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11 février 2016 4 11 /02 /février /2016 09:09
BAPTISTE HERBIN « Interférences »

Baptiste Herbin (saxophones alto, ténor & soprano, valiha), Renaud Gensane (trompette & bugle), Maxime Fougères (guitare), Sylvain Romano (contrebasse), Benjamin Henocq (batterie)

Invités : Pierre de Bethmann (pianos acoustique & électrique), André Ceccarelli (batterie), Dolly Ratefinjanahary (voix)

Meudon, septembre 2014

Just Looking Productions JLP 12 / Harmonia Mundi

Pour son second disque en leader, Baptiste Herbin a choisi pour la plupart des plages la formule du quintette avec guitare. La tradition (les traditions, celles des années 50 – 60, et plus si affinités) se trouve revisitée, exaltée, parfois restituée dans des standards de jazzmen (Monk, Jackie McLean, Jimmy Raney). L'esprit est celui du hard bop rénové dans les années 50 par des ambitions musicales nouvelles (tendance Gigi Gryce, Art Farmer....), et l'équipe rassemblée autour du saxophoniste en connaît un fameux rayon dans ce domaine. Il faut entendre dès la première plage les souffleurs qui soutiennent et relance de leur riffs un très aérien solo du guitariste. Au saxophone alto, Baptiste Herbin avoue l'influence parkérienne, tendance Phil Woods parfois. C'est fluide, maîtrisé, et l'association avec le trompettiste est exemplaire (l'échange en contrepoint improvisé sur My Friends). Sur une ballade, les phrases improvisées respirent, une citation de Laura permet de rebondir vers une autre idée. Côté batterie, Benjamin Henocq officie avec tact et souplesse, le rebond est toujours assuré, et sur quatre plages c'est André Ceccarelli, batteur du premier disque (« Brother Stoon », publié voici plus de 3 ans) qui donne la réplique, sans ostentation mais avec le souci de mettre en valeur un jeune musicien pour lequel il n'a pas caché son admiration. Le pianiste Pierre de Bethmann, également titulaire sur le premier CD, vient ici en renfort sur 3 plages, au piano acoustique, et aussi à l'historique Wurlitzer pour le thème conclusif, Interférences, où le discours musical dérive vers les seventies. La plage précédente, qui tenait lieu de prélude, était en solo, et c'est sans filet que Baptiste Herbin s'est lancé à l'assaut de Ask Me Know de Thelonious Monk : gonflé, et convaincant. Avant cela, c'est au soprano (et au ténor par la magie du réenregistrement) que le saxophoniste s'est évadé, sur un rythme des îles, et je suppose que c'est lui le flûtiste mystère dont le nom ne figure pas sur le CD.... Sur ce même titre il joue de surcroît de la valiha, une sorte de cithare malgache. Au soprano également, il a parcouru une belle ballade, progressivement rejoint par la guitare, puis par la basse et la batterie. Sylvain Romano tenait déjà la contrebasse dans le premier disque du saxophoniste, et il marque celui-ci par la force tranquille qu'il injecte dans chaque intervention. L'album culmine peut-être avec les références déclarées : Parker 51, de Jimmy Raney, concentré de bebop de la plus fine énergie, et là tout le monde s'en donne à cœur joie ; et aussi avec la double évocation de Jackie McLean, par la reprise de son thème Appointment in Ghana d'abord, puis par une ballade à lui dédiée (Renaud Gensane impérial au bugle). Maxime Fougères est comme toujours le partenaire idéal pour cette esthétique, et c'est un vrai plaisir que d'entendre ces jeunes musiciens (Baptiste Herbin et Renaud Gensane) qui, parallèlement au « métier » qui les conduit aux côtés de Charles Aznavour ou Christophe Maé, s'affirment comme d'authentiques jazzmen, comme avant eux Dédé Ceccarelli, ici présent, et beaucoup d'autres dans les générations qui les ont précédés.

Xavier Prévost

Baptiste Herbin jouera en quintette à Paris, au Sunside, les 19 & 20 février 2016, pour fêter la parution de ce disque.

