C’est l’un des derniers Mohicans (pas seulement à cause de sa célèbre coupe iroquois dans les années 50 ! ) de l’ « âge d’or » du jazz, au coté de quelques autres colossaux pionniers encore en activité qui, par exemple, ont, comme lui, joué et/ou enregistré avec l’Oiseau : Lee Konitz, Roy Haynes, Toots Thielemans, Paul Bley…. Influencé par Parker et Hawkins, troublé par Coltrane et Ayler, Sonny Rollins sera sollicité en 1981 par les Rolling Stones (“Tattoo You”) et jouera en 2010 Sonnymoon for two(“Road Shows vol.2”) en quartet avec… Ornette Coleman, de six mois son aîné !
Le 29 octobre (une quinzaine de jours avant son concert parisien à l’Olympia), le public du Colisée de Roubaix fit un triomphe à Sonny Rollins (81 ans), invité conjointement par les deux festivals Tourcoing Jazz et Jazz en Nord. Avec un quintette de tournée qui assure bien : deux percussionnistes véloces et propulsifs (Kobie Watkins, Sammy Figueroa), un guitariste plutôt routinier (Peter Bernstein) qui enfile les choruses quand il le faut, et, au centre, son bassiste le plus fidèle, au tempo impeccable, Bob Cranshaw (de retour à la contrebasse), qui aura bientôt 80 ans. La générosité de Sonny Rollins est intacte, tout comme demeurent splendides sa volumineuse sonorité et joyeux son lyrisme impétueux.
Certes, la démarche est moins assurée quand il traverse la scène et l’heure n’est plus aux longues introductions, le ténor n’est plus dressé en direction du zénith mais semble aimanté par la terre, à l’image de Coltrane, en pleine exaltation, à la fin de sa (courte) vie. Rollins incarne encore et toujours un certain jazz de combat et de fraternité, alors qu’il n’a (ô combien) plus rien à prouver. Un répertoire habité de pièces au tempo vif, de calypsos (dont l’indétrônable Don’t Stop The Carnival), de ballades (They Say It’s Wonderful…), il termine par Tenor Madnesset conclut, en rappel, avec Isn’t She Lovelyde Stevie Wonder. Standing ovation au Colisée de Roubaix.
Pour cette deuxième soirée du festival de la Villette, ce sont deux versions de l’art du piano jazz qui nous étaient offertes. Et lorsque l’on dit « deux versions », il s’agit bien de deux styles carrément, radicalement, fondamentalement opposés qui se succédaient hier soir sur la scène de la Cité de la Musique à Paris.
En première partie, le pianiste Yaron Herman se livrait seul à l’exercice de l’improvisation totale qu’il affectionne. Reprenant quelques-uns de ses titres enregistrés, surfant sur un All the Things youare, déstructurant Radiohead ou quelques morceaux traditionnels et finissant par un Hallelujah de Leonard Cohen. A l’écoute de cette première partie de 45mn, Yaron Herman montrait une virtuosité impressionnante, un peu débarrassé de ses penchants Jarretien. Un éventail de son savoir-faire impressionnant, voire bluffant voire même un peu trop lorsque le pianiste utilise le bois de son instrument comme caisse rythmique. Le pianiste trentenaire jouait souvet vite, souvent dans le forte et souvent dans le grave de son piano, dévalant le clavier au gré de ses fantaisies d’improvisations, des idées qui lui arrivent aussi rapide que l’éclair évoquant une sorte de tumulte intérieur, multipliant les jeux en block chords et les virtuosités. Au point que , me retournant vers mon voisin je lui demandais à un moment «mais après quoi cours Yaron Herman » ?
Question qui depuis longtemps ne hante plus le vieux sage de 77 ans, Abdullah Ibrahim qui offrait dans la deuxième partie tout l’opposé, avec son trio (si rare en France) composé de Belden Bullock à la contrebasse et de George Gray à la batterie. Ici, point de course avec le temps mais au contraire une suspension de celui-ci. Un peu comme le murmure des anges. Il s’entend pour celui qui sait l’écouter, dans une délicatesse du son qui oblige parfois à tendre l’oreille. Le public est à l’unisson de cette concentration. Où il est avant tout question de feeling et de poésie dans ce concert envisagé comme toujours par le pianiste, d’une seule traite,un peu comme celui qu’il nous avait offert il y a quelques annéesdans cette même salle de la Cité de la Musique. Ici il est en trio. Trois musiciens qui s’écoutent dans une concentration et une maîtrise de leurs gestes qui touche à l’art zen. Le pianiste caresse l’ivoire de son clavier, revient sans arrêt sur Blue Bolerocomme le fil rouge de son concert qui divague entre les thèmes de son répertoire choisis au hasard au bout de ses doigts. Son piano semble porté alors par le vent de hauts plateaux. Et c’est un pur moment de grâce et de spiritualité qui met La Villette en lévitation.
