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6 août 2023 7 06 /08 /août /2023 18:36
31 ème édition du Tremplin Jazz d'Avignon au Cloître des Carmes (3 et 4 août)
Grand Prix du Jury  Cosmic Key  ( Delphine DEAU et Axel NOUVEAU)

Grand Prix du Jury Cosmic Key ( Delphine DEAU et Axel NOUVEAU)

Prix du Public    Hugo Diaz Quartet

Prix du Public Hugo Diaz Quartet

Prix de composition   Mojo Jojo Quartet  (Emanuel Van Mieghem)

Prix de composition Mojo Jojo Quartet (Emanuel Van Mieghem)

Prix du Meilleur Instrumentiste  DUO A + B  ( Simon Riou et Sebastian Sarasa )

Prix du Meilleur Instrumentiste DUO A + B ( Simon Riou et Sebastian Sarasa )

 

31 ème édition du Tremplin Jazz d'Avignon

Jeudi 3 et vendredi 4 août 2023, Cloître des Carmes.

www.tremplinjazzavignon.fr

 

Un rendez-vous annuel incontournable (pour moi) qui présente l’originalité d’un festival et d’un tremplin européen.

Début du mois d'août. Les murs grattent leurs peaux d’affiches, la ville tente de revenir à elle-même après le marathon théâtral de juillet. Avignon est alors une destination jazz tout indiquée.

Après la première soirée gratuite au Square Agricol Perdiguier avec les Yellbows, un quartet New Orleans, commence le Tremplin européen pour deux soirées très suivies par un public local, fidèle et ouvert au jazz. D'où un Prix du Public, très attendu qui, certaines années, rejoint le choix du jury . Public et jury partagent ainsi convivialement ce qui traverse le paysage musical de ces soirées estivales provençales, lieu d’ouvertures, de passages, toutes frontières abolies…

Retour donc au cloître des Carmes pour suivre l'aventure de ce concours initié en 1992 par des passionnés de musiques, Michel Eymenier, Jean Paul Ricard, fondateur de l’AJMI, la scène locale de jazz et Alain Pasquier. Le concours a commencé dans le quartier difficile de la Barbière puis dans le square Agricol Perdiguier avant de se fixer aux Carmes. Plus largement reconnu depuis 2000 qui consacra Avignon «Ville européenne de la Culture », le Tremplin Jazz s’est étoffé, le concours européen s’insérant dans un festival de Jazz.

Le Tremplin c’est aussi une équipe épatante de bénévoles qui se déploient sur tous les fronts, catering, technique, chauffeurs, photographes. Tous fidèles et depuis longtemps, en dépit des fragilités inhérentes aux associations organisatrices d'événements, dépendantes de subventions et de la générosité de mécènes. S’il est une chose qui ne change pas, c’est la qualité de l’accueil de cette belle équipe qui, avec le temps a su surmonter le difficile exercice de gestion de groupe.

La vocation du Tremplin est d'aider à l'émergence de groupes pré-sélectionnés qui pourront mettre à profit cette expérience unique, jouer sur cette scène rêvée, à l'acoustique exceptionnelle. L’un des atouts du tremplin est en effet ce lieu mythique du cloître des Carmes. Restant à taille humaine, l’architecture de pierre et de gargouilles est mise en valeur par Mathieu, artiste des lumières, des découpes et de l'éclairage. Ce plaisir de l'oeil décuple l'écoute, surtout quand le son est assuré par Gaetan Ortega sur la terrasse, un maître de l'espace sonore.

Les six groupes de jeunes musiciens européens qui entrent en lice trouvent un espace d’expression pour s’affronter amicalement au cœur de la cité papale dans l'un des rares tremplins européens. Rappelons que le Grand Prix consiste en un enregistrement et mixage au Studio de la Buissonne et un concert en première partie d'une des soirées du festival de l'année suivante. Les autres prix (Soliste, Meilleure Composition) sont récompensés d'un chèque de 500 euros offerts par les divers partenaires, sans oublier le Prix du Public et des cadeaux offerts sur tirage au sort des votants.  

 

2023 : Trente et unième édition et  trente et unième année du Tremplin.

Sur les si x groupes retenus cette année, on compte quatre français, un belge et un néerlandais. Soit 21 jeunes instrumentistes (dont 3 femmes) sur 390 participants (40 femmes), 10 pays représentés. Vision assez précise du jazz actuel, reflétant le spectre d’une musique qui continue de s’inventer sans perdre ses repères historiques. Et où les femmes doivent lutter plus durement pour se faire une place quand elles ne sont pas chanteuses.

 

Première soirée : Jeudi 3 août

 

Peaks (France)

Florent Marques saxophone, Florent Souchet guitare, Mathieu Scala contrebasse, Corentin Rio batterie

Un quartet que présente avec soin Florian Marques, le saxophoniste ténor originaire d’Orthez, leader et compositeur après un  long solo  d'altitude  sans accompagnement  pour “Anglas” ( vallée d'Ossau ?). C’est le programme de leur premier album A Deep Color inspiré de la série et de l’univers de David Lynch, Twin Peaks. Le nom du groupe, le titre de certaines compos, “The Log Lady”, “A Deep Color”l (anagramme du personnage de Dale Cooper ), "A Fat Cat's Diary" trouvent ainsi leur justification. Chacun prend un solo, le guitariste Florent Souchet introduisant des nuances pop. Le contrebassiste Mathieu Scala remplaçant au pied levé Arthur Henn, assure vaillamment sa partie lors d’un solo ponctué de neuf coups en rythme du clocher voisin.Une écriture épurée, agile sans être vraiment labyrinthique aux influences bien assumées (fusion).

 

 

Mojo Jojo (Belgique)

 

Emanuel Van Mieghem contrebasse, Warre Van de Putte saxophone, Roeland Celis guitare, Umberto Odone batterie. 

Le groupe qui suit est un autre quartet venu de Belgique (Bruxelles):  avec la même configuration, la différence est immédiatement perceptible, l’énergie du collectif circule, soulignant une certaine dramaturgie dans une dynamique de groupe. Des récits structurés, oniriques aux ruptures de rythme imposées par un batteur subtil Umberto OdoneLes compositions astucieuses sont du contrebassiste leader Emanuel Van Mieghem qui jouera avec tant d’ardeur qu’il se fera des ampoules sur la basse prêtée par le Tremplin. [Les problèmes de transport SNCF pour les contrebassistes ne sont toujours pas résolus]. Avant un dernier titre plus rock que pop, plutôt connoté, “Another Day in the life” même si la ressemblance s’arrête là, une composition magnifique retient l’attention : c'est “Glee” (que l’on pourrait traduire par jubilation) où la musique trahit une certaine ambiguïté. Une allégresse nuancée d’un voile soudain de mélancolie que traduisent les éclats sensibles de la guitare de Roeland Celis.

 

DUO A+B (France)

Simon Riou saxophone alto, Sebastian Sarasa sax alto et baryton

Un titre simple pour un duo créé en 2018 qui ne l’est pas. Un choc musical avec une formule resserrée, un sax alto Simon Riou et un sax baryton Sebastian Sarasa (que j'imagine volontiers Argentin, Sud-américain en tous les cas, l’une de leurs compositions est d’ailleurs “Aleph Milonga” à couper le souffle). Une musique pas du tout hermétique mais qui demande une sacrée attention pour comprendre cette “fabricason”, une réflexion pour décrypter  langage et  codes. Sacrés “Birds” que ces zozios là, surtout quand ils s’expriment à l’alto, car ils jouent du même instrument par moment, faisant ressortir de façon poétique ce qui les différencie, comment ils rebondissent ou répondent dans ce qu’ils entendent de différences dans l’autre. Si “Je est un autre” justement, voilà un bel exemple de métamorphose, de ramifications qui se rejoignent pour ces Philémon et Baucis des sax.

