Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 17:40
WILD TALES        GRAHAM NASH

WILD TALES GRAHAM NASH

LE MOT ET LE RESTE

Musiques (lemotetlereste.com)

DocHdl1OnPR001tmpTarget (flib.fr)

 

La disparition récente de David Crosby et la réapparition miraculeuse de Joni Mitchell m'ont fait redécouvrir le livre de mémoires de Graham Nash, le plus discret des trois musiciens du trio CSN. Cette chronique est un rattrapage puisque Wild Tales est sorti en 2013, publié par le Mot et le Reste, une référence.

Voilà une autobiographie passionnante qu’on ne lâche pas, qui se lit comme un roman découpé en 17 chapitres  : Graham Nash qui a aujourd’hui plus de 80 ans a eu une vie incroyable. Ce petit Anglais du Nord est passé du rock and roll avec Bill Haley aux harmonies vocales des Everly Brothers,  a créé The Hollies, un groupe majeur (juste derrière les Beatles et les Stones) avec Allan Clarke, son copain d’enfance dans cette Angleterre de l’après-guerre. Puis il a tout quitté pour vivre l’aventure californienne des années 60, participant à l’une des formations les plus extraordinaires de cette décennie.

Par l’intermédiaire de Mama Cass (The Mamas and The Papas), il découvre Laurel Canyon, haut lieu de l'avant-garde musicale de Los Angeles, rencontre en 1968 David Crosby des Byrds et Stephen Stills, séparé du Buffalo Springfield. Malgré le succès des Hollies, l’appel de la Californie sera le plus fort et sa voix se combine à merveille à celle des Américains créant une harmonie unique. Ainsi avec des styles différents se forme le trio CSN : virtuosité du perfectionniste Stills, le véritable leader, originalité de l’incontrôlable Crosby, talent d' auteur de pop songs de Nash...

Ce Wild Tales (un de ses albums solo de 1973) témoigne d’une vie de musicien-star, document sur une époque flamboyante, la décennie de tous les dangers et excès mais d’une créativité absolue dans tous les arts.

En 1969, c’est leur premier album dont nous découvrons en détail la genèse avec cette pochette épatante d’une bicoque abandonnée sur Santa Monica Bd avec un vieux divan  installé devant, sur lequel les trois musiciens sont assis, dans le désordre. Une maison volatilisée juste après en avoir pris la photo, alors qu’ils voulaient précisément refaire le cliché, le titre annonçant Crosby en tête. 

CROSBY STILLS AND NASH -FIRST ALBUM - YouTube

CSN est cependant conduit à s’adjoindre très rapidement un autre talent, une autre guitare, l’incontournable Neil Young, celui là même qui s’est toujours affronté à Stephen Stills. CSN deviendra CSN&Y. Neil Young n’est attaché à CSN que par une conjonction qui le singularise, car il a toujours été différent, The Loner dès le Buffalo Springfield où il rencontra Stephen Stills. Ses compositions se démarquent de celles du trio qui a pourtant fait ses preuves et signé un contrat solide et durable avec l'Atlantic d’Ahmed Ertegun. Car Stills est un musicien génial, un guitariste hors pair et le trio vocal surpasse l’entente vocale dejà exceptionnelle entre Nash et Crosby. 

Sens mélodique affirmé, acrobaties vocales, harmonies raffinées, guitares virtuoses dans “Our Home”,Carry On”, “Long Time Gone”, “Helplessly Hoping”, “Chicago”, “Déjà Vu”, “Teach your Children” jusqu’à ce vibrant "Ohio"  “protest song” emblématique de leur fort engagement politique. Déjà dans les Byrds, Crosby cherchait à joindre au contenu socio-politique d'un Dylan une certaine audace harmonique, en intégrant aussi des influences indiennes dues à Ravi Shankar. Mais il  écoutait aussi  du jazz, Coltrane, Miles, Charles Lloyd. Par un juste retour des choses, Miles reprendra au moment de Bitches Brew son “Guinnevere”, titre que l’on entend à Woodstock avec les  autres merveilles que sont “Suite Judy Blue eyes" ou “Wooden Ships”. L’anecdote raconte que Miles fut très désappointé quand Crosby lui fit savoir qu’il n’avait pas aimé du tout sa version!

Malgré un succès devenu très vite planétaire, le groupe va connaître bien des aléas, des "breaks" suivis de reformations éphémères, comme celle de mai 2013, où au Lincoln Center l'orchestre jazz  de Marsalis joua 12 des morceaux les plus connus du groupe que Wynton avait arrangés.

