Dans les Apéros-Jazz de 20h, encore de belles surprises cette semaine : le 24 juillet, le 'Synestet' de la clarinettiste Hélène Duret, jazz contemporain tissé de nuances, de surprises et d'esprit prospectif
Et le lendemain, dans un registre très différent, 'The Duke and The Dudes', un quartette sans batterie qui joue le répertoire de Duke Ellington dans des arrangements qui rappellent un peu la West Coast ou le 'Jazz Lab' de Donald Byrd et Gigi Gryce.
Sur la grande scène de l'Amphithéâtre d'O, très beau début de semaine le 22 juillet avec 'Slow', quartette suscité par Julien Touéri et Yoann Loustalot (avec Éric Surménian et Laurent Paris), tout en lenteurs, en nuances et en intensité : remarquable.
Le lendemain, une découverte pour beaucoup d'entre nous : le trio de la saxophoniste María Grand, Genevoise établie à New York associée à Linda May Han Oh à la basse, et Savannah Harris à la batterie. Formidable cohésion, vitalité extrême, et des phrases de saxophone sans esbroufe, mais qui nous égarent jusqu'au vertige.
Le mercredi 24 juillet, un événement : la trio du guitariste Danois Jakob Bro, entouré de Thomas Morgan et Joe Baron. Vertige encore, de l'infinie nuance à parfois l'effraction douce provoquée par le batteur : une véritable leçon de musique collective !
Et pour conclure le lendemain, la soirée que l'on veut festive (elle le sera) avec le pianiste-chanteur Ray Lema et le sextette de son récent album «Transcendance». Un bassiste et un batteur qui montrent un peu trop leurs muscles, mais des contrastes et de l'invention chez les solistes. Et le leader qui tisse sa toile, entre l'afro-jazz et une fibre plus personnelle, inclassable et féconde. Amphithéâtre bondé, auditeurs aux anges et, signe des temps, le batteur qui fait un selfie de lui-même et du groupe quittant la scène, avec en toile de fond le public debout....
Belle semaine, avec un regret : Radio France n'a pas enregistré ces quatre concerts, donc les auditeurs de France Musique n'en bénéficieront pas. Triste signe des temps là encore, quand les comptables asphyxient la musique vivante.
Retour à Montpellier après une édition 2018 manquée par le chroniqueur pour cause de polyarthrite : bonheur intégral ! Le cadre privilégié de l'Amphi du Domaine d'O, et les avant-concerts qui se sont déplacés, un peu plus bas, vers le Château d'O, sous les micocouliers. Dans ces concerts de 20h, une belle surprise le 19 juillet, le tout jeune guitariste (15 ans, et déjà un style, une maîtrise, une musicalité....) Roman Raynaud
et une confirmation le 15 juillet, avec le groupe de la contrebassiste Gabrielle Randrian Koehlhoeffer, laquelle était venue sur la grande scène en 2013 comme sidewoman dans le groupe de Joël Allouche.
Exceptionnellement le 14 juillet, le concert de la grande scène de l'Amphithéâtre d'O n'était pas à 22h mais à 20h30 pour cause de feux d'artifice dans les communes voisines. Sur scène l'Amazing Keystone Big Band dans son programme 'We Love Ella', avec la chanteuse Célia Kameni. Orchestre toujours impeccable et, depuis 2015 où ils s'étaient déjà produits dans ce contexte, la voix de la chanteuse s'est étoffée, prenant de la rondeur dans le timbre.
Le lendemain, Fidel Fourneyron «¿Qué volá?» , belle rencontre entre trois percussionnistes de La Havane et un septette de jazz : vibrant, hardi, riche d'émotions et de surprises.
Le 16 juillet, encore une belle surprise : le trio d'un pianiste finlandais, Aki Rassinen, que j'avais écouté sur disque mais pas sur scène. De l'espace, de l'ambition musicale, mais aussi une vibrante urgence. Beau choix dicté par la thématique générale du festival cette année : 'Soleil de Nuit ', les musiques du Nord de l'Europe.
Le jour d'après, c'est Magic Malik Jazz Association, avec un groupe qui relit à sa ma,ière des thèmes immortalisés par les jazzmen afro-américains (Wayne Shorter, Miles, Coltrane, Monk, Clifford Brown....). Beaucoup d'audace, de talent et de créativité : une réussite là où d'autres risqueraient la redite.
