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19 mars 2018 1 19 /03 /mars /2018 15:09

 ''Imaginer demain''  : ce pourrait être le slogan, le mot d'ordre, que sais-je, bref l'ambition de ce nouveau label qui sort simultanément deux CD, assez différents l'un de l'autre, mais qui ont en commun ce pas de côté qui reconsidère le passé récent dans une désir de différence, d'alternative, de libre métamorphose. Vérification à l'écoute, et aussi sur scène le 20 mars à Paris au Studio de l'Ermitage

 

Clément Janinet «O.U.R.S. [Ornette Under The Repetitive Skies]»

Clément Janinet (violon, composition), Hugues Mayot (clarinette basse, saxophone ténor), Joachim Florent (contrebasse), Emmanuel Scarpa (batterie). Invités : Gille Coronado (guitare), Mario Boisseau (violoncelle)

Yerres (Essonne), sans date

GIG 002 OUR 1/ https://www.gigantonium.com/label

 

Ça commence avec des accents mélancoliques et déchirés qui rappellent Lonely Woman. Puis on glisse vers des escapades en pizzicato, avant retour à la mélancolie. La plage suivante procède de la même liberté, du lyrisme aux développements cursifs et segmentés. Belle cohésion, sens de la forme et goût de l'échappée. On scrute ensuite l'étrange, le goût des sonorités profondes, des timbres incarnés (charnels même). Puis le voyage nous entraîne vers les horizons de la musique répétitive (Ornette Under The Repetitive Skies), et très vite ailleurs, plus loin, là où l'imaginaire rend caduques les vieilles étiquettes : musique de chambre ensauvagée, mélodies intenses sur un ostinato que l'on croirait tout droit venu de Laurie Anderson, tandis qu'autour la batterie gronde et la tension survolte, comme un souvenir d'hier, plongé sans excès de nostalgie dans le paysage de demain. Sans chercher à détailler chaque item, on peut dire que, sur le plan de la composition comme de la cohésion du groupe, de l'inspiration des solistes comme de la suprême liberté qui consiste à se nourrir sans piller, à se souvenir sans rabâcher, c'est vraiment impeccable. Le violoniste signe l'essentiel des compositions, mais celles qui ne sont pas de sa plume sont en parfaite cohérence avec l'ensemble : beau travail d'artiste(s), à découvrir d'urgence.

Découvrir «O.U.R.S.» Sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=2xaPI9J5-AI

 

Camarasa-Mahler «TbPn»

Xavier Camarasa (piano, piano préparé), Matthias Mahler (trombone)

Toulouse, 4 novembre 2017

GIG 003 TBP 1/ https://www.gigantonium.com/label

 

Avec ce duo trombone (abréviation Tb) -piano (Pn....), le propos est différent. Non plus partir du passé très proche pour le plonger dans un bain d'avenir, mais scruter le potentiel sonore d'un alliage radical : le piano (et son double préparé) et le trombone (dans toutes les métamorphoses de son timbre et de son expression). C'est ce que fait la première plage, sans concessions, ouvrant ainsi les portes de l'imaginaire perceptif autant que musical. Puis c'est un envol progressif vers les escapades harmoniques, une mélodie aux intervalles tendus, avec effractions, déflagrations, effervescence puis accalmie, quand la mélodie triomphe. Les compositions sont signées du pianiste, et le trombone se les approprie par la force de son expressivité (Matthias Mahler, dans ce domaine, est un orfèvre). L'exploration sonore reprend ensuite ses droits, et le discours son mystère, avant que l'expérimentation ne rejoigne l'expression mélodique, et les surprises de l'improvisation. Et en coda de nouveau sons brossent un autre portrait d'un dialogue en perpétuel devenir : une expérience à vivre et revivre, comme une descente dans les abysses d'où surgissent et le son, et l'expression.

