuelle. Gageons que le pianiste se montrera à son avantage comme au cours de cette tournée européenne automnale qui le vit remplir deux soirs consécutifs le Sunside de la Rue des Lombards. L’enregistrement réalisé en direct quelques jours plus tard à Bruxelles conforte l’opinion du chroniqueur présent au club parisien. Fred Hersch exprime une joie de jouer qui n’a d’égal que sa complicité avec ses deux comparses rythmiques (John Hébert, basse et Eric McPherson, batterie). Il nous confiait alors (les DNJ du 27 novembre 2017), sa sérénité : « J’ai pas mal d’énergie, un merveilleux groupe depuis maintenant 8-9 ans. Oui, assurément, c’est tout bon pour moi. » Dans de telles conditions de confiance, le pianiste laisse parler ses émotions dans des hommages à John Taylor (Bristol Fog), confrère britannique disparu à l’élégance rare, et Sonny Rollins (Newklypso) avec un clin d’œil aux rythmes des Caraïbes. Wayne Shorter figure aussi au répertoire (Miyako, Black Nile) et bien entendu Monk (We See, Blue Monk) qui clôture chacun des concerts du pianiste. « Même si sa touche et la mienne sont très différentes, je pense, nous disait-il  également, que j’honore ses compositions, en faisant passer sa musique par mon filtre personnel » . Voici un filtre qui, à notre humble avis d’amateur,  laisse passer l’excellence
Jean-Louis Lemarchand
Fred Hersch .En concert cet été. Juillet : 11, Istanbul ; 14, Rotterdam, North Sea Jazz Festival ; 15, Ronnie Scott’s- Londres ; 18 Vitoria ; 19 Almuñécar. Août : 10 Marciac, 11 Anvers, 13 et 14, La Petite Pierre (Alsace), 16 Oslo ; 18, Ramatuelle, 25, Annecy.
http://www.fredhersch.com/

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1 juillet 2018 7 01 /07 /juillet /2018 11:20

JAZZ & PEOPLE 2018

Olivier Bogé (as), Christophe Panzani (ts), Pierre Perchaud (g), Nicolas Moreaux, (cb, compos), Karl Jannuska et Antoine Paganotti (dms)


Pour qu’un joueur comme Mbappe se distingue comme l’un des meilleurs jouer du monde, il faut que derrière lui il y ait un collectif de haute volée. En jazz, c’est la magie de cette musique, c’est pareil il n’y pas de leader si derrière il n’y a pas un groupe exceptionnel.
Ne tournons pas autour du CD, l’album de Nicolas Moreaux est l’un des plus bel album qu’il m’ait été donné d’écouter cette année. Je ne tergiverse pas et j’assume ! Après le précédent album (« Fall somewherere » - Fresh Sound NT) le contrebassiste qui signe les compositions de « Far Horizon », a écrit pour cet album une musique qui colle à la peau de ce groupe où chaque membres se connaît à la perfection. Tout y est. Depuis plusieurs années ces musiciens jouent ensemble, dans des formats différents qui fait ce qui se produit de mieux aujourd’hui. Il faut les entendre dans  Fox ou dans The Watershed où l’essentiel de la musique est improvisée sur scène, pour comprendre à quel haut niveau d’interaction, d’interactivité, de télépathie ils sont arrivés. Tirs au sommet au même moment.
On sent dans leur musique tout l’amour qu’ils portent à quelques légendes américaines, comme la musique de Paul Motian, peut être une pointe de Rosenwinkell et un soupçon sur un autre registre, celle de Chris Cheek. Ils portent en effet avec eux ce jazz qui distille une pointe de nonchalance aérienne qui se promène dans l’espace (To blossom), insuffle un groove toujours délicat ( Sister soul) et une pop élégante ( ( I’ve seen you in me).
Oui, ce groupe pue le jazz à plein nez ! respire jazz ! Inspire et expire le jazz ! Souffle l’air du jazz !
On aurait bien du mal à choisir tel ou tel morceau. Chacun fait office de petit chef d’oeuvre sur lequel flotte cette âme insaisissable du groupe. Olivier Bogé et Christophe Panzani se complètent à merveille, entrelaçant leurs lignes fluides. Pierre Perchaud, comme toujours apporte une lumière à la fois complexe et un supplément de groove et de feeling. L’association de deux batteries, est un choix qui peut paraître surprenant à l’écoute de l’album. Si l’on entend pas toujours le dédoublement, en revanche ( à ce que l’on m’a dit) la version concert est exceptionnelle.
 