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10 février 2016 3 10 /02 /février /2016 14:09
DANIEL SCHLÄPPI - MARC COPLAND « More Essentials »

Daniel Schläppi (contrebasse), Marc Copland (piano)

Zürich, 26 janvier 2014

Catwalk CW 150013-2 / Distrart Musique

Sous le label que le contrebassiste suisse partage avec le guitariste Tomas Sauter, voici le prolongement d'un opus publié en 2012 (« Essentials », Catwalk CW 120010-2 : voir la chronique de Sophie Chambon sur le site http://www.lesdnj.com/article-daniel-schlappi-et-marc-copland-110777699.html ). Le principe est le même : des duos entre-plagés d'improvisations qui introduisent, commentent ou environnent avec pertinence. Le duo est évidemment le cœur de l'objet. Il se déploie sur des standards (du jazz, beaucoup ; de Broadway, un peu). On ne peut contourner l'évocation du tropisme evansien : une reprise de Gloria's Step de Scott LaFaro ; All Of You, gravé comme le précédent par Bill Evans et Lafaro lors des mythiques sessions du Village Vanguard. Sans oublier Blue In Green, enregistré par Bill Evans avec Mile Davis, et repris par lui en trio.... avec LaFaro quelques mois plus tard. Hormis ces références explicites à la communauté Evans-LaFaro, le disque propose aussi une plage composée par Marc Copland, LST, dans laquelle l'interaction entre le piano et la contrebasse renvoie immanquablement à cette parenté. À quoi s'ajoutent d'autres répertoires absolument compatibles avec le tropisme initial : Estate, harmonisé dans l'esprit qui convient ; Rainy Night House, de Joni Mitchell ; et Yesterdays, pétri d'un recueillement qui ne peut qu'émouvoir. Comme pour révéler mieux encore la couleur dominante, et par contraste, deux plages issues du hard bop et du bop (Song For My Father, signé Horace Siver, et My Little Suede Shoes, de Charlie Parker), soulignent s'il en était besoin l'infinie musicalité de ce duo. De Marc Copland, on connaît le goût des nuances, des silences mesurés, des harmonies diaphanes. On doit aussi relever, chez Daniel Schläppi, outre une maîtrise instrumentale peu commune (surtout chez un musicien dont la principale activité est d'enseigner l'histoire à l'université....), un sens du dialogue et de l'écoute qui fait merveille dans ce duo. Magnifique, sans aucun doute !

Xavier Prévost

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10 février 2016 3 10 /02 /février /2016 06:50
MONNIOT, CHEVILLON, VAILLANT : «  Free styles »

Live au Triton 2016
Christophe Monniot ( saxs), Bruno Chevillon (b), Franck Vaillant (dms)

Qu'on se le dise, Christophe Monniot est un très très grand. Vous vous souvenez de ce que nous disions, dans ces colonnes même de son précédent album( "Station Mir") et comment nous en étions restés esbaudis. Et bien voilà que Monniot nous refait le coup dans une séance enregistrée (fort bien ma foi) en live au Triton avec deux de ses complices et non des moindres, Bruno Chevillon et Franck Vaillant.
Si l'on dit d'un grand saxophoniste qu'il a son propre son, qu’il est reconnaissable entre milles, alors Christophe Monniot relève assurément de cette catégorie. De la trempe des Steve Coleman, des Antony Braxton ou même des Rudresh Mahantappa. Chez Christophe Monniot il n'est pas seulement question du flux, du flow ( comme sur ce free funky) mais de l'énergie de l'improvisation qui, toujours va puiser aux racines du jazz allant chercher des bouts de standards par-ci, par -là au gré du vent et du souffle impétueux. On jurerait que dans ses albums préférés qui figurent au pie de sa platine il y a autant de Benny Carter que d’Ornette Coleman et Thomas Chapin. Et c'est cela qui impressionne chez lui, cette façon de naviguer allègrement entre tous les jazz avec toujours cette formidable maîtrise du son. Immense je vous dis !
Il faut l'écouter sur Freething mackiemesser: absolument irrésistible. Si l'on n’ est pas toujours convaincus par les composition qui semblent parfois se chercher un peu à la façon de géniaux laborantins, il n’empêche que la musique tourne sacrément entre ces trois là. Toujours à l'affut des inventions sonores, des sons distordus, d‘incises délicates.
Libres comme l'air ces trois musiciens s’éclatent devant nos oreilles toujours en éveil.
Un pied communicatif.
Jean-Marc Gelin