Xavier Prévost

 

Un avant-ouïr de TbPn

https://xaviercamarasa.bandcamp.com/album/camarasa-mahler-tbpn

https://www.gigantonium.com/label


 

Les deux groupes sont en concert pour la sortie des CD le 20 mars, à Paris, au Studio de l'Ermitage

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18 mars 2018 7 18 /03 /mars /2018 11:00

Clovis Nicolas (contrebasse), Brandon Lee, Bruce Harris (trompette), Grant Stewart (saxophones ténor), Kenny Washington (batterie)

Brooklyn, 23 novembre 2016

Sunnyside SSC 1495 / Socadisc

 

Cela fait 15 ans que Clovis Nicolas a choisi de vivre à New York sa vie de contrebassiste, et il nous envoie ce message phonographique, qui fait suite à «Nine Stories», enregistré en 2012 pour le même label. Le précédent CD comportait une grosse moitié de compositions personnelles, et c'est le cas cette fois encore ; mais les reprises comportent un morceau de choix (presque un défi !) : la Freedom Suite de Sonny Rollins (millésime 1958, avec Oscar Pettiford et Max Roach). Clovis Nicolas a choisi de donner, de cette célèbre pièce en trio, une version de quartette, avec saxophone et trompette (le trompettiste pour la suite, comme sur la majorité de l'album, est Brandon Lee). De ce changement d'instrumentation procède une nouvelle approche : on pense (notamment dans l'harmonisation des exposés) aux rencontres de Rollins (ou de Coltrane) avec Don Cherry. Le contrebassiste intercale deux courts interludes entre les parties, confirmant ainsi son désir d'un éclairage personnel sur une œuvre abordée avec amour et enthousiasme ; et le résultat en valait la peine. Les compositions du contrebassiste révèlent (ou plutôt confirment) un sens aigu de l'idiome, maîtrisé comme il se doit, mais surtout servi par un désir de faire chaque fois un pas supplémentaire (de côté, ou vers l'avant, selon les plages), comme le firent les compositeurs solistes des années 50 et 60, recevant un langage en héritage, mais s'efforçant de conquérir une vraie singularité. La plage 8, Nichols and Nicolas, est à cet égard très éloquente : son caractère sinueux, et ses bifurcations subtiles, montrent à quel point on peut encore labourer les territoires du jazz de stricte obédience en quête de nouvelles sensations. Les standards (Fine and Dandy, en quartette, puis Little Girl Blue, en solo), viennent à propos rappeler que le jazz ne dédaigne pas le répertoire, pourvu que l'on pose sur l'objet sacralisé une regard neuf. Et cela nous prouve que décidément, et notamment par la réussite de ce disque, Clovis Nicolas confirme son importance, comme leader autant que comme sideman, ou comme soliste, sur les deux rives de l'Atlantique.

Xavier Prévost

 

Clovis Nicolas sera en quartette (avec Bruce Harris, Dmitry Baevsky & Steve Brown) le 19 mars à Paris au Duc des Lombard, à 19h30 et à 21h30, mais les deux concerts sont complets. Le lendemain, 20 mars, le groupe jouera au «Jazz Fola Live Club», dans le Quartier de Luynes, à Aix-en-Provence.

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16 mars 2018 5 16 /03 /mars /2018 07:42
INTIMATIONS   Denis FOURNIER / Denman MARONEY

 

 

INTIMATIONS

 

Musique improvisée et composée par Denis Fournier et Denman Maroney

Vents du Sud/Allumés du Jazz

www.denisfournier.fr

 

 

Pochette d'un paysage à l'austère beauté où les oiseaux sur leur perchoir ne ressemblent pas aux volatiles hitchcockiens même si la musique parfois rugueuse, inquiétante, semble vriller nos tympans. Non que le volume sonore soit trop fort mais l'alliance des textures et timbres du piano préparé de Denman Maroney (qu'il appelle "hyperpiano" ) et la batterie également accommodée de Denis Fournier, surprend sans agresser et plonge très vite dans un questionnement accepté jusqu'au final hypnotique et énigmatique "Calm Weather".
Les titres à compter de celui de l'album sont inspirés de l'une des odes les plus célèbres (pour les Anglo-saxons du moins) "Intimations of Immortality" issue du recueil Recollections From Early Childhood du romantique William Wordsworth, le poète du Lake District... Le metteur en scène Elia Kazan y a pioché le nom de son film d'apprentissage Splendor In The Grass, vite devenu culte, sur les rêves et espoirs brisés de ces jeunes protagonistes.

