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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 11:17
EMOUVANTES 2018 LES BERNARDINES, MARSEILLE  (SUITE ET FIN)

MUSIQUES AUX BERNARDINES

FESTIVAL LES EMOUVANTES 2018 (26 au 29.2019)

Il est de retour le festival du label marseillais EMOUVANCE et les souvenirs affluent, du temps où je collectionnais, chroniquais les albums de ce label indépendant créé en 1994 à Marseille par le contrebassiste Claude Tchamitchian, Gérard de Haro (La Buissonne) et Françoise Bastianelli : je découvrais alors ces musiques affines, improvisées, plutôt éloignées du jazz classique que j'affectionnais et aime toujours au demeurant. J'ai pu rencontrer ainsi des musiciens emblématiques du label (40 albums à ce jour) : Claude Tchamitchian créateur, âme vive du label et du festival, mais aussi le clarinettiste Jean-Marc Foltz ("Virage facile", mon premier coup de cœur du label), le pianiste Stephan Oliva, les guitaristes Philippe Deschepper, Raymond Boni qui, avec Eric Echampard jouait l'extraordinaire "Two Angels for Cecil", le saxophoniste Daunik Lazro....Hommage aux cultures méditerranéennes (bien avant le Mucem) et pas seulement, avec d'autres voix, d'autres frères de son, à défaut de sang.

Evoquons aussi les pochettes abstraites du label, sa charte graphique unique (police Bodoni) qui se marie si bien avec la ligne musicale d'Emouvance. 

Toujours voir la musique en action et cette année plus que jamais, la thématique de cette édition étant la poétique du mouvement avec des croisements féconds entre les différentes disciplines, texte, danse, vidéos, graphismes. A chaque fois, des concerts mis en lumière, en espace, en son, avec de l’imprévu, de l’improvisation, des musiques troublantes, réglées au cordeau, vivantes.

Singulière proposition que ces EMOUVANTES, dont c’est la sixième édition. Le festival a commencé en 2012 à la Friche de la Belle de Mai, autre lieu emblématique et branché de la cité phocéenne et depuis l'an dernier, pour le plus grand plaisir de tous, dans la chapelle néoclassique du lycée Thiers, côté prépa, la chapelle des Bernardines, au coeur de la ville, à côté du cours Julien, de la Canebière, non loin de l’Alcazar et du Vieux Port . Un festival désireux de s'ancrer dans la région SUD (on ne dit plus PACA) et de faire découvrir des musiques inouïes ici.

L'ami Xavier Prévost a rendu compte des concerts des deux premières soirées. Je partage son enthousiasme pour les deux concerts de jeudi soir  (ma première soirée) le formidable "The Emovin Ensemble" qu'Andy Emler nous présenta avec son humour et sa pédagogie particuliers. Création, musique commandée par l'ami et partenaire "Tcham" du Mégaoctet. Un hommage au mouvement, dynamique fondamentale de la vie. Avec l' é motion évidemment.

Un nouveau groupe est né avec ces 5 superbes solistes autour du pianiste : Dominique Pifarély, Eric Echampard, Mathieu Metzger et  Sylvain Daniel.

Quant au concert de la première partie, il s'articule autour de la musique du compositeur allemand Hans Werner Hemze, c'est à un travail d'arrangement pour son quartet, The Henze Workshop" que s'est livré le saxophoniste Stéphane Payen, à partir des neuf pièces ou courts mouvements originaux, "Sérénades". Un concert en miroir avec la  contrebassiste Charlotte Testu, révélation de la soirée.

 

Samedi 29 septembre

AUTOUR DE JOHN CAGE

LE QUAN NINH SOLO (19h00)

Voilà bien une musique que je n'écoute pas naturellement,  programmée ce soir dans le cadre de la chapelle des Bernardines à l'acoustique exceptionnelle. Quand on évoque la musique contemporaine, on tombe vite dans des clichés, inaudibles ces sons frottés, nouveaux, mystérieux? Sérielle, répétitive, concrète, minimaliste, comment la qualifier? Il y a tellement de variétés possibles qu'il est sans doute utile d'avoir quelques éclaircissements. 

Pendant une heure environ, quatre pièces seront présentées par le percussionniste qui ne dit mot, que l'on sent extrêmement concentré, autour d'un dispositif centré autour d'une grosse caisse, d'un triangle monté sur un axe muni de deux micros et d'une caisse claire.

Comme à chaque fois que je suis confrontée à ces musiques expérimentales et contemporaines (pièces de la fin des années 80), j'essaie de suivre les mouvements du musicien, de comprendre ce qu'il fait, d'analyser ses gestes, la façon dont il bouge et anime ses instruments (cymbales, baguettes, pommes de pin, bols), de définir ce que j'entends: crissements, chuintements, frottements, stridences, effleurements, froissements, frémissements....variant en intensité,  en volume, fréquence, durée. Il me semble paradoxalement que j'entends mieux les yeux fermés, immergée dans ce son qui ne me paraît pas naturel pour autant. Il ne provient pas de la rue, il n'est pas fabriqué par accident mais construit par un processus que je ne comprends pas. Qui correspond cependant à une performance, un voyage au coeur du son plus que du souffle (je repense à Scelsi par exemple). 

La pièce autour du triangle me frappe, elle dure très longtemps me semble t-il : je me demande comment le musicien arrive  à jouer sans s'arrêter, en frappant de petits coups secs avec une sorte de stylet, sur l'un des côtés du triangle, l'autre main maintenant immobile l'autre côté. Ce bruit répété nous immerge dans des harmoniques étranges qui restent supportables cependant.

Le concert fini, je me prépare à sortir alors que des spectateurs passionnés venus pour entendre du Cage, s'approchent de la scène et commencent à poser des questions au percussionniste. Je les rejoins et j'ai alors la réponse à certaines de mes interrogations. 

La pièce qui m'a fascinée est une composition d' Alvin Lucier (1988), pionnier dans le domaine de la performance instrumentale, avec notamment une notation rigoureuse des gestes des instrumentistes. Il brode ici une variation très précise autour d'une évocation d'un tramway. Soudain, je visualise ces bruits secs, tintements précis et incessants, j'entends Judy Garland évoquer la cloche dans "TheTrolley Song"de Meet me in Saint Louis de Vincente Minelli. Etrange rapprochement de temps et de musiques.

La pièce de LUCIER qui dure 15 minutes est dirigée selon un mode opératoire très précis qui dicte et impose des contraintes : jouer sur l'alternance de 5 paramètres, en n'en variant qu'un seul à la fois, toutes les 20 ou 25" : il s'agit du temps, de la vitesse (320 à la minute), de l'étouffement ou amortissement du son ("damp" en anglais), du "damp location" (à savoir l'emplacement des doigts pour étouffer le son), du "beater location" (la position de la batte). Pour jouer du triangle, le percussionniste dispose d'une batte, court stylet précis, oblique à un bout. Travail qui demande une concentration extrême, un calcul mental incessant pour effectuer les changement imposés. Il nous avoue d'ailleurs s'être trompé sur la fin d'une pièce, introduisant ainsi une entropie tout à fait regrettable. Évidemment, lui seul a pu le noter... Cette musique sérieuse suit des règles implacables, "oulipo" transposé où la fantaisie pourrait se glisser, tout en restant sensible au son en tant que phénomène physique. S' il s'agit de jouer avec les contraintes pour créer des résonances et sensations inédites, l'improvisation ne peut-elle pas suivre divers chemins, donnant place à un autre univers de possibles?

Lē Quan Ninh sort aussi la partition de John Cage intitulée Composed improvisaton for Snare Drum Alone (1990) et un coup d'oeil rapide montre la complexité du modèle.

Seules les pièces sur la grosse caisse sont des improvisations qui sont élaborées avec soin, selon une gymnastique parfaite. Où le musicien devient athlète du geste. Et non plus seulement artiste peintre du son.

 

REGIS HUBY BIG BAND

"THE ELLIPSE" (21h00)

Quel plaisir de retrouver le violoniste Régis HUBY avec ce nouveau projet, présenté pour la première fois à Malakov l'an dernier, au Théâtre 71, Scène Nationale! Il a réuni une troupe, un big band de 15 partenaires formidables, qu'il a pu apprécier ces dernières années dans divers projets. C'est en effet en pensant à ces rencontres, ces bouts de vie partagés, ce cheminement commun qu'il a conçu cette pièce de près d'une heure quinze, gigantesque travail de composition architecturé avec le plus grand soin. Sa direction possède ce qu' il faut de tension, de passion pour emporter celle des spectateurs. 

Pour ces retrouvailles qui s'enrichissent de toutes les expériences traversées, il a envisagé des regroupements en unissons éclatants, des montées en puissance enivrantes jusqu'au vertige mais aussi des parcours fragmentés, lignes de fuite comme dans les solos si différents des deux guitaristes  (sur les bords supérieurs de la scène en amphithéâtre), le délicat travail "folk" qui raconte toujours une histoire, de Pierrick Hardy sur guitare acoustique et les sorties de route toujours intenses, précises de Marc Ducret, que Régis Huby qualifie de "soliste concertiste".