Puis c'est le tour du saxophoniste Ben Wendel et de son 'Seasons Band'. Formidable cohésion, des solistes (très) haut de gamme (Aaron Parks, Gilad Hekselman, Matt Brewer) et un batteur incroyable, Kendrick Scott, qui dans un feu nourri permanent place mille nuances et des idées percutantes à chaque mesure : époustouflant !
Encore une soirée mémorable le 19 juillet avec Andreas Schaerer et 'A Novel of Anomaly'. Virtuose de la vocalité à l'imagination sans frein ni limite, il nous enchante par des surprises autant que par une expressivité vibrante. Public conquis, chroniqueur aux anges !
Et le samedi, dernier concert de la semaine, avec le trio Baa Box de la chanteuse Leïla Martial. Là encore, surprises et émotions intenses. Pour faire bonne mesure Andreas Schaerer les a rejoints à deux reprises pour des échanges torrides. Ovation verticale, comme il se doit.
On peut retrouver ces concerts, sauf celui de l'Amazing Keystone Big Band, en réécoute sur le site de France Musique en suivant ce lien. Hélas la semaine suivante, les concerts ne seront pas diffusés en direct ni enregistrés. Radio France n'éprouve plus le besoin (le désir ? la nécessité ? L'intérêt ?) d'enregistrer tous les concerts de son propre festival ? DOMMAGE !
Tout commence l'après midi, arrivant en voiture via les embouteillages de Montpellier, puis ceux de la route nationale, avant les travaux et les embarras de la ville de Sète qui mettent mon GPS en difficulté. Enfin garé au parking de la Place de la République, je file avec retard vers la Médiathèque.
Sur la terrasse, à l'ombre d'une tente, Biréli Lagrène répond aux questions d'Éric Delhaye. Le ton est détendu : la musique, la carrière, le disque récent («Storyteller», Naïve/Believe), la jeunesse de l'enfant prodige vue par l'homme mûr d'aujourd'hui, le goût des standards, les amis disparus (Didier Lockwood), les tournées, avec aussi un éloge des partenaires du trio : Mino Cinelu, percussioniste des géants (Miles Davis, Weather Report, Stevie Wonder....) et des stars (Sting et beaucoup d'autres) ; Larry Grenadier, présent sur le disque, mais si demandé que la scène se fait avec Chris Minh Doky, très apprécié.
Les questions des spectateurs portent surtout sur la guitare : ceux des spectateurs présents qui osent interroger l'artiste sont des praticiens de l'instrument, et manifestement des admirateurs conquis. L'heure est venue pour Biréli d'aller prendre un peu de repos avant le concert.
Pour moi, c'est le moment d'aller me garer au parking gratuit du Mas Coulet, et de prendre la navette qui emmène les spectateurs vers le Théâtre de la Mer.
Cap sur le Fort Saint-Pierre qui abrite le Théâtre de la Mer. Traverser un port, c'est déjà naviguer sur la mer («...la mer toujours recommencée» me souffle Paul Valéry dans son Cimetière Marin, proche de quelques centaines de mètres....) Mais ce n'est pas «Midi le juste» : il va être 19h....
Escale dans les coulisses, pour croiser les confrères, parler aux musiciens de connaissance, boire un verre de Languedoc, manger un morceau : la Citadelle qui défendait la Place contre l'ennemi Anglais au 18ème siècle est décidément bien accueillante.
En terminant un trop bref repas, on écoute, côté coulisses, le 'Collectif Orchestré', un groupe issu du Conservatoire de Sète et qui mêle les langues, les cultures et les musiques. On file bien vite vers la gradin du Théâtre de la Mer pour les écouter côté scène. Puis c'est le tour du groupe de Louis Martinez, guitariste mais aussi directeur artistique de ce festival qu'il a fondé.
Voir la scène depuis le gradin, avec cette vue plongeante sur la mer, est toujours un moment fort, la magie du lieu. La musique sera celle du disque «Influences», qui vient de paraître chez ASC/Absilone. C'est une sorte de cheminement dans les musiques qui ont peuplé l'univers du guitariste tout au long de sa vie musicale : de la pop californienne à la soul music d'Aretha Franklin en passant par la chanson dans toutes ses déclinaisons, du jazz à ses extrapolations. Deux voix, celles d'Agnès Som et Elvira Skovsang, la guitare de Louis Martinez bien sûr, le piano (et le synthé) de Gérard Poncin, la contrebasse (et la guitare basse) de Philippe Panel, et la batterie de Thomas Doméné. Plus le renfort en court de concert de Stéphane Belmondo au bugle, et Mino Cinelu aux percussions. De belles couleurs, des voix prenantes, des solistes à la hauteur, et des invités qui apportent une touche d'intensité supplémentaire : bref un bon moment de musique d'époque(s), passé et présent confondus.