 

La création, à savoir l'imagination et ici plus précisément l'improvisation prennent le dessus sur la composition réfléchie. Néanmoins, l'expérience revient sans nostalgie régressive, avec une forme de lucidité sur la nécessaire et injuste violence du temps qui passe.

Jamais tonitruante, la musique avance avec une tranquille assurance, dévoilant fluidité et cohérence.

Denis Fournier tisse une oeuvre intime et singulière, et Intimations en sera une nouvelle étape tant ce duo foisonne d'idées abouties pour étoffer une riche palette de sons : ainsi, les "Shadowy recollections" sont, de par leur durée, le morceau le plus représentatif de cet art des climats, tout en variations subtiles, où la musique prend son temps. Le batteur a trouvé en ce pianiste épatant un partenaire avec lequel il peut compter, qui ne se préoccupe de rien d'autre que de l'instinct, de l'instant. Cela peut être irritant "Obstinate questionings", surprenant, envoûtant, joli même. Incarné en tous les cas.

 

Sophie CHAMBON

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15 mars 2018 4 15 /03 /mars /2018 21:30

Joachim Florent (contrebasse), Denis Fournier (batterie, percussions), Ben Lamar Gay (cornet, effets électroniques, objets, voix), Jeff Parker (guitare électrique)

Port-Louis (Morbihan), 29 janvier 2017

  Vent du Sud VDS 114    (vinyle )   /  https://www.lesallumesdujazz.com/

 

Après une première rencontre en 2014 pour une tournée dont le trompettiste était alors Marquis Hill, et un premier CD («Escape Lane», The Bridge Sessions 06), revoici le groupe, avec cette fois Ben Lamar Gay au cornet, lors d'une tournée française en janvier-février 2017, et ce concert du festival Jazz Miniatures publié sur vinyle (couplé avec un téléchargement mp3). Le projet avait germé dans l'esprit de Denis Fournier, suite à sa rencontre avec Jeff Parker, qui n'avait pu se libérer pour une aventure précédente, Watershed (avec Nicole Mitchell, Tomeka Reid, Bernard Santacruz, et Hanah Jon Taylor). On est ici en territoire d'improvisation, fondée sur le dialogue, l'interaction, l'expressivité et aussi la mémoire d'un langage, un langage brassé depuis maintenant des lustres, sur les deux rives de l'Atlantique. Les fils se tissent, à mesure que les pelotes s'étirent, et si d'aventure la chaîne vient à se rompre, un rétablissement mystérieux renoue le fil de la conversation : ainsi va la musique improvisée quand la magie s'opère, et là, manifestement, c'est un jour faste. Aux développements mélodiques succèdent des ruptures, des incises, des échappées, comme s'il s'agissait de composer sur le vif de l'instant une sorte de poème de l'extase. Parfois les dialogues se font en diagonale, et à la faveur d'un changement de climat, de timbre (le surgissement de la voix de Ben Lamar Gay) ou de tempo, l'improvisation collective se renoue, ici autour d'une ligne de contrebasse à l'archet, ailleurs à la faveur d'un riff de guitare. Bref c'est une véritable expérience de musique improvisée, plus que concluante, à vivre, à déguster, au fil de ces quelque 44 minutes de concert enregistré.

Xavier Prévost

 

Infos, extraits et entretien en suivant ces liens

http://www.denisfournier.fr/escape-lane.htm

http://www.clap.coop/d-fournier-2-nouveautes-sur-cd/

http://wordpress.acrossthebridges.org/fr/

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13 mars 2018 2 13 /03 /mars /2018 21:04

Bill Frisell (g).

Attention : grand disque du guitariste en solo.

Bill Frisell réalise son premeier album solo depuis 20 ans. S'appuyant en grande partie sur une reprise des thèmes de son répertoire et pour partie sur de nouvelles compositions, le guitariste livre une oeuvre très personnelle mais jamais introspective. Au contraire.
Comme toujours chez Frisell cette inspiration, cette respiration des grands espaces américains, son  regard un pei fantasmé sur une Amérique lointaine et perdue.
Avec Frisell, grand maître de la mélodie, de la phrase belle, de la note chargée d'émotion, c'est comme prendre place dans un greyhound et traverser le pays le nez collé à la fenêtre pour voir defiler des paysages, des grandes plaines, des villages et des visages.