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7 février 2016 7 07 /02 /février /2016 10:53
RAN BLAKE : «  Chabrol noir »


Impluse 2016
Ran Blake (p), Ricky Ford (ts), Dominique Eade (vc)

Après l’hommage sublime que Ran Blake avait rendu il y a deux ans à la chanteuse Chris Connor, le pianiste américain nous revient aujourd’hui avec une autre dédicace, celle au cinéma de Claude Chabrol.
Intitulé « Chabrol Noir », c’est logiquement du côté de la force obscure du cinéaste que le pianiste va puiser son inspiration. Moins en marchant sur les traces de Pierre Jansen que sur le propre terrain du pianiste américain. Véritable maître de l’improvisation et du suspens, Ran Blake y tourne autour de cette musique avec des airs de story teller inspiré et introspectif. Car le jeu de Ran Blake qui se situe entre le silence et résonances, a toujours su ménager ses effets et provoquer l’attente.
Que la note grave du fond du clavier résonne lentement et c’est aussitôt un chapelet de triolets venu du haut du piano qui vient aussitôt alléger le propos, comme un personnage insouciant se promenant au milieu des ténèbres.
Ran Blake est un pianiste inquiet et soucieux. Tourmenté aussi. Et l’évocation de Chabrol s’écoute alors ici comme une sorte d’invocation de son fantôme, comme une lecture poétique personnelle et très sombre de l’oeuvre du cinéaste.
Ricky Ford avec le son de son ténor âpre et puissant vient sur quelques morceaux raconter une autre histoire Chabrolienne d’une manière plus Ellingtonienne.

Album envoutant comme le sont toujours les albums du pianiste, « Chabrol noir » est une magnifique oeuvre d’appropriation à la limite de l’intime, au coeur d’un processus créatif dense, et toujours émouvant.

Jean-Marc Gelin

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6 février 2016 6 06 /02 /février /2016 09:01
MEDERIC COLLIGON  : «  MoOvies »

MEDERIC COLLIGON : « MoOvies »
Mederic Collignon ( cnt, vc), Emmanuel Harang (b), yvan Robillard (fder), Philippe Gleizes (dms), , ensemble Eutépé.
Just Looking 2016 - Dist. Harmonia Mundi


« De toutes façons c’était couru, il est un peu barré Méderic, non ? »

« Mais non, tu comprends pas. Médo c’est un comédien, un acteur de série B genre pantalon pat’ d’eph’, grosses ray ban et bagnoles genre Serpico,Manix, Starsky ou Bullitt. Alors tu penses, les thèmes de Lalo Schiffrin, de David Shire et de Quincy Jones, c’est carrément son truc. Sa came. Toute une époque j’te dis »

« Oui mais t’as vu ce qu’il en fait. Ecoute le thème de Money Runner. Son arrangement ça confine au génie. Fallait être couillu pour oser des trucs pareils. Ou alors, complètement barré, je le répète »

« T’as raison il assure avec ce truc genre « suite ». D’un côté il a l’air de respecter à mort les thèmes originaux et de l’autre il s’en empare pour les détourner façon puzzle »

« Comment ça ? »

« Ben un truc un peu hybride qui n’est pas vraiment du jazz et pas vraiment de la pop mais quand même un peu des deux. Un peu comme le fruit d’une touze ou King Crimson se retrouve dans le même pieu que Miles et les Floyds. Tu vois ce que je veux dire. Enfin bon le genre de plans qu’il aime »

« Oui, et aussi un gros gros travail sur le son »