Un duo envoûtant qui a tenu son formidable pari. Avec une rigueur toute classique, leur ensemble est parfait, parfaitement en place, un miracle d’équilibre dans ces deux voix qui s’éloignent pour mieux se retrouver, échangent aussi les rôles, même si le baryton ( slaps, souffle continu) assume sa fonction de basse, engendrant un rythme souple et groovy alors que l’alto s'échappe de temps à autre dans les  Balkans. Leur habileté technique, différente est évidente.  Ils ont sorti un CD Dédale avec des compositions aux titres expressifs “Zinc”, “Terre Neuvas”. De la matière à tordre, des sons à fondre qu'ils confondent, des idées neuves aussi. Des influences très diverses parfaitement assimilées dans leur polyphonie métisse. On ne sait jamais trop bien quand ils improvisent ou suivent leur écriture commune tant ils partagent tout, compositions et saxophones. Leur performance tient la route sur les quarante minutes imposées.

Le public est enthousiaste, le jury sereinement pourra échanger rapidement sur cette première soirée, heureux des propositions entendues. Même si  le président Stéphane Kochoyan, pianiste venu de sa Nîmes voisine, a comme l’intuition que cela pourrait ne pas durer.

 

Deuxième partie : la nuit du 4 Août

 

Quelque chose me dit que cette dernière soirée du tremplin ne  sera pas sans anicroche; il fait franchement froid, le mistral glacial est de sortie.

 

Nohmi (Pays-Bas)

Miran Noh piano, Aude de Vries batterie, Patricia Mancheno contrebasse, Claudio Jr De Rosa, Daniel Carson, trompette.

Trio à l’origine, la jeune formation devenue quintet européen (Pays Bas, Italie, Espagne ) sans oublier la Corée du Sud de la pianiste leader, compositrice des pièces présentées, fait entendre dès “Storm”des influences revendiquées, couleurs et atmosphères ravéliennes dans une esthétique hard bop, façon Blue Note années 60 avec des soufflants vraiment élégants aux unissons ( les trompettiste Daniel Clason et saxophoniste ténor Claudio Jr de Rosa). On est en terre connue, une écriture classique, dense, au déroulé un peu trop mécanique peut-être. Mais  telle est la loi de ce genre.

 

 

Hugo Diaz Quartet (France)

Hugo Diaz saxophone, Alexandre Cahen piano, Louis Cahen batterie, Vladimir Torres contrebasse.

Ce nouveau quartet présente une suite de compositions singulières, au fil de l’eau, du leader Hugo Diaz au soprano : de “Confluence” à “Electrolyse” en passant par unAiguo” à la provençale, le courant suit les inflexions du saxophoniste qui joint improvisation souvent free à son écriture raffinée, agrémentée de quelques effets électroniques dispensables. Le plaisir vient aussi du trio qui l’accompagne et le soutient habilement, une rythmique parfaite Alexandre et Louis Cahen, respectivement au piano et à la batterie, sans oublier Vladimir Torres, contrebassiste qui a du métier (et déjà une carrière) qui sculpte un solo mémorable sur sa propre contrebasse. Le public trépigne.

 

 

Cosmic Key (France)

Delphine Deau piano, effets, Alex Nouveau piano, effets.

La soirée va se terminer comme la précédente par un duo aussi inattendu qu'extravagant, créé il y a un an seulement, avec un unique concert au compteur avant ce soir,  à Dunkerque : deux pianistes Delphine Deau et Axel Nouveau sur un seul piano, un beau Steinway évidemment "préparé"  pour ce genre de recherches sonores avec pinces à linge et patafix auquel s'ajoute tout un set de “jouets” électroniques : un Moog, un synthé analogique, une boîte à rythmes, un métallophone intratonal  expliquera Franck Bergerot! C’est parti pour un festival de “sons machiniques”... Là, je cite Laurent De Wilde, connaisseur de ces “fous du son”, dans un petit bouquin formidable sur Robert Moog aux éditions de la Philharmonie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On se croirait sur un dance floor-l’un des titres rend d'ailleurs hommage à Giorgio Moroder, sorcier du disco, grand producteur de disques et de musiques de films qui a enregistré autant Bowie (“Putting out Fire” in La Féline ) que Daft Punk, Blondie qu’Arcade Fire, Nina Hagen que Queen…Pas que du "boum boum electro disco" donc.

La surprise est de taille, d’autant que l’on a accueilli Delphine Deau à Avignon dans un tout autre contexte, avec le quartet Nefertiti, dans le festival pour la cuvée 2019. J’ai d'autant plus hâte de l’entendre revoir à sa manière Dowland  à Parfum de jazz, le 16 août prochain. Pourquoi pas, après cette incursion “Far far away” dans le “vertige analogique” en se souvenant de Jean Sébastien, annonce son complice. Il y aurait même une certaine logique...attendons son "Prepare for Dowland".

 Que dire de cette performance au rythme très soutenu qui évoque une fougueuse techno sur des séquences pour la plupart enregistrées avec ( trop ) peu de chorus à mon goût? Une musique festive, plus dans le rythme que le sentiment?  Le concert étant un laboratoire vivant, gageons que d’ici un an leur projet aura évolué...remodelant leur écriture de performance en performance selon le principe même du jazz.

 

CODA

Les jeux étant faits, le jury va longuement délibérer et leur choix se partager entre les groupes les plus saisissants, remplissant le contrat du tremplin. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises puisque la palme ira au dernier duo où l’alliage jazz et électro fonctionne, après un match très disputé où la voix du président qui a su mener l'affaire sera déterminante. Avec autorité Stéphane Kochoyan annonce ce palmarès qui confirme que le jazz essaie d’intégrer les styles les plus divers, d’évoluer tout en s’adaptant. Je crois comprendre ce qui a pu plaire à une partie du jury dans la tentation de Cosmic Key d' absorber et réinventer un autre style qui a fait ses preuves. Mais il faudrait que la part de jazz sorte davantage de l’ombre ou plutôt des nuages flottant dans la nuit qui remuait  ce vendredi.

 

Palmarès :

 Cosmic Key obtint le Grand Prix du Jury (enregistrement et mixage au studio de la Buissonne et première partie d’un concert du festival).

Delphine Deau piano, effets, Alex Nouveau piano, effets.

Prix de composition : Emanuel Van Mieghem, le contrebassiste de Mojo Jojo.

Emanuel Van Mieghem contrebasse, Warre Van de Putte saxophone, Roeland Celis guitare, Umberto Odone batterie. 

Prix du meilleur instrumentiste :  la paire inséparable d’ A+B.

Simon Riou saxophone alto, Sebastian Sarasa sax alto et baryton.

Prix du public : Hugo Diaz quartet.

Hugo Diaz saxophone, Alexandre Cahen piano, Louis Cahen batterie, Vladimir Torres contrebasse

 

Ainsi s’achève une bien belle édition avec des groupes de qualité habilement sélectionnés, des jeunes formations qui mixent nationalités, styles et cultures. Un vrai rêve de jazz qui confirme que ce Tremplin a toutes les bonnes raisons pour compter dans mon paysage musical.

 

Je me souviens de Sylvie Azam, l’une des photographes du Tremplin qui nous a quitté cette année. Et je n’oublie pas Pascal Anquetil, compagnon de jury qui nous manque à qui j’adresse une pensée affectueuse.

 

Un grand merci à mes photographes habituels du Tremplin Claude Dinhut et Marianne Mayen.

 

Sophie Chambon

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11 novembre 2022 5 11 /11 /novembre /2022 23:33

Rituel de novembre pour le chroniqueur depuis la fin des années 80 : quelques jours à Nevers pour un festival dont le programme est toujours alléchant, très souvent jouissif. Et les Bords de Loire toujours aussi étonnants

Tout avait commencé dès le samedi 5 novembre, avec le duo Céline Boncina – Laurent Dehors, le quintette de Vincent Courtois et la groupe Aziza (Dave Holland and C°). Mais ce jour-là j’étais encore à Paris pour écouter Flash Pig puis Joe Lovano.

 

©Maxim François

 

Le dimanche 6 novembre, j’étais dans la petite salle de la Maison (de la Culture) pour la création de M. Golouja, théâtre musical qui associe le comédien Olivier Brida et le trio La Litanie des Cimes dans une adaptation d’une nouvelle de Branimir Šćepanović, entre fantastique et absurde. Dans un dispositif scénique simple, une formidable incarnation du comédien, en dialogue scénique et dramatique avec le trio (Clément Janinet, Élodie Pasquier, Bruno Ducret).