Chez le guitariste de Baltimore l'improvisation coule de source, au plus près de la ligne mélodique et des effets qui tapissent le son.Le voyage est alors captivant, riche en couleurs.

Poursuivant l'exploration de cet univers qui lui est si propre, syncretisme entre le jazz, le blues, la country et la folk music, Bill Frisell ecrit là un nouveau chapitre de son histoire musicale .

A découvrir absolument

 

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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 17:58
TERRA NOVA Trio   OSTINATUM

TERRA NOVA TRIO

 

OSTINATUM

Sortie le 9 mars 2018 

Concert le 19 mars au studio de l'Ermitage

 

Black and Blue BB 856 2

Distribution Socadisc

 

Claude Terranova (composition, piano, voix)

Christian Lété (batterie, percussions)

Arnault Cuisinier (contrebasse, voix)

 

www.claudeterranova.com

 

On comprend qu'avec un tel patronyme, le pianiste Claude Terranova n'ait pas besoin d'aller chercher loin le titre de sa formation en trio (piano, basse, batterie) NOVA TRIO .

Faire du neuf avec de l'ancien? Remodeler l'art du trio, aller défricher des nouveaux terrains en poussant toujours plus loin un étonnant équilibre minimaliste, où la mélodie surgit, se fixe dans la répétition, comme dans le titre inaugural "Ostinatum". On entend au plus près les timbres et textures, sans oublier les voix de Claude Terranova et Arnault Cuisinier, "instrumentales", légères, jamais intrusives.

L'album est de saison, un "soleil d'hiver" sous latitude septentrionale, doux et revigorant. Un certain raffinement depuis les lignes de la pochette travaillées dans l'abstraction jusqu'à l'ensemble architecturé de ces dix compositions.

 

Trois voix donc (au propre et au figuré) qui savent chanter et construire un discours éloquent : une écriture au phrasé délié, limpide d'un pianiste tout en nuances, mélodique et mélancolique, les ponctuations décisives d'un contrebassiste attentif à ne pas être seulement accompagnateur, le travail sensible d'un batteur qui contribue à régler la mécanique rythmique.

 

Dans cette musique élégante, les trois musiciens ne suggèrent-ils pas leur "grille", à la façon d'une signature, d'une identité au risque de se laisser enfermer ? A nous de ne pas écouter cette musique à la lettre...

 

Sophie Chambon

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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 13:55

Marc Ducret (guitares), Kasper Tranberg (trompette, cornet), Simon Toldam (claviers), Peter Brunn (batterie, synthétiseur basse, composition)

Copenhague, avril 2017

Ayler Records AYLCD-155 / http://www.ayler.com/peter-bruun-all-too-human-vernacular-avantgarde.html

 

Un disque qui scelle une ancienne connivence entre les membres du quartette : le batteur et le trompettiste ont joué dans deux groupes du guitariste, et le clavier a participé à plusieurs projets du batteur. On peut s'interroger sur la référence nietzschéenne que révèlerait le nom du groupe, mais l'essentiel est probablement ailleurs : le titre de l'album, et son caractère oxymoronique, semblent exalter une conception de l'avant-garde qui s'exprimerait dans un langage supposé être l'ordinaire d'un groupe, d'une région, d'un pays, bref s'adressant au plus grand nombre des individus d'un espace déterminé. Beau projet esthétique autant que politique, et qui se révèle pertinent, voire réalisé dès les premières notes. Les rythmes et les sons parlent une langue commune à bien des auditeurs de ce temps, mais leurs combinaisons révèlent très rapidement l'ambition divergente, le désir de s'éloigner des codes ambiants pour élaborer une poétique, exprimer une singularité qui impose son évidence au fil des plages. Des sons de claviers, de batterie, de trompette et de guitare qui sembleront familiers au plus grand nombre, mais une combinatoire harmonique et rythmique, et un choix d'intervalles dans les lignes mélodiques, qui tirent souvent vers l'ailleurs : là s'exprime pleinement la nature délibérément paradoxale du projet. Les uns et les autres, dans le groupe, sont familiers de ce grand écart rhétorique et esthétique qui fonde bien des aventures artistiques depuis des lustres. Le plus important est que cette combinatoire soit féconde, et elle l'est, au delà de toute espérance : un geste accompli, une cohérence, une singularité, bref une œuvre d'art....

