Stephan Oliva (piano, piano électrique), Stéphane Oskeritzian (montage)
Pernes-les-Fontaines, 14 novembre 2017
Illusions Music ILL 313008 / http://www.illusionsmusic.fr/invisible.html
Un projet issu d'un fantasme, ou plutôt d'un rêve, celui d'un cinéma pour l'oreille. Un rêve partagé avec le producteur Philippe Ghielmetti, du label Illusions Music (les CD sont exclusivement disponibles sur le site). Un rêve ancien et déjà souvent matérialisé par les disques précédents sous la même étiquette : « Ghosts of Bernard Hermann » (2007), « Film Noir » (2011) et « Vaguement Godard » (2013). Un rêve qui prenait peut-être sa source dans un coffret de solos de piano autour de l'image conçu par un autre producteur, Jean-Jacques Pussiau, où Stephan Oliva rejoignait alors Martial Solal, Paul Bley, Steve Kuhn et Alain Jean-Marie : « Jazz'n (e) motion » (1998 BMG/RCA Victor). Une sorte de manifeste musique-image : la galette qui tourne sur nos platines CD porte en grand caractère cette citation de Michel Butor (extraite de son recueil Répertoire II , Seuil, 1964) : «Le son étant dès l'origine avertissement, signe, tout est toujours susceptible, passible d'interprétation, rien n'est plus à l'abri de de la lumière ou de l'intelligence». Et le digipack qui reçoit la galette arbore fièrement une photo extraite d'un film de Minelli, The Bad and the Beautiful (en V.F. Les Ensorcelés). Une sorte de manifeste donc, et un processus d'élaboration très sophistiqué : le pianiste entre au studio de La Buissonne sans connaître exactement le projet, sauf qu'il a trait au cinéma. Philippe Ghielmetti et Stéphane Oskeritzian (également coproducteur de l'enregistrement) donnent au pianiste des mots sur lesquels il improvise, et Gérard de Haro (lui aussi coproducteur) recueille sur sa console et ses machines les sons issus majoritairement du magnifique piano qui trône dans cet étonnant studio-salon. De ces cinq heures d'enregistrement Stéphane Oskeritzian va extraire, par sélection et montage, 24 séquences titrées (Générique sur fond rouge, Arrêt sur image, Musique de film, Ralenti, Fondu au noir, Flashback....). Le coproducteur-monteur écrit «Parler un peu le langage de Stephan, voir avec ses oreilles, regarder son clavier comme une caméra....». On pense, même si le propos est différent, à la manière dont Teo Macero assemblait les extraits des séances de Miles Davis avec la totale confiance de l'artiste. Difficile de décrire ce qui est avant tout une expérience d'écoute pour l'imaginaire, cette faculté qui génère des images, même dans l'obscurité. Une musique pour salles obscures en quelque sorte. Obscurité complète, écouter-voir, dans le noir absolu, il n'y a rien d'autre à faire que de guetter le rêve, éveillé, de cette équipe de doux dingues. Le bonheur sera total, même quand la lumière reviendra, après 45 minutes et 3 secondes d'images mentales.
Xavier Prévost
Stephan Oliva jouera son programme « Vaguement Godard », issu du disque éponyme, le samedi 10 mars à 16h, à la Grande Passerelle de Saint Malo, dans le cadre du festival 'Jazz à l'Étage'
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