Vient la tête d'affiche, le trio de Biréli Lagrène (à la guitare électro-acoustique), entouré de Mino Cinelu (percussions, batterie, électronique et voix) et de Chris Minh Doky (contrebasse). Comme le nom du groupe et le titre du disque l'indiquent, ça raconte des histoires. Des histoires teintées de bossa nova, de standards joués à la lettre ou dévoyés dès l'abord, le tout émaillé de citations furtives d'autres standards (de Broadway ou du jazz). C'est détendu, on est manifestement dans le plaisir de jouer, Mino Cinelu circule entre l'impressionnant set de percussions, installé entre la guitare et la basse, et la batterie disposée en fond de scène. On dirait une jam session, non que le programme soit laissé au hasard de l'instant, mais parce que chacun paraît intervenir au gré de l'inspiration du moment. Un vrai concert de jazz en somme, comme les amateurs les aiment, et ils ont exprimé leur satisfaction par de copieux applaudissements.
Pour clore la saison jazz de Radio France, Arnaud Merlin avait convié MOUTIN FACTORY, une valeur sûre, et en première partie le 'pAn-G', jeune formation de 10 musiciens qui bouscule avec talent le répertoire caribéen
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 15 juin 2019, 20h30
Depuis son origine (premier disque enregistré fin 2012, publié en 2013) le groupe définit sa pratique comme « musique magmatique à tendance éruptive ». C'est plutôt bien vu. La rencontre s'était faite préalablement au sein du Conservatoire National Supérieur où ces jeunes gens suivaient l'enseignement du département 'Jazz et musiques improvisées'. Le programme de ce concert est tissé autour des musiques caribéennes, dans des arrangements explosifs qui font penser à certains des dynamiteurs musicaux de la fin du vingtième siècle, de Frank Zappa à Willem Breuker, en passant par le free jazz états-unien. Cela donne, autour du répertoire choisi, une sorte de 'musique typique' (comme on disait dans les années 50), du typique transgressif, avec parfois une touche de Stravinski. Réjouissant, roboratif, et même jouissif. L'écriture et l'exécution sont d'une précision diabolique. Le premier morceau, identifié comme un zouk par Aloïs Benoit, a parfois aussi des airs de calypso. Ça commence très fort, sur un mode collectif plein de rebondissements, pour aboutir à un vigoureux dialogue entre sax ténor et batterie, avant retour vers le tutti. Le ton est donné : collectif, avec de l'espace pour que les fortes identités individuelles s'expriment dans l'improvisation. De biguine en arrangement orchestral de pièces pour steel band, l'intensité ne faiblit jamais, c'est constamment vivant, précis et un peu fou : brillant, et vraiment jouissif. Vérification sur pièce lors de la diffusion sur France Musique le 19 août 2019 à 23h.
MOUTIN FACTORY QUINTET
François Moutin (contrebasse, composition), Louis Moutin (batterie, composition), Paul Lay (piano), Manu Codjia (guitare), Christophe Monniot (saxophones alto et sopranino)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 15 juin 2019, 21h50
Pour le quintette c'est la fin de la tournée qui souligne la sortie de son nouveau disque («Mythical River» Laborie Jazz / Socadisc). Après le Studio de l'Ermitage, le festival 'Jazz sous les pommiers' et une série de trois jours au Jazz Club de Dunkerque, c'est une halte à Radio France, en attendant un retour en octobre pour la saison des festivals de l'automne. Le répertoire est celui du nouveau CD, et dès le premier thème le décor est dressé : on oscille entre des séquences fracturées, tendues (la batterie, la basse, le sax), et des moments plus fluides incarnés par la guitare. Quant au piano, il circule d'une tendance à l'autre, nous gratifiant ici ou là d'une atmosphère très soul jazz qui ravit l'amateur nostalgique que je suis.... Dans le thème suivant Christophe Monniot est au sopranino. Après une intro de François Moutin, le saxophoniste s'enflamme dans un lyrisme exacerbé. Paul Lay enchaînera dans un registre plus tempéré avant de monter lui aussi en pression. Manu Codjia nous entraîne chaque fois dans un pas de côté, entre lyrisme tendre et prolixité