Xavier Prévost

 

Le groupe est en concert au Triton (près de la Mairie des Lilas), le 17 mars à 20h, et à la Fondation danoise de la Cité Internationale Universitaire de Paris, boulevard Jourdan, le 18 mars à 20h

 

Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=aWsgAm_QV4w

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11 mars 2018 7 11 /03 /mars /2018 18:40

Martial Solal (piano solo)

Gütersloh, 17 novembre 2017

Intuition INTCHR 71327 / Socadisc

 

Enfin !!! Après Enrico Pieranunzi, Louis Sclavis, Henri Texier, Daniel Humair et Michel Portal (parmi beaucoup d'autres européens), Martial Solal fait son entrée dans cette collection 'European Jazz Legends' qui associe un théâtre de Westphalie, le magazine allemand Jazzthing, la WDR, radio publique de Cologne, et le label Intuition épaulé par Challenge Records. Un concert qui date de l'automne dernier, et dont Martial était enchanté, avant de le donner car il attendait avec gourmandise ce nouveau rendez-vous en solo avec le public, et plus encore après l'avoir joué, et enregistré, car le résultat atteignait ses espérances (et pourtant Martial est sévère, surtout avec lui-même!) . Devant un public hyper attentif, ce maître de la fantaisie (fantaisie alliée à l'humour, à la surprise, et au désir de perfection) s'en est donné à cœur joie, bouleversant les standards avec sa verve habituelle (et toujours avec de nouvelles idées), nous offrant une de ses plus belles compositions (Coming Yesterday, créée au disque dans un studio allemand en 1978 pour MPS), improvisant une ballade, renouvelant une fois de plus son approche d'Ellington dans un pot-pourri qui piège nos attentes, à nous qui l'avons si souvent écouté en concert (pour ma part, depuis l'adolescence, des dizaines et des dizaines de fois, du solo au big band....). C'est cela qui est merveilleux : à chaque fois, il parvient à me surprendre. Au même concert, à deux reprise, et à près de 50 minutes d'intervalle, il va s'esbaudir sur Frère Jacques (retitré Sir Jack), trouvant à nouveau des échappatoires qui touchent au vertige. Sur Body and Soul, maintes fois joué par lui, et tant d'autres, il ouvre une porte mystérieuse. Sur Night And Day ou All The Things You Are, tant ressassés par tous les jazzmen, il parvient encore à entrer de plain-pied dans l'inouï, et pourtant le standard est là, joué avec cette amoureuse distance qui est la marque de quelques musiciens d'exception, dont il fait évidemment partie. Une brève fantaisie sur la Marche Turque, et Mozart passé à la moulinette comme jamais ; un feu d'artifice à la gloire du bebop sur Night in Tunisia, et là encore le hachoir est passé, mais pour magnifier ce monument plus qu'historique ; et juste après viendra un Tea For Two qui déconstruit, tout en le célébrant avec amour, le jazz classique, vu d'un surplomb cubiste. Et comme sur chaque disque de la collection, la dernière plage accueille un entretien (en anglais) de l'artiste avec Götz Bühler, de la WDR : là encore le pianiste expose avec son humour pince-sans-rire son itinéraire personnel avec et dans le jazz. Ce disque est décidément un régal, et un GRAND disque de Martial Solal, une fois encore.