Leur “éloignement” n’est pas une séparation, d’après Nash, ils restent un groupe, même s’ils sont allés voir ailleurs, formant l’un des mariages libres les plus réussis qui soient. Quand Stephen Stills et Neil Young enchaînent les disques en solo, Graham Nash, fidèle en amitié, enregistre des albums avec un Crosby au plus bas et à chaque fois se recrée leur alchimie. Avec Eric Clapton, Keith Jarret, David Crosby -qui vient de mourir après une vie pour le moins cahotique, faisait partie de ces "survivants" alors que dans le jazz, tant ont payé le prix fort pour des conduites aussi addictives. Graham Nash a commencé à toucher aux diverses drogues en débarquant à Laurel Canyon. Pas sûr qu’il ait eu une conduite plus sage, il livre ses mémoires desinhibées sur ses années folles de sex, drugs and rock and roll. Mais l'addiction la plus tenace de Nash, il l’avoue, c’est la musique beaucoup plus importante que n’importe laquelle de nos existences individuelles

Ainsise poursuit la vie de Graham Nash, moins intéressante musicalement après cette période inoubliable, mais on apprécie sa manière sans détour, son recul et son humour tranquille quand il dépeint son enfance de fils d’ouvriers, le Swinging London et la formidable éclosion du rock anglais, la liberté de moeurs, sa relation aux femmes et son histoire avec la grande Joni Mitchell qui l’incita à peindre. C’est avec Croz sans doute l’une des attaches les plus fortes de Nash. C’est d’ailleurs lui qui donna des nouvelles de Joni Mitchell, lors d’un concert à l'Olympia alors qu'elle venait d'être victime d' un A.V.C et hospitalisée à Los Angeles.

Ajoutons que le livre est illustré de photos magnifiques, car à ses qualités musicales, Graham Nash ajoute un autre talent artistique, celui de la photographie. On appréciera  les gros plans de Judy Collins avec Stephen Stills, les portraits de Johnny Cash, de Joni Mitchell, de David Crosby sans sa veste frangée, du trio en train d’enregistrer “Marrakesh Express” en 1969, de Nash avec Jerry Garcia en 1971, Nash toujours avec sa Fender Stratocaster en 1974 pour un concert de CSN&Y, en train de sculpter son ami Croz…

On l'aura compris, ce livre est un coup de coeur qui m' a entraîné à faire un pas de côté en revenant sur une période où le jazz aussi était à l'honneur...   

 

NB : Jetez un oeil sur la longue liste de remerciements, synthèse qui restitue précisément le déroulé de la carrière et de la vie de Graham Nash. Il a tenu à n'oublier personne, en toute honnêteté.

 

Sophie Chambon

 

Partager cet article
Repost0
8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 16:42
PAPANOSH       A VERY BIG LUNCH

Label Vibrant/ /Enja Records

Papanosh quintet (lesvibrantsdefricheurs.com)

 

Découvert lors du Charlie Jazz Festival de 2013 à Vitrolles où ils étaient la révélation de Jazz Migration, PAPANOSH (comprendre une recette de crêpe roulée... ukrainienne) était un jeune quintet sous emprise de folklores réels ou imaginaires, d’Alasnoaxis de Jim Black, nourris au jazz des Monniot et Dehors, allant se frotter au compliqué Lubat. Ils ne sont pas dépaysés, ces musiciens qui viennent de Rouen, ces diables de Normands d’aller sur les terres du flamboyant Jim Harrisson, les grands espaces du Nord Michigan.

Le pianiste Sébastien Palis, visiblement inspiré par l’écriture ardente de Big Jim, a composé une musique tout en impros-ruptures, fidèle à un esprit roots qui évolue avec un bel instrumentarium, saxophones, trompette, contrebasse, drums, piano, balafon et Wurlitzer! Huit compositions plutôt courtes, ce qui n’est pas pour nous déplaire, car elles conservent ainsi jusqu’au final leur intensité frémissante. Ces quadras actifs et volontaires du collectif les Vibrants Défricheurs - une nébuleuse de groupes au nom tous plus allumés et ludiques, sortent sur le bien nommé label  Vibrant un nouvel album A Very Big Lunch. Que l’on pourrait comparer à une grande bouffe, joyeuse cette fois et toujours très arrosée. Si le géant cyclope était passionné de cuisine, ses livres de recettes sont tout bonnement impossibles à réaliser tant ils évoquent de gargantuesques ripailles!