Bar Kokhba : Joe Baron (b) - Greg Cohen (cb) - Marc Ribot (g) - Marc Feldman (v) - Erik Friedlander (c) - Cyro Baptista (perc)
Masada Sextet : Joe Baron (b) - Greg Cohen (cb) - Dave Douglas (t) - John Zorn (as) - Uri Caine (p) - Cyro Baptista (perc)
Excentré au sud d’Anvers, le parc de Middelheim qui abrite des sculptures de grands maîtres, accueille depuis déjà trente ans, le festival Jazz Middelheim. De grands arbres centenaires trônent fièrement derrière une veille bâtisse aux allures de petit pavillon versaillais. Derrière ce bâtiment, un grand chapiteau rose recouvre la scène. Tout autour, des baraques à frites, des stands de bière, de vin, de saucisses et autres fricadelles. L’atmosphère est bonne enfant et le public se réjouit à l’avance de la soirée qui l’attend.
11 années après la sortie du Live in Middelheim, incontournable disque du quartet de Masada, le festival a choisi de programmer cette année une soirée entièrement dédiée à l’œuvre de John Zorn: « Book of Angels » interprété par 4 formations différentes. Début des festivités à 17H30, la soirée promet d’être longue. En ouverture, Uri Caine offre comme mise en bouche 20 minutes de piano solo sous le regard attentif de Zorn, à demi caché derrière la scène. Grand pianiste improvisateur, avec puissance et intensité, il revisite avec brio les compositions de Zorn.
La féminité a eu sa place dans la soirée avec le Quatuor Mycale. Quatre chanteuses (Ayelet Rose Gottlieb, Sofia Rei Koutsovitis, Basya Schecter et Malika Zarra) originaires d’Amérique du Nord, du Sud, d’Afrique et du Moyen Orient interprètent à leur tour a capella le livre des Anges avec des chants en arabe, en yiddish, en français et en espagnol. Entièrement séduit et conquis par ce quatuor, le public est sorti de ces 40 minutes de concert sous le charme de la grâce et de la beauté.
Un entracte de 45 minutes a permis non seulement aux backliners d’installer la scène, mais surtout de laisser le temps aux spectateurs d’étancher leur soif. Rappelons que nous sommes en Belgique, pays où la bonne bière coule à flots. Sans faire une étude poussée sur le consommateur de bière type, la seule vue de la queue des toilettes « hommes » comparée à celles des « femmes », à l’entracte, m’a confortée dans l’idée que la bière, belge ou pas est une boisson d’homme.
Après une présentation au micro de chaque musicien qui compose Bar Kokhba (Marc Ribot et Joey Baron gagnent largement la première place à l’applaudimètre), le sextet à cordes dirigé de main de maître par John Zorn, interprète le chapitre Luciferdu Masada Book. Envolées de violon et de violoncelles, percussions brésiliennes au milieu des ces mélodies aux accents Klezmer, le moment est magique. Je ne pourrai m’empêcher de souligner la magnifique version de Kisofimqui laisse à Marc Ribot tout l’espace pour nous transporter au son de sa Gretsch ... un autre moment de grâce ! Malgré ce festival de notes, un bémol tout de même : le choix de l’ingénieur du son façade qui a mis un peu trop en avant le son de la guitare rendant inévitablement violon et violoncelle trop lointains … dommage connaissant les talents de Mark Feldman et Erik Friedlander ...