Xavier Prévost

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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 20:23

Shed Music 2018
Sonia Cat-Berro (vc), Tony Paelman (p), Pierre Perchaud (g), Christophe Panzani (ts, clb), Nicolas Moreaux (cb) ,Karl Jannuska (dms) + Simon Tailleu (cb), Serena Fisseau ( vc), Baptiste Germser (cor), Guillaume Poncelet ( fchn, euphm)

Il y a des albums qui vous arrivent comme une évidence. Comme un murmure ou une caresse.
Celui-là touche au coeur.
On connaissait Sonia Cat-Berro dans un registre plus funk et plus en lien avec le jazz new-yorkais de ces temps-ci. Avec « Lonely Siren », la chanteuse aborde un tout nouveau registre, plus intime, un peu plus en clair-obscur, teinté de je-ne-sais-quoi de nostalgie douce.
C’est en famille pourrait t-on dire que cet album a été conçu. Ou plutôt devrait on dire, en tribu puisque pour ce nouvel album paru sous le label Shed Music, Sonia Cat-Berro a associé les compagnons artisans créateurs du label fondé sur l’aura de Watershed, formidable groupe qui a récemment marqué les esprits et qui nous avait littéralement conquis. Et pour que cet esprit de famille soit complet, les musiciens de ce collectif ont tous mis la main à la pâte et ont contribué à l’élaboration de ces belles compositions dont l’esthétique reste justement très proche de celle de Watershed. Ce collectif fonctionne si bien que l’on ne sait plus trop d'ailleurs qui sert l’autre, si les musiciens servent la chanteuse ou si c’est le contraire.
Cet album, on l’a dit, touche en plein coeur.
Les mélodies, douces-amères sont toutes sublimes, évidentes mélodies aux harmonies subtiles et parfois complexes. On est sous le charme de ce Very simple song dont les méandres  nous sont offerts en offrande et sur lequel Tony Paelman se montre lumineux dans son accompagnement.
Le chant de Sonia Cat-Berro quand à lui, débarrassé de toute fioriture et de tout effet a quelque chose d’intime parce qu’il est comme dénudé et murmuré au plus près de l’âme. Less is more. Les paroles en anglais (presque) toutes signées par la chanteuse racontent ainsi des histoires d’une sensualité envoûtante. Ainsi la douceur de Scar d’abord en duo avec Simon Tailleu puis rejoint par le contre -chant de Christophe Panzani.
Il y a dans le chant de Sonia quelque chose qui fait penser parfois à Joni Mitchell ( Walls and pieces) ou à Norma Winstone comme dans le climat sombre d’After the storm. En douceur porté par les envolées de Pierre Perchaud ou plus loin celles de Panzani. Ou encore Around my shoulders, ode à l’amitié sublimé par les magnifiques arrangements de Tony Paeleman.

Tout au long de cet album les mélodies sont si fascinantes, si aériennes qu’elles sont comme une invitation à entrer dans l’univers de Sonia Cat-Berro. Un monde qui s’imprègne et ne vous quitte pas. Cette sirène-là vous entraîne loin. Très loin. A vous de vous perdre avec elle.
Jean-Marc Gelin

Sonia Cat-Berro sera le 12 avril au Studio de l’Ermitage. A ne pas manquer.

NB : une mention toute particulière pour les magnifiques phots d'Elodie Winter qui signe une là un superbe cover.

 

 

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8 mars 2018 4 08 /03 /mars /2018 18:30