Tous se retrouvent avec un plaisir évident pour servir la musique qu'ils aiment, celle de Régis Huby en l'occurrence, le grand ordonnateur de cette ellipse musicale. Une forme circulaire,  en tension et détente, avec reprises, variations, répétitions subtilement décalées...Il est "très reichien" me confiera backstage Guillaume Séguron, tout en soulignant la vitalité, le lyrisme de cette écriture pleine, dense, presqu'opératique (on peut penser à des envolées verdiennes) qui travaille sur l'épuisement des motifs rythmiques entre écriture continue et giclées d' improvisation. Un travail soigné, cohérent, édifié sur la recherche des timbres, couleurs et textures qui s'emboîtent selon la forme d'une suite en trois mouvements, avec un scherzo au centre. De toutes les manières, Régis Huby a pensé à chacun, leur laissant ainsi donner la pleine mesure de leur talent.

Quand on entre dans la salle, on est saisi par la taille de l'orchestre et la disposition particulière des pupitres étudiée pour que tout converge vers les basses, le grave et une certaine frénésie rythmique : ainsi pour la première fois, le tromboniste Matthias Mahler est au centre du plateau.

Seul cuivre de l'ensemble, il apporte la chaleur, l'opulence et le moelleux de la chair, serré de près par la clarinette basse, profonde (Pierre François Roussillon). Derrière lui, le vibraphoniste et marimbiste Illya Amar joue un rôle moteur dès l'ouverture, s'élançant d'un instrument à l'autre, plus impressionnant encore que le batteur Michele Rabbia, renfort puissant.  Au dernier registre, les deux contrebasses côte à côte, solidaires et complémentaires jouent alternativement en pizzicati et à l'archet (Guillaume Séguron et Claude Tchamitchian). Doubler certains instruments pour étoffer les graves, assurer l'assise, le socle de l'orchestre. Mais étoffer n'est pas répéter, les guitares ne jouent pas le même rôle, la clarinette claire et joueuse de Catherine Delaunay ne se confond jamais avec le son insolite du flûtiste Joce Mienniel modifié par les effets contrôlés aux pédales. Il agit souvent en interaction avec Bruno Angelini, souple transformiste au piano, fender et litlle phatty, dans des duos poétiques, privilégiant fluidité et énergie.

Si on peut penser à un orchestre symphonique, la répartition est originale, les cordes étant limitées aux seules présences vibrantes du violon, alto et violoncelle, respectivement Régis Huby, Guillaume Roy et Atsushi Sakaï (compagnons du quatuor IXI).

Vous l'aurez compris, on ne saurait trouver meilleure façon de terminer le festival avec ce concert euphorisant. On n'a pas pu quitter le plateau des yeux et l'on sort un peu sonnée, mais totalement réjouie. Comme dans toutes les fins de festival, nous nous attarderons longtemps autour de petites tables, en un salon improvisé, dans la nuit douce qui remue, à parler du concert, les musiciens improvisant de petites "masterclasses" décontractéees pour nous tous, public, photographes, rédacteurs, organisateurs, amateurs. Un "debriefing" amical et chaleureux : il y eut dans cette oeuvre, quelque chose d'insaisissable, de libre et de créatif, quelque chose de contagieux dont les musiciens se sont emparés avec délectation.

Un de ces moments rares que l'on aime à partager. Vivement l'édition prochaine...

Sophie CHAMBON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 19:57

 

MARSEILLE, deux jours au festival LES ÉMOUVANTES

 

Pour le banlieusard francilien, l'aventure sudiste commence souvent Gare de Lyon. Aventure plus que modeste, mais toujours divertissante. Le TGV 6107 est annoncé avec 20 minutes de retard Hall 2. J'y cours. Puis on annonce le train Hall 1. Là je constate que le piano droit a disparu, et qu'il est remplacé, à quelques mètres de là, par un tout petit piano à queue d'une autre marque japonaise : la concurrence des industries du piano fait rage, même dans les gares....

Finalement le train partira avec 28 minutes de retard. Comme il ne s'arrête pas avant Avignon TGV, on peut envisager un rattrapage partiel, mais un train en panne sur les voies quelques dizaines de minutes plus tard portera le handicap à 49 minutes ! J''espère arriver assez tôt pour déjeuner comme prévu avec mon vieux pote (nous avons le même âge, et nous nous sommes rencontrés à Lille au début des années 70) Philippe Deschepper, natif de Roubaix, et devenu Marseillais voici quelques années.

Un repas amical avec Philippe, Cours Julien, pour parler du bon vieux temps, mais aussi du présent, et des Amis (dont le très regretté Jacques Mahieux, qui nous enchanta l'un et l'autre par ses talents de batteur et de chanteur, sa culture et sa verve poétique). On se retrouvera au concert du soir, aux Théâtre des Bernardines, dans la chapelle de l'ancien couvent édifié au XVIIIème siècle.

Le festival Les Émouvantes est un festival très singulier, et même unique : programmé par Claude Tchamitchian, un musicien de haut vol (et qui ne se sent pas obligé de s'auto-programmer). Il place la création et l'exigence musicale au centre du débat. Le thème de l'édition 2018, c'est le mouvement, source de l'émotion. Il va se décliner, en toute musicalité durant 4 jours. Et votre serviteur eut le grand plaisir d'assister aux deux premières soirées.

 

DUO BARRE PHILLIPS (contrebasse) & JULYEN HAMILTON (danse)

Marseille, Les Bernardines, 26 septembre 2018, 19h

 

Avec ce premier concert-spectacle, on entre dans le vif du sujet, le mouvement. La contrebasse ouvre l'espace musical avec un pizzicato affirmé, mais aussitôt le danseur surgit, ouvrant le terrain de jeu, restreint pour l'instant à un cercle de lumière tombant droit des cintres. Le danseur est au centre, et le bassiste dans la marge bordurière (comme on dit au Québec, dans le Jura suisse, et dans les anciens baux ruraux de ma Picardie natale). Le contrebassiste californien aura bientôt 84 ans, le danseur britannique a quelques années de moins, mais ils sont comme du vif argent, sans que l'on sache jamais qui mène la danse : la danse ou la musique ? Voici le contrebassiste qui entre dans l'espace lumineux, désormais élargi. Corps du danseur en mouvements lents, comme une prière ou une offrande, puis course poursuite entre la basse bruitiste et le corps. C'est tout un jeu de dialogues, rythmés par le surgissement de triangles de lumière ou de couleur : humour, profondeur, poésie et fantaisie se mêlent, c'est un pur bonheur pour les yeux et les oreilles, pour l'intelligence et l'émoi. Ces deux là ont derrière eux vingt années de connivence. Cela se sent, cela se voit, cela s'entend : public conquis, émerveillé, chroniqueur inclus !

 

DOMINIQUE PIFARÉLY SEPTET «Anabasis»

Dominique Pifarély (violon, composition), Bruno Ducret (violoncelle), Sylvaine Hélary (flûte, flûte alto, piccolo), Matthieu Metzger (saxophones soprano et alto), François Corneloup (saxphone baryton), Antonin Rayon (piano, synthétiseur), François Merville (batterie).

Marseille, Les Bernardines, 26 septembre 2018, 21h

 

Ici encore, le mouvement est au plus vif du sujet. L'anabase, c'est le parcours depuis la mer vers l'intérieur des terres, la remontée pour la conquête. Dominique Pifarély, grand amateur de poésie profonde, ne fait référence ni à Xénophon ni à Saint-John Perse, mais au poète Paul Celan, sur les textes duquel il travaille et crée depuis plus d'une décennie. La dramaturgie musicale est finement élaborée. Le concert commence par une note obstinée du piano, lequel est finalement rejoint par le sax baryton, puis la batterie, par petites touches, jusqu'à un tutti progressif. Dans le bec de son saxophone, François Corneloup éructe une diction fragmentée qui pourrait être un poème broyé par la moulinette de l'urgence. Sylvaine Hélary nous entraîne dans un solo très libre, avant que Matthieu Metzger, parcourant au maximum l'ambitus de son saxophone alto, ne nous égare par son expressivité confondante. Une fin concertante, abruptement suspendue, m'a presque déconcerté.... Il en ira ainsi tout au long du concert, où les tensions harmoniques hardies, les lignes croisées, les contrepoints aussi subtils que parfois hétérodoxes, et les affirmations du rythme, nous entraînent vers l'effervescence et la paroxysme. Il nous faut plonger dans cette musique pour (tenter de) la suivre. François Merville distribue des accents inattendus, et Bruno Ducret, qui remplace Valentin Ceccaldi retenu ailleurs par d'autres groupes, nous emporte dans différents univers de son instrument, entre une séquence vive en pizzicato et une autre, chantante et articulée plus typiquement violoncellique. Dominique Pifarély laisse parler son lyrisme sans altérer la clarté de son propos, François Corneloup stimule l'expression et Antonin Rayon nous livre, au piano, un solo d'anthologie, avant qu'une déconstruction progressive ne nous conduise vers la logique de la forme, et une coda apaisée : nous sommes tout secoués de bonheur musical.