Enfin, la soirée sous le chapiteau de Middelheim s’achève par le très attendu Masada Sextet. Après la première apparition du Sextet en 2008 sous le chapiteau de Marciac, le concert se devait d’être au moins aussi réussi. Leur temps de jeu était plus court et 3 ans après, le répertoire est rôdé. Les morceaux s’enchaînent, plus de courte pause où le saxophoniste cherche dans ses partitions. Les « standards » du Quartet sont présents, Beeroth (ou le morceau de Joe Baron), Kedushah (ou le morceau de Greg Cohen), mais aussi les morceaux du disque Stolassorti en 2009. Les échanges entre le génial Dave Douglas et le saxophoniste sont plus rares, mais lorsqu’ils ont eu lieu, c’est la magie de Masada qui a opéré. J’attribue sans hésiter une mention spéciale à Uri Caine qui a su prend sa place dans cette formation et apporter son génie afin de valoriser et de donner encore plus de relief aux compositions de Zorn.
Pas de répit pour les happy few, puisque John Zorn enchainait sa soirée avec un concert d’orgue inédit dans l’église protestante ‘De Olijfberg’ d’Anvers. La configuration est surprenante : c’est le cœur de l’église qui a été pris d’assaut par les spectateurs les plus passionnés. En haut, surgit le musicien, caché sous la capuche de son éternel sweat shirt. Pendant 40 minutes, il se donne à l’orgue en passant par des mélodies douces comme on en trouve dans ses Filmworkspuis se laisse aller à une musique plus tapageuse digne de Naked City, Moonshildou Hemophiliac. Si le concept ne manquait pas d’originalité et était une expérience à vivre pour ses fans, il n’en demeure pas moins que, sur le plan musical, sa première prestation dans le parc était plus convaincante et pourtant, la rumeur laissait entendre … qu’il ne jouerait plus.
Jeudi 21 Avril 2011 - Cecil TAYLOR à la Cité de la Musique
Hier soir, la Cité de la Musique accueillait le pianiste Cecil Taylor, une des figures de proue du Free Jazz et Amiri Baraka, poète, auteur et activiste ayant participé au mouvement nationaliste noir des années 60.
Ce soir là, la salle n’est pas remplie. On connaît la Cité de la Musique pour sa ponctualité, pourtant à 20H22 le concert n’a pas encore commencé.
Le public s’impatiente quand à 20h25 entre en scène Amiri Baraka. Il lance un « bonsoir » retenu puis enchaîne avec un « Go out of Libya ! ». En un pamphlet de 40 minutes, le poète raconte tour à tour les dérives du monde occidental, la gouvernance de Georges W Bush, la politique de Netanyahou, l’oppression des peuples, le complexe de supériorité des peuples colonisateurs, et toutes les dérives de l’humanité.
C’est la même colère qu’Amiri Baraka exprime depuis les années soixante. Puis, suivent quelques poèmes où l’artiste crie cette éternelle révolte avant de quitter la scène nous laissant sa propre réflexion.
Après 15 minutes de pause, Cecil Taylor arrive enfin, tout de blanc vêtu, se pressant sur son piano où il joue une note avec l’intensité qui va donner le ton au reste du concert. Tout à coup l’espace est occupé par les notes vibrantes du piano. Le musicien nous entraîne dans son univers, en variant sans cesse le ton avec une force et une énergie débordante. Après ¾ d’heure de jeu, il fait mine de partir puis se ravise et se lance dans un nouveau morceau pour notre plus grand plaisir … et recommence le même scénario trois fois …
De cette rencontre, cependant, on s’attendait à un échange entre ces deux grandes figures de la culture Afro-Américaine des sixties ce qui ne s’est pas produit.
On retiendra de ce concert un Cecil Taylor en grande forme, généreux, créatif et définitivement virtuose.
Ce soir là, le public, composé de jeunes et de moins jeunes, aura partagé une partie de l’Histoire du Jazz.
A retrouver sur Live Web ARTE, ce concert donné par Jacques Schwarz Bart dans le cadre de Banlieues Bleues.
Le saxophoniste guadeloupéen poursuit ici son travail de tissage minutieux des fils et des trames du gwo Ka et des musiques haitiennes.
Concert fort, intense résonnant d'une terrible et belle humanité et magnifiquement filmé (avec entre autres aux manettes Lionel Eskenazi notre collègue et chroniqueur des DNJ)
Décidemment le festival SON D’HIVER est, avec Banlieues Bleues l’une des scènes les plus passionnantes parmi les festivals « alternatifs ». Où il est possible de voir et d’entendre des musiciens trop rares en France, en dehors de toute actualité promotionnelle et qu’il serait impossible d’entendre ailleurs.