Le lundi 7 novembre, à 10h du matin, le chroniqueur se rend au Café Charbon pour une représentation du duo Céline Bonacina – Laurent Dehors devant un public scolaire de collégiens et lycéens. Musique très inventive et vivante, et le public, d’abord timde ne réactions, a montré dans l’échange final avec les artistes que son écoute avait été féconde

 

©Maxim François

 

Le lendemain, dès midi quinze, au Théâtre Municipal, c’est le concert du quartette Autonomus du saxophoniste finlandais Mikko Innanen : autour de partitions graphiques que chaque musicien fait pivoter de séquence en séquence d’un même morceau, un régal de liberté et d’esprit ludique, en toute rigueur. Le contrebassiste bourguignon Étienne Renard remplaçait au pied levé, et avec brio, le titulaire retenu en Finlande par le covid. À 18h30 à la Maison de la Culture, nouvelle représentation de M. Golouja, puis en soirée, au Théâtre, le groupe Try ! D’Airelle Besson

 

Belles mélodies de la trompettiste, servies avec liberté et panache par Benjamin Moussay, Fabrice Moreau et Lynn Cassiers : la vocaliste des Flandres belges est en effet la remplaçante régulière quand Isabel Sörling est retenue dans d’autres groupes, et le quartette fait merveille dans le répertoire du disque éponyme, renouvelant chaque fois le matériau musical originel.

 

 

©Maxim François

Le lendemain 8 novembre, la journée du festivalier commence à 12h15 avec Designers, le trio du contrebassiste belge Joachim Florent, entouré d’Aki Rissanen au piano et Will Guthrie à la batterie. Musique très vive, qui s’aventure souvent dans une effervescence frénétique (mais subtile) où le groove n’étouffe pas la musicalité.

 

À 18h30 au Café Charbon, scène historique de ‘musiques actuelles’ dotée ces dernières années d’une salle rénovée, c’est Nout, trio hétérodoxe qui associe la flûte (amplifiée, avec de copieux effets), de Delphine Joussein, la harpe électrique de Raphaëlle Rinaudo, et la batterie de Blanche Lafuente.

 

 

©Maxim François

 

La flûtiste dynamite le son de son instrument par le traitement électronique, des effets de souffle et de chant dans l’embouchure. Ça décoiffe, mais tout n’est pas joué dans l’exacerbation du son et les transgressions de codes. La musicalité demeure, tapie sous l’effervescence, et elle respire. Un confrère et ami m’avait prescrit des protections auditives : l’ouïe supposée fragile du septuagénaire que je suis a supporté le niveau sonore sans conserver les bouchons au fil du concert….

 ©Maxim François

 

Le soir au Théâtre, à 21h, c’est Louis Sclavis et ses Cadences du Monde. Belle équipe, avec la violoniste Anna Luis (que Sclavis avait côtoyée pour le disque «Inspiration baroque»), le violoncelliste Bruno Ducret, son partenaire régulier en duo, et le percussionniste Prabhu Edouard, qui remplace régulièrement dans ce groupe Keyvan Chémirani, souvent retenu par d’autre engagements. Très belle cohésion sur une musique conçue sur mesure pour le groupe, avec des espaces d’expression individuelle. Le percussionniste nous a épaté par sa pertinence musicale et son inventivité.

 

©Maxim François

Le 9 novembre, dernier jour à Nevers pour le chroniqueur, la journée commence dans la petite salle de la Maison de la Culture, avec Parking, le trio d’Élise Dabrowski, qui dans ce groupe délaisse la contrebasse pour la seule voix. Olivier Lété est à la guitare basse et Fidel Fourneyron au trombone. De l’improvisation, souvent très libre, sur des canevas préétablis. Une musique de l’extrême parfois, avec la voix qui sort des cadres, la basse qui produit des sons insoupçonnés avec des modes de jeu totalement hétérodoxes, comme le trombone qui soudain dé-coulisse pour d’autres sonorités.

L’après-midi au Café Charbon, c’est un autre trio, Sweet Dog, qui rassemble le saxophoniste ténor Julien Soro (également au synthétiseur), le guitariste Paul Jarret et le batteur Ariel Tessier. D’abord sur un accord unique, altéré et arpégé, de la guitare, ce sera une improvisation total modal du sax, puis sur un cadre de plusieurs accords, une autre escapade du ténor, attisée par la batterie et relancée par la guitare. Pour conclure le saxophoniste passera d’abord au synthé, partant sur l’extra-tonal pour atterrir dans le convenu, avant de poursuive au sax dans un moindre enjeu. L’intérêt s’érodait, et le chroniquer commençait à s’ennuyer….

 

©Maxim François

 

Retour au Théâtre à 18h30 pour le sextette de l’accordéoniste Christophe Girard. Il a passé sa jeunesse à Nevers, fréquenté naguère le festival en spectateur, et il a joué dans cette salle quand il était adolescent : son émotion est palpable, il en fait d’ailleurs l’aveu. La musique est riche et dense, bien composée et orchestrée, avec une forme d’ensemble élaborée, en plusieurs mouvements, et de l’espace de liberté pour les interprètes qui sont aussi des solistes improvisateurs, et de haut vol : Claude Tchamitchian, François Merville, la violoniste (et vocaliste déjantée) Amaryllis Billet, la clarinettiste Élodie Pasquier, et Anthony Caillet à l’euphonium. Grand moment de musique, assurément !

©Maxim François

Le soir, dans la grande salle de la Maison de la Culture, deux programmes qui conjuguent les disciplines artistiques. D’abord la littérature et la musique, avec Les Clameurs des lucioles, lecture musicale sur un texte de Joël Bastard (autour des photographies de CharlÉlie Couture), dont des fragments sont interprétés par Sandrine Bonnaire sur les musiques d’Éric Truffaz, à la trompette, et aussi au piano. Évocations mélancoliques de Montréal, incursion d’un portrait féminin, Sandrine Bonnaire fait vivre la poésie du texte, dans sa nostalgie comme dans son effervescence. Éric Truffaz donne à cette évocation une succession de contrepoints musicaux qui vont magnifier le dire et le dit. Belle réussite que cette aventure littéraro-musicale.

 

©Maxim François

La seconde partie de soirée est inspirée par une photographie de Guy Le Querrec, un mariage à Auray en Bretagne en 1978. François Corneloup, qui est aussi photographe, et a publié récemment un livre de ses images, avec des textes de Jean Rochard, et un entretien en postface avec Guy Le Querrec, a rassemblé une groupe et composé une partition qui se joue avec en fond de scène la photo inspiratrice. Jean Rochard a écrit autour de cette image un texte qui interroge l’image et l’époque. Le texte est interprété par la comédienne Anne Alvaro, et la musique de François Corneloup fait écrin, écran, contrepoint et exaltation de cet instantané de Le Querrec, expert dans cet instant décisif, le fameux kairos (καιρός) qui faisait le bonheur des philosophes de l’Antiquité grecque avant de conquérir les penseurs des temps modernes. Jacky Molard au violon, Sophia Domancich au piano électrique, et Joachim Florent à la contrebasse étaient avec François Corneloup les interprètes et solistes de cette belle partition qui leur ouvrait l’espace de l’improvisation. Et le saxophoniste-compositeur-improvisateur nous a épatés par son niveau d’inspiration. Très très belle conclusion pour cette soirée.

Xavier Prévost

 

©Maxim François

 

Noces translucides sera donné à nouveau le 17 novembre au festival Jazzdor de Strasbourg, et 24 novembre à Paris, à l’Atelier du Plateau

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25 septembre 2022 7 25 /09 /septembre /2022 23:19

 

Une escale, avant que l’Amie Sophie Chambon ne prenne la relève, de ce festival placé cette année sous le signe des Voyageurs de l’imaginaire. Cet intitulé n’a rien de de conjoncturel ou d’opportuniste : il se propose de nous faire découvrir des musiques qui, toutes, ont en commun de nous entraîner quelque part (une époque, un lieu, un univers (culturel, musical, littéraire….)

 

Au Conservatoire Pierre Barbizet, où les festival est accueilli pour la seconde année (après 8 ans au Théâtre des Bernardines), ce sont chaque soir deux concerts d’une forte intensité.