 

Au matin du jour d'après, mes pas m'ont conduit à la Vieille Charité, hospice du dix-septième siècle aujourd'hui centre culturel et musée. Après une visite à la collection de Pierre Guerre, avocat, collectionneur d'art africain depuis la prime adolescence (et amateur de poésie.... et de jazz !), je me dirige vers les salles de l'exposition 'Jazz &Love', initiée par le festival 'Marseille Jazz des cinq continents' et conçue par Vincent Bessières (qui avait imaginé notamment les expositions 'We Want Miles' et 'Django Reinhardt, swing de Paris', à la Cité de la Musique (et ailleurs).

L'expo est présentée depuis le 13 juillet, elle va e terminer à la fin de la semaine, et comme je n'avais pas eu l'occasion de venir à Marseille cet été, je me hâte de la voir pour vous en parler. On y présente des œuvres graphiques et plastiques de Basquiat, Rancillac, Arman, Nicolas de Staël, Niki de Saint Phalle, Hervé Di Rosa, Ouattara Watts, mais aussi Rico Gatson, avec une série de 12 tableaux avec collage, feutre et crayon de couleur, selon moi légèrement surévalués....

Et aussi de photos de Francis Wolff, Jimmy Katz, Art Kane, Carole Reiff, Guy Le Querrec.... des pochettes de 33 tours de la collection Jean-Paul Ricard, des partitions, et des objets de collections reflétant l'amour du jazz.

En quittant la Vieille Charité en direction de la mer, je traverse la quartier du Panier, qui s'épanouit sous le soleil et sous les graphes....

. puis je m'en vais prendre des nouvelles des balances pour les concerts du soir.

 

The Henze Workshop, pendant la balance

 

THE HENZE WORKSHOP invite CHARLOTTE TESTU

Stéphane Payen (saxophone alto, arrangements), Olivier Laisney (trompette), Guillaume Ruelland (guitare basse), Vincent Sauve (batterie) & Charlotte Testu (contrebasse).

Marseille, Les Bernardines, 27 septembre 2018, 19h

 

Encore une histoire de mouvement, entre deux univers. Mouvement du cœur, qui incite le saxophoniste Stéphane Payen à accompagner sa femme contrebassiste qui en a assez d'être seule quand elle joue les neuf mouvements de la Sérénade (écrite pour violoncelle, puis adaptée pour contrebasse) du compositeur allemand Hans Werner Henze. Mouvement dans la musique qui le conduira à écrire pour son quartette des parties qui se superposent à la partition de contrebasse, dialoguent avec elle, en conversation ou en miroir, et à convier une autre contrebassiste pour jouer cette partition détournée. Le résultat est étonnant de cohérence. Cette musique écrite du XXème siècle, dite contemporaine, est parfaitement en phase avec le jazz contemporain, qu'il soit écrit ou improvisé, selon les instants. Musique profonde, parfois lyrique, parfois emportée par des rythmes très accentués. Un instant on croise une atmosphère de valse lente qui vire à la habanera, au boléro ou au tango, selon le souvenir de chaque auditeur. Le dialogue est fructueux entre le quartette et la contrebassiste, tantôt de soliste à groupe, tantôt de soliste à soliste : dialogue entre la guitare basse et la contrebasse, à partir d'un unisson ; réponse du groupe à un solo très lyrique, presque déchiré, de la contrebassiste, qui tourne à l'effusion presque free après surgissement d'un rythme marqué en tutti. C'est vivant, subtil, les deux souffleurs nous emportent dans leurs improvisations, ici dans la fluidité du jazz, là dans le vertige des complexités rythmiques chères aux jazzmen d'aujourd'hui. Une fois encore, nous sommes conquis par l'originalité et l'intensité de ce nouveau projet : les Émouvantes sont décidément le lieu où se risquent de telles aventures, pour faire advenir une forme inédite de beauté.

 

ANDY EMLER  «The Emovin’ Ensemble» (création)

Dominique Pifarély (violon), Matthieu Metzger (saxohones soprano et alto), Andy Emler (piano, composition), Sylvain Daniel (guitare basse), Éric Échampard (batterie)

Marseille, Les Bernardines, 27 septembre 2018, 21h

 

Le festival a passé commande à Andy Emler d'une musique pour un groupe inédit, un quintette où se croisent un partenaire fidèle du pianiste-compositeur, le batteur Éric Échampard ; un violoniste qu'Andy Emler avait croisé voici près de 35 ans dans la 'Bande à Badault', mais avec lequel il n'avait jamais partagé de projet, Dominique Pifarély ; et deux jeunes musiciens, parmi les plus remarquables de leur génération : le saxophoniste Matthieu Metzger (présent la veille dans le groupe du violoniste) et le guitariste basse Sylvain Daniel. «The Emovin' Ensemble» correspond parfaitement à la 'poétique du mouvement' revendiquée par Claude Tchamitchain dans sa présentation du festival. Ici l'on va glisser du lyrisme de la seconde école de Vienne à une sorte de jazz fusion chambriste en passant par toutes les contrées visitées par le jazz depuis trois bonnes décennies. Après que le violon et le saxophone soprano ont fait chanter avec intensité des lignes d'une beauté mélancolique, un break musclé va me rappeler l'époque où Dominique Pifarély jouait dans le 'Celea-Couturier Group'. Et le voyage ne fait que commencer : le piano va faire baisser la pression tandis que sous ses notes s'affairent basse et batterie, version binaire. La musique est très élaborée, et pleine de surprises. La connivence est complète, et les improvisations sont de haut vol. Extrême expressivité jointe à une profonde musicalité, chez le violoniste comme chez le saxophoniste. Le voyage dans les langages musicaux se poursuit : phantasme d'auditeur transporté, ou réelle -et furtive- référence : ici je crois entendre un violon tzigane, là un thème de la meilleure tradition celtique.... Tout est d'une absolue cohérence, et pourtant il semble que le compositeur-pianiste et ses partenaires se jouent des codes et des langages, sans soucier d'une forme qui est pourtant limpide : du Grand Art !

 

Après le concert les un(e)s et les autres disent aux musiciens leur bonheur d'écoute. Et nous admirons de près le T-shirt de Matthieu Metzger, rapporté de l'un de ses voyages en Finlande.

Le lendemain matin à l'hôtel, au petit déjeuner, je croise Andy Emler, et je lui redis mon enthousiasme. Andy a beaucoup aimé réaliser ce programme avec cette équipe. Il se dépêche de terminer sa collation, qui n'est pas frugale : Andy est une force de la nature ! Le travail l'attend : un atelier d'improvisation au Conservatoire de Marseille, partenaire du festival Les Émouvantes. Dominique Pifarély est aussi de la partie. Merci les gars, nous avons passé de formidables moments à vous écouter. Je quitte à regret Marseille avant les deux dernières soirées. Vous qui, comme moi, n'y étiez pas, il faudra vous en remettre à mes ami(e)s – confrères-consœur et collègues. Le train m'attend, je cours vers la Gare Saint Charles

Xavier Prévost

 

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26 août 2018 7 26 /08 /août /2018 01:49

Petite halte de 48h à Cluny et son entour pour goûter une fois encore le parfum singulier de ce festival du Mâconnais : le mâcon villages est tout près, Pouilly et Fuissé ne sont pas si loin, bref on est en bonne compagnie ! Et la musique surtout respire un parfum original dans l'uniformité festivalière hexagonale qui tend à prévaloir (j'espère que vous me pardonnerez de n'avoir pas écrit 'qui prévaut' , ce qui m'est toujours un peu difficile).

Tout commence pour moi dans les collines, à La Vineuse-sur-Frégande, dans la pierre brute de la Grange du Dîme, avec le très inclassable solo de violoncelle (et de voix) de Dider Petit : il célèbre la sortie du disque «D'Accord», publié voici quelques mois chez RogueArt (www.roguart.com), et enregistré à Pékin en 2016. Libre parcours de musique et de vie, théâtre musical, poésie révolutionnaire et révolution poétique tout à la fois, le tout emporté dans l'espace et l'impesanteur où le musicien s'épanouit ces derniers temps. Ici la Chine et l'Afrique se croisent, Bach s'invite comme horizon fantomatique, et la force de l'instant vécu impose sa douce loi.

On redescend ensuite vers la vallée de la Grosne, au Théâtre Les Arts de Cluny, pour un autre Bach, le vrai, celui des Variations Goldberg, lesquelles sont revues au vibraphone-marimba et à l'improvisation par David Patrois, qui dialogue avec une pianiste classique (et néanmoins japonaise), Remi Masunaga, laquelle va du texte littéral à des séquences en dialogue acrobatique, rendez-vous sur le temps, dans une précision infernale. Un ami musicien présent au concert a trouvé cela trop corseté. Pour moi c'était vivant, et je n'ai pas (comme les nombreux spectateurs de cette salle comble) boudé mon plaisir.

 

Le quartette de Céline Bonacina à la balance   

 

Puis la saxophoniste (baryton et soprano) Céline Bonacina nous a entraînés dans le tourbillon de son quartette : entre vertige mélancolique et déboulés fulgurants (le pianiste Leonardo Montana !), un moment d'intensité musicale extrême. 