d'une guitare qui sait faire entendre, simultanément, plusieurs voix. Et constamment Louis Moutin, à la batterie, commente, stimule, et bouscule si nécessaire. Et le concert se poursuit selon ce schéma éminemment vivant, où la guitare tend le fil quand le saxophone fait mine de le briser, mais en le gardant toujours pour horizon. Et le pianiste se fait passerelle entre ces deux approches, qu'il pratique alternativement, et parfois simultanément, par une sorte de tension énigmatique entre main droite et main gauche. Puis, c'est rituel, voici le 'duo de jumeaux', annoncé comme tel avec un sourire complice par François Moutin : comme sur le disque (Wayne's Medley), ce sera un hommage à Wayne Shorter, et l'improvisation des deux frères va se balancer entre des éléments thématiques empruntés à ce formidable créateur. Louis aux balais, puis à mains nues, fait vibrer les peaux tout en fredonnant un thème de Shorter tandis que François lance une autre mélodie du même compositeur. Revient le quintette, dans ce jeu permanent entre les éclats individuels et ce formidable sens collectif qui anime le groupe. Ici un bel échange dialogué entre sax alto et guitare, ailleurs une impro de piano en dialogue avec basse et batterie qui me rappelle, en septembre 2006, le plaisir affiché par les frères Moutin en accompagnant pour un standard le tout jeune Paul Lay, finaliste du Concours international Martial Solal : François et Louis constituaient la rythmique professionnelle offerte aux finalistes pour l'épreuve en trio. Plaisir de jouer demeuré intact. Plaisir constant de l'auditeur, ravi d'avoir écouté ce quintette, et auparavant le tentette 'pAn-G'. Belle soirée conclusive pour ce dernier concert de la saison 'Jazz sur le Vif'.
Vivement la rentrée, avec le 21 septembre le groupe 'Das Kapital' et le trio de Bojan Z avec en invité Nils Wogram.
Le concert de Moutin Factory Quintet sera diffusé sur France Musique le 21 août à 23h
38 ème Edition de Jazz Sous les Pommiers
(24 mai-1er juin 2019)
C’est toujours un grand bonheur d’être présent à Coutances pour le festival « Jazz Sous Les Pommiers » où la programmation est particulièrement passionnante, en étant à la fois exigeante et ludique, singulière et surprenante, et toujours formidablement excitante. J’y ai vu beaucoup de concerts entre le 29 et le 31 mai et j’ai malheureusement loupé le début du festival (Franck Tortiller, Jacques Schwarz-Bart, Angélique Kidjo, Kneebody, The Amazing Keystone Big Band, Laurent de Wilde, Philippe Catherine), ainsi que la toute fin (Yaron Herman, Andy Emler & Dave Liebman, Magic Malik, Ron Carter, Joce Mienniel).
Le 29 mai à 16h dans la chapelle de l’hôpital de Coutances, le public a vécu un grand moment d’émotion lors du concert solo du contrebassiste Claude Tchamitchian. L’exercice est particulièrement difficile, mais Tchamitchian a beaucoup de choses à nous dire et beaucoup de sentiments à nous faire partager. L’art de la narration musicale est parfaitement maitrisé de bout en bout, Tchamitchian sait nous raconter des histoires où virtuosité et chaleur humaine font bon ménage. L’association entre le saxophoniste américain Joshua Redman et le trio luxembourgeois Michel Reis/Marc Demuth/Paul Wiltgen a été à la hauteur des espérances. Quelle chance pour ce trio de pouvoir explorer leurs compositions avec une voix supplémentaire portée par l’immense talent du saxophoniste californien. Beaucoup de frissons et d’empathie pour ce très beau projet !
A 23h au Magic Mirror a eu lieu une très intéressante création de la résidente des lieux, la batteuse et compositrice Anne Paceo, autour d’un projet à la frontière du hip-hop, du jazz, du rock, et du groove, avec la complicité du guitariste Matthis Pascaud (grande révélation de ce groupe, musicien vraiment très impressionnant !), du bassiste Sylvain Daniel (qui enchaîne son troisième O.N.J consécutif !) et de trois slammeurs enflammés dont le génial Mike Ladd, ainsi que Racecar, et Osloob. Anne Paceo nous a étonnés dans ce registre où elle a installé un groove implacable et binaire fortement musclé, porteur d’une belle énergie communicative.