 

Le jeudi 22 septembre, la soirée commence avec Claude Tchamitchian, programmateur et initiateur du festival avec sa compagnie Émouvance. Le trio Naïri prévu est devenu un duo, car la veille le guitariste Pierrick Hardy a été immobilisé par un problème de santé très soudain. C’est donc avec la clarinettiste Catherine Delaunay que le contrebassiste donne ce programme construit autour de la mémoire de l’ancienne Arménie (pays d’origine de Claude Tchamitchian), un pays que l’on appelait dans la haute antiquité Naïri. Les mythes et les espaces sont évoqués par le duo avec une subtilité musicale, et une expressivité, qui sont comme un récit, dont nous sommes captifs.

 

Puis c’est la rencontre du Quatuor à cordes Béla et Marc Ducret autour de la Suite Lyrique d’Alban Berg. Sous le titre «Suite lyrique électrique», Le guitariste parle, guitare en main, de cette œuvre musical très singulière, conçue comme un message d’amour crypté à destination d’une femme mariée. Le quatuor enchaîne en jouant cette pièce en six mouvements, à la fin de laquelle le guitariste poursuit sans transition, d’abord seul, puis conviant tout ou partie du quatuor a jouer avec lui la musique qu’il a composée pour prolonger le mystère de cette œuvre, ses codes et ses méandres. Et Marc Ducret a conclu en lisant l’une des lettres écrites par Alban Berg à son amour interdit, Hanna Fuchs. Grand moment de musique en miroir, sorte de cérémonie transculturelle d’une formidable intensité.

Xavier Prévost

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25 septembre 2022 7 25 /09 /septembre /2022 15:10
EMOUVANTES 2022, le festival des musiques d’aujourd’hui
EMOUVANTES 2022, le festival des musiques d’aujourd’hui

EMOUVANTES 2022, le festival des musiques d’aujourd’hui


 

Retour aux Emouvantes, le festival du contrebassiste Claude Tchamitchian et de Françoise Bastiannelli comme chaque année fin septembre pour deux soirées, en ce qui me concerne, mais vous pourrez lire pour avoir une idée complète autant que précise Xavier Prévost avec lequel nous faisons un raccord et un passage de relais amical, depuis sa venue à présent régulière à ce festival marseillais si singulier qui a changé plusieurs fois de lieux. Du Cabaret aléatoire (il portait bien son nom) dans l’ancienne usine Seita de la Belle de Mai devenue une friche industrielle réussie, avant de trouver “son site”, la chapelle baroque des Bernardines jouxtant le grand lycée marseillais des classes prépas, le lycée Thiers. Mais avec la pandémie, les Emouvantes sont accueillies depuis 2021 au Conservatoire de Région Pierre Barbizet, hébergé par son directeur, le saxophoniste Raphael Imbert.


 


 

Jour 2 : vendredi 23 Septembre

 

 

Transatlantic Roots, le trio de Bruno Angelini, Eric Echampard et Fabrice Martinez, 19h00, salle Audoli.


 

Dans la salle Audoli, il fait une chaleur étouffante qui ne décourage pas le public très nombreux. Le son est parfaitement réglé grâce à Mattéo Fontaine, ingénieur son de La Buissonne.

Le pianiste marseillais Bruno Angelini déroule la spirale de ses souvenirs et raconte avec une douceur argumentée sa fascination souvent mêlée de colère pour ce grand pays qu’est l’Amérique. Il revient à ses premiers émois musicaux, les LP  In a silent way de Miles, le Mingus Ah Hum! et You must believe in spring de Bill Evans.

Les figures iconiques de cinéastes, écrivains, militants engagés pour la liberté, le respect des droits civiques et plus récemment l’écologie. (“A butterfly can save a tree”) se passent le relais dans le montage du concert, mosaïque d’une Amérique digne d’admiration. Pris entre ces deux cultures, l'écritue de Bruno Anelini, inscrite dans la tradition écrite occidentale, puise dans l’improvisation et le jazz, sur un piano augmenté d’ effets électroniques et de claviers additionnels.

Il a formé un trio lyrique de tisseurs de sons, en parfaite entente avec ses deux complices. Le pianiste cherche à formuler sa mélancolie, dans des compositions en clair obscur, aidé par le son étouffé, étranglé de Fabrice Martinez à la trompette ou au bugle, et le drumming, précis, attentif et toujours stimulant d’Eric Echampard.

 Un exemple parfait dans cet hommage est ce Mal’s Flowers” pour Mal Waldron, ce maître du silence (“All alone, “Left Alone” ) qui a connu des duos d’accord parfait, de Billie Holiday à Jeanne Lee. Bruno Angelini retrouve alors ces motifs obsédants, réitérations, insistances qui colorent sombrement l’accompagnement. On n’en finirait pas de s’extasier sur les raffinements de la palette de Fabien Martinez qui avouera avec humour en coulisses après concert qu’il na pas trop démérité”. Et comment! S’il ne nous rappelle personne en particulier -c’est ce qui le rend précieux, impressionnante est son imagination, son aisance, lavoix humaine” de sa trompette qui pleure, crie, gémit, soupire.

Pianiste et trompettiste se partagent le jaillissement mélodique, le discours de l’un soutenant, voire prolongeant le propos de l’autre, s’autorisant des écarts, des fulgurances, surtout quand il s’agit de la violence de la ségrégation auquel répond alors le déluge de la batterie dansRosa and the thorns” pour Rosa Parks. On retrouve alors la force de frappe d’Echampard, pilonnant le terrain et réveillant dans nos mémoires les terribles images de lances à incendie et des chiens policiers envoyés contre les manifestants luttant pour les Droits civiques. Sensations physiques, de rage plus ou moins rentrée, dans un espace d’improvisation modale avec cet autre thème, “Peaceful warrior”, Sitting Bull le Sioux, le génocide des “natives”, du peuple amérindien, que montre le cinéma des seventies. Ainsi ce sont les ambiances, les couleurs de ces scènes que se représente Angelini dans son film imaginaire, son cinéma intérieur où il bat la campagne, les espaces de la wilderness américaine que ne renierait pas Michael Cimino.


 

Puzzle, création du quintet d’Hélène Labarrière, 21h00.

 

Hélène et ses hommes.

C’est une idée magnifique que de rendre hommage à ces pionnières,  ces guerrières qui payèrent le prix fort pour “vivre leur vie”, Louise Michel, Thérèse Clerc, Jeanne Avril, Angela Davis et Emma Goldman. Pas question d’un Girl power comme dans l’octet exclusivement féminin de Rhoda Scott, entouré de sept brillantes et jeunes musiciennes de la scène jazz hexagonale. La contrebassiste Hélène Labarrière fait partie depuis longtemps de notre paysage affectif, combattant pied à pied, corde à corde pour gagner une liberté qu’elle a acquise auprès de certains hommes, les musiciens qui l’entourent, la supportent au sens anglais évidemment. Se forme ainsi un puzzle autour de cinq thèmes dédiés à ces dames, arrangés par cinq musiciens qui comptent, compagnons de route, dans l’ordre Marc Ducret, François Corneloup, Jacky Molard, Sylvain Kassap et Dominique Pifarély. Avec ce bagage musical classieux, le quintet fait entendre un chant joyeux qui explose d’une énergie communicative de jazz et rock. Des montées d’adrénaline avec des crescendos magnifiquement amenés, ou au contraire des descentes qui finissent dans le souffle.

Sur scène, à l’arrière, Hélène Labarrière danse littéralement avec sa basse , exaltée par les couleurs percutantes de Simon Goubert. En front line, les soufflants aux doux unissons, la clarinettiste Catherine Delaunay et le saxophoniste ténor également clarinettiste Robin Fincker subjuguent, capables aussi de douces violences . Stéphane Bartelt que je ne connaissais pas, apporte avec sa guitare électrique l’alliage indispensable, le son qui fait aussi la différence.

Comment s’approprier collectivement à partir d’une partition arrangée un programme et en faire un ensemble cohérent? Avec rigueur et excentricité, dans une manière unique qui rime avec urgence. Hautement recommandé à tous les programmateurs!


 

 Jour 3  : samedi 24 septembre 


Une soirée où jazz et littérature sont à l’honneur.