Les stagiaires planchent sur l'harmonie

Le lendemain, escapade sur les hauteurs de Matour pour visiter l'un des stages. Il sont l'ADN du festival, dont ils furent voici quarante-et-un an la première manière (ou la matière première) : voir sur ce site l'incursion faite l'an dernier en ces territoires (http://lesdnj.over-blog.com/2017/08/jazz-campus-en-clunisois-40-ans-le-plus-bel-age.html). Cette année, la visite sera pour l'atelier du saxophoniste Guillaume Orti, qui conduit 11 instrumentistes-improvisateurs dans les dédales du jeu collectif, à partir du matériau musical qu'ils proposent eux-mêmes : dense, intense et vivant : trois heures passionnantes.

Le concert du soir, au théâtre, accueille «Letters to Marlene», un hommage à la Dietrich, à la militante plus encore qu'à l'actrice et chanteuse. Guillaume de Chassy (piano), Andy Sheppard (saxophones) et Christophe Marguet (batterie), sont les prêtres bienveillants de cette cérémonie secrète. Au répertoire du disque éponyme, paru voici quelques mois (chez NoMadMusic/Pias), se joignent des inclusions sonores (voix de Marlene, parlée et chantée, extrait de film, discours de Churchill, de Gaulle et Hitler....). La musique est forte, tout comme l'émotion. Encore un beau souvenir à rapporter du Clunysois (j'ose la graphie alternative, même si mon correcteur orthographique la récuse). On reviendra !

Xavier Prévost

 

 

 

 

 

 

 

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7 août 2018 2 07 /08 /août /2018 18:56
AVIGNON JAZZ FESTIVAL 2018

AVIGNON JAZZ FESTIVAL 2018

CLOÎTRE DES CARMES 

4 et 5 août 2018  

 

Après les deux soirées du tremplin jazz, le festival reprend avec deux soirées très différentes qui illustrent la variété des musiques liées au jazz.

Samedi 4 Août : le trio EYM et Erik TRUFFAZ Quartet, une soirée festive!

EYM Elie Dufour (p), Yann Phayphet (cb), Marc Michel (dm).

Le public du cloître venu très nombreux est sensible à ce périple immobile dans lequel entraîne le trio EYM. Plus inspirant que toute odyssée de vacances? Avec ce groupe issu du conservatoire de Lyon qui a remporté bon nombre de tremplins ( La Défense, St Germain, et le tremplin européen de Getxo) mais ne s'est jamais présenté au concours d' Avignon, la tentation était grande pour le conseiller artistique Michel EYMENIER de faire venir ce "power trio". Le style immédiatement reconnaissable renvoie à l'univers du regretté trio suédois E.S.T ou même des BAD PLUS. Formule antique s'il en est, du trio piano-basse-batterie, remaniée, post Bill Evansienne. Une lisibilité voulue et calculée, un certain brio, un minimalisme de la forme avec des cellules répétées ad vitam... Même si le terme est éculé, on a affaire à une musique plurielle, métissée, un concentré de toutes ces cultures musicales et expériences traversées lors de leurs nombreux voyages, de la Méditerranée au Japon, de la Bulgarie, jusqu'à l'Inde de leur dernier périple. L'un de leur titres n'est-il pas "Paradiso perduto" Partir pour se retrouver, se renouveler ou simplement s'évader, se divertir.

 

ERIK TRUFFAZ Quartet feat. NYA

Bending New Corners

Erik TRUFFAZ (tp), Christophe CHAMBET (contrebasse, basse electrique), Benoît CORBOZ (piano, fender rhodes) Marc ERBETTA ( batterie, voix) et NYA (voix);

Comme dans le célèbre ouvrage de Dumas, le trompettiste de l'Ain nous revient vingt ans après, avec ce projet qui reprend l'esprit de ce groupe formidable composé de Marc Erbetta aux percussions, Marcello Giulani à la contrebasse et basse electrique, Patrick Müller au clavier et Fender, avec lequel il enregistra chez BLUE NOTE des albums mémorables comme The Dawn, Bending New Corners, The Mask. Union libre et sincère du jazz, de la soul tendance nu, du rap, du funk. 

 

 

Erik Truffaz a une longue histoire avec Avignon et le jazz, de l'AJMI au Tremplin jazz. Venu présenter ses disques en 1998, en 2001, il est revenu en 2004 dans la Cour d'Honneur pour un ciné-concert autour du film d'OZU, Gosses de Tokyo. Il est encore présent en 2011 pour les vingt ans du Tremplin jazz. Cette année, avant de jouer à Marciac, il a tenu à passer par ici, car il avoue devoir beaucoup à la ville; il rendra d'ailleurs un hommage émouvant au fondateur de l'AJMI, JP Ricard qui lui a donné sa chance et qui lui a permis de rencontrer celui qui allait le faire signer chez le prestigieux label. Soulignant aussi sa reconnaissance envers deux journalistes Frank Bergerot et Pascal Anquetil, membres du jury du concours de la Défense, il évoque aussi son Prix Spécial du Jury en 1993.

 

On se laisse séduire à nouveau, à l'écoute des versions d' "Arroyo", "Sweet Mercy", "Bending New Corners", "the Dawn" et "the Mask" qu'il enchaîne avec appétit. Benoît CORBOZ occupe le terrain autant au rhodes qu'au piano et déclenche l'enthousiasme du public qui agite ses teléphones portables à défaut des anciens briquets. Erbetta a gardé la même énergie. Même que ça gagne en épaisseur à chaque réécoute: les textures ouatées de la trompette, l'entêtant groove font à nouveau leur effet; ne restait plus qu'à coucher une voix, celle du "guest star" invité Nya, dont je me souviens très bien de la dégaine à l'époque, avec ses dreadlocks, sa nonchalance non feinte, et son doux flow. Car j'ai vu moi aussi le quartet mythique au Parc Floral de Vincennes, l'été 2000. Nya nous revient quelque peu transformé sur le plan vestimentaire, mais son chant chaleureux, intimiste nous met en apesanteur... comme autrefois, quand il laisse flotter sa voix sur une trame de claviers et d'électronique. La répétition jusqu'à l'obsession des lignes sinueuses, ondulantes fait son effet : Truffaz a une vibration bien à lui, il ne phrase pratiquement pas, tient la note longtemps, obtenant ce son ciselé, soyeux, enveloppant mais jamais insensibilisant ; comme s'il greffait de subtiles ramifications électroniques, des terminaisons nerveuses à sa trompette qu'il projette autant vers le ciel que vers le sol.

Le concert se termine dans l'allégresse avec de nombreux rappels dont l'un me fait tressaillir car je reconnais ce titre, c'est "Youri's choice" qui nous faisait chavirer autrefois. Tout le monde est heureux et les bénévoles montent sur scène comme ils le font à chaque fin de festival marquante. Sans temps faible, la musique de Truffaz a tenu le coup. Voilà d'heureuses retrouvailles!

 

 

Dimanche 5 août :

OWN YOUR BONES / JOE LOVANO & DAVE DOUGLAS Quintet   :  SOUND PRINTS

Own your bones: Jonas Engel (as), Karlis Auzins (ts), David Helm (cb), Dominik Mahnig (dms).

Dernière soirée du festival, la chaleur est toujours aussi intense...La programmation a choisi de mettre en valeur les vainqueurs du Tremplin Jazz 2017, le groupe allemand (Cologne) OWN YOUR BONES, qui pratique un jazz exigeant, intense, sans compromis.  L'année leur a été profitable et l'enregistrement, auprès de Gérard de Haro, qu'ils viennent de terminer, leur a permis de peaufiner leur programme. Ils sont prêts à faire entendre un jazz de chambre très secoué, avec des lignes mélodiques qui s'étirent, s'enroulent, se séparent, construisant une architecture sonore très aboutie.

Rugueux, passionnés, les musiciens se lancent parfois dans des improvisations intarissables : le saxophoniste alto s'engage physiquement dans des solos contorsionnistes, plus abrupt, parfois à la manière aylerienne (Ghosts) que son complice letton (de Riga ) au ténor, à la sonorité vigoureuse mais plus tendre. Le batteur Dominik Mahnnig, déja repéré l'an dernier,pour son jeu explosif, a quelque chose de convulsif mais il sait à merveille explorer toutes les facettes, jouer des effets de la batterie. Le son de ces quatre musiciens conjugue ainsi élégance et rudesse, aligne rythmiques carrées avec des souplesses incroyables; ça sonne, ça rugit, ça claque mais ça murmure aussi. Ces variations d'atmosphère vibrante et poétique prennent le temps de se fixer dans des tableaux sonores complexes. Captivante, cette musique exige une écoute plus qu'attentive, complice, elle se risque dans le souffle, tente la déclaration, n'évite pas plaintes, cris et stridences mais ne cherche pas l'affrontement.

JOE LOVANO & DAVE DOUGLAS QUINTET

SOUND PRINTS

Joe LOVANO( ts), Dave DOUGLAS (tp), Lawrence FIELDS (p), Yasushi NAKAMURA (cb), Joey Baron (dms).