« Oui mais pas que. Sur les arrangements aussi. Médo se transforme en vrai chef d’orchestre qui prend parfois des allures symphoniques. Et il ménage ses effets et le suspens des évolutions comme sur ce The Pellam's moving again blues. Cet album est ultra riche. Fucking rich album, comme dirait Harry ! Tiens d’ailleurs t’as qu’à te mettre au casque End title genre cigarette du flic vainqueur, tout cassé après la bagarre et déambulant dans les ruelles mouillées. Et il peut tout se permettre le Médo. Il joue du tambourin, il fait venir un ensemble de trompettes, le batteur joue de la guitare. Et tout cela fourmille de 20.000 petits trucs, de choses cachées, de revirement, de changements.
Et puis derrière t’as vu comme ça assure. C’est qui aux claviers ? »

« Yvan Robillard »

« Putain, comment il joue grave ! Encore un qu’est totalement parti, lui. Barré et génial »

« Yes , man ! Et Médo mine de rien. Lui chaque fois qu’il prend son biniou t’as l’impression qu’il déchire l’espace. Il y a du Miles dans son jeu mais aussi du Don Cherry ou encore parfois des trucs qui tranchent dans le vif comme chez les frères Markovic. Tu les connais ? »

« Oui. T’as raison il a carrément géré le Médo ! »

« Sauf parfois quand il chante. Il est là aussi génial. Quelle voix ! Mais ça serait bien qu’il a pose de temps en temps. Genre un peu moins trublion énervé. Médo a quand une belle chanson d'amoooouuuur »

« Moi je trouve ça terrible mais bon, chacun son truc. En tous cas dès qu’ils passent vers chez moi j’y vais ventre à terre. J’espère qu’ils y ajouteront le diffusion de quelques extraits »

« Carrement, moi aussi. Je louperai ça pour rien au monde. Médo je te le dis, si tu viens, j’annule tout ! »


Jean-marc Gelin

A écouter le 1er et 2 mars au Duc des Lombards et le 17 mars à Jazz à l’Etage à Rennes

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4 février 2016 4 04 /02 /février /2016 18:07
ARUÁN ORTIZ TRIO « Hidden Voices »

Aruán Ortiz (piano), Eric Revis (contrebasse), Gerald Cleaver (batterie) ; Arturo Stable & Enildo Rasúa (claves, sur une plage)

New York, 21 mars 2015

Intakt CD 258 / Orkhêstra

Le pianiste et compositeur cubain Aruán Ortiz s'est installé voici près de huit ans à Brooklyn, après un passage par l'Espagne. Il en avait profité pour enregistrer en trio pour le label catalan Fresh Sound (« Aruán Ortiz, Vol. 1 ». C'est donc le second CD en trio, après des enregistrements sous son nom en solo, en quartette, et une série de collaborations avec Steve Turre, Esperanza Spalding, le trompettiste Wallace Roney, et le frère d'icelui, le saxophoniste Antoine Roney. Plus encore que dans le précédent trio, le pianiste prend le parti résolu du jazz contemporain : cela commence entre cellule répétitive, sérialisme adouci et liberté tonale, une oreille vers Bartók et Stravinski, une autre vers Andrew Hill et Paul Bley, le tout avec une vraie pulsation de jazz, tendue, vibrante.... Aruán Ortiz signe une bonne part du répertoire, mais il fait aussi place à deux thèmes d'Ornette Coleman, condensés en une seule plage, et à Skippy, de Thelonious Monk, commué en un tourbillon d'improvisation ouverte. La circularité est l'un des ingrédients de ce disque, où les mouvements de rotation fonctionnent, à l'intérieur des improvisations, dans la construction des plages, et dans le mouvement même de l'ensemble du disque. Mais ces vortex (l'un des morceaux s'intitule Caribbean Vortex) n'engendrent nulle lassitude, car la variété des rebonds, des nuances, fait naître constamment de nouvelles sensations. Les sources cubaines ne sont pas absentes mais, comme les autres composantes, brassées dans des chaudrons inédits. Une impro collective, Joyful Noises, reflète aussi la joyeuse liberté qui s'empare du trio. On est ici en présence d'un pianiste qui, comme par exemple Vijay Iyer ou Craig Taborn (avec lesquels le batteur a joué), sait emmener le trio piano-basse-batterie vers un horizon rénové. À suivre donc, passionnément.