Love of Life le trio de Vincent Courtois, Robin Fincker et Daniel Erdmann, 19h00

 

J'étais à la création de ce programme à l’Ajmi d’Avignon en novembre 2018 et j’ai eu la possibilité de le revoir à Nevers, l’an dernier, alors intitulé Oakland, avec les voix de Pierre Baud et de John Greaves. Ce soir, on revient à la version en trio, Love of Life (sorti sur Vision Fugtive) qui s’insère dans une continuité idéale avec le travail de la formation : composer une nouvelle B.O, celle d’un film imaginaire, reflet de la vie de Jack London, singulière, émouvante en bien des aspects. Celui qui “a mené sa vie comme le galop furieux de quarante chevaux de front» avait cette sauvagerie en lui. Michel Le Bris l' avait bien compris en retraduisant par “L’appel de la violence” l’inepte L’appel de la forêt en reconsidérant l’ adjectif “wild”. Le projet rend compte de la part sauvage en nous, « êtres sombres dans le mystère de la fureur". Nos trois complices ont réussi à faire remonter le matériau exceptionnel de l’écrivain au cours de leurs improvisations et dans leur écriture, en tirant parti du registre troublant des timbres du milieu. Avec des thèmes traversés, retournés, qui se déversent comme une lave en fusion, on s’abandonne à leur nouvelle histoire, avec des pièces qui deviennent vite des tourneries. Ils savent se placer sur scène, les deux soufflants debout, élégants et stylés, entourant le violoncelliste assis, qui se tourne alternativement vers chacun. Résultat d’ un long compagnonnage à présent, le trio a un son propre, conjuguant lignes sophistiquées et rythmes carrés, dépouillement et violence, le registre profond et grave unifiant le tout, ouvrant des passages entre les genres, d’un jazz chambriste à une musique pop, voire folk ( gigue irlandaise) dans une tension tourmentée. Les notes remplacent les mots. De son violoncelle, Vincent Courtois peut tirer tous les effets, en jouer comme d'une guitare, du classique à l’archet au blues et s’emporter à grands traits rageurs. Chacun a écrit, inspiré par certaines nouvelles de London, Le Loup des mers pour Robin Fincker par exemple. Ou cet autobiographique Martin Eden dont le trio avec finesse adapte le premier et le dernier chapitre, le suicide par noyade. Il n’est pas nécessaire de bien connaître Jack London pour apprécier le travail du trio mais cela aide. Avec une subjectivité assumée, c’est leur London qui apparaît à l’oeil et l’oreille. Ils donnent ainsi une double version de la nouvelle très connue “To build a fire”, décidant de deux fins, sauvant ou non le malheureux trappeur parti seul avec son chien dans le froid du Yukon. Modulant jusqu’à la note finale, on s’enfonce avec lui dans le grave d’un engourdissement mortel ou on reprend vie par la chaleur du feu retrouvée. Mention particulière enfin avec cette pépite (quand il s’agit de London!), du standard de Billie Holiday «Am I blue?»(Colombia records, 1941 avec Roy Eldridge), reprise au piano par Hoagy Carmichael chantant avec Lauren Bacall dans To Have and Have Not (le Port de l’angoisse ) d’Hawks. La partie est gagnée-elle l’aurait été de toute façon mais leur manière de revoir ce standard est diablement émouvante.

 

Baldwin en transit Stephane Payen septet, 21h00

On continue la soirée avec une autre colère, celle de James Baldwin. J’ai encore en tête le souvenir du documentaire de l’Haïtien Raoul Peck, en 2016 I am not your negro dont le titre original était Black Lives Matter du nom du mouvement militant afro américain contre la violence et le racisme systémique envers les Noirs. On sait le chemin parcouru depuis par ces mots devenus slogan! Le cinéaste nous fait revivre les années sanglantes de lutte pour les droits civiques avec les assassinats de Medgar Evers, Malcolm X et Martin Luther King dans les années 60.

 Impatiente de découvrir le projet de ce Baldwin en transit, avec les mots plein de rage de l’écrivain. Le saxophoniste Stéphane Payen s’est attaché à le suivre dans son exil en Europe, en France, dans ses voyages divers dont un à Istanbul. Ecrivain afro-américain, Bamdwin parle de ses expériences d’homme noir aux Etats Unis mais aussi en exil, d’une non reconnaissance qu’il peut rencontrer partout “Call me Jimmy”. C’est un exemple réussi d’adaptation en musique de ces Baldwin’s Echoes, tirés de divers écrits entre les annés cinquante et soixante The fire next time, Just above my head et Giovanni’s room, annoncés en spoken word par trois voix militantes, celles de Jamika Ajalon, Tamara Singh et Mike Ladd.

La musique qui accompagne cette colère d’un homme seul et singulier est élargie aux revendications d’autres voix noires en lutte, le résultat d’une alliance originale de timbres choisis, flûtes de Sylvaine Hélary, violon de Dominique Pifarély, guitare de Marc Ducret, saxophone de Stéphane Payen, auteur de ces échanges, en résonance avec le slam balancé, projeté, répété jusqu’à l’étourdissement, chuchoté. Ce que c’est que d’être noir et homme…Le violon mène le bal de cet accompagnement chambriste subtil,  d’une sobriété ébouriffante face à la force radicale des mots proférés. Violence exacerbée par la colère d'un ciel marseillais déchaîné, traversé d’éclairs, annonçant un déluge, ponctuation finale du festival.


Sophie Chambon

 

EMOUVANTES 2022, le festival des musiques d’aujourd’hui
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28 juillet 2022 4 28 /07 /juillet /2022 15:41

Intitulée « Retour vers l’Angleterre », la 29e édition du festival « Jazz à Junas » a présenté durant cinq jours, dans le très beau site des Carrières, la crème du jazz anglais et non pas la crème anglaise du jazz !

 

    Pour cette dernière partie du festival (22 et 23 juillet) de la cité gardoise, celui-ci a dû faire face à deux défections majeures. D’abord, celle de la pianiste italienne Rita Marcotulli - qui devait se produire en duo avec le saxophoniste Andy Sheppard et a été remplacée au pied levé par le contrebassiste français Michel Benita – et, ensuite, du collectif anglais Nubiyan Twist - attendu pour un final explosif et qui a cédé sa place - pour des raisons de Covid 19 - au clarinettiste Yom (ndlr : qui n’étant pas de nationalité britannique ne sera pas ici chroniqué).

 

Andy Sheppard (saxophone ténor & soprano) / Michel Benita (contrebasse) :
    Ce duo improvisé d'improvisateurs a été un grand moment d'échanges, de communication et de complicité.
    D'un côté, un saxophoniste habitué depuis plus de trente ans aux différents big bands de Carla Bley (86 ans, qui selon ses dires est malheureusement atteinte de la maladie d'Alzheimer). De l'autre, un contrebassiste français virtuose, courtisé par tout le gratin européen.


    Le tout formant un étonnant tandem de solistes à l'écoute l'un de l'autre, capable de dégager un jazz d'une très grande sensibilité, poétique, parfois magique, souvent minimaliste mais toujours d'un grand lyrisme sur des compositions originales, des reprises, comme celle d'un morceau d'Elvis Costello, et une succession de ballades.
    Une incroyable rencontre à la fois démonstrative et contrôlée du souffle et des cordes !

 

 

Portico Quartet :
    Jack Wyllie (saxophones ténor & soprano)
    Duncan Bellamy (batterie)
    Milo Fitzpatrick ( contrebasse)
    Keir Vine (hang & percussions)

GoGo Penguin :
    Chris Illingworth (piano)
    Nick Blacka (contrebasse)
    John Scott (battterie)

 

    Qu'ils soient de Londres - Portico Quartet - ou de Manchester - GoGo Penguin - les groupes de jazz britanniques semblent n'avoir qu'une seule devise, celle des supporteurs de Liverpool (si chère à G. Darmanin !) notamment : "You'll Never Walk Alone" ! (Tu ne marcheras jamais seul).
Car les deux formations sont avant tout des collectifs qui jouent une musique collective.

 

    Le premier défie toutes les catégories musicales avec pourtant un penchant pour un jazz aux accents rock très british façon Soft Machine ou Matching Mole des années 1960/70, le tout avec un zest prononcé pour l'acid jazz voire l'électro jazz. Et ce mode hyper répétitif, toujours planant, dont on attend vainement qu'il touche terre à nouveau à la fin de chaque morceau tant il est en suspension.