La musique de Nicolas Moreaux est à la fois intelligente, fluide et complexe, émouvante aussi ( Bird symbolic). Elle est surtout d’une richesse musicale rare !
Une merveille !
Jean-Marc Gelin

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1 juillet 2018 7 01 /07 /juillet /2018 11:15
THE JAMIE SAFT  QUARTET      BLUE DREAM

THE JAMIE SAFT QUARTET

BLUE DREAM

RareNoise Records

Sortie le 29juin 2018

Jamie Saft (p), Bill McHenry (ts), Bradley Christopher Jones (accoustic bass), Nasheets Waits ( dms)


 

On se souvient du dernier Cd de ce pianiste en solo, sorti en février dernier sur le label anglais Rare Records : multi instrumentiste, ingénieur du son, compositeur, accompagnateur de Bobby Previte, Steve Swallow, Roswell Rudd, Dave Douglas, membre important de l'écurie John Zorn (Masada), Jamie Saft n'oublie pas d'être leader et cette fois, il revient avec un album en quartet, intitulé BLUE DREAM.

Comme dans son précédent album, SOLO A GENOVA, premier solo après 25 ans, où il se réinventait en faisant retour vers la musique américaine, "exemple d'art positif et avant-gardiste  du monde"

Sur les douze compositions, neuf sont de son fait et permettent à son groupe d'improviser, de donner la pleine mesure de son talent avec un Nasheet Waits impérial qui peut brosser des arrière plans doux et soyeux, impressionnistes ("Words and Deeds") mais aussi user d'un drive des plus énergiques. Jamie Saft se livre aussi à une relecture de thèmes qui lui sont chers, une Americana sur mesure, influencée par le patrimoine historique musical nord-américain. On touche en quelque sorte à l'Adn de ce musicien marqué par la vitalité, la pulsation, un goût réel des musiques populaires ( "Sweet Lorraine"ORR. 

Avec un hommage, dès l'ouverture,  avec la composition originale "Vessels", à l'esprit du quartet Coltrane début années soixante, ou encore dans le splendide "Infinite compassion", le pianiste se souvient du passé dans l'exquis "Violet for furs" et parvient à restituer cet esprit mainstream, classique et si nostalgique. Le "Blue dream" qui suit, qui n'est pas un standard, s'intègre parfaitement à l'esprit du jazz : les musiciens connaissent leurs repères et savent s'en affranchir délicatement par une "mise à jour" intelligente.

Si ses modèles pianistiques sont Bill Evans, T.S Monk, Saft arrive à chercher et trouver sa liberté dans les nuances, la progression dynamique, le bouillonnement de son inspiration. Il laisse ses partenaires, bien choisis, suffisamment autonomes, dans des échanges qui prennent alors tout leur sens. Changements de tempi soudains, clarté et swing intriqués (   "Sweet Lorraine"), suavité des ballades au ténor, voilà une parfaite illustration d' une interactivité réussie, au lyrisme sobre, avec une expressivité jamais dépourvue d'émotion. Un album plus qu'agréable à découvrir, rafraîchissant en ce début d'été.

Sophie Chambon

 

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25 juin 2018 1 25 /06 /juin /2018 16:00

 

Franck Tortiller (vibraphone, compositions, arrangements), Pierre Bernier (saxophones ténor & soprano), Maxime Berton (saxophones alto & ténor), Abel Jednak (saxophone alto), Joël Chausse (1ère trompette, bugle), Rémy Béesau (trompette, bugle), Tom Caudelle (saxhorn, flugabone), Léo Pellet (trombone), Yovan Girard (violon, voix), Pierre-Antoine Chaffangeon (piano électrique), Pierre Elgrishi (guitare basse), Vincent Tortiller (batterie)

Sceaux, 11-19 novembre 2017 & Auvers-sur-Oise, 19-21 novembre 2017

MCO 06 / www.labelmco.com

 