Truculents, irrigués d’une mélancolie mâtinée d'ironie, les livres ont souvent été qualifiés de construction musicale. Une adéquation au thème qui n’a pas échappé au quintet qui évoque dans cette bande-son imaginée romans et personnages. On pourrait d’ailleurs écouter, sans regarder les titres et chercher de quel roman chaque composition se rapproche...

On aurait pu craindre que Papanosh ne se soit assagi quelque peu, attentif à célébrer la figure de l’ogre de la littérature américaine au pas nonchalant. Mais dès la fin du premier titre, “Faux Soleil”, le rythme s’accélère, se poursuit sur le “Westward Ho” suivant, invitation à partir à l‘ouest vers la frontière pour défricher de nouvelles terres. Papanosh garde sa pertinence dans les choix et orientations esthétiques dans une alternance de climats qui n’enlève rien à la cohérence de ce qui constitue une suite. Le très beau “Nord Michigan”, hymne à cet état si peu emblématique pour nous Européens, est une ballade qui s’adapte entre chasse, pêche et virées nocturnes. Toujours puissant, mais sans brûler, voilà un drôle de remontant. Une écriture lyrique qui s’appuie sur des formidables solistes, deux soufflants qui avancent ensemble, aux timbres complémentaires, aux contrepoints parfaits : le trompettiste Quentin Ghomari et le saxophoniste alto et baryton Raphael Quenehen.

Ces variations prennent le temps de se fixer dans des tableaux sonores complexes et intrigants. On part sur une nouvelle piste, traçant “Wolf” : sur un rythme plus lent, cette invocation-tournerie de tribu indienne, chaloupe sur la musique des fûts et des peaux de Jérémie Piazza et de l’autre pilier rythmique, le contrebassiste Thibault Cellier et nous fait entrer dans l’univers envoûtant du sorcier.

Dans la roue d'un trio qui prend la route pour faire sauter un barrage vers le grand Canyon, retournant dans l’Amérique des années soixante, celle de la jeunesse d’Harrisson et de la contreculture, voilà le formidable “A good day to die”, formule indienne qui devient road trip musical, plus affolant, heurté et forcément exposif. Sans pour autant annoncer le final splendide, plus léger et doux, une mélodie que tous se partagent, insufflée en hommage à l’attachante Dalva, l’héroïne de l’un des romans les plus célèbres de Jim Harrisson.

La musique du quintet, en décalage pour mieux s’échapper vers un horizon inconnu, n'est jamais tout à fait là où on l’attendrait, et c’est bon. Un album spontané et exaltant,  captivant de bout en bout, à consommer sans modération en n’hésitant jamais à se resservir.

Sophie Chambon

Partager cet article
Repost0
4 mars 2023 6 04 /03 /mars /2023 19:39
PEDRON  RUBALCABA

PEDRON RUBALCABA

LABEL GAZEBO/L’Autre Distribution

Pierrick PEDRON Official Website

 

Vous ne devriez pas rester indifférents au nouvel album de l’altiste Pierrick Pedron en duo avec le pianiste Gonzalo Rubalcaba intitulé sobrement Pedron Rubacalba. Une alliance artistique inattendue mais espérée, voire fantasmée par le saxophoniste qui n’hésite jamais à traverser l’océan pour retrouver ses idoles jazz. 

Aucune composition originale cette fois, mais des standards recherchés avec soin dans l’histoire du jazz par le directeur artistique Daniel Yvinec et arrangés par le grand pianiste bop Laurent Courthaliac, l’une des plumes les plus raffinées actuelles. Autrement dit, une histoire quatre partenaires forment une belle équipe. Huit pièces denses et inventives avec leurs modulations brusques, leurs variations de temps et la même ferveur. Il suffit d’écouter et de voir la vidéo de "Lawns" par exemple pour être subjugué, sous le charme irrésistible de ce thème de Carla Bley, étiré lancoliquement par les deux musiciens qui s’accordent parfaitement.

Enregistré live en seulement deux jours, en juin 2022, au studio Oktaven de New York , ce CD est un album qui réussit le délicat équilibre du duo, sorti sur Gazebo, le label de Laurent de Wilde qui ne peut résister une fois encore à “un vrai disque de jazz”. Travailleur acharné et perfectionniste, Pierrick Pedron n’allait pas s’arrêter après son album de la maturité 50/50. Il se donne toujours toutes les chances pour réussir ses projets aussi divers qu’ambitieux. Réfléchissant à leur faisabilité, il a dû se résoudre cette fois à abandonner (pour le moment), un projet pharaonique qui aurait fait appel à un orchestre symphonique pour un nouveau défi, un duo piano-saxophone qui se révèle aussi opulent qu’une très grande formation.