    Le second quant à lui a également choisi un style de jazz répétitif et méditatif, aux rythmes saccadés et cassés, aux contretemps décalés assez déconcertants, toujours interprétés sur le même mode et les mêmes structures harmoniques et mélodiques.
Et comme pour le Portico Quartet, sans l'intervention d'un soliste pour improviser sur les thèmes. Toute la musique se conjugue ensemble.
A noter qu'un nouvel EP du groupe vient de paraître, "Between Two Waves" (XXIM Records), qui laisse une large place aux claviers en tout genre.

 

Didier Pennequin.   

 

©photo Patrick Martineau JzzM2022.
 

 

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21 mai 2022 6 21 /05 /mai /2022 15:57

Une escale de deux jours au Festival ‘Jazz in Arles’, après une édition annulée (2020) puis une autre décalée en juillet, et dans un autre lieu. Retour bienvenu dans la magnifique Chapelle du Méjan, son intimité, son acoustique et son très bon piano.

Le festival avait commencé par un prélude les 10 & 11 mai, et entreprenait cette fois son rush conclusif

 

Le 17 mai fut la soirée du grand retour de ‘Yes Is A Pleasant Country’, le trio qui associe depuis maintenant vingt années la chanteuse Jeanne Added, le saxophoniste Vincent Lê Quang et le pianiste Bruno Ruder.

Trois personnalités musicales fortes, tant par leur maîtrise que par leur liberté et leur créativité. On a peu entendu le trio en concert depuis que la chanteuse a entrepris sous son nom une autre carrière dans un univers musical différent, avec l’exigence artistique et le succès que l’on sait. Les écouter à nouveau était déjà une promesse, et l’attente fut comblée. Depuis le disque de 2008, le répertoire a évolué : de nouvelles compositions, et des standards différents de ceux adoptés antérieurement, mais toujours quelques-uns des poèmes de Yeats et Cummings qui constituaient le socle du répertoire originel. Le concert commence avec Goodbye, magnifique standard, un chef-d’œuvre du genre, qui sera traité avec ce niveau d’expressivité et d’inventivité qui est la marque de ce trio hors-norme. Fats Waller, et d’autres, seront remodelés avec la même insolente créativité. Et les thèmes originaux seront tous l’objet d’interprétations-improvisations qui chaque fois franchissent avec brio la balustrade des possibles. Vous l’aurez compris : ce fut un pur enchantement !

 

Le 18 mai le festival accueillait ‘Pronto !’, le groupe codirigé par le saxophoniste ténor Daniel Erdmann et le batteur Christophe Marguet, et qui les associe à la contrebassiste Hélène Labarrière et au pianiste Bruno Angelini.

Le groupe ‘Pronto !’ joue le répertoire du disque éponyme, paru récemment. La version de concert est sensiblement différente, plus sujette encore aux emportements, aux dialogues virulents, à la prise de risque et au vertige de contrastes dynamiques violents. Le saxophone part en douceur, dans une sonorité et un idiome qui nous rappelle la transition entre le jazz classique et le jazz moderne, et bien vite les dialogues croisés deviennent intenses, entre tous les membres du quartette. Le batteur joue à main nue, comme il aime à le faire (il y excelle !), la basse apporte un soutient tellurique qui n’empêche pas les escapades, le piano s’évade et s’enflamme volontiers, et le saxophone déploie de multiples palettes avec une maestria incroyable. L’idiome et le rythme sont en vue, mais les escapades sont nombreuses : ce sera le cas tout au long du concert, oscillation presque constante entre intensité extrême et infinies nuances, avec un sens remarquable du collectif. Nous sommes transportés par cette effervescence, jusqu’au rappel, qui évoluera d’un thème lent et lyrique jusqu’à un crescendo rythmique et dynamique qui confirmera, s’il en était besoin, la soif d’urgence de ce beau quartette.

Je quitte à regret les rives du Grand Rhône, mais d’autres concerts, d’autres chroniques, m’appellent ailleurs. Les jours suivants Jazz in Arles accueillera le pianiste Jeb Patton, Claude Tchamitchian en solo, Émile Parisien en sextette et Géraldine Laurent en quartette….

Xavier Prévost

 

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2 avril 2022 6 02 /04 /avril /2022 11:20

Le Sunside affichait (quasiment) complet ce 23 mars pour la première sortie parisienne d’une chanteuse venue d’Allemagne, et d’origine indienne par son grand-père, Alma NAIDU. De bon augure pour une jeune artiste (25 ans) qui présentait son premier album sous son nom propre.
Pour l’occasion, Alma s’était mise au piano et jouait en duo avec un guitariste (Philipp Schiepek). Des conditions qui permirent d’apprécier une voix délicate, tempérée, un je ne sais quoi de charmant propre à séduire et de très personnel dans le répertoire signé de sa main.

Dans « le métier » depuis quatre ans, Alma Naidu a bénéficié d’un environnement familial propice : un père chef d’orchestre et une mère (Ann-Katrin), mezzo-soprano, chanteuse lyrique (Bizet, Wagner, Bach, Bernstein). Un éclectisme dont sa fille a hérité : de formation classique (piano et chant dès l’enfance), Alma a prêté son concours sur scène à plusieurs comédies musicales dont Jésus Christ Superstar. Mais elle a choisi la voie du jazz après avoir suivi l’enseignement à Londres de Norma Winstone, une référence en termes de sensibilité et de justesse, et rencontré le batteur et producteur allemand Wolfgang Haffner qui lui a donné sa chance dans ‘Kind of Tango’ (ACT, 2020).

« J’aime le jazz, nous confie-t-elle, pour la liberté qu’il me donne ».  La liberté mais aussi la diversité dans l’expression. Avouant apprécier aussi bien Keith Jarrett que l’arrangeur Vince Mendoza, les Yellowjackets ou encore Sting, Alma démontre cette ouverture d’inspiration dans ses compositions : dix des douze titres proposés dans « Alma » (Cream Records).  « J’entends m’identifier comme compositrice », précise la chanteuse résidant actuellement à Munich. Une artiste aux multiples facettes, déterminée, à suivre assurément.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

Alma Naidu, « ALMA ». Hansahaus Studios, Bonn, novembre 2020 et mars-avril 2021.
Cream Records/PIAS.
Paru en France le 18 mars 2022.

 

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11 mars 2022 5 11 /03 /mars /2022 15:31

Pour célébrer la sortie du disque «Togetherness Ensemble», paru fin février (Tinker Label / l'autre distribution),

le saxophoniste Pierrick Menuau présentait à Paris son quintette. En première partie, comme il l'avait fait en novembre dernier pour la Jazz Week d'Angers avant le concert du 'Togetherness Ensemble', le pianiste Cédric Piromalli nous a offert en solo une formidable évocation de Billy Strayhorn

CÉDRIC PIROMALLI (piano solo)

Paris, New Morning, 9 mars 2022, 21h

 

Les occasions sont trop rares d'écouter à Paris ce pianiste, distingué par le Concours International de Piano Jazz Martial Solal en 2002, qui est aussi organiste (un récent disque en trio avec Stefan Pasborg & Mikko Innanen), et joue du clavecin dans un ensemble de musique ancienne et baroque. La dernière fois que j'avais pu l'écouter au piano, c'était au Triton, en novembre 2015, en trio avec Daniel Humair et Jérôme Regard

https://www.youtube.com/watch?v=6K4Q84QzpBk

 Le retrouver en solo fut une joie d'auditeur. Évoquant d'une manière très personnelle le répertoire de Billy Strayhorn, il nous a embarqués dans un aventure de créativité, au plus haut niveau pianistique et musical, où se mêlaient la langueur et les sortilèges des ballades, le torrent du tempo vif (fracturé à la hache comme au scalpel), le souvenir du stride, la mémoire de Lennie Tristano et les aventures de l'improvisation sans tabou. GRAND moment de piano, et de musique !