Jeudi 30 mai, après un passage à la salle Marcel Hélie pour une cérémonie planante et pleine de virtuosité assurée par Le Mystère des Voix Bulgares, on se dirige vers le Théâtre pour l’un des plus beaux concerts de ce festival. Une création signée du Théo Ceccaldi Trio, avec Théo au violon, Valentin Ceccaldi au violoncelle et Guillaume Aknine à la guitare. Ce projet intitulée Django, est bien sûr un hommage à la musique de Django Reinhardt, mais ne comptez pas sur Théo Ceccaldi pour vous faire du copier-coller ! Voici une vision très intelligente et pertinente de l’héritage de Django à travers une musique actuelle et singulière, pleine de contrastes et de brisures, où l’on entend Django bien sûr, mais aussi Bartok, des bribes de rock, et du jazz improvisé servi par trois brillants solistes. Les versions impressionnantes de chefs d’œuvre comme Rythme Futur ou Manoir de Mes Rêves sont inoubliables et continuent de nous trotter dans la tête. Du grand art ! Retour à la Salle Marcel Helié pour un double concert particulièrement excitant. Tout d’abord une création très originale de la saxophoniste Sophie Alour intitulée Exils, pour une fusion réussie entre jazz et musique orientale avec la complicité du chanteur et oudiste égyptien Mohamed Abozekry, du pianiste Damien Argentieri, du contrebassiste Philippe Aerts, du batteur Donald Kontomanou (impérial tout au long de ce concert !), et du percussionniste Wassim Halal. Une très belle narration musicale, fine et élégante, où deux univers musicaux dialoguent et s’interpénètrent dans une formidable énergie portée par le talent de ces musiciens exceptionnels. En deuxième partie, une grande claque d’épure et de sobriété à travers le duo formé par la chanteuse Cécile McLorin Salvant et le pianiste Sullivan Fortner. Une belle surprise, car le répertoire joué n’avait pas grand-chose à voir avec leur album sorti en septembre dernier « The Window ». Cécile a profité de Coutances pour tester de nouvelles compositions quelle a écrites très récemment et qu’elle nous a proposés en avant-première avant de les enregistrer prochainement. On a retenu particulièrement : Moon Song, Splendor, Acmé, Doudou, Fuck, Left Over et un très émouvant Ghost Song qu’elle chante en duo avec Sullivan Fortner, qui en plus d’être un pianiste exceptionnel, s’avère être un très bon chanteur !
Il n’y a que « Jazz Sous Les Pommiers » pour nous présenter dans la même soirée, deux des meilleurs joueurs d’oud au monde, après la remarquable prestation de Mohamed Abozekry au sein du groupe de Sophie Alour, place au grand maître libanais Rabih Abou Khalil pour un nouveau projet qui réunit des musiciens de différents pays (Liban, Italie, Portugal, Turquie, U.S.A). Rabih est drôle et raconte entre deux morceaux de truculentes histoires qui font beaucoup rire le public de Coutances. La musique est riche et énergique, offrant une belle palette de couleurs musicales portée par la voix prégnante du chanteur portugais Ricardo Ribeiro, la flûte ney du turque Kudsi Ergüner, le saxophone et les prouesses vocales particulièrement gutturales de l’italien Gavino Murgia, l’accordéon chantant de Luciano Biondini, ainsi que par l’immense talent du batteur-percussionniste américain Jarrod Cagwin. Un petit tour à la Cave des Unelles pour écouter l’excellent sextette réuni par le contrebassiste Géraud Portal pour son projet autour des compositions de Charles Mingus. On y a entendu les sublimes Moanin’, Good-Bye Pork-Pie Hat ou Orange Was The Color of Her Dress, Then Blue Silk, ainsi que l’étonnant Parkerania avec Luigi Grasso, César Poirier, Quentin Ghomari, Yonathan Avishai et Yoann Serra. A minuit et demi, c’est l’heure de filer au Magic Mirror pour venir écouter le projet électrique du trompettiste Avishaï Cohen, entouré de deux guitaristes : Uzi Ramirez et Yonathan Albalak et deux batteurs : Aviv Cohen et Ziv Ravitz. Une musique qui oscille entre jazz planant et rock énergique, et qui malgré l’instrumentation et le volume sonore, laisse un bel espace à la trompette lyrique d’Avishaï Cohen. Un concert qui nous a semblé inégal avec toutefois des moments fulgurants comme la relecture délirante d’une œuvre de Mozart ou la reprise du célèbre Teardrop de Massive Attack.