Xavier Prévost

Aruán Ortiz jouera en mars en Autriche, en Slovénie, aux Pays-Bas et en Belgique mais, à ma connaissance, pas en France....

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2 février 2016 2 02 /02 /février /2016 15:16
SHAULI EINAV QUARTET « Beam Me Up »

SHAULI EINAV QUARTET « Beam Me Up »

Shaui Einav (saxophones ténor & soprano), Paul Lay (piano, piano électrique), Florent Nisse (contrebasse), Gautier Garrigue (batterie), Pierre Durand (guitare, sur une plage)

Meudon, 4-5 juin 2015

Berthold Records BHT4730025 / DistrArt Musique

Le saxophoniste israélien, établi à Paris depuis quelques années, signe son quatrième disque, avec un quartette de choc : l'irremplaçable Paul Lay au piano, et un tandem rythmique de haut vol, qui est aussi celui du groupe Flash Pig : Florent Nisse à la contrebasse, et Gautier Garrigue à la batterie. Les trois premières plages empruntent aux Visions Fugitives de Prokofiev ses rythmes anguleux, ses dissonances, et quelques fragments mélodiques, pour les métamorphoser dans l'instant en un jazz d'audace et de vigueur. Le saxophone (le plus souvent ténor) mène la danse, s'évadant en volutes parfois rollinsiennes, mais le champ est souvent laissé, plus que libre, aux accompagnateurs, notamment au pianiste qui donne une fois encore l'indiscutable preuve de son art de sideman (car c'est un art singulier, même si Paul Lay brille aussi en leader avec ses propres groupes). Le thème titre de l'album, Beam Me Up, nous embarque, avec cette fois le piano électrique, dans un univers étrange et sinueux où chacun s'exprime richement dans le jeu collectif, par la magie de cette musique démocratique que l'on nomme jazz. Le disque paraît se conclure avec un quartette où la guitare de Pierre Durand a remplacé le piano : méandres encore, richement dessinés, sur des arpèges énigmatiques. Ce devrait être la fin, mais à 11'41'' de la plage 7, après presque huit minutes de silence numérique, surgit un cadeau, une plage fantôme, avec un standard, I Surrender Dear, qui paraît être un hommage indirect au saxophoniste Arnie Lawrence : en effet ce musicien new-yorkais (qui joua chez Duke Pearson, Chico Hamilton, Louie Bellson....) fut en Israël le professeur de Shauli Einav ; Arnie Lawrence avait été une sorte de disciple de Ben Webster, et cette interprétation du standard évoque une très belle version de Webster, en 1944, avec Johnny Guarnieri et Oscar Pettiford, sur un 78 tours Savoy. Bref le disque est une grande réussite, une œuvre riche et variée, où la marque de Shauli Einav se nourrit constamment du talent de ses partenaires, par la magie d'un jeu vraiment collectif.

Xavier Prévost

Le groupe est en concert le 5 février à Paris au Duc des Lombards

Un court extrait sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=9c-mk_pLd4k

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31 janvier 2016 7 31 /01 /janvier /2016 17:14
MAURO GARGANO : «  Suite for Battling Siki »

Mauro Gargano (cb, compo), Jason Palmer (tp), Rucardo Izquierdo (ts,ss), Manu Codjia (g), Jeff Ballard (dms), Adama Adepoju (comédien : narration), Frederic Pierrot (comédien : narration)

Mauro Gargano, le plus français des contrebassistes italiens (installé dans l’Hexagone depuis près de 20 ans), a roulé sa bosse avec le gratin du jazz. On le connaît aux côtés de Riccardo Del Fra, de Christophe Marguet ou de Daniel Humair.

Mais ce que l’on sait moins c’est que Mauro Gargano n’a pas que la passion des cordes de sa contrebasse. Il a aussi celle du ring. Celle de la boxe (qu’il pratique) et de ses inombrables fighting heroes.

A l’instar d’un Miles Davis qui jadis consacrait un album à Jack Johnson, Mauro Gargano dédie ici son album en forme de suite presque ellingtonienne à Battling Siki, premier champion du monde africain de l’histoire de la boxe.