Le jazz bonifie la chanson populaire. Et vice-versa. Que serait en effet la musique que nous aimons sans les  « standards » qui en font le sel et le miel ? Sans ces mélodies, ces  ballades venues de Broadway ou du répertoire courant, que tout amateur de jazz reconnait instantanément en buvant un gin tonic au Sunside,  au Ronnie Scott’s ou au Village Vanguard ?  Les musiciens de jazz, les jeunes notamment,  ne devraient-ils pas jouer plus régulièrement ces standards, quitte à négliger leurs propres compositions, histoire de se confronter à leurs collègues qui ont travaillé sur ce matériau historique ?
             Il y a mille façons d’interpréter ces mélodies. Au fil des ans, fan de jazz de (très) longue date, je me suis efforcé par curiosité d’identifier  la version la plus « décalée »ou  la plus intéressante de quelques-uns  des  nombreux standards de la planète jazz.  Youtube, Deezer ou Spotify facilitent désormais grandement ces recherches en affichant des listes qui permettent la comparaison.
            L’excellente émission de France Musique,  Repassez-moi l’standard, diffuse de bonnes compilations tous les dimanches, mais l’objectif est ici différent : trouver l’interprétation qui sort vraiment des sentiers battus, celle qu’on conserve précieusement pour l’écouter sans se lasser, toujours et encore.
            L’exercice est forcément subjectif et certainement périlleux, car en jazz, tout autant que dans les  autres domaines musicaux, les avis sont tranchés, les critiques aiguisées. Essayons tout de même ici d’identifier pour une quinzaine de « standards », choisis arbitrairement,  des versions à la fois remarquables et originales.  Quitte à alimenter la discussion, à défaut de faire l’unanimité…
          Satin Doll. Pour ce thème immortalisé par Duke Ellington (son auteur), Ella Fitzgerald ou Oscar Peterson, il existe une version  qui ne cesse de m’enchanter, celle de Terry Callier, l’interprète par trop méconnu de What Color is Love, une des plus belles chansons du répertoire américain.  Ce chanteur multicarte (soul et pop) ralentit à souhait Satin Doll, le jazz vocal dans toute son experte nonchalance.
         April in Paris. Là, c’est tout le contraire. Ce standard sirupeux de Broadway a été repris par tous les grands du jazz, de Count Basie à  Sarah Vaughan, en passant  bien sûr par le duo Ella Fitzgerald – Louis Armstrong.  Mais c’est un remarquable chanteur de jazz – le plus grand en fait – Kurt Elling, qui m’épate avec  une version dynamique, énergique de ce titre amorti. On en sort ragaillardi.
          Body and Soul.  Un standard impérissable venu également de Broadway et que tout le monde a enregistré.  Le  duo Tony Bennett – Amy Winehouse  (Le crooner et la chanteuse pop les plus proches du jazz) en a fait une version intrigante. Mais c’est encore Kurt Elling, lequel  donne un tour original à chacune de ses interprétations,  qui emporte mon adhésion, en triturant à sa façon A new body and soul.

            The Gipsy.  Une chanson moins connue et toute simple, « croonée »  laborieusement par Franck Sinatra et reprise par Louis Armstrong ou Charlie Parker.  C’est Archie Shepp, aussi bon chanteur que saxophoniste, qui en livre de loin la meilleure version (à ne pas confondre avec son Black Gipsy) dans son album Chooldy Chooldy, où il interprète aussi remarquablement This is always.
          My foolish heart. Une ballade sentimentale très populaire malaxée à l’envie par Bill Evans, Keith Jarrett et toujours Kurt Elling. Mais ici, c’est Chet Baker qui emporte la palme, émotion en prime. Tout ce qu’il chante et « trompette » est de toutes façons original.  Parmi ses multiples versions connues de ce standard, j’aime bien – un peu de cocorico ! – celle du Chet avec Michel Graillier aux ivoires.
         Tea for two. Un autre succès de Broadway très apprécié du monde du jazz, parfois en version cha-cha-cha, mais interprété généralement de manière convenue.  Quelques exceptions : Anita O’Day, mais surtout la version enregistrée en studio par Erroll Garner fin 1971. Un rythme époustouflant, combinaison  magique de force et de finesse propre à l’autodidacte du piano jazz. A écouter le matin pour sautiller d’allégresse.
      Poinciana. Fatigués d’entendre pour la nième fois  Ahmad Jamal  jouer ce standard aux racines cubaines, dont il s’est fait le spécialiste ?  Allons voir du côté de Keith Jarrett,  qui « réinterprète » ce titre d’une manière impressionnante, accompagné de Gary Peacock et Jack DeJohnette.  Un groove étourdissant.  Adios Nat King Cole…
     Never let me go.  Le “Ne me quitte pas” américain, chanté superbement par Shirley Horne ou Nancy Wilson. Mais c’est un autre pianiste de génie, Bill Evans, qui me séduit avec sa longue version en solo de cette ballade écrite pour Hollywood. Près d’un quart d’heure  de rêve et de nostalgie
     Giant Steps. Une composition de John Coltrane reprise par les virtuoses du piano. Peut-on jouer différemment ce standard, ou même le chanter ? Oui, et c’est l’imprévisible et géniale  Betty Carter qui le fait, lors d’un concert à Hambourg en 1993, visible sur Youtube. Sa voix comme un instrument. Dix minutes envoûtantes d’improvisation et de scat, avec Geri Allen au piano. Wow !  
      Just friends.  De Charlie Parker à Martial Solal, ils ont tous joué cette entraînante mélodie des années 1930. Une version un peu originale ? Celle de Chet Baker et Stan Getz en 1983 à Stockholm ? Non, plutôt un arrangement ébouriffant du Big Band de la WDR allemande en 2000 (YouTube), avec une superbe intro au piano de Frank Chastenier et un vigoureux solo de James Moody.
    Summertime. Un standard absolu, adapté de George Gershwin (Porgy and Bess), mais souvent repris de manière compassée et grandiloquente, dans le sillage de Paul Robeson. Heureusement, l’ami Albert Ayler a revisité avec bonheur cette mélodie, qu’il  a déconstruite dans son style bien particulier. Un enchantement pour les amateurs de jazz sans concession.
    La vie en rose.  Cette chanson d’Edith Piaf est devenue standard quand Louis Armstrong l’a jouée  au début des années 1950. Elle a ronronné jusqu’à ce que Richard Galliano et Wynton Marsalis en présentent une version intéressante en 2009 à Marciac. Richard Galliano, c’est quand même mieux que Richard Clayderman  (lui aussi joue La vie en rose …).