PIERRICK MENUAU 'Togetherness Ensemble'

Pierrick Menuau (saxophone ténor), Yoann Loustalot (trompette, bugle), Julien Touéry (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse), Christophe Lavergne (batterie)

Paris, New Morning, 9 mars 2022, 21h45

 

Le groupe nous a donné la matière de son récent disque : retour sur un extrait de la suite Togetherness de Don Cherry (1965), et multiples compositions originales du saxophoniste (et aussi de Yoann Loustalot et Julien Touéry). Tout au long de ce répertoire, la mémoire des années 60 : comme des hymnes profanes, des processions libertaires, des éclats de liberté. De somptueux jaillissements des solistes, et aussi des trésors de nuances, des échanges d'une belle intensité : pour tous les improvisateurs, c'est un savant mélange de pertinence musicale et de liberté farouche. En prime des thèmes absents du disque, signés par le trompettiste-bugliste et le pianiste. De bout en bout, une grande fête du jazz et de l'improvisation !

Vers 23h30, au début du rappel, le chroniqueur a dû déserter, pour avoir une chance de rallier sa banlieue, dont le RER depuis deux ans souffre, en semaine, de travaux en soirée : pour le métro, pas de ligne 4 (fermée en semaine depuis des mois à 22h30), donc un peu de marche jusqu'à la Gare de l'Est ; puis ligne 5 jusqu'à Bobigny-Pablo Picasso, et attente pendant 30 minutes d'un hypothétique bus, lequel finit par arriver. Bilan:1h30 pour regagner mes pénates, contre une trentaine de minutes naguère. Il faut vraiment aimer la musique pour accepter ce chemin d'embûches : ça tombe bien, le chroniqueur adore cette musique !

Xavier Prévost

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3 décembre 2021 5 03 /12 /décembre /2021 00:51

VIK & THE VIBE TRIBE, avec Nicholas Thomas (vibraphone), Peter Giron (contrebasse), Mourad Benhammou (batterie) & Vik / Victorija Gečyté (voix, Kazoo).
Concert du 2 décembre au SUNSET (75001).
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C’est Noël ! Un grand coup de cœur pour ce magnifique quartet où la voix de Vik, traitée comme un quatrième instrument, tantôt grave et expressionniste, tantôt mutin ou retenu, affectant un impressionnisme soutenu par les petites touches des mailloches de Nicholas Thomas, se marie à la perfection avec la rondeur des lignes de basse de Peter Giron et la justesse de tous les instants du jeu de Mourad Benhammou.

 

Le répertoire ? Pour le premier set, des éléments de l’album récemment paru*,

avec des compositions et /ou des arrangements du contrebassiste Gene Perla, mais aussi de Rodgers et Hammerstein (‘Happy Talk’), Gene de Paul (‘I’ll Remember April (in Bamako)’) ...
Pour le second set, entre autres, un superbe grand standard  de Fats Waller, initié en duo intimiste voix-vibraphone, des compositions de Herbie Hancock, Mal Waldron, Randy Weston, un ‘After the Lights Go Down Low’ renversant ... Et un intimiste ‘That’s All’ en guise de rappel.

 

Un détail qui ne trompe pas : il n’y avait pas de journaliste au Sunset hier soir, juste des amateurs éclairés ... et quelques musiciens, pour partager ce moment de bonheur !

 

Francis Capeau.

 

A voir

A regarder

Et surtout à écouter ...

 

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* Vik & Gene Perla, ‘In The Moment’.
PM Records – PMR-049.
Paru le 12 novembre.

 

©photo Dovilé Babravičiūté.

 

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17 novembre 2021 3 17 /11 /novembre /2021 13:32

C'est bien d'une aventure qu'il s'agit : un festival qui va chercher des pépites de singularité où d'autres traquent le succès, la jauge et la renommée. Cela dit, il y a du monde dans les salles, le public manifeste son enthousiasme, et la réputation du festival est auréolée d'éloges.

Au quatrième jour du festival, dont l'Amie Sophie Chambon vous a narré les journées 2 & 3, le voyage commence autour de midi avec un photo-concert

©Maxim François

CHAMPS de BATAILLE

Photo-concert nourri des photographies de Yan Morvan, mises en projection in vivo par Loïc Vincent

Christophe Rocher (clarinette basse & clarinette), Vincent Courtois (violoncelle), Edward Perraud (batterie)

Nevers, Théâtre municipal, 10 novembre 2021, 12h15

On retrouve ici le goût du programmateur, Roger Fontanel, pour les aventures musicales transdisciplinaires. Celle-ci est née du désir de Christophe Rocher de tenter une fois encore de cousiner avec un autre mode d'expression, de l'impulsion de Vincent Courtois pour se diriger vers les photos de Yan Morvan, et aussi du goût pour la photo d'Edward Perraud, qui en produit de très belles, sur son site et ses pochettes de disque. À l'origine, un livre du photographe de guerre Yan Morvan, intitulé Champs de bataille (édition Photosynthèses, 2015) et une exposition en 2016 aux Rencontres de la photographie d'Arles (exposition reprise à la Médiathèque de Nevers depuis le 6 novembre et jusqu'au 18 décembre). Ce livre et cette exposition montrent les champs de bataille de toutes les époques, de l'Antiquité jusqu'au vingtième siècle. Et le montage de photos pour le concert, réalisé par Loïc Vincent, associe ces images à d'autres, captées sur le vif par le photographe, depuis les années 80, sur les scènes de conflits. La projection des images se fait au pas-à-pas, par Loïc Vincent installé au bord du plateau, côté cour, en liaison avec le déroulement de la musique, en partie improvisée. Cette création photo-musicale aurait dû voir le jour au Musée de l'Armée des Invalides, mais la pandémie fit qu'il en alla autrement. Plusieurs fois donné dans différentes salles, le concert-spectacle aboutira au Musée de l'Armée l'année prochaine.

Cela commence par une image, réalisée en 2004 avec une chambre photographique grand format, pour une série consacrée aux 60 ans du débarquement : une plage normande. La musique s'installe, sur les images et entre elles, entre mélancolie, empathie, compassion et parfois avec des accents de révolte. Quatre thèmes écrits vont irriguer un parcours jalonné de beaucoup d'improvisations, collectives ou individuelles. Nous sommes saisis, tant par la force des images que par l'intensité de la musique. Parfois la musique suscite le surgissement d'une image, et souvent elle fait écho, plus en contrepoint qu'en surlignage, à la force de la photo, à sa beauté. Car une image de guerre peut être belle, c'est tout ce qui fait l'ambiguïté de notre position de spectateur-auditeur qui se démarque de tout voyeurisme. On est au carrefour de deux sources d'émoi : image et musique. Belle expérience, menée avec art, par toute l'équipe. Intense. Très intense !

 ©Maxim François

Le même jour à 18h Alex Dutilh était dans le hall de La Maison (de la culture), en direct sur France Musique pour son émission Open Jazz, avec des artistes du festival.

À 18h30 au théâtre Sylvain Kassap présentait son nouveau programme 'Phœnix', en création, avec Aymeric Avice, Christiane Bopp, Sophia Domancich, Hélène Labarrière et Fabien Duscombs

 ©Maxim François

Parfums mêlés de Jazz et de free, de rock progressif et de musique du monde, avec un clin d'œil en début de concert à la musique contemporaine, beaux envols des solistes : encore un peu vert pour cette toute première, mais déjà prometteur. Reprise le 17 novembre au festival Jazzdor de Strasbourg, et le 19 au Comptoir de Fontenay-sous-Bois.

©Maxim François

Deux heures plus tard, dans la grande salle de La Maison (de la culture....), l'ensemble du pianiste norvégien Christian Wallumrød  : archi-minimaliste, joué par décision de l'artiste sans sonorisation dans une très grande salle, avec quelques bouffées instrumentales évoquant la musique baroque anglaise. Et surtout une foule d'effets électroniques déjà archaïques (on se serait cru dans la transition, au début des années 50, entre les sons concrets purs et durs et l'émergence des sons électroniques. Déroutant, mais surtout pas vraiment convaincant.

©Maxim François

En seconde partie du concert, dans un registre radicalement différent, une musique hyper-expressive, fédératrice, et pourtant d'une subtilité infinie : le duo VINCENT PEIRANI-ÉMILE PARISIEN. Comme leur récent disque «Abrazo», c'est un patchwork de musiques populaires, jouées avec un science et une verve infinies : irrésistible !