C’est donc en 6 rounds et autant de compositions signées du contrebassiste que Mauro Gargano nous amène dans une véritable suite au gré des villes ayant marquée la vie, la carrière et la fin tragique du boxeur assassiné à New-York. La musique y est séquencée de textes écrits par Gargano en forme de dialogues/monologues du boxeur et de son entraîneur et narrés par deux comédiens.

Avec une formation de très haute volée, Mauro Gargano nous embarque avec des compositions absolument superbes entre univers Shorteriens ( Amsterdam qui évoque beaucoup le fameux quintet de Miles) ou plus post hard bop. Il y a aussi des plages de pure improvisation comme celle, saignante de Jason Palmer sur Jumping with Siki qui sonne ici comme une sorte déambulation urbaine. Où encore des moments d’émotion poignante comme sur Dublin, ville s’il en est importante dans la vie du boxeur.

La musique est riche tout comme sont riches les inspirations et les sons, électriques ou acoustiques qui marquent cet album qui s’écoute un peu comme il se lirait. Réalsé avec autant de soin que d'âme il se révèle passionnant de force évocatrice. Les solistes se surpassent et apportent une rare intelligence de jeu très équilibré. Où Jason Palmer scintille, brille un peu comme le héros fracassé de ce roman biographique. Où Manu Codjia apporte aussi une vraie puissance dramatique. Et où Mauro Gargano, sans jamais chercher à se mettre en valeur y est absolument impérial, sorte gardien du temple, arbitre des limites du ring.

Une vraie réussite. Un hommage qui ne tombe jamais dans le cliché d’un jazz upercut mais qui semble au contraire approcher au plus près la complexité du personnage qu’il nous raconte.

Jean-Marc Gelin

A écouter les 25 et 26 Février au Sunside à Paris

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27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 20:23
Maria  Laura Baccarini et Régis Huby : "Gaber, IO E LE COSE"

Gaber, IO E LE COSE

Abalone / L’autre Distribution

Textes et musiques : Giorgio Gaber et Sandro Luporini

Arrangements Régis Huby

Maria Laura Baccarini : voice

Régis Huby : Electroacoustic Tenor Violin, Electric Violin, Acoustic Violin & Effects

www.abaloneproductions.com

www.maud-subert-photographie.weebly.com

https://www.youtube.com/watch?v=lCN9o0i_T9k

https://www.youtube.com/watch?v=C96tAkQONvQ

Mon premier réflexe à l’écoute de cette voix que je connais et que j’aime, accompagnée simplement et pourtant sans facilité par un musicien tout seul, devenu homme-orchestre, metteur en scène, arrangeur, au violon, violon électrique et effets est de me laisser aller à la beauté de la musique, de la mélodie, de la « seule » musicalité des mots qui représentent les choses. Que sont ces « cose mentali » qui ont une autre signification pour celui qui réfléchit et s’engage?

Il existe une merveilleuse adéquation entre le sens et la forme du projet musical consacré au grand Giorgio Gaber, artiste connecté avec la culture française mais dont le talent ne s’est pas vraiment exporté. Giorgio Gaber, musicien, guitariste avait commencé dans la variété chic avec Adriano Celentano, tout en penchant vers le jazz. Comme souvent, vérité en deçà des Alpes...passe inaperçue au-delà, alors que nous sommes proches. Gaber défendait une certaine utopie, une vision du monde et de la société dans un langage intime, pas seulement beau et poétique mais fait de chair et de sang. Incarné. Les mots de Giorgio Gaber et de Sandro Luporini, son parolier, ami et compagnon d’écriture, expriment leurs « choses de la vie ». Un homme de gauche qui assumait des positions précises, sans jamais se laisser instrumentaliser, qui s’est fait critiquer pour cela sans doute. Sa génération a fait coexister un certain engagement, non dépourvu de légèreté. Il a commencé en jouant intelligemment de la variété, de façon subtile et ironique ; puis, il a changé de cap sous l’influence du Piccolo Teatro di Milano, a versé dans le Teatro Canzone.