L’aventure a commencé en studio, face à face, jouant sans casque mais non sans avoir préparé le terrain. Tous les arrangements étaient prêts, avaient été proposés au pianiste, ses suggestions avaient été intégrées. Quelque chose d’unique s’entend à l’énoncé de ces huit compositions réinventées de Jerome Kern (le délicat “The song is you”), Bechet (l'émouvant "Si tu vois ma mère"), Carla Bley (Lawns) sans oublier le moderniste Georges Russell le vif “Ezz-thetic” : un son unique émerge  qui ne trompe pas, car la formation en duo ne permet aucune esquive : on joue comme on est en répondant aux sollicitations de l’autre, dans un échange qui, s’il est réussi comme ici, est quasiment télépathique. En toute intimité et vérité. A nu.

Ils ont tous deux la même énergie créatrice, le talent de donner de l’ampleur à ces confidences, de faire jaillir des couleurs insoupçonnées, des climats plus insolites comme dans le standard de Bechet dont Woody Allen, dès le générique de son Midnight in Paris, se régalait d’illustrer le vibrato si spécifique par ces images-cartes postales. La plainte devient flânerie chaloupée puis chant exacerbé d’un saxophone à vif.

Le duo est en réinvention incessante, dans une mise en place parfaitement maîtrisée qui n’interdit aucune réaction instinctive aux suggestions du partenaire. Une liberté autorisée sous le contrôle de l’autre. Il faut bien connaître les règles et les arrangements pour les tordre à sa guise et à la convenance de l’autre, dans l’instant. Cet élégant dépouillement acoustique en duo fait ressortir l’entente parfaite, l’interaction immédiate.

Expressif et charmeur, le son de Pierrick Pedron l’est toujours, cette fois, il a travaillé des anches plus dures qui rendent le son plus moelleux et rond. L’accompagnement pianistique est tout aussi inventif, décalé, en brefs épanchements qui font mouche à chaque fois, comme dans ce “Dreamsville”d’Henri Mancini. Sur l'éruptif “Ezz-thetic” le piano devient orchestral. Dans cette autre très belle mélodie de Jérôme Kern “The folks who live on the hill”, le  piano se révèle impressionniste sur une pièce atmosphérique triste.

Cet album épatant marque la rencontre réussie de deux solistes généreux, puissants, soucieux de mélodie et de rythme qui nous entraînent dans une musique désirante. Ils ont visiblement pris du plaisir à interpréter ces pièces qui parlent d’attirance et d’abandon, comme dans le final de Billy Strayhorn “Pretty girl”, dédié à celui qui connaissait si bien cette musique, Claude Carrière. Un sans faute.

 

Sophie Chambon

Partager cet article
Repost0
30 décembre 2022 5 30 /12 /décembre /2022 12:56
Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.
Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.

Franck Bergerot

John Coltrane

Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne

Jazz Image records, 2022.

 

On croyait que tout avait été dit, écrit sur John Coltrane mais le saxophoniste, cinquante-cinq ans après sa disparition, le 17 Juillet 1967, continue à inspirer musiciens et chercheurs. Une œuvre qui traverse le temps et continue d’interroger. Franck Bergerot a mis à profit ses compétences de critique pour commenter l’une des étapes marquantes de l’évolution coltranienne, la révolution de Giant Steps.

John Coltrane virtuose et révolutionnaire? Sauf que quand l’histoire commence (John Coltrane, Giant Steps, La pierre angulaire du jazz moderne sorti chez Jazz Image Records), Coltrane a vingt-cinq ans «et peine encore à s’imaginer un avenir. Rongé par le doute, il était avide de savoir. La Connaissance serait la grande affaire de ce petit-fils de pasteurs. Il s’élancerait bientôt vers elle «à pas de géant» avec l’album Giant Steps».

L’auteur appuie son travail de recherches sur une bibliographie sérieuse mais aussi une écoute attentive de cette musique, un travail de défrichage des terres coltraniennes, en retraçant les reliefs et dépressions d'un itinéraire obstiné. Une occasion de le mettre à jour, de confronter ses connaissances au mythe.

Coltrane n’a jamais cessé, en effet, dans sa quête insatiable de sens, de travailler, d’enregistrer, de chercher. On le suit pendant ses années de formation où, influençable, il se nourrit de rencontres, se perfectionne aux côtés de Dizzy Gillespie avec lequel il grave ses premiers solos de sax ténor, sans avoir encore de personnalité propre. Le tournant, il le vivra avec le premier quintet de Miles Davis qui sait provoquer la créativité de ses musiciens, et plus encore avec Thelonius Monk au Five Spot de New York. Ce court passage chez le pianiste l’inspire : il usera bientôt de la vitesse à l’état pur avec ces rafales de notes en grappes, ces “sheets of sounds” selon Ira Gitler, critique à Downbeat.