Hier soir, Théâtre Jean Vilar Vitry, 1ère partie de Steve Coleman, le duo légéndaire du trompettiste Wadada Leo Smith avec le batteur-percussioniste-bruitiste-poète Günter « Baby » Sommer. Moment exceptionnel, art furtif et éphémère de l’improvisation où les deux artistes façonnent chacun à leur manière l’espace musical. Tous les deux, presque autistes dans leur posture mais en réalité dans une incroyable écoute-interaction avec l’autre. Smith presque prostré dans une attitude (altitude) Milesienne joue l’épure, la résonance et le fil du son aux accroches protéiformes. L’autre Sommer s’y fait prolixe, sorte de déesse Shiva aux milles bras, virevoltant, caressant frôlant, roulant, battant tout, l’air et les tambours, les marteaux et les balais de paille. L’un est le relief de l’autre et réciproquement. Et cette musique à la limite conceptuelle tant y règne l’improvisation s’y fait absolument passionnante, captivante d’un bout à l’autre.
Par chance ce moment fut capté par Arte Live Web et sera bientôt en ligne sur le site.
Ceux qui n’étaient pas là avaient peut être un peu tort. La rediffussion de ce moment de grâce est assurément immanquable !
Le joli Théâtre municipal de Nevers est en phase de rénovation active, pour plusieurs années. Habitué depuis plusieurs années à irriguer la ville dans différents espaces comme le Pac des Ouches, l’Auditorium Jean Jaurès, le Café Charbon, le festival a dû déplacer à la Maison de la Culture les « grands concerts » qui se tenaient habituellement au théâtre, en tentant de tenir compte de la jauge beaucoup plus importante de cette dernière. Et le public a une fois encore témoigné de sa fidélité. Une constatation, d’abord : le jazz aujourd’hui ne cesse de rendre des hommages à des anciens, de surcroît venus le plus souvent du monde du « rock ». Ce qui est le signe, me semble-t-il, d’une certaine dégénérescence de la création musicale et d’une grave crise du « jazz ». Ainsi l’O.n.j.de Daniel Yvinectémoigne de son admiration pour l’univers de Robert Wyatt, le Z’tettde Bernard Stuberpour celui de Zappa, le trio de Jef Lee Johnsonest dans l’ombre de Dylan, Marc Démereaulance une ode à Gato Barbieri et Das Kapitals’empare du répertoire d’Hanns Eisler. Mais dans ce cas, convenons-en, la démarche est radicalement différente. Ce trio réunissant Daniel Erdmann, Hasse Poulssenet Edward Perraudest un groupe d’impro qui soutient ici la gageure de jouer des chansons, tout en conservant son identité propre. Eisler était un compositeur allemand (1898-1962), élève de Schönberg, soucieux de marier les musiques populaire et savante, qui a écrit avec Bertold Brecht dans les cruciales années 30-40 de nombreux chants de lutte, comme Einheitsfrontlied(que Charlie Haden a intégré au programme de son premier Liberation Music Orchestra). La profonde originalité de leur projet est de réussir à jeter un pont entre ce répertoire particulier de chansons politiques aux parfums de cabaret berlinois à leurs volcaniques saillies improvisées. Hotelzimmeren calypso, l’intensité dramatique de la ballade Die Moorsoldatenet Solidaritätsliedsur rythme de marche furieuse sont quelques unes des perles des interprétations de ce répertoire « habité » et lyrique, qui trouve d’étranges résonances aujourd’hui. « Puissent ces morceaux vous donner le courage de combattre notre société injuste », lança Edward Perraud au public en fin de concert. Pour sa part, le trio de Marc Ducretavec Bruno Chevillonet Éric Echampardcompte l’air de rien quinze années au compteur. On parle généralement, dans le cas d’une telle longévité, de sagesse et de sérénité. Ce qui n’est nullement le cas pour ces mousquetaires sans cesse engagés dans un corps à corps très physique au sein de ce laboratoire d’expérimentation en constante évolution. De ces échanges brillants, tout le monde en sort groggy, le public et les musiciens. Leur trio demeure un ovni dans la jazzosphère hexagonale. A l’opposé, la démarche foncièrement écologique du père et du fils Gibert, Alain(tb) et Clément(bcl) au sein de Kif Kif, est une sorte de merveilleux repas familial à la campagne, autour d’un canon de rouge, où l’on parle d’Auvergne et de bourrée, de Pannonica, de Fauré, de Maurice Merle et de la Descendance de l’homme. Une musique faite à la main où l’on reconnaît la patte d’un arrangeur délicat.