Le vendredi 31 mai à 14h au Magic Mirrors, nous avons pu apprécier une expérience sonore insolite portée par le trio du contrebassiste Théo Girard et son orchestre circulaire de 12 soufflants (8 saxophones et 4 trompettes). Le trio, composé de Théo Girard, du batteur Sebastian Rochford, et de l’excellent trompettiste Antoine Berjeaut, se tient au centre de la salle, tandis que les 12 soufflants entourent le public dans une disposition circulaire et mouvante selon les morceaux. Une mise en scène sonore passionnante au service d’une musique fortement expressive et joyeuse où le jazz cohabite avec l’esprit festif d’une fanfare. Peu après, au théâtre se produisait un duo de musiciens cubains tout à fait exceptionnels (qui vivent aux U.S.A et sont produit par Quincy Jones). Le pianiste Alfredo Rodriguez et le percussionniste et chanteur Pedrito Martinez sont deux virtuoses qui s’entendent à merveille et qui proposent une musique festive et dansante, parfois un peu démonstrative, mais toujours chaleureuse ! Puis vint l’heure d’une magnifique méditation musicale dans la cathédrale de Coutances où se produisait le duo du contrebassiste Yves Rousseau et du saxophoniste Jean-Marc Larché. On a pu apprécier l’ampleur sonore de ce projet intitulé Continuum au cœur de la cathédrale avec un formidable travail sur l’écho, les résonnances, l’espace, et le silence. De très belles compositions fortement imprégnées de musique baroque qui nous ont fait tutoyer les anges ! Enfin le saxophoniste Pierrick Pédron, en très grande forme, a exploré dans l’enceinte du théâtre de Coutances le répertoire de son dernier album Unknown, entouré de trois jeunes musiciens du jazz français, fraichement sortis du CNSM, qui ne tarderont pas à faire parler d’eux : le pianiste Carl-Henri Morriset, le contrebassiste Etienne Renard, et le batteur Elie Martin Charrière. Un formidable quartette d’une grande musicalité sur un répertoire de compositions de Pierrick Pédron particulièrement sensibles et émouvantes.
Lionel Eskenazi.
QUENTIN GHOMARI (trompette, bugle, trompette à coulisse), MARC BENHAM (piano)
Paris, Mairie du 6ème arrondissement, 16 avril 2019, 18h30
Double surprise : non seulement ce concert gratuit a lieu sous les ors (enfin, sous les dorures) de la mairie d'arrondissement, et il est de surcroît organisé par la Société des membres de la Légion d'Honneur, section du 6ème arrondissement. Mais la mairie accueille régulièrement des concerts de jazz, et elle héberge aussi les bureaux de l'association du festival Jazz à Saint-Germain-des-Prés.
Le concert a bien eu lieu le mardi 16 avril 2019. La date qui figure sur le programme est erronée….
Au verso du programme, dans les trois courts paragraphes qui résument les 3 missions de la Société, on lit ceci : «Promouvoir, dans la société française, les valeurs incarnées par la Légion d'honneur et contribuer au développement de l'esprit civique et patriotique....». Ce soir ce seront plutôt les valeurs de la musique afro-américaine, si chères aux musiciens et au public présents.
Le duo commence par un medley : une compo originale, enchaînée à Pithecanthropus Erectus de Mingus, puis à Celia de Bud Powell avec accompagnement de piano genre free stride ! On est déjà dans le plus vif du sujet : ces deux gaillards conjuguent à merveille précision et liberté, rigueur et folie. Vient ensuite Petite Fleur de Bechet, à la trompette à coulisse, dont Quentin Ghomari tire des trésors d'expressivité tandis que Marc Benham déroule un tapis harmonique d'accords sur-altérés : jouissif ! Après une intro lente de trompette wah-wah, des notes de trompes de chasse et des esquisses de gammes par tons, on débouche sur Bye-Ya de Thelonious Monk. Du jazz très moderne avec la frénésie du Vieux Style. Une compo du trompettiste sera prélude à Tin Tin Deo de Gillespie, avant un Bistrology majestueux au bugle, puis une intro contemporaine pour un Blueberry Hill sauvagement entraîné hors des clous. Encore un petit coup de bugle en douceur, avant un tempo d'enfer sur les harmonies de I Got Rhythm, et en rappel un Stardust qui commence comme Jitterbug Waltz et bifurque vers un tempo d'enfer : waouh, quel pied !
Comme à son habitude, Brad Mehldau est arrivé dans cette salle magnifique de la Halle aux Grains en plein coeur de Toulouse, et a attaqué direct. Pas de préliminaires, droit au but. Le clavier qui lui obéit aux doigts et, on le jurerait à l’oeil.
Le pianiste actuellement en tournée avait abandonné ses fidèles acolytes pour se présenter en solo une heure durant. Une heure durant laquelle il fit une véritable démonstration de sa science presque surnaturelle de l’improvisation. Brad Meldhau est l’un des rares pianistes à pouvoir dans une même digression citer du Debussy, du Bach ajouter une pincée de blues et même de pop.