Il use de «beaucoup de notes, comme s’il faisait ses gammes sur scène». Des nappes de son comme avec une harpe, instrument qui le fascine -sa dernière femme, Alice en jouera d’ailleurs!

Soultrane signé sur Prestige chez Rudy Van Gelder annonce l’ émancipation de la période Atlantic. Mais il faudra d’abord en passer par le retour chez Miles avec un nouveau sextet, une session chez Blue Note (Blue Trane) et les deux séances de Kind of Blue intercalées avec les enregistrements de Giant Steps, marquant l’arrivée chez Atlantic, chez Tom Dowd, pionnier de la stéréophonie. Plusieurs rendez-vous, sessions supervisées par le producteur Nesushi Ertegun ( 26 mars, 4 et 5 mai, 2 décembre) seront nécessaires pour graver ces titres mythiques, une première pour Coltrane qui a écrit l’ensemble de ces compositions, références à son entourage familial «Cousin Mary», «Naïma», «Syeeda Song Flute», à son partenaire Paul Chambers «Mr PC». Car sa vie reste indissociable de son oeuvre.

Dans un développement passionnant, Franck Bergerot détaille la révolution de «Giant Steps» et de ce "Countdown" au tempo effréné ou l’harmonie au grand large dans lequel Coltrane enjambe le cycle des quintes, en créant des graphiques- mandalas qui lui permettent d’explorer les modulations ou changements de tonalité. Usant à son tour d’une représentation cartographique, il met au point par des métaphores maritimes, dans une recréation transposée tout à fait passionnante, une navigation au grand large, le long de la côte méditerranéenne, qui prend la forme d’une merkabah juive.

Il insiste aussi sur ce qui fait l’originalité de ce disque, qui ne perd pas pour autant sa qualité «chantante», son lyrisme avec « une comptine, un air de fête et des nymphéas ».

Pour finir, Franck Bergerot souligne l’exceptionnelle influence des solos de «Giant Steps» et «Countdown» dans l’imaginaire des plus grands musiciens de jazz, saxophonistes, pianistes, guitaristes jusqu’à la version toute récente de la  chanteuse Camille Bertault.

L’aventure ne s’est pas arrêtée là. Si cet album sonne le départ de la carrière météorique de Trane, il n’est qu’une étape dans son parcours : d’autres suivront où il continuera son expérimentation, creusant son obsession du plein, son cheminement intérieur vers l’avant-garde. Mais ceci est une autre histoire que l’on espère suivre bientôt sous la plume érudite mais toujours d’une grande lisibilité de Franck Bergerot. 

Un livre que les amoureux du jazz  liront d'une traite  en regardant les illustrations des plus grands photographes tout en écoutant le CD incluant toutes les plages de Giant Steps avec en bonus cinq titres choisis par l'auteur... 

 

Sophie Chambon


 

Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.
Partager cet article
Repost0
26 décembre 2022 1 26 /12 /décembre /2022 17:25
BANDES ORIGINALES    THIERRY JOUSSE

BANDES ORIGINALES THIERRY JOUSSE

B.O! Une histoire illustrée de la musique au cinéma

Editions EPA/ Radio France

 

Voilà un livre parfait (et pas que pour les fêtes), un cadeau intelligent qui plaira aux amoureux de toutes les musiques, aux néophytes comme aux cinéphiles les plus avertis.

On ne peut que rendre hommage au travail nécessaire et remarquable de Thierry Jousse, qui vient combler une lacune aussi ancienne que profonde. A cause de l’étendue de l’entreprise, ses Bandes originales acquièrent le statut d’une référence désormais incontournable. Un livre de savoir, facile à lire qui se parcourt comme un roman, un geste d’amour de l’auteur, résultat d’années de passionnantes émissions sur le cinéma et la musique de films Cinéma Song (2011- 2015), actuellement Ciné Tempo sur France Musique, diffusé chaque samedi.

Profitant de l’engouement récent pour les musiques de films-les temps changent, il réunit deux passions, soulignant les liens étroits du cinéma dans tous ses états avec toutes les musiques, rock, pop, jazz, électro, symphonique…Le livre propose une vision à la fois précise et la plus large possible de l’histoire de la musique de films. Thierry Jousse avoue avoir essayé de dresser une ligne historique cohérente qui se divise en périodes et en styles, pleine de mutations et de filiations. C’est aussi l’un des points communs avec le jazz.