Difficile d’être entièrement satisfait par le trio de métissage post-moderne constitué de l’accordéoniste Luciano Biondini, du violoncelliste Ernst Reijsegeret du tubiste (serpentiste et bassiste) Michel Godard. D’abord, Reijseger n’a pas un très beau son (c’est sans doute la faute à l’ampli) et il en fait trop dans l’animation de salle, au détriment de la musique pure. Et puis Godard n’en fait pas assez (me semble-t-il), donnant l’impression d’avoir du mal à trouver sa place, avec ses trois instruments, ce soir-là. Reste le lyrisme de l’accordéoniste italien et son attirance atavique pour la mélodie et les musiques méditerranéennes. Depuis ses nombreuses apparitions au coté de Denis Colin et de beaucoup d’autres, au sein de NOHC et Wormholes, j’étais curieux d’entendre Didier Petitdans un concert solo « préparé » au violoncelle, c’est-à-dire non (totalement) improvisé, largement pavé de mélodies, de « ritounecelle » et autres « interludes rituels », réunis en suites. C’est évidemment le violoncelle qui est au cœur de ce programme « Don’t Explain » — désacralisé et « désaristocratisé », frotté, pincé et percuté, presque érotisé — mis en scène dans des mélodies d’un impétueux lyrisme et, si je suis moins fan de l’utilisation de la voix, l’ensemble a l’allure d’un voyage intérieur où l’auditeur se laisse guider, concluant par une version particulièrement émue de la chanson de Billie. Médéric Collignon avait une sciatique et ne pouvait être présent pour le spectacle « L’instrument à pression » de David Lescot, autour de la trompette comme on l’aura deviné. Il a fallu que ses complices Jacques Bonnaffé(jeu, tp), Odja Llorca(chant, jeu) et Lescot (tp, jeu) inventent quelque chose, autre chose, au pied levé. Ils décidèrent d’inviter Bernard Lubat, étonnant de pertinence et de discrétion au piano, et d’improviser, reprenant ici et là des éléments du spectacle et laissant l’immense Bonnaffé prendre possession de la scène et s’occuper de l’opération de sauvetage. Du grand art. Qu’écrire sur le trio Arco, mis sur pied par Claude Tchamitchian(b) avec Guillaume Roy(alto) et Vincent Courtois(cello) ? Cette association d’instrumentistes hors pair, en situation totalement acoustique, frôle les cimes dans leurs entrelacs fragiles et passionnés de textures abstraites et de grooves, dans la plus grande concentration et une envoûtante qualité de son.L
Le sommet incontestable du festival aura été pour moi le concert du quartet Sylvie Courvoisier/Mark Feldman, pourtant prétendument difficile, intello ou anti-jazz pour certains, autour des compositions aux structures ouvertes des deux leaders. On avait déjà pu les entendre avec bonheur en duo sur des scènes françaises, mais leur choix de s’entourer ici de Thomas Morgan(b) et de Gerry Hemingway(dm) contribuait à élever encore davantage l’entreprise. Le contrebassiste, un inconnu pour moi, n’affiche pas une éloquence folle mais choisit précisément ses notes, avec un son très boisé et peu amplifié, et un tempo suggéré en communion totale avec le batteur, lui aussi délicat et d’une belle discrétion (un solo magnifique). Cette manière de laisser deviner le tempo (dans la tradition d’un Paul Motian), sans le marquer arithmétiquement, est l’apanage des jazz(wo)men qui ont su tirer les héritages du free et de l’improvisation libre. Et la grande force du quartette est justement de concilier la richesse d’une certaine musique savante occidentale (Feldman tout à fait passionnant d’inspiration et de légèreté au violon ce soir-là) et les libertés rythmiques, l’ouverture à tous les possibles, de l’improvisation. Il était alors difficile, selon moi, d’entendre le trio du pianiste Yaron Hermanleur succéder sur la scène, pas tellement le pianiste lui-même du reste, mais plutôt ses deux rythmiciens dont on ne retint que la rigidité. Quant au Quatuor Manfred, qui intervenait de temps en temps derrière le trio, ainsi que l’invité de dernière heure, le trompettiste Ambrose Akinmusire, ils ne m’ont pas semblé essentiels