L'orchestre est le prolongement d'activités antérieures de Franck Tortiller. Après avoir créé et fait vivre l'OJJB (Orchestre des jeunes jazzmen de Bourgogne, entendu encore en juillet dernier au festival de Couches), le vibraphoniste-compositeur rassemble une partie de ses membres dans ce nouveau projet, rôdé en février à la Scène Nationale Les Gémeaux de Sceaux, où Franck Tortiller concluait une résidence de plusieurs saisons. Avec le renfort d'un musicien chevronné, Joël Chausse, dans la fonction de premier trompette, le leader embarque cette nouvelle génération majoritairement bourguignonne (comme lui) dans un répertoire qui privilégie le groove, sur une solide assise rythmique. La musique mêle les échos du présent et l'indispensable référence au passé (Hobo Ho, de Mingus, millésime 1971), avec aussi une combinaison subtile du flow des spoken words (vrai talent de Yovan Girard, qui signe les textes, dans ce registre) et des combinaisons harmoniques d'arrangement 'à l'ancienne'. On sent que Franck Tortiller n'a pas oublié (et à juste raison) sa longue participation au Vienna Art Orchestra de Mathias Rüegg, ce qui ne l'empêche pas d'évoquer l'univers du génial «On The Corner» de Miles Davis (Up and standing). Les solistes sont à la hauteur, les compositions et arrangements conjuguent efficacité et raffinement, et l'on se trouve en présence d'une indiscutable réussite, soutenue pour l'enregistrement par la collection MFA (Musique Française d'Aujourd'hui), et accueillie au sein du collectif Grands Formats. A découvrir d'urgence, sur CD, et aussi dès juillet en concert.

Xavier Prévost

 

L'orchestre jouera le 5 juillet au festival 'Jazz à Couches' (Saône-et-Loire) et le 7 juillet au 'Paris Jazz Festival' (Parc Floral de Paris, Bois de Vincennes). Puis en septembre à Rentilly (Seine-et-Marne), en octobre à Reims et Sceaux, et en novembre à Nevers.

 

Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=cpsUJcb8Ljk

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22 juin 2018 5 22 /06 /juin /2018 13:02

 

Sous le titre générique 'A Night At The Winery', le label Cam Jazz (Harmonia Mundi) a suscité six soirées de concerts, du 5 au 10 juin 2017, dans les chais et caves de six vignobles de la région Vénétie-Frioul Julienne. Ce territoire italien, qui jouxte la Slovénie, est réputé pour sa vigne, et notamment pour ses vins blancs. Belle occasion de convier des jazzmen (pas de jazzwomen, pourtant j'en connais qui aiment et connaissent le vin....) à s'exprimer dans ces lieux de culture et de mémoire. Du solo au trio, des propositions musicales très personnelles (et très diverses).

A tout seigneur tout honneur, commençons par écouter Enrico Pieranunzi («Wine & Waltzes»), lequel a chois des valses personnelles, parfois sur les harmonies du blues, parfois avec un fort parfum romantique : vibrant, inspiré, recueilli mais joyeux : un régal.

 

Viennent ensuite des duos, parfois trans-nationaux, parfois italo-italien. Le cosmopolite Roberto Taufic (Honduras, Brésil, avant de choisir l'Italie) dialogue à la guitare ave le clarinettiste Gabrielle Mirabassi, natif de Pérouse mais qui apparemment ne craint pas le Nord (de l'Italie). Leur duo («Nítido e Obscuro») oscille entre langueurs brésilienne et mélancolitalienne , avec quelques beaux éclats rythmiques, autour d'une grille de blues dévoyée notamment. Intime et subtil.

 

L'argentin Javier Girotto, qui a lui aussi choisi l'Italie, improvise au saxophone en compagnie du pianiste classique Michele Campanella («Vers la grande porte de Kiev»). Au menu Stravinski (Tango), Rachmaninov, et pour l'essentiel Moussorgski, avec un parcours très personnel dans Les Tableaux d'une exposition. Hybridation très réussie, entre le lyrique saxophoniste et le pianiste buissonnier, qui manifestement se réjouit de cette complicité scellée dans le vignoble Jerman, du nom d'un Autrichien qui au dix-neuvième siècle planta ses ceps en Slovénie avant de prendre racine dans le Frioul. 