         Midnight Sun. Le soleil de minuit ne se couchera jamais sur ce grand standard de Lionel Hampton et Johnny Mercer, surtout quand il est chanté par Sarah Vaughan. L’indolente « Divine », celle qui chantait comme si de rien était, était au sommet de son art dans la meilleure interprétation jamais réalisée de ce titre – en 1978 avec Oscar Peterson et Joe Pass.  Sorry, Ella….
         Golden Lady. Une des grandes compositions de Stevie Wonder, adoptée par le jazz.  J’hésite ici entre la superbe version d’Abbey Lincoln accompagnée d’Archie Shepp et une interprétation plus intimiste  du pianiste Robert Glasper, accompagné seulement d’un contrebassiste, visible sur YouTube.  Un bijou d’improvisation en toute décontraction.
          The end of a love affair.  Un dernier titre en hommage à celui qui vient de nous quitter. Didier Lockwood aux côtés de Dee Dee Bridgewater : c’est ma version préférée de ce standard plein d’ironie et de mélancolie, parfait écrin pour un  violoniste sans pareil, trop tôt disparu. La fin d’une histoire  d’amour…

 Gilbert Grellet
Satin Doll - Terry Callier  - I just can’t help myself  ( 1998 - MCA)
The Gipsy – Archie Shepp – Choodly Choodly  (2002 – Azzurra Music)
April in Paris – Kurt Elling – The Messenger (1997 – Blue Note)
A new body and soul – Kurt Elling – Nightmoves  (2007 – Concord)
My foolish heart – Chet Baker/Michel Graillier – Live and rare (2011 – Master Classics Records)
Tea for two - Erroll Garner - Turin Concert   (Remastered 2007 – Gambit)-
Poinciana – Keith Jarrett – Whisper not (2000 – ECM)
Never let me go – Bill Evans – Alone (1968 – Verve)
Giant Steps – Betty Carter – 1993 Youtube
Just friends – Big Band WDR – 2000 Youtube
Summertime –Albert Ayler – My name is Albert Ayler (1964 - Debut )
La vie en rose – Richard Galliano/Wynton Marsalis – From Billie Holiday to Edith Piaf: Live in Marciac (2010 – Futur Acoustic)
Midnight Sun – Sarah Vaughan – How long has this been going on?  (1978 - Pablo Records)
Golden Lady – Abbey Lincoln – Painted Lady (1995 - ITM)
Golden Lady – Robert Glasper – 2013 Youtube  
The end of a love affair – Didier Lockwood/ Dee Dee Bridgewater – For Stéphane (2008 – Ames Production/Frémeaux et Associés)
 

 

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