dans cette histoire. On ne peut pas ne pas évoquer le trio du contrebassiste Arild Andersen(lui-même hyper amplifié avec racks d’effets à ses cotés, la parfaite antithèse de Thomas Morgan) avec le saxophoniste Tommy Smith(au son de ténor, quelque part entre Michael Brecker et Jan Garbarek, totalement désuet), seul le percussionniste Paolo Vinaccias’en sort honorablement. La dernière soirée était assurée par un grand orchestre français et un quintet de jazz américain. Le Surnatural Orchestra(dix-neuf musiciens) affiche ouvertement un plaisir de jouer et une gourmandise de s’amuser qui constituent déjà un atout. Alternant avec fougue compositions très précisément structurées, séquences de conduction (ou sound painting), plages entièrement dévolues à l’improvisation libre, son instrumentation singulière (deux flûtes, deux soubassophones, un clavier avec effets s’ajoutent à la structure du big band traditionnel) permet d’introduire non sans humour certaines combinaisons sonores insolites et de présenter un répertoire original et hétérogène tout à fait réjouissant. Présenté comme le « jeune lion » de la trompette de jazz, Roy Hargroveenflamma avec son quintet néo hard bop le public de la Maison de la culture, ravi de la conclusion de cette 24e édition du festival. Sans ouvrir une nouvelle fois le débat de la légitimité créative de la reprise de cette forme ancienne (le hard bop) en plein 21e siècle, je me contenterai de louer les qualités du saxophoniste Justin Robinson, ballotté dans son envie de jouer par les coups d’œil incisifs de son leader. Vivement les 25e rencontres D’Jazz de Nevers.
JAZZYCOLORS : Benzine & Soo-Bin Park au Centre Culturel de Serbie
Le 22 novembre 2010
Magnifique soirée hier soir au Centre Culturel de Serbie dans le cadre du multicolore festival de jazz de paris, Jazzycolors qui réunit dans les différents centre culturels de la capitale des formations issues du monde entier.
Hier soir se tenait une rencontre franco-Coréenne sous l’égide du batteur Franck Vaillant et de son groupe, Benzine avec la chanteuse coréenne Soo-Bin Park. Rencontre étonnante s’il en est mariant le jazz et le rock des plus modernes à la tradition du chant Pansori et des rythmes Samulnori.
Contraste et surtout véritable fusion entre ces deux univers sous l’emprise d’une polyrythmie où l’étonnant Franck Vaillant mêle sa batterie Heavy et fourmillante d’idées et de sons aux scansions étonnante des tambours. L’ensemble se développant sur les effluves superbes d’un Stéphane Payen plus « Steve Colemanien » que jamais, charmeur et félin à la fois. Jozef Dumoulin au fender et Jean-Luc Lher posent leurs nappes lunaires sur cette musique décidémment bien étonnante.
La transe s’installe, portée par la voix grave et parfois caverneuse de la chanteuse décidemment étonnante dans ce rôle de feu follet qui distribue à tout le groupe une sorte d’influx un peu tribal et d’énergie galvanisante. Franck Vaillant impose sa présence incroyable, véritable créateur en mouvement, imaginatif et prolixe, improvisateur et artificier à la fois.
Au final une soirée superbe et srtout une rare découverte que ce groupe qui n’aurait pas pu mieux illustrer combien l’avenir du jazz est bien dans la rencontre et la fusion des cultures. Preuve ici éclatante. ON ne pouivait rêver mieux que Jazzycolor pour la témoigner.
Musique très écrite, (trop bien peut être) sans pour être autant novatrice, agrémentée de solis brillants (trop aussi?), le Matthew Herbert Big band étonne autant par sa musique que par la mise en scène. Humour décalé oblige, l'anglais Herbert prend un malin plaisir à destructurer, saboter la musique parfaitement exécutée de son big band. Par exemple, tous les musiciens du big band s'emparent d'un exemplaire du figaro du jour et le chiffonnent, le lisent à l'envers (vous savez... lire le français chez les anglais, c'est un peu comme parler l'anglais chez les français. Comme disait John lennon: "le rock français, c'est comme le vin anglais"; 1 partout quoi).