Si chaque période a ses inventions et ses artistes majeurs, depuis l’âge d’or des studios hollywoodiens avec un son façonnés par des compositeurs pionniers venus d’Europe ( les Max Steiner, Erich Wolfgang Korngold, Miklós Rózsa, Dimitri Tiomkin, Franz Waxman,) ce qui nous intéresse aux DNJ, c’est l’irruption du jazz comme nouvelle esthétique dans les années 1950, même si les grands n’ont pas attendu que le jazz devienne musique de film pour apparaître à l’écran Louis Armstrong, Billie Holiday, Artie Shaw.

Le jazz comme nouveau langage musical avec Elmer Bernstein (L’homme au bras d’or en 1955), Duke Ellington ( Anatomy of a murder en 1959), Chet Baker (I soliti Ignoti de Mario Monicelli en 1958). Jazz et modernité vont de pair avec John Cassavetes dès son inaugural Shadows en 1958, Shirley Clark en 1962 (The connection), Jerzy Skolimowski (Le départ en 1967 avec JP Léaud), mais aussi Roman Polanski avec  le pianiste Krzysztof Komeda.

Dans le registre du jazz avec cordes, Gato Barbieri, musicien très cinéphile, écrit le score du Dernier Tango à Paris (1972), arrangé par le saxophoniste Oliver Nelson. Citons encore la partition d’Eddie Sauter avec Stan Getz dans le curieux film d’Arthur Penn Mickey One (1965). Ou beaucoup plus tard, la musique de Naked Lunch (Le Festin nu 1992) de David Cronenberg, composée par le musicien de prédilection du réalisateur, Howard Shore, avec un autre grand soliste le saxophoniste Ornette Coleman, qui improvise sur les motifs symphoniques d’un grand orchestre.

Que dire du cas Woody Allen, le cinéaste le plus identifié au jazz des années 1930-1940? Le« vieux jazz » a fini par devenir la marque de fabrique du cinéaste, lui même clarinettiste. Dans Midnight in Paris en 2011, c’est Bechet et son fameux “Si tu vois ma mère”, dans Sweet and Low down (Accords et Désaccords, 1999), Sean Penn joue le rôle d’Emmett Ray, guitariste fictif, rival éternel de Django Reinhardt. Comme dans Zelig (1983), le personnage imaginé permet à Woody Allen de plonger dans une époque, les années 1930, et un milieu, celui des pionniers du jazz.

Dans la grande histoire du jazz au cinéma, Thierry Jousse n’oublie pas un moment français, fin des années 1950-début des années 1960. Louis Malle fait sensation avec son Ascenseur pour l’échafaud : dans la nuit du 4 au 5 décembre 1957, au Poste parisien, le trompettiste Miles Davis, entouré de Barney Wilen au sax ténor, René Urtreger au piano, Pierre Michelot à la contrebasse, Kenny Clarke à la batterie, improvisent sur les images nocturnes de Jeanne Moreau arpentant les Champs.

Même Marcel Carné, pourtant de la vieille école, violemment critiqué par les jeunes cinéastes, intègre le jazz dans Les Tricheurs (1958), un film sur la jeunesse. La bande-son permet de croiser Dizzy Gillespie, Coleman Hawkins et Stan Getz, rien que ça! Édouard Molinaro pour Un témoin dans la ville (1959), polar nerveux urbain, confie la musique au saxophoniste Barney Wilen, déjà présent dans la séance d’Ascenseur pour l’échafaud. C’est là encore une vraie réussite. Quant à Jean-Pierre Melville, grand connaisseur de jazz,  il demande à Christian Chevallier, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre, la musique de Deux hommes dans Manhattan (1959) avec un thème du pianiste Martial Solal. Le cinéma français est décidément jazz. C’est l’attraction d’une nouvelle génération de cinéastes pour cette musique  : Vadim revisite les Liaisons dangereuses 1960 avec Thelonius Monk, Art Blakey, Martial Solal compose la musique d’A bout de souffle, le premier et retentissant Godard. Les premières partitions de Michel Legrand, au début des années 1960, témoignent également de son inclination réelle pour le jazz.

Mais le jazz au cinéma sera bientôt supplanté par le rock, la pop au milieu des années 1960. Le jazz n’apparaîtra plus que de façon ponctuelle dans la filmographie de grands cinéastes: parmi les vingt huit collaborations de Spielberg avec John Williams, "il en est une qui est tout à fait à part. Pour Arrête-moi si tu peux, dont l’action se déroule dans les années 1960, le compositeur renoue en effet avec ses amours anciennes pour le jazz. Le thème principal est une miniature parfaite, ponctuée par de mini cellules percussives et traversée par la voix expressive d’un saxophone très coloré. L’ensemble du score est un pur bonheur et un moment d’allégresse teinté à plusieurs reprises d’une mélancolie sous jacente".