 

©Maxim François

Le lendemain 11 novembre, c'est un festival dans le festival : 5 groupes sur la journée, débauche de diversité musicale. À 12h15 au Théâtre municipal, plaisir de découvrir sur scène Les Enfants d'Icare, quatuor à cordes rassemblé par le violoniste Boris Lamérand, qui signe le répertoire. L'ambition est de mêler tradition du quatuor, syncopes et expressivité du jazz, parfums des musiques du monde et prospective des musiques dites contemporaines. Pas toujours convaincant, un peu fragile dans l'homogénéité des cordes, mais cependant honorable.

Moins de 3 heures plus tard, dans la salle rénovée du Café Charbon (ce concert était inaugural), nous avons écouté le groupe Curiosity, rassemblé par le guitariste David Chevallier pour une musique inspirée par deux de ses maîtres : Kenny Wheeler et John Taylor. Magnifique d'élaboration, mais aussi de liberté : à l'ancien trio -10 ans d'âge- du guitariste (avec Sébastien Boisseau et Christophe Lavergne) le groupe associe le trompettiste finlandais Tommy Nikku, rencontré dans une tournée septentrionale. Inédit, et très beau.

©Maxim François

Puis c'est à 18h30, à nouveau au théâtre, le groupe Velvet Revolution du saxophoniste Daniel Erdmann, avec Théo Ceccaldi (violon) et Jim Hart (vibraphone). Mélange de langueurs saxophonantes, d'éclats violonistiques (en position guitare ou à l'archet) et de dialogues avec le vibraphone, c'est musicalement riche, infiniment vivant, avec de très beaux moments.

©Maxim François

20h30, c'est à La Maison (de la culture), d'abord avec le Collectif La Boutique, sous la houlette du trompettiste Fabrice Martinez, et en invité (comme sur le disque «Twins») Vincent Peirani. Quartette de jazz plus quatuor de bois cet ensemble, né de l'imagination de Jean-Rémy Guédon joue la musique de son créateur, réarrangée par le trompettiste. Malgré une sonorisation d'un spectre inadéquat (beaucoup de basse, excès d'aigus, et un vrai déficit de médium....), j'ai pris plaisir à écouter cette musique singulière, valorisée par de bons solistes.

©Maxim François

En seconde partie le contrebassiste Kyle Eastwood présentait son très classique quintette d'esprit néo-bop, avec le répertoire de son récent CD «Cinematic». Des musiques empruntées au cinéma, évidemment : composée par Bernard Hermann, Ennio Morricone.... ou lui-même, pour le film Gran Torino de son père Clint Eastwood. De bons solistes, une belle énergie et de bon moments. Une seule faiblesse-relative- quand le contrebassiste s'empare de guitare basse. Beau succès, mérité.

©Maxim François

Le lendemain 12 novembre, la journée commençait au théâtre dès 12h15 avec le trio du tromboniste Yves Robert. Un trio qui affiche vingt ans d'âge, et sait encore nous surprendre avec le répertoire de son récent disque «Captivate». Cyril Atef à la batterie insuffle à la musique cette énergie presque folle qui puise à toutes lessoruces muscales. Bruno Chevillon à la contrebasse conjugue magnifiquement pulsation et musicalité. Quant au tromboniste, il surfe sur ce beau nuage de rythmes entrecroisés, d'effets électroniques et de surprises sonores, le tout composant un véritable œuvre en mouvement perpétuel. Intense, et beau.

©Maxim François

À 18h30, au même endroit, c'est un autre trio, tout aussi singulier : Space Galvachers. Autrement dit trois musiciens très attachés au Morvan et à ses traditionnels bouviers (les galvachers) qui transportaient jadis, avec des attelées de bœufs, le bois du Morvan vers le Nord ou le Sud de la France. La musique n'a rien à voir avec la nostalgie territoriale. Elle se nourrit d'une itinérance plus large, celle qui associe les sonorités d'aujourd'hui aux musiques de tous les mondes. Clément Janinet au violon (et à la mandoline électrique), Clément Petit au violoncelle, et Benjamin Flament aux percussions (dont certaines, de son invention, prodiguent des sonorités nouvelles), nous ont offert une sorte de voyage dans l'imaginaire de la musique, avec une fougue et une inventivité qui forcent l'admiration.

©Maxim François

Retour le soir à la Maison de la culture pour écouter le duo de Joëlle Léandre et Pascal Contet. Un duo contrebasse-accordéon qui se retrouve régulièrement, en totale immersion dans l'improvisation. De petits miracles musicaux se produisent en permanence, surgis d'une certaine intuition de l'instant, d'une écoute mutuelle d'une rare intensité, et d'une folle liberté. Chaleureusement salué par un public qui, venu pour Michel Portal, était peut-être moins coutumier de cet exercice d'improvisation sans filet.

©Maxim François

Puis c'est Michel Portal qui nous préente son groupe, celui du disque «MP85», un CD dûment louangé et couvert de trophées. Le tromboniste de l'album, Nils Wogram, est remplacé par Samuel Blaser, ce qui n'est pas pour me déplaire. Bojan Z tient les claviers (et pilote aussi le répertoire), Bruno Chevillon est à la contrebasse et Lander Gyselink office à la batterie. Répertoire typiquement portalien, qui mêle les influences pour en faire son miel. Belle énergie, grands solistes. Beau concert donc, avec hélas encore une réserve sur le son : même défauts que la veille (beaucoup de basses et d'aigus, et un grand creux dans le médium...). Devrais-je passer un audiogramme ?

 

Dernier jour du festival : nous sommes le 13 novembre. C'est, pour beaucoup d'entre nous, une date chargée de souvenirs contrastés. C'est ici que, le 13 novembre 2015, au sortir d'un très beau concert d'Enrico Rava, nous avons appris l'horrible massacre du Bataclan.

©Maxim François

La journée commence au théâtre, en retrouvant le violoniste Clément Janinet avec son groupe La Litanie de Cimes. Avec lui, la clarinettiste Élodie Pasquier et le violoncelliste (parfois vocaliste) Bruno Ducret : une belle brochette de créateurs tout terrain, aussi inventifs qu'audacieux. Ses sources sont autant la musique répétitive que l'improvisation aventureuse, l'énergie rock, voire la musique de chambre, sur les libertés rythmiques chères au jazz.

 

©Maxim François

Puis c'est un retour à la nouvelle salle du Café Charbon, pour un concert-spectacle intitulé Connexions. Il est issu d'un projet musical du saxophoniste Lionel Matin et du batteur Sangoma Everett, qui ont rejoué à leur manière la musique écrite en 1970 par Oliver Nelson pour le disque «Afrique» de Count Basie. En temps réel, au bord du plateau, le dessinateur de BD Benjamin Flao dessine et peint. Une caméra projette sur le fond de scène l'œuvre graphique en cours, tandis que les musiciens jouent et que la danseur Willy Razafimanjary improvise. Comme souvent le danseur exécute ses figures au sol, seul le premier rang, et le gradin en fond de salle, voient l'entièreté du spectacle. D'où je suis une partie échappe à ma vue. Musicalement décevant. L'important n'est pas que l'on soit loin du Basie revu par Oliver Nelson, mais que le discours musical tienne en peu de formules, jouant sur l'intensité. Esthétiquement peu lisible, pour le spectateur que je suis....

©Maxim François

Bouquet final à la Maison de la culture avec d'abord, à 20h30, le quartette Majakka du pianiste Jean-Marie Machado. Musique inspirée par les phares (le sens de ce mot en finnois), et plus largement par un certain ailleurs. Mélancolique souvent, très bien composé, avec de belles envolées ses saxophones (baryton et soprano) de Jean-Charles Richard, et des percussions de Keyvan Chemirani. Et solide pulsation dialoguante du violoncelliste Vincent Segal.

 

Fin de soirée en feu d'artifice(s) avec le trio qui rassemble Trilok Gurtu, Omar Sosa et Paolo Fresu.

Le son encore problématique (mêmes symptômes), des artistes loin les uns des autres, et un dialogue assez formaté, où chacun envoyait son message. Peu de chaleur, pas beaucoup de musique (au sens profond). Une sorte d'événementiel sans âme qui m'a laissé de marbre ; et pourtant je suis fan de Paolo Fresu depuis 1989, et j'ai quelques bons souvenirs de concerts de ses deux partenaires.

Xavier Prévost

 

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