Puis, ils le découpent en morceaux, lancent des pages en lambeaux et s'esclaffent. Herbert ne joue d'aucun instrument connu. Son travail consiste à enregistrer à la volée ce que joue son band et colle par dessus des samples bruitistes ou rythmiques drum'n"bass. festif et jubilatoire, Herbert est dans la provoc' avec l'aide de sa chanteuse d'origine africaine qui se fout du protocole broadway, très anglais pour le coup, et de l'ambiance latine désuète que cherche par moments à nous faire goûter le band.
L'improvisation du big band réside dans le travail de traficotage exécuté par Herbert: sons décomposés, voix démultipliées, trombones éléphantesques, extraits de sax et trip-hop. Mise à part la musique, amusante avec cette déstructuration parfois déroutante, c'est le message. Sur une ballade mélancolique et émouvante, Herbert ajoute un bip, répété de manière continue, qui devient obsédant et anxiogène puisque chacun de ces bips représente 100 personnes mortes en Irak entre 2003 et 2006. Le morceau dure près de dix minutes et on pourrait laisser ce bip encore 10 minutes, dixit le traficoteur en chef. D'autres messages sont aussi lancés un peu comme une bouteille à la mer, car on a du mal à les décrypter alors que les inteprétations restent nombreuses: les musiciens mettent un sac sur la tête et ... puis c'est tout.
Le concert de Dhafer Youssef avec Tigran Hamasyan et Marc Giulliani a bénéficié d'un son totalement exceptionnel dans le Théatre municipal de Coutances pour une musique décevante. Coup de coeur du festival, c'est un peu pour cela que nous sommes allés voir ce trio qui "envoie". Mais la beauté attendue s'est fait discrète et se noie dans la performance absolue, certes enthousiasmante pour le public, des trois artistes qui s'oublient un peu. Le hic!
Entouré, entre autres, de Thomas Savy (cl) et Raphaël Imbert (sax), le trompettiste propose une suite intitulée "E.C.H.O.E.S.". Si la géométrie du groupe de Leloil est fixe, sa musique est à dimensions variables. En effet, et c'est bien là l'intérêt principal de cette oeuvre, la suite qui dure un peu plus d'une heure permet de part sa structure une densité évolutive, des soli guidés par l'humeur des interprètes, une musique changeante qui vit au fur et à mesure des interprétations. C'est peut être là la révolution du jazz de demain qui satisfera la nécessité excessive des programmations qui se doivent d'être innovantes et créatives en permanence. Avec Leloil, vous avez toujours le même groupe, le même projet mais pas la même musique.
Une découverte qui n'en est pas une: le trio d'Emmanuel Bex qui rappelle le trio BFG avec Simon Goubert et Glenn Ferris au trombone. Ferris a laissé place au saxophoniste italien Franceso Bearzatti, très expansif, autour d'un Bex très en forme sur le plan musical avec le sourire aux lèvres. La musique était simple, sans fioritures, avec l'envie de donner le meilleur des compositions de Bex et de procurer un véritable plaisir du son.
Fidèle à son humeur sympathique et au fort succès de sa musique métissée et intelligente, Denis Colin et ses Arpenteurs ont donné un concert au plaisir manifeste qui a enchanté son public. Un grand moment de musique et un très beau souvenir.
Ce trompettiste, qu'on a vu au North Sea Jazz festival en juillet dernier, est doué.
Que ce soit avec son trio (tp, cl, acc) ou avec ce quartet, il offre des prestations musicales aux ambiances variées et aux formats inhabituels. Ce soià là au Magc Mirror de Coutances, salle nomade, il explore les trèfonds de notre âme groove et électro. Sa musique voyage au plus profond de nos sensations,: groove inexploré, sonorités cachés, résonance transcendée. Sa trompette trafiquée se mélange aux claviers électrisés et légèrement électro, aux rythmiques jungle. Tout se mélange et se confond pour prendre la forme d'un bonbon qui explose en bouche. Un moment superbe de musique inspirée qui vous reste en mémoire longtemps.
Pour conclure sur cette édition 2010 du festival de Coutances, dont nous présentons qu'un petit florilège, il nous est apparu une programmation variée et malicieuse alternant grosses formations, soli (Malouf, Thuillier, Llado), petites formations aux ambiances firieusement opposes. Pour finir dans une ambiance de fous avec l'acid-jazz de l'excellent groupe de James Morton à la Cave des Unelles. Mortel!