Thierry Jousse continue évidemment son exploration de la musique au cinéma selon diverses thématiques, le nouvel Hollywood, l’électronique, les genres (de la comédie musicale au cinéma d’horreur), des décennies particulières comme 80 et 90, les cinéastes DJ, et l’émergence encore trop discrète des femmes.

Quand il étudie des couples de légende qui sont inséparables Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock, Nino Rota et Fellini, Sergio Leone et Morricone, il montre que le compositeur est le troisième auteur du film, Bernard Herrmann  ayant compris le rapport entre musique et image. Il sera suivi par Philippe Sarde, Alexandre Desplat...

Si Thierry Jousse a fait des choix, limité par la contrainte des pages( le livre fait 288 pages), ils ne sont pas vraiment subjectifs, le résultat est bluffant et on chercherait en vain de grosses impasses-il avoue lui même avoir négligé Georges Van Parys et Georges Auric. Mais il n’a pas oublié l’immense Maurice Jaubert disparu trop tôt (auteur de L’Atalante de Vigo, de la valse à l'envers de Carnets de Bal de Duvivier ).

L’intérêt de ce travail tient à l’abondance des exemples répertoriés selon plusieurs axes, pas toujours chronologiques qui restent accessibles grâce à la présentation claire des éditions EPA, aux illustrations et aux explications fournies. Des annexes pertinentes, une bibliographie et un index tout à fait indispensables.

Un bonus : 57 titres appartenant à l’histoire de la musique au cinéma forment un complément musical à cet objet-livre, occasion de surprises et de souvenirs. Cette playlist a été constituée par l’auteur, avec l’aide précieuse de Guillaume Decalf de France Musique.

Vous l’aurez compris, voilà mon gros coup de coeur et coup de chapeau pour ce livre-somme qui donne plus que jamais envie de voir et revoir des films en étant attentif à leurs musiques.

Sophie Chambon

Partager cet article
Repost0
5 septembre 2022 1 05 /09 /septembre /2022 19:00
MARC VILLARD L'homme aux doigts d'or

 

 

 

Marc Villard    L’homme aux doigts d’or

 

 

 

Sorti en octobre 2021  Marc Villard

Editions Cohen&CohenCohen & Cohen | Edition (cohen-cohen.fr)

 

 

Profitons de cette fin d'été pour revenir sur l’une de mes    découvertes, le recueil de nouvelles de Marc Villard intitulé L'Homme aux doigts d'or. Intriguée par le titre, mon oeil avait été attiré par Gas (1940) d’ Edward Hopper qui ornait jaquette et couverture du livre. Logique puisque le peintre était le personnage principal de deux courts récits dont celui qui commence le recueil, Rue des Lombards. Et la maison d’édition du recueil Cohen&Cohen est dédiée aux livres d’art sous toutes ses formes. 

Je ne connaissais pas tous les talents de Marc Villard, graphiste après ses études à l’école Estienne, ayant d’ailleurs travaillé avec des dessinateurs, poète, scénariste de Neige (1981) de la regrettée Juliet Berto, une histoire d’amour et de drogue, déjà un film noir. Auteur de polars, adepte de l’écriture à quatre mains avec son ami JB Pouy, le créateur du Poulpe, j’avais cependant gardé son nom dans un coin de ma mémoire ayant lu dans le temps ses microfictions dans le magazine Jazzman.

Les dix nouvelles inédites pour la plupart sont ramassées en un recueil qu’on ne lâche pas après l’avoir commencé. Avec pertinence, le titre indique l' hommage à de chers disparus Miles, Chet, Hopper mais aussi à de parfaits inconnus, photographe, journaliste, cireur de chaussures... Si tous ces personnages ne font qu’un petit tour de piste, leur apparition s’imprime en nous. Ce livre est à sa façon un roman, une déclaration d’amour au jazz, à la musique, au cinéma, à la peinture, au roman noir. D’une juste longueur, ces histoires courtes nous entraînent de Paris à New York, du Portugal au Mexique, exotiques sans être une ode au voyage touristique. Une ville, ses habitants prennent corps peu à peu, le narrateur se fond dans le paysage, en retrait mais témoin essentiel. Une certaine urgence de dire comme on vit, on meurt aussi. Au sein de ce recueil consistant, cohérent, point une certaine inquiétude, on sent que tout peut arriver.