On attend à présent les Américains tout en espérant que la pluie ne vienne perturber le concert... Après un assez long "sound check", prévu au dernier moment, juste avant le concert, ce qui met les nerfs de l'ingé-son à rude épreuve, le groupe est enfin prêt mais il a été passionnant de voir comment chacun réagit, en particulier le bondissant Joey BARON, très attentif à tous les réglages, minutieux et professionnel jusqu'au bout de ses baguettes. Jean-Paul Ricard me fait finement remarquer que les Américains n'aiment jamais mieux jouer que resserrés, regroupés, pack soudé pour mieux s'entendre et faire ainsi leur propre son. Rien à voir avec la propension plus française à s'étaler, surtout quand on dispose d'un tel plateau. Ça commence très vite, sans préambule, le duo rompu à tous les terrains, attaque par surprise, se plantant comme un seul homme devant le micro. Ensemble, ils jouent mais ne croisent jamais le fer, Lovano est trop pacifique. Voilà donc ce quintet de luxe pour un jazz authentique, très vif, une musique nécessaire aujourd'hui. Qui interroge autant qu'elle ravive les émotions. Sans jamais être conventionnel ni sentimental, la tradition affleure même si l'histoire est pliée. Des musiciens de cette trempe tournent à plein, jamais en rond, dans un cercle défini. Lovano, écho des ténors de la grande époque, pas vraiment "latin souffleur" rend hommage à Wayne Shorter, célébrant, non pas tant sa musique, que l'homme et sa philosophie, ce que représente Shorter dans l'histoire du jazz. On n'entendra d'ailleurs qu'une version de "Juju", arrangée par Lovano, le reste des compositions étant très symétriquement partagé entre les co-leaders. A ce niveau de talent, le quintet roule pour lui. La musique se renouvelle au sein d'une structure très cadrée: unissons et contrepoints des soufflants, solo de chacun à tour de rôle et trio en déploiement, brillant soutien plus qu'accompagnement. Et c'est lumineux. Même si l'on pourrait souhaiter plus d'imprévu. Le programme de ce quintet Sound Prints joue le dernier album, Scandal, sorti chez Green Leaf, le label du trompettiste. Le répertoire est rôdé, mais la fraîcheur d'inspiration demeure. Dave Douglas, vif et précis, présente les compositions dans un français soigné avec cette formule charmante en introduction "Je suis votre trompettiste pour ce soir" .Vélocité contrôlée, phrasé limpide, son droit, clair, tranchant, mise en place sans faille.

Tous font preuve de talent, de sensibilité et d'une flamme intacte, du début à la fin de ce dernier concert de la tournée européenne (ils étaient sous le chapiteau de Marciac dimanche dernier). Même les deux plus jeunes (petite trentaine). Lawrence Fields, qui a joué avec Christian Scott, est un immense pianiste à tous les sens du terme, dont les mains fines ont quelque chose de fascinant. Guère prévisible, il parviendrait à nous faire croire qu'il a oublié certaines influences déterminantes. Toucher subtil, posé et équilibré, fluidité des échanges bien gouvernés dans un espace libre, renouvelé, entretenu par une rythmique exemplaire. Le remplaçant de Linda Oh, en tournée avec Pat Metheny cet été, est un japonais d'origine, grandi à Seatle, Yasushi Nakamura, surnommé affectueusement "sushi" par les autres (me dit-on) ...assure avec fermeté, souplesse et rondeur et s'arrime au tempo infernal du batteur. On ne peut pas  détacher ses yeux de "smiling joey", boule de nerfs, "ball of fire", un batteur exceptionnel aux froissements d'aile aux balais, dont les découpes rythmiques, subtiles, sont dirigées par une gestuelle puissante, très ramassée : mouvements rapides, nerveux, insolites quand il semble "touiller" les peaux,  quand il fait claquer ses baguettes qui n'ont pas le temps de danser sur les tambours. Ça déboule dans l'urgence....tout en restant musical ! 

Le festival se termine sur ce concert magnifique. Expressivité et savoir-faire. Du grand jazz. Une authentique déclaration d'amour à cette musique de partage et de liberté, à laquelle on ne peut rester insensible. Décidément, ce festival, original, garde raison et taille humaine. Il demeure mon coup de coeur estival et une fête entre amis.

Sophie Chambon

PHOTOS DE Claude DINHUT, Marianne MAYEN, J-H BERTRAND.  

 

 

 

 

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7 août 2018 2 07 /08 /août /2018 15:52
27ème édition du Tremplin Jazz d'Avignon , Cloître des Carmes, les  2 et 3 août.
 GRAND PRIX  SIMON BELOW TRIO (Simon Below (p), Fabian Dudek (as, ssax), Yannick Tieman (cb), Jan Philipp (dm).

GRAND PRIX SIMON BELOW TRIO (Simon Below (p), Fabian Dudek (as, ssax), Yannick Tieman (cb), Jan Philipp (dm).

Prix de l'instrumentiste  TORUNSKI BROTHERS Quartet ( Greg Torunski (as), Piotr Torunski (bcl), Mike Roelots (Rhodes), Ron Van Stratum (dm).

Prix de l'instrumentiste TORUNSKI BROTHERS Quartet ( Greg Torunski (as), Piotr Torunski (bcl), Mike Roelots (Rhodes), Ron Van Stratum (dm).

 

27ème édition du Tremplin Jazz d'Avignon

Cloître des Carmes, jeudi 2 et vendredi 3 août 2018.

www.tremplinjazzavignon.fr

Retour à Avignon et partage de ces moment forts en jazz, au coeur d'un été caniculaire. Il n'est pas besoin de partir loin... Avignon est une destination jazz tout indiquée avec ce festival atypique qui inclut un tremplin jazz européen.

Début du mois d'août. Les murs grattent leur peau d’affiches, la ville tente de revenir à elle-même après le marathon théâtral de juillet. Le tremplin européen se glisse après la première soirée de festival (Django Charlie et le trio de la jeune bassiste Kinga Glyk) pour deux soirées très suivies par un public local, fidèle et quelque peu ouvert au jazz. Nous sommes à deux encablures de l'Ajmi, la scène de jazz avignonnaise qui fête cette année ses quarante ans!  Retour donc au cloître des Carmes avec une furieuse envie de continuer à suivre l'aventure de ce concours, initié en 1991 par des passionnés de musiques, toujours actifs pour cette 27ème édition. Michel Eymenier en est le conseiller artistique avisé, collectionneur fou, amoureux de Lester Young, entouré de deux dynamiques co-présidents, Robert Quaglierini et du plus jeune Jean Michel Ambrosino (dont c'est tout de même la dixième participation). Sans oublier  Jeff Gaffet et l' équipe épatante de bénévoles qui se déploient sur tous les fronts, par cette chaleur, à la buvette, au catering, à la technique, sans oublier les chauffeurs et les photographes. Tous fidèles en dépit des fragilités inhérentes aux associations organisatrices, dépendantes de subventions et de la générosité de mécènes.

La vocation du tremplin est de donner un espace d'expression à la jeune scène européenne, d'aider à l'émergence de groupes pré sélectionnés qui pourront mettre à profit cette expérience unique (le concours a commencé dans le quartier difficile de la Barbière, puis dans le square Agricol Perdiguier, avant de se fixer aux Carmes), jouer sur cette scène rêvée à l'acoustique exceptionnelle. Car, si les voûtes du cloître ne parviennent pas, cette année, à prodiguer une ombre fraîche et salutaire, le son est toujours assuré avec finesse par Gaetan Ortega qui officie sur la terrasse, en maître de l'espace sonore. Quant aux pierres et gargouilles du cloître, elles sont mises en lumière par un artiste des découpes et de l'éclairage. Ce plaisir de l'oeil décuple le soin porté à l'écoute. Les six groupes qui entrent en lice, cette année, pour ce qui reste l'un des rares tremplins européens, sont allemands, hollandais, serbes et français.

Rappelons que le Grand Prix consiste en un enregistrement et mixage au Studio de la Buissonne et un concert en première partie d'une des soirées du festival de l'année suivante. Les autres prix (Soliste, Meilleure Composition) sont récompensés d'un chèque de 500 euros offerts par les divers partenaires; sans oublier le Prix du Public très convoité et des cadeaux offerts sur tirage au sort des votants. 

Première soirée : jeudi 2 août

SHIFT Sextet français  Nicolas Algan (tp), William Guyard (sax), Arthur Guyard (p, clavier), Dorian Dutech(g), Louis Nicolas Gubert (b), Guillaume Prévost (dm).

Ce premier groupe toulousain  fait impression dès le démarrage du set, s'installe  vite dans une forme de jazz rock célébrée dans les années soixante-dix/quatre vingt, tendance Brecker Brothers ou Uzeb, esthétique et musique qui peuvent se révéler dangereuses car elles génèrent souvent des clichés. Quelque difficulté à trouver un son de groupe original avec ces collages, changements de rythme, ces inflexions reggae qui pimentent leurs compositions. Néanmoins, on reste sur le premier titre orchestral Impressions d'ivresse qui a cependant de quoi séduire avec de beaux unissons des soufflants.