La musique sert de mise en scène, soulignée par le travail considérable de Régis Huby. Avec un sens précieux des choses, il a su retrouver la mélodie épurée, l’esthétique simple de Gaber. La parole peut s’installer sur cette matière qui la sert. Car la méthode employée fut une relecture des textes par Maria Laura Baccarini, à haute voix, sans musique, qui n’est pas, du moins au départ, le fil conducteur de ce spectacle. ll fallait en faire autre chose, de ces mots, à partir d’une sélection courant sur une vaste production de plus de 30 ans.

De la voix, de la puissance, un cri qui ne heurte pas même quand elle hurle soudain « basta » dans « Il Luogo del Pensiero» où elle est accompagnée par des effets forts, vibrants, de pures merveilles électroniques. Je comprends bien qu’il s’agit d’une charge mais se pose la question de l’articulation entre musique et poésie : le rapport à une langue qui n’est pas maternelle, à la théâtralité d’une langue étrangère : sons et paroles, sons et sens, résonances ? Comment apprécier sans la magie du spectacle live, la richesse des textes réinventés, rejoués ainsi ?

Interprète, chanteuse autant que comédienne, Maria Laura Baccarini «préface» le spectacle, donnant les clés d’entrée pour comprendre le parcours de ce Gaber. Dans son écriture, il y a quelque chose de visionnaire comme dans le « Mi Fa Male Il Mondo ». Ce qui lui faisait mal, nous ne l’avons pas vu venir, entre autres ces désastreuses mutations de la finance. Quel sens de l’histoire ainsi racontée : « la fatigue de nos visages portant toutes ces blessures, marquées de toutes les batailles non livrées, la fatigue anticipée du visage de nos enfants, avec ce qu’ils ne vont pas trouver. »

Gaber était aussi un homme avec une sensibilité féminine qui savait analyser comment un homme et une femme « restent » ensemble pour suivre des codes fabriqués de toute pièce par la société. Dans « Il Dilemma», il est question d’une prison dans laquelle le couple s’enferme … les sentiments sont là, l’amour existe… mais rester ensemble toute une vie est «héroïque» : «il loro amore moriva come quello di tutti , come una cosa normale e ricorrente , perchè morire e far morire è un’antica usanza che suole aver la gente » soit « Leur amour mourait, comme meurt l’amour de tous... une chose normale et récurrente, car mourir et laisser mourir est coutumier chez les humains ».

Quelle beauté de cette langue italienne qui fait partie de mes racines bien que je ne la possède pas assez du moins, pour en comprendre toute la saveur. Rien des clichés, de ces « O » trop ouverts, dégueulant, qui m’ont un temps éloignéedes « canzonette », trop populaires. Paradoxal quand on aime l’opéra italien... on retrouve un peu de cette gouaille, de cette fureur théâtrale dans « l’Uomo Muore » : une mise en scène d’un rituel sauvage, scène apocalyptique où un réalisateur hystérique filme l’être humain que l’on brûle, avec un choeur antique et des percussions.

Alors il faut imaginer, se représenter la chanteuse dans sa blondeur-elle est tout sauf fragile, interpréter, avec sensibilité les chansons du Brel italien, qui donna sa version d’« i borghesi ». Gaber avait aussi d’autres références et son «Ingenuo» est par exemple un monologue inspiré des « Entretiens avec le professeur Y» de Céline. Quel vaste programme balayé par le répertoire de cet artiste.

Des cris de bête de scène rock dans le « Guardatemi Bene », une chanson des années quatre-vingt : l’histoire d’un jeune qui hurle sa colère, voulant attirer l’attention à tout prix. Il annonce qu’il est le miroir d’une «génération perdue» : «Regardez- vous, ce que vous êtes devenu». Mais quelle douceur sensuelle, irrésistible portée par un violon amoureux, dans la chanson suivante «L’illogica allegria». Seul, sur l’autoroute à l’aube, saisi soudain par la beauté du monde, accueillant un bonheur soudain, sans raison précise ( je n’y suis pour rien si ça arrive).