Il peut bien s’emparer de quelques standards ou de ses propres compositions, cela n’est qu’un prétexte pour faire exhaler le piano qui sous ses doigts prend mille couleurs.
Chez Brad Mehldau il y a bien sûr ce sens du placement rythmique mais il y plus. Chez lui tout est affaire d’intention. La façon dont il attaque les notes du clavier et les nuances qu’il met dans ces attaques sont juste stupéfiantes. Il sait, non pas caresser le clavier mais juste doser l’attaque exactement dans l’intention qu’il veut donner. Et même à certains moments cela se mélange et Brad joue avec les renversements d’accords, intervertit main gauche et main droite (on s’accroche pour comprendre quelle main fait la basse, les arpèges et la mélodie).
Mais au final toujours on suit le pianiste dans ses digressions. Il nous embarque parce que jamais linéaire. Toujours à l’affut de la phrase ou de l’accord qui va venir réveiller l’intérêt que nous portons à ce monologue jamais introspectif mais tout entier tourné vers les multiples combinaisons de la musique. Avec une pointe de mélancolie qu’il va chercher dans les basses de son clavier.
Brad Meldhau a en partie joué hier soir quelques morceaux de son dernier album « Seymour reads the Constitution » paru en 2018 sur le label Nonesuch records et aligné plusieurs standards dont un magnifique Lover man.`
On peut reprocher au pianiste une certaine froideur vis à vis du public à qui il n’adresse pas un mot, donnant un peu l’impression de faire le job sans chercher particulièrement à communiquer.
Mais peu importe après tout. Ceux qui ont su entrer dans son univers on trouvé là le seul et unique moyen de communication : la musique.
A 30 ans, Baptiste Herbin inscrit son nom au panthéon du jazz français en s’adjugeant le prix Django Reinhardt (1) du musicien de l’année 2018 décerné par l’Académie du Jazz et qui lui a été remis le 9 février lors d’une soirée marquée par un concert-hommage à Michel Petrucciani à l’Auditorium de la Seine Musicale de Boulogne-Billancourt.
Le saxophoniste (alto et soprano) rejoint ainsi les 13 artistes pratiquant l’instrument du facteur belge Adolphe Sax qui figurent au palmarès du prix prestigieux depuis sa création en 1954, à commencer par le premier lauréat, Guy Lafitte, mais aussi les quadragénaires Géraldine Laurent, Pierrick Pedron, Emile Parisien, Stéphane Guillaume.
L’année 2018 aura bien été celle de la consécration pour Baptiste Herbin, actif sur la scène parisienne depuis une décennie. En l’espace de quelques semaines, on l’aura ainsi entendu au Bal Blomet participer au quatuor de saxophones Fireworks (avec Jean-Charles Richard, Vincent David et Stéphane Guillaume) et présenter au New Morning son dernier album, ‘Dreams and Connections’, (le premier en leader pour le label indépendant Space Time Records de Xavier Felgeyrolles) où il démontre virtuosité, fougue et éclectisme (be-bop, hard bop, musique classique, airs brésiliens).
Dévoilé par François Lacharme, son président, le palmarès 2018 de l’Académie du Jazz récompense également par le Prix du disque français, ‘Left Arm Blues’ (Jazz&People/Pias), du trompettiste Fabien Mary : huit compositions du leader et un standard (All The Things You Are) interprétés par un octette comprenant trois saxophones dans une couleur « années 60 ».
Deux artistes déjà au firmament de la jazzosphère complètent le noyau dur du palmarès de l’Académie du Jazz : le pianiste Kenny Barron qui remporte (avec une confortable avance) le Grand Prix de l’Académie du Jazz pour ‘Concentric Circles’ (Blue Note-Universal), donné en quintet (Mike Rodriguez, trompette; Dayna Stephens, saxophones; Kyosho Kitagawa, basse, et Jonathan Blake, batterie) et le chanteur Kurt Elling, Prix du jazz vocal pour ‘The Questions’ (Okeh-Sony Music) où le baryton de Chicago s’interroge sur l’état du monde et pousse la romance avec élégance.
Les lecteurs des DNJ retrouveront aussi dans le choix de l’Académie du Jazz deux créateurs ayant eu les faveurs de nos colonnes : le tromboniste suisse Samuel Blaser, Prix du musicien européen (‘Early in The Morning’. Outhere) et, last but not the least, Martial Solal - primesautier à 91 ans à Gaveau en solo le 23 janvier dernier et dans Histoires Improvisées, sorti à l’automne chez JMS - distingué par un Prix Spécial pour l’ensemble de son œuvre.