SIMON BELOW quartet

Simon Below (p), Fabian Dudek (as, ssax), Yannick Tieman (cb), Jan Philipp (dm).

Dès leur première composition "Into the Forest", ce très jeune quartet allemand, qui vient de Cologne, école réputée et vivier inépuisable de jeunes talents, s'impose très vite par la qualité poétique de leur musique, avec des ruptures de rythme au sein d'un même morceau, de la ballade au free. Le saxophoniste, délicat au soprano, change à l'alto, gronde et rugit sur "Late Mate", soliste saisissant qui ne prend pas pour autant le pouvoir, tant le batteur assure des glissements rythmiques assez extraordinaires. Le pianiste qui est aussi le leader, est constamment inventif, ses arpèges pouvant se transformer en accords plaqués vigoureusement. Une des dernières compositions "Wailing Wind's Story", rêverie inquiète, à la douceur mélancolique, retient notre attention. Quelle étonnante complicité des quatre musiciens, dont les commentaires spontanés entretiennent et relancent l'échange. Ce groupe dont les mélodies empruntent un chemin quelque peu brisé, a une capacité à ouvrir des passages entre les genres, au gré d'une improvisation sensible et très suggestive.

 

DEXTER GOLDBERG trio

Dexter Goldberg (p), Berrand Beruard (cb), Kevin Luchetti (dm)

Ah ça joue, c'est enlevé dès l'ouverture. Peut être même un peu trop. Les lignes mélodiques s'emballent sur un rythme faussement enjoué. Le pianiste, Dexter Goldberg, fils de saxophoniste (!), issu du CNSM parisien, fait entendre un beau son, mais, en dépit d'une réelle maîtrise du clavier, ne se révèle t-il pas un peu trop démonstratif, voire désorienté quand il s'abandonne à certaines bifurcations? 

Deuxième soirée : vendredi 3 août

TORUNSKI BROTHERS QUARTET

Greg Torunski (as), Piotr Torunski (bcl), Mike Roelots (Rhodes), Ron Van Stratum (dm).

Voilà assurément une formation très étonnante venue des Pays-Bas (Maestricht) engagée dans une musique personnelle, originale et inspirée. Première impression très forte, presque définitive. Confirmée par la ballade qui suit, Hands up, sifflée au tout début. Les soufflants ont une complicité quasi-gemellaire et cela s'entend. A défaut de respirer d'un même souffle, ils semblent se passer le relais, en un élan continu. La clarinette basse joue fort avantageusement la carte rythmique de la basse et soutient ainsi un claviériste efficace. Le groupe a cependant tendance à se perdre dans des ramifications inépuisables de la mélodie, et l'ensemble du set dépassera les 40 minutes imparties. Sans les disqualifier, cette tendance à la divagation les pénalisera. Une transe dans laquelle ils aiment se perdre, à l'évidence, et dans laquelle ils embarquent certains d'entre nous. Mais pour être vainqueur, n'auraient ils pas besoin d'un projet plus structuré, une écriture plus resserrée? D'ores et déjà, on s'achemine vers un duel allemand/ néerlandais. Bien que les frères Torunski viennent de Pologne à l'origine, du conservatoire de Katowice.

Der Weise Panda  Maïka Kuster (voc), Felix Hauptmann (p), Yannick Tiemann (cb), Joe Beyer (dm)

Que nous réserve le deuxième groupe allemand, venu lui aussi de Cologne? Qui a attendu sagement, non sans inquiétude, que l'averse, qui ne rafraichira même pas l'atmosphère, leur permette de s'installer. Nuit des étoiles filantes ou pas, on espère que la pluie ne viendra pas ruiner les espérances des finalistes, car il n'y a pas d'alternative à l' "open space" du cloître…

Ce "panda sage" et non blanc ( weis et non weiSS) est conduit par une jeune chanteuse, Maïka Küster, alerte et mutine. Maïka Küster a un joli brin et grain de voix, montre musicalité et justesse dans le placement de sa voix, a visiblement travaillé quelques effets avec et sans micro, elle charmera certains membres du jury et le public (à l'applaudimètre, ce groupe remporte la palme), avec cette grâce encore enfantine. Si l'on peut s'en réjouir, la prestation ne nous a cependant pas séduit. Dommage que la sonorité de ses mots ne se fonde pas mieux dans le tissu mélodique, en dépit du soutien actif du contrebassiste, déjà remarqué la veille dans le trio allemand. Est-ce dû à un défaut d'énonciation en anglais ou en allemand, une absence d' improvisation digne de ce nom qui conduit à cette impression de "remplissage", à ce qu'il me semble du moins?

HASHIMA quartet

Igor Miskovic (g), Srdjan Mijalkovic (ts), Vanja Todoravic (cb), Aleksandar Hristic (dm).

Contraste assuré avec le dernier groupe venu de l'Est, ayant roulé depuis la Serbie sans s'arrêter, pour rejoindre Avignon. Le leader, un brin exalté, souffle le chaud et le froid, dans une scénographie travaillée. Quand il ne mord pas ou mange sa guitare, volubile, il explique son projet assurément éclectique, qui court de Stravinsky aux Pink Floyd (avec rafale de fumigènes).

Avec une suite inspirée du Jardin des Délices de Bosch (au Prado à Madrid) où les trois registres, céleste, terrestre et infernal sont très longuement développés. Rythmiquement très lourd. Reste l'énergie et un évident plaisir à être là, sur scène, dans la fournaise avignonnaise. Un peu de la folie des orchestres cuivrés de Goran Bregovic, avec ces résonances balkaniques, qui se justifient pleinement, pour une fois. Mais, comme le fera remarquer un des membres du jury, pourquoi s'appeler du nom de cette île japonaise, désolée et dévastée, quand le passé récent est aussi lourd? Une des compositions décrit en effet la vie des enfants à Belgrade sous les bombardements, en représailles des forces alliées de l' OTAN, en 1999.

Epilogue bizarre au concours 2018. Mais le Tremplin répond à cet objectif initial qui est de donner sa chance à des groupes aux projets très différents. Cette année encore, on peut repérer un engagement très sérieux de certains qui s'inspirent fort de la tradition, qu'ils maîtrisent tout en la faisant vivre intelligemment, alors que d'autres manifestent plus de fantaisie, tentent autre chose, quitte à se perdre et à sortir du cadre?

Le jury n'aura pas trop de difficulté à choisir cette année. Deux groupes se détachaient assez nettement du reste des participants. Décidément le jazz souffle fort de Septentrion. Et à l'unanimité, pour le Grand Prix, ce sera le Simon Below trio. Le Prix de l'instrumentiste est décerné au duo inséparable des frères Torunski. Le Prix de la composition ira à Shift  (Arthur Guyard, p et compo). Le public, lui, a tranché très vite, en votant en faveur de Der Weise Panda. Cette année, son choix ne correspond pas avec celui du jury. Qu'à cela ne tienne, c'était encore une belle édition que ce tremplin jazz 2018. Mais la suite vaut le détour….l'AVIGNON JAZZ FESTIVAL se poursuit!  

 

NB : un grand merci aux photographes du Tremplin sont  Marianne MAYEN, Claude DINHUT et J-H BERTRAND.

Sophie Chambon

Prix de la composition  SHIFT Sextet  Nicolas Algan (tp), William Guyard (sax), Arthur Guyard (p, clavier), Dorian Dutech(g), Louis Nicolas Gubert (b), Guillaume Prévost (dm).

Prix de la composition SHIFT Sextet Nicolas Algan (tp), William Guyard (sax), Arthur Guyard (p, clavier), Dorian Dutech(g), Louis Nicolas Gubert (b), Guillaume Prévost (dm).

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30 juillet 2018 1 30 /07 /juillet /2018 12:28

Jazz in Marciac, dimanche 29 juillet : Brad Mehldau, Dave Douglas & Joe Lovano


Mes amis, comment vous dire ?
On pourrait aujourd’hui vous parler de cette belle journée dominicale sous le soleil gersois, des bulles de champagne et de l’ambiance toujours joyeuse dans les rue de Marciac. Vous parler du off et de ces belles rencontres.

 

Seulement voilà, ce matin encore tout le monde se réveille avec des étoiles dans les yeux et Marciac bruisse encore des échos du concert de la veille. Tout le monde ne parle que de ça. Les touristes chez mon logeur n’en revenaient pas. Marciac se réveille ce matin sous le choc de la claque reçue lors du concert du trio de Brad Mehldau, assurément l’un des plus beau concert de l’année.