J’aime que Maria Laura Baccarini chante dans sa langue, même si elle maîtrise parfaitement l’américain de West Side Story (elle joua le rôle de mezzo soprano d’Anita), si elle aime et connaît parfaitement Stephen Sondheim. Je l’ai découvert pour ma part, dans La Nuit américaine, à l’Opéra Comique, un spectacle hommage de Lambert Wilson. Sans oublier la version personnelle de la chanteuse des « evergreen » de Cole Porter dans Furrow. A Cole Porter Songbook. Ou All around, le conte musical de Yann Apperry, la plupart de ses projets étant portés par son compagnon, l’arrangeur et violoniste Régis Huby.

Voilà un nouveau spectacle, fort et authentique, qui s’inscrit dans notre présent troublé. Alors, mon conseil, n’hésitez pas une seconde, s’il passe près de chez vous. Et programmateurs des scènes de musiques actuelles, n’oubliez pas ce projet réussi qui porte avec un recul de « pays éloigné », un regard des plus vifs sur notre quotidien.

Sophie Chambon

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27 janvier 2016 3 27 /01 /janvier /2016 15:46
JOCE MIENNIEL « Tilt »

Joce Mienniel (flûte, synthétiseur analogique, composition, direction), Guillaume Magne (guitare), Vincent Lafont (piano électrique), Sébastien Brun (batterie, traitements électroniques).

Paris, 9-11 février 2015

Drugstore Malone DM005 / www.drugstoremalone.com

L'amateur chenu (mais pas encore cacochyme) se souvient forcément que « Tilt » c'était, en 1957, le titre du premier disque en leader de Barney Wilen, qui allait avoir 20 ans quelques semaines après l'enregistrement. Pourquoi en parler à propos du disque de Joce Mienniel ? Parce qu'il y a chez l'un et l'autre cet humour pince-sans-rire, cette réserve chaleureuse, cette curiosité et ce goût prospectif qui font transgresser les frontières musicales. Mais quand le saxophoniste Barney Wilen était un faux dilettante très doué qui se fiait à son intuition musicale, Joce Mienniel a développé son don de flûtiste jusqu'au sommet de l'excellence académique, pour mieux s'en libérer ensuite ; et sa liberté se lit dans la pluralité de ses collaborations : multiples avec Sylvain Rifflet, récurrentes avec Jean-Marie Machado et l'O.N.J. de Daniel Yvinec, ponctuelles avec Jean Jacques Birgé, sans parler de ses participations aux univers de la chanson et de l'image. Mais toujours la curiosité et la passion dominent. Avec ce disque, le flûtiste cultive plus encore son goût pour les pas de côté : à la flûte (ou plutôt aux diverses flûtes) il adjoint le synthétiseur analogique, son autre passion musicale, pour élaborer un paysage musical aussi riche qu'inattendu. Le discours promotionnel qui accompagne l'objet met l'accent sur la citation de Cormac McCarthy (« Un noir à se crever le tympan à force d'écouter ») imprimée sur la pochette du CD, évoquant aussi l'outrenoir cher à Pierre Soulages ; et sur la prégnance des sonorités urbaines dans le langage musical employé. Pourtant on peut entendre aussi une autre musique, faite de grands espaces désolés, où la guitare de Guillaume Magne rappelle les étendues quasi désertiques magnifiées par Sergio Leone ou Wim Wenders, avec une longue réverbération « à l'ancienne » que ne désavouerait pas Marc Ribot dans ses moments nostalgiques.... La palette sonore du flûtiste paraît sans limite (un instant, on croirait entendre un shakuachi), et la construction de l'ensemble, en forme de suite à multiples tiroirs, force l'admiration par sa cohérence musicale autant que conceptuelle (et sans chercher lequel des multiples sens du mot tilt dans la langue anglaise oriente ce projet artistique....). Au confluent d'une foule d'univers musicaux, cette musique captive, au sens propre du terme, avec une liberté qui la relie, quoi qu'on en dise, au jazz.

Xavier Prévost

Le groupe est en concert le 27 janvier 2016 au Périscope de Lyon, le 28 au Fil de Saint-Étienne, et sera le 24 mars à la Dynamo de Pantin pour le festival Banlieues Bleues

Un avant-ouïr sur Youtube :

https://www.youtube.com/watch?v=CTZnpqTDr50

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