Jean-Louis Lemarchand.
Pour consulter le palmarès complet, rendez-vous sur le site de l’Académie du Jazz.
(1)Avec le soutien de la Fondation BNP Paribas
Sixième concert de la saison pilotée par Arnaud Merlin, et troisième de l'année encore presque nouvelle. À l'affiche les groupes de deux contrebassistes : Riccardo Del Fra, solide pilier du jazz européen, et Stéphane Kerecki, lequel dit au public avant de jouer son émotion d'assurer la première partie de celui qui fut son professeur voici vingt ans au département de jazz du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris ; il assistait même au tout premier cours de Riccardo dans cette noble institution.
STÉPHANE KERECKI «French Touch»
Julien Lourau (saxophones ténor et soprano), Jozef Dumoulin (piano, piano électrique), Stéphane Kerecki (contrebasse), Fabrice Moreau (batterie)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 2 février 2019, 20h30
Version 'Sur le Vif' du programme qui sous-tendait le disque éponyme, en l'occurrence quelques pages marquantes de la 'French Touch' électro partie à la conquête du marché et du goût planétaires. Sur ces standards d'un nouveau genre, le résultat est saisissant de musicalité profonde et incarnée. Cela commence très fort avec un titre de Daft Punk, Robot rock, qui évoque en nous le souvenir du premier Weather Report (époque Miroslav Vitous) bien plus que le célèbre groupe électro mondialisé. Sur All I Need de Air ensuite, Julien Lourau, toujours au soprano, joue avec ses effets, et leut absence, en passant d'un micro à l'autre, tandis que Stéphane Kerecki nous gratifie d'un solo tout à la fois chantant et combatif. La pression monte d'un cran avec Harder, Better, Faster, Stronger (Daft Punk, encore),avant que le saxophoniste ne passe au ténor pour Nightcall de Kavinsky (un proche de Daft Punk) : ici Jozef Dumoulin fait parler sa science des effets électronique, à quoi le sax répond dans le même registre avant que le piano ne réponde dans sa pure acoustique ; improvisation de type 'Total Modal', comme pourrait dire Andy Emler. Et ainsi de suite, chacun tirant le meilleur parti d'un matériau fortement connoté qu'il est possible pourtant de tirer vers d'autres univers, ce que fait magnifiquement Fabrice Moreau dans un solo qui part des rudiments du vocabulaire de l'instrument jusqu'au paroxysme de la polyrythmie. Belle démonstration de musique vraiment vivante.
RICCARDO DEL FRA «Moving People»
Riccardo Del Fra (contrebasse, composition, arrangements), Tomasz Dabrowski (trompette), Jan Prax (saxophones alto et soprano), Carl-Henri Morisset (piano), Nicolas Fox (batterie), et en invité Kurt Rosenwinkel (guitare)
Paris, Maison de la Radio, studio 104, 2 février 2019, 21h50
Avant de commencer à jouer, le leader rappelle l'origine de ce programme, et du disque qui en est issu : la commande d'un projet musical sur l'amitié entre les peuples d'Europe, qui va produire ensuite une profession de foi humaniste pour l'empathie, notamment celle qui s'impose envers les migrants fuyant des territoires en guerre. Il en résulte la présence sur scène d'un trompettiste polonais, d'un saxophoniste allemand, d'un pianiste français d'origine haïtienne, d'un batteur français et d'un invité américain résidant à Berlin, tous rassemblés par le plus français des contrebassistes italiens. Les deux premiers titres, enchaînés, évoquent ces plages où échouent les migrants qui fuient dans des embarcations plus qu'aléatoires des pays où il faut parfois slalomer entre les pièges des champs de mines. La musique ne souffre d'aucune lourdeur illustrative, elle ne garde de son propos que la véhémence et la mélancolie. Sur l'ensemble du concert comme à l'intérieur de chaque pièce le souci de la forme tend à prévaloir, sans altérer jamais la force de l'expression. Tous les membres du groupe sont des solistes hors de pair, les improvisations et les échanges sont toujours de haut vol, ce qui nous valut de bout en bout un très beau concert, conclu en rappel par une relecture très déstructurée de Let's Call This de Thelonious Monk.
Xavier Prévost
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Pour ceux qui n'ont pas eu la chance d'assister à ce concert, comme aux précédents, il reste à espérer qu'ils seront diffusés au cours des prochains mois sur France Musique. Il n'est pas interdit de questionner la direction de notre radio favorite sur le sujet....