 

Encore un duo, cette fois totalement autochtone, encore que le guitariste vénitien Federico Casagrande vive désormais... à Paris, et que son complice saxophoniste, Francesco Bearzatti visite souvent notre beau pays. Leur disque («Lost Songs»), est une balade empreinte de mélancolie parmi les compositions du saxophoniste : poétique et profondément musical.

 

Viennent cette fois les trios, et d'abord celui qui associe Claudio Filippini (claviers, voix), Andrea Lombardini (guitare basse) et le batteur U.T. Gandhi, dont le patronyme ne laisse pas deviner qu'il est natif du Frioul. Une fusion un peu soul, tendance années 70, joliment troussée, mais qui n'a pas touché le chroniqueur (un peu sectaire peut-être ?) autant que les autres CD de la série.

 

Et pour conclure, le dernier mais non le moindre : un trio qui associe le percussionniste turinois Michel Rabbia à deux français amoureux de l'Italie : Régis Huby au violon, et Bruno Chevillon à la contrebasse. Un disque intitulé « Reminiscence », et un répertoire signé des trois, et que l'on devine improvisé, mais dont la forme et les développements rappellent le meilleur des musique contemporaines écrites : le miracle du talent, du travail, de la concentration, de l'empathie et de l'extrême complicité. Bref pour ces funambules de l'improvisation (qui sont aussi des compositeurs), une étape de plus dans un parcours qui fait honneur à la musique (très) vivante.

Xavier Prévost


 

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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 16:36

Edyson prod. 2018
Laurence Saltiel (vc), Patrick Villanueva (p), Benoit Dunoyer de Segonzac (cb)


Laurence Saltiel est rare. Trop rare. Et, par là même nous est précieuse.
Il y a déjà une petite dizaine d’année, elle publiait un album dans lequel il était beaucoup question de Bill Evans. Nous entendions alors ses versions de Waltz for Debby ou de My Romance comme jamais nous ne les avions entendu chantées.
Mais depuis ce temps, Laurence Saltiel, très engagée dans la pédagogie à laquelle elle se consacrait corps et âme, avait un peu disparue. Elle revient aujourd’hui en affirmant haut et fort qu’elle est avant tout une grande chanteuse. Et une chanteuse libre, pas prête du tout à se laisser enfermer dans une case de type «  chanteuse de jazz » et hop, emballé c’est pesé.
Car Laurence Saltiel c’est l’amour d’un triptyque indissociable : le chant, la musique et le texte dont aucun de ces trois piliers ne saurait prévaloir sur l’autre.
Qu’elle s’appuie sur les talents de paroliers comme ceux de Lili Chane, qu’elle écrive elle-même les paroles de quelques titres, qu’elle reprenne quelques sublimes titres ( comme le Throw it away d’Abbey Lincoln), qu’elle chante en français, en espagnol ou en anglais, Laurence Saltiel y met à chaque fois son pesant d’âme.
On pleure avec Laurence. On rit aussi avec elle comme sur ce texte drôle et magnifique ( Crime de sang) sorti tout droit d’un univers à la Perec. On jazz avec elle ( Peace again). On s’attendrit à ce très beau et très émouvant texte (Petite Fille) qui mesure le poids des ans passés depuis Waltz for Debby et qui résonne comme l'un des plus bel hommage rendu aux femmes.

Mais avec Laurence Saltiel, la poésie tutoie toujours le swing qu’elle porte comme une seconde peau avec ce mélange de délicatesse, de groove avec un petit air de ne pas y toucher mais qui au final vous fait prendre le beat du bout de la semelle ou en dodelinant de la tête. La richesse expressive de la voix de Laurence Saltiel touche à la perfection, jamais apprêtée et visant au plus juste de l'émotion.
Ses compères font la paire. Benoit Dunoyer de Segonzac maître du tempo et gardien du temple est un compagnon de longue route, tout comme Patrick Villanueva qui ramène son swing élégant.
Ces trois-là sont en phase. En emphase.

Laurence Saltiel chante comme un remède à la mélancolie, comme une façon de dire que toujours la vie, même lorsqu’elle peut nous faire violence, même lorsqu’elle se défend à coup de poings, est belle.
Laurence Saltiel, ivre de vie, est une chanteuse libre, farouchement libre qui prend le vent et nous embarque avec elle.
Jean-Marc Gelin

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