 

 

Durant la journée nous avons eu la chance de capter quelques mots de Julian Lage, le guitariste prodige qui donnait un concert le soir même à l’Astrada. L’occasion de parler de son dernier album
( « Morning Lore ») et de ses projets avec John Zorn. Mais nous y reviendrons dans un autre papier.
Mais le meilleur allait venir un peu plus tard sous les coups de 21h.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BRAD MEHLDAU TRIO

Etait ce parce qu’il était arrivé la veille ( tout simplement parce qu’il avait envie de prendre son temps ) ? Etait ce parce qu’il s’agissait du tout dernier concert de leur tournée (et que le trio ne se retrouvera qu’en juin 2019) ?  Au final, l’un des plus beau concert de l’année en forme de claque magistrale !
Et cela n’a pas traîné. Cela n’a pas mis de temps à s’installer. Dès le premier morceau ( For David Crosby) c’est énorme. Brad est dans la place, laissant déjà le public abasourdi. Et tout le concert sera ensuite au diapason, si l’on peut dire. Au niveau des sommets ! Si Bill Evans se posait souvent la question de la place du batteur, on peut dire que Brad Mehldau a réglé le problème depuis longtemps. Avec Larry Grenadier et Jeff Balard, ils sont en emphase. En fusion d’énergie. Incroyables de densité. S’en est suivi un 2ème morceau qui n’avait pas vraiment de nom mais qu’il baptisait au micro d’Alex Dutilh, Blues in C. Morceau aux accents plus bop. Un standard de Cole Porter ensuite, I concentrate on you. Brad joue les yeux fermés, comme si ses doigts prolongeaient ses idées, surnaturellement. Suivent ensuite des compos (Greens M&Ms, Higway Rider). Puis un moment de grâce exceptionnel avec I Should care pour conclure le concert avec un moment d’apesanteur lorsque la rythmique laisse Brad se lancer dans un solo très Debussien. Le silence est total dans le public et la grâce tombe sur Marciac. Forcément une longue standing ovation. Et pour conclure un rappel en douceur avec Tenderly.
Certains spectateurs désertaient ensuite le chapiteau et le 2ème concert, voulant absolument rester sur cet instant magique derrière lequel on ne peut pas rajouter grand chose.


 

@JM GELIN

 

 

 

DAVE DOUGLAS & JOE LOVANO

Ils arrivaient tout droit du festival de Lisbonne. Pas eu le temps de faire le balances.
Le répertoire : celui de Sound Print et de leur tout dernier album (« Scandal ») chroniqué récemment sur les DNJ (http://lesdnj.over-blog.com/2018/05/joe-lovano-dave-douglas-sound-print-scandal.html).
L’inspiration est clairement celle venant de la musique de Wayne Shooter. Dave Douglas arborait des lunettes de soleil blanches se donnant ainsi des allures de Miles. Le répertoire est riche et parfois complexe, comme l’est la musique de Shorter. Celle de « Adam’s apple » (1954) ou de « Speak no evil »  (1955). Avec Dave Douglas (tp) et Joe Lovano (ts), l’inégalable Joey Baron (dms), le jeune Lawrence Fields (p) et pour remplacer Linda May Han Oh, un contrebassite aux allures de guerrier japonais, Yashuki Nakamura.

@ JM GELIN


Sound Print travaille ensemble depuis plusieurs années et forcément les réflexes s’installent. Dave Douglas et Joe Lovano se répondent, s’entremêlent et contre-chantent. Le saxophoniste dans une veine shorterienne, tournant autour des harmonies et Dave Douglas, gonflé à mort, mordant dans trompette avec une brillance acérée.

@JM GELIN

 

 

 

L’album est passé en revue : Mission Creep, Full moon puis Juju magnifiquement arrangé par Lovano ou encore The corner Tavern aux accents plus bop.
Ca joue terrible et Lawrence Fields, tout en délicatesse amène une couleur fine avec des improvisations en dentelle.
Petit bémol toutefois : on sentait le quitte un peu trop en promotion de l’album. Doing the job. Et si Dave Douglas tentait d’allumer quelques mèches, le feu peinait quand même à s’installer.

JM Gelin

 

 

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29 juillet 2018 7 29 /07 /juillet /2018 15:25

Plaisir intact et toujours renouvelé. Je file en voiture, dernière ligne droite et enfin je vois le panneau d’entrée de ville et les premières affiches des sponsors officiels.
Ca y est, je suis à Marciac, dans la place, heureux de retrouver la famille du jazz, les afficionados et l’ambiance toujours joyeuse et bon enfant de la petite ville du Gers.

La place du village commence à s’animer, ça sent le magret et les effluves de Plaimont nous font un peu tourner la tête à l’approche de la belle soirée qui s’annonce plutôt pas mal. Que du bon !
Ce qui nous attend ?
Une première partie de luxe avec Dave Holland-Zakir Hussain-Chris Potter et une deuxième avec le quarte de Pat Metheny. Rien que ça !

C’est l’alliance du lapin et de la carpe. Celle qui va de la profusion rythmique aux volutes harmoniques.

 

Côté fourmillements rythmiques, c’est le trio de Dave Holland-Zakir Hussain et Chris Potter.

Les polyrythmies s’affolent sous les doigts volubiles du tablaïste Zakir Hussain qui fait office de maître de cérémonie, véritable pièce maîtresse de ce trio. Ça vibre, ça pulse et ça frémit au son des tablas (peut être un peu trop surexposées à mon goût). Là dessus Chris Potter démontre qu’il n’a rien perdu de sa filiation Rollinsienne, adepte du gros son et d’un placement rythmique hallucinant. Et pour en rajouter une couche, Dave Holland impose un son à nul autre pareil. D’une formidable rondeur et d’une profondeur qui pose les bases solides de cette musique syncrétique, entre jazz et musique du monde. Les chorus du saxophoniste qu’il soit au ténor ou au soprano impressionnent toujours autant mais celui qui fait le show c’est un peu Zakir Hussain dont les caméras du festival parviennent à capter les grands yeux d’enfant un peu halluciné.
La magie est dans l’air.

JIM 2018@Laurence Sabathe

 

Elle se poursuit ensuite avec le quartet de Pat Metheny. Aux commandes à côté de l’homme à l’éternelle marinière bleue et blanc, le Bad Hombre (*), le génie du drumming, Antonio Sanchez. La non moins géniale Linda May Han Oh est à la contrebasse. Et au piano, la gallois Gwilym Simock. En somme, les fidèles qui tournent depuis quelques temps avec Metheny, dans la configuration que les parisiens avaient vus à l’Olympia il y a un an. Le guitariste entame son concert avec son instrument étrange à plusieurs manches alliant la guitare et la mandoline ( de Linda Manzer je crois). Ça commence doucement, presque mollement, pas aidés par un son assez cotonneux au départ. Et puis, magie des concerts, ça vient, le son devient plus net et Metheny entre vraiment dans son concert. Et là ce ne sont que profusions harmoniques et mélodiques sur lesquelles le guitariste laisse traîner les notes, les caressent avec une rare subtilité. Gwilym Simeck se révèle, Linda May Han Oh prend ma musique à bras le corps et Antonio Sanchez allie les caresses et le tonnerre

JIM 2018@Laurence Sabathe

 

Avec Metheny, comme toujours la virtuosité se dissout dans une sorte d’évidence musicale. Les lignes mélodiques restent flagrantes malgré ses déambulations harmoniques. Mais bon, cela vous le savez déjà……
La nuit sera étoilée.

 

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27 mai 2018 7 27 /05 /mai /2018 17:50

 

Deux jours en Arles, bravant les grèves de transports pour le plaisir de visiter encore ce beau festival, et cette belle ville. Le voyageur, en ces temps troublés, choisit d'être en avance pour avoir une petite chance d'arriver à l'heure, ce qui occasionne l'indispensable pause au bar du Train Bleu : le -très bon- café a pris plus de 9% depuis la dernière fois, et il avait déjà ces dernières années fait un bond de 10% : l'évolution du coût de la vie n'est pas la même à tous les comptoirs....).

Quoi qu'il en soit (comme on dit à l'Alcazar de Marseille), belle escapade. Et l'irremplaçable Nathalie Basson est venu me cueillir à la Gare TGV d'Avignon pour m'éviter les incertitudes de la fin de voyage. En Arles donc, comme je m'obstine à le dire, et à l'écrire, pour résister à l'horrible hiatus du 'à A....'.

24 mai, 16h

J'arrive à la Chapelle du Méjan (dont les suites de la Révolution Française avaient fait un entrepôt pour les toisons des moutons de race mérinos....). C'est, dans le giron d'Actes-Sud (qui occupe tout le secteur : librairie, cinéma, bar-restaurant, bureaux....), un beau lieu de concerts, et d'exposition. Dans ce dernier registre, c'est encore pour quelques jours une belle présentation des toiles du peintre coréen Kim Tschang-Yeul. Retrouvailles avec l'Ami Jean-Paul Ricard, l'autre animateur de ce festival. Le trio du guitariste Philippe Mouratoglou s'active pour la balance : Bruno Chevillon est à la contrebasse, et Ramon Lopez à la batterie, agrémentée de tablas (dont il est un fin connaisseur). Le groupe va fêter la sortie du tout récent «Univers-Solitude» (Vision Fugitive / l'autre distribution), et le concert va aussi comporter deux blues du disque «Steady Rollin' Man, Echoes of Robert Johnson» (même label), enregistré en 2012 avec Jean-Marc Foltz et Bruno Chevillon. 

24 mai, 20h30

Au concert la musique du trio, déjà très intense dans le CD chroniqué dans ces colonnes (suivre ce lien), va prendre encore de l'épaisseur. Le groupe n'a pas joué depuis l'enregistrement du disque en novembre dernier, et ces retrouvailles sont importantes : les échanges sont vifs, tendus et attentifs, la musique est là. Et cela se confirme avec les blues, en duo avec la basse. Philippe Mouratoglou est aussi un vrai chanteur, habité par son sujet. Quand le trio reprend ses droits, la musique va gagner encore en esprit d'aventure, car cet art-là s'éprend de liberté(s).

Le contrebassiste Luca Bulgarelli

25 mai, 16h

Les transports ferroviaires ont repris leur cours (presque) normal, mais les liaisons aériennes sont perturbées. Enrico Pieranunzi était à pied d'œuvre depuis la veille, André Ceccarelli et le contrebassiste Luca Bulgarelli le rejoignent, et tandis que le trio commence l'indispensable réglage de la sonorisation et des retours, le saxophoniste Seamus Blake (Canadien new-yorkais et désormais parisien) les rejoint : le quartette est au complet. Le saxophoniste a joué avec le pianiste à New-York (il y aurait même un inédit, en quintette, au Village Vanguard), le batteur est un habitué des trios du Maestro, et le bassiste a partagé avec Enrico quelques aventures transalpines. C'est la première étape d'une tournée européenne qui verra, ici ou là, des changements de batteur ou de bassiste.

25 mai, 18h30

Tandis que ses parents, la bassoniste Sophie Bernado et le saxophoniste-clarinettiste Hugues Mayot, procèdent à la répétition-balance du trio 'Ikui Doki' avec la harpiste Rafaëlle Rinaudo, la petite Alma (six mois) dort du sommeil du juste, avec sur les oreilles un casque anti-bruit qui veille jalousement sur sa quiétude.

25 mai, 20h30

L'heure du concert est venue pour 'Ikui Doki', l'un des groupes qui cette année ont reçu le label Jazz Migration, et parcourent à ce titre festivals, clubs et lieux de concerts. La musique est un subtil mélange de relectures, très très libres, de la musique française du début du vingtième siècle (Debussy....), et de compositions originales qui exploitent le potentiel de cette nomenclature instrumentale inédite. La harpe, électro-acoustique, dérive de la version celtique. On oscille en permanence entre un esprit chambriste et des foucades contemporaines et acérées, avec d'indiscutables références au jazz, mais aussi à Philip Glass, au rock, au free jazz, et à toutes les musiques du monde. La harpe s'aventure même parfois du côté de Jimi Hendrix ! Et cette première partie de soirée se conclut par un écho des rythmes de l'Afrique de l'Ouest, comme le jazz le fit si souvent depuis les années 60 (et même avant).

25 mai, 22h

Le quartette d'Enrico Pieranunzi va conclure la soirée. Le répertoire est largement emprunté aux disques publiés avec Donny McCaslin au sax. On entendra aussi des thèmes plus anciens, comme le blues Entropy, gravé en quartette et en 1980. L'émulation est forte : le pianiste mène la danse, mais il laisse beaucoup d'espaces d'expression à ses partenaires, tout en jouant avec le tempo et le rythme. Seamus Blake, au ténor tout au long du concert, fait merveille. Les échanges sont vifs et féconds, que ce soit avec la basse de Luca Bulgarelli ou la batterie d'André Ceccarelli. Sur un thème plus lent, et mélancolique, Flowering Stones (du disque «Stories», enregistré en 2011 avec Scott Colley et Antonio Sanchez), la tension va monter progressivement, et après un beau chorus de sax le solo d'Enrico Pieranunzi va parcourir toutes les facettes du piano dans le jazz moderne, le tout épicé de furia transalpine. Et jusqu'à la fin du concert la musique va s'offrir les libertés qu'autorise la passion, et qui va enflammer jusqu'à la ballade offerte en rappel : belle soirée décidément. Merci 'Jazz in Arles'.

Xavier Prévost

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3 février 2018 6 03 /02 /février /2018 08:51

Fireworks au Bal Blomet, la fête du saxophone

 

 

@jean-louis Lemarchand


Dans le jazz, comme dans la musique contemporaine, le quatuor de saxophones est un format qui a fait ses preuves. Pour se limiter à la sphère française, reste dans les mémoires le quatuor constitué en 1979 par Jean-Louis Chautemps, François Jeanneau, Jacques di Donato et Philippe Maté. Le quatuor Fireworks s’inscrit dans cette grande tradition. Formé en 2012 à l’initiative de Vincent David –très actif sur la scène classique, au sein d’orchestres symphoniques, créateur d’œuvres de Boulez et Mantovani- il regroupe deux autres compagnons connus au Conservatoire, Stéphane Guillaume et Jean-Charles Richard, et un autre jazzman, étoile montante de la jeune génération, Baptiste Herbin.
Leur travail en commun s’est traduit par un album Fireworks, sorti récemment, et présenté le 1er février lors d’un concert au Bal Blomet (75015) dans des conditions optimales d’écoute, sans recours à la sonorisation. C’est à une fête de l’instrument sophistiqué (700 pièces pour un saxophone) crée par Adolphe Sax qu’il nous a été donné d’assister. Toute la gamme était mise à contribution : alto (Herbin et David), ténor (Guillaume, David), baryton (Richard), soprano (David, Richard) sans compter la clarinette (David) et les flutes (Guillaume). Et l’occasion pour les interprètes de donner un coup de chapeau au manufacturier français Selmer qui aborde un tournant de son histoire (*)
Sans aucune rythmique (mais avec des partitions), les quatre saxophonistes ont fait éclater leur passion collective, révélant une formidable capacité à transformer une maîtrise parfaite de l’instrument en émotions. Cette performance de groupe coupe littéralement le souffle du spectateur qui est porté au sommet par un répertoire original comprenant surtout des compositions de Vincent David et Stéphane Guillaume mais aussi une œuvre d’Olivier Messiaen. Nous retrouvons des accents de Debussy et Ravel et des sonorités de musique contemporaine, même si le jazz est bien au cœur de ce Fireworks, véritable feu d’artifice instrumental, sans artifices. Reste à espérer que les programmateurs de concerts et festivals sauront donner à ce quatuor d’exception les chances de s’exprimer sur scène.
Jean-Louis Lemarchand
Fireworks au Bal Blomet (75015) 1er février. Vincent David, Stéphane Guillaume, Jean-Charles Richard, Baptiste Herbin.
L’album Fireworks peut être obtenu sur le site de Vincent David www.vincentdavid-sax.fr
  ’
(*)Les associés d’Henri Selmer Paris, société familiale fondée en 1885, leader mondial de la manufacture de saxophones et acteur majeur des clarinettes et becs haut de gamme, ont annoncé le 10 janvier dernier être entrés en négociation exclusive avec le fonds de capital-investissement Argos Soditic, en vue de la cession du capital de l’entreprise. Au terme de cette opération Argos Soditic deviendrait l’actionnaire majoritaire aux côtés d’un noyau resserré de membres de la famille et de l’équipe de direction qui mènera, avec le directeur général, Jérôme Selmer, cette nouvelle phase de développement.

 

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15 novembre 2017 3 15 /11 /novembre /2017 23:16

Ahmad Jamal le magicien
Palais des Congrès. Paris. 14 novembre.

Ahmad Jamal, piano, Manolo Badrena, percussions, Herlin Riley, batterie, James Cammack, batterie et Abd Al Malik et Mina Agossi, voix

 

@valery_Duflot

 

Ahmad le magicien a encore frappé. Le maître de Pittsburgh a séduit le public de Paris… avec Marseille. A quelques encablures du Parc des Princes, ce 14 novembre, le pianiste a déroulé avec aisance et fougue le répertoire de son dernier album (Marseille. Jazz Village-Pias. Juin 2017) consacré à la cité phocéenne. Apportant la preuve qu’il avait conservé à 87 ans les qualités d’architecte des sons qui avaient assuré sa renommée dès 1958 avec Poinciana (At the Pershing.Argo). Devant son Steinway, Ahmad Jamal cultive l’art de ménager ses effets et joue avec le public. Il n’a pas son pareil pour alterner les passages minimalistes et les grandes envolées, le ruissellement de la pluie et les grondements de tonnerre. Une exploration musicale pour laquelle il peut compter sur la complicité aussi souriante qu’efficace de trois compères de longue-plus de deux décennies- Manolo Badrena (percussions), Herlin Riley (batterie) et James Cammack (basse). Même les invités d’un soir, les vocalistes Abd Al Malik et Mina Agossi, se plient à la discipline du pianiste qui voue une admiration pour Napoléon. On ne peut que le constater à l’issue de ce concert parisien, où la vedette est revenue à Autumn Leaves, version désormais classique et toujours originale de la chanson de Prévert et Kosma, :Ahmad Jamal entretient une relation bien particulière avec la France. Dans les années 90, les producteurs Jean-François Deiber et Francis Dreyfus, avaient contribué à relancer sa carrière. Aujourd’hui, c’est le label Jazz Village qui permet au maître des 88 notes d’exprimer toute sa créativité juvénile.
Jean-Louis Lemarchand

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