 

On voudrait dire le plaisir pris à la lecture de ces textes, ce "patchwork in progress", passementerie de mentir-vrai. Marc Villard choisit de raconter des fragments de vie, même si les motifs qui l’inspirent illustrent la bizarrerie humaine. Mais pour utiliser ces détails du quotidien, il s’adosse à une réalité documentée soigneusement. L’amateur de jazz et de roman noir y trouvera son compte. En fin limier, il partira à la suite des indices glissés le long des nouvelles. Ainsi un tableau, une photo ou un standard de jazz, une anecdote biographique peuvent l’inspirer. A l’origine de la nouvelle éponyme “l’Homme aux doigts d’or”, c’est le tableau Chop Suey qui l’inspire au point qu’il met en scène l’argument peint sur la toile d’Hopper. On est en 1929. Et on apprend au passage que l’acteur Boris Karloff, inoubliable Frankestein, habitait l’immeuble Dakota à la vue imprenable sur Central Park (où vécurent d’ailleurs plus tard Bernstein et Lennon).

Chet Baker ne joue pas vraiment du  jazz quand il cachetonne dans Tequila”, mais lors d’un mémorable passage à tabac, il se fait démolir dents et mâchoire, après avoir balancé dealers et autres amis toxicos. Sec, précis, cassant!

Thelonious Monk dans la Bentley grise de la baronne Nica, souvent garée devant les clubs de jazz, s’arrête cette fois devant la boutique d’un tailleur de Chelsea pour se faire confectionner la chapka en astrakan (qu’il porte dans certains concerts). C’est l’époque de Misterioso, sorti en 1958 chez Riverside et il joue “Just you, Just me” devant la nièce du tailleur.

Miles Davis, sapé comme un milord, s’apprête à poser pour une pub Honda pour un scooter. Il écoute les prises récentes du “You’re under arrest”(1985), où il trouve (et ce détail est attesté dans ma bible, le Miles Davis de A à Z de Franck Bergerot) que Scofield joue derrière le temps. A partir de là, l’auteur imagine une aventure où un yakusa vengeur menace Miles jusque dans son appartement de la 5ème avenue. 

C’est que sa fine connaissance de l’écriture de scénarios permet à Marc Villard de construire une histoire structurée et de ne pas s’intéresser au seul décor (qu’il excelle à rendre), ce qui peut être un écueil dans l’exercice de la nouvelle. Efficace sans être sec, il sait ne garder que l’épine dorsale, resserrer le texte à l’essentiel. En partant d’une idée simple, il ne s’engage pas dans des tunnels descriptifs, révélant tous les détails de l’intrigue. Comme avec les standards du jazz, il glisse dans sa propre écriture ses obsessions en respectant les codes du genre. Sans naïveté mais sans cynisme, la plume légère et profonde de l’auteur glisse sur les angoisses, les fragilités, les échecs. Des échos résonnent, éclats d’identités, facettes de personnages qui s’agrègent en mosaïque. Une essentielle mise à plat, éclairante, avec un refus du lyrisme, portée par une écriture limpide, prenante, rythmée. Une écriture musicale où le son primerait sur le reste? De plus en plus net au fil des pages, se dessine une ligne de force autobiographique. Car, à travers toutes ses figures si bien croquées, se dessine le portrait en creux de l’auteur. Un effet miroir assuré, assumé et un lien fort entre génération d’amateurs de jazz, de cinéma, de peinture.

 

Sophie Chambon


 


 

 

Partager cet article
Repost0
17 juin 2022 5 17 /06 /juin /2022 08:38
John Corbett    IMPROVISATION   MANUEL LIBRE D’ECOUTE

John Corbett

IMPROVISATION MANUEL LIBRE D’ECOUTE

Edition LENKA LENTE

www.lenkalente.com

Improvisation libre : Manuel d'écoute de John Corbett / Editions Lenka lente

 

C’est le livre que j’attendais, que j’espérais inconsciemment. Il vient de paraître aux éditions Lenka Lente, maison que l’on vous recommande chaudement aux Dernières Nouvelles du Jazz. Son auteur, John Corbett est écrivain, critique, directeur d’un label qui a réédité des pointures du free jazz, et il est traduit de façon impeccable par Ludovic Florin. Son titre est en soi un programme, sans ambiguïté : Improvisation Manuel libre d’écoute. Corbett s’adresse à tous ceux qui aiment écouter et voir de la musique, partager le temps et l’espace du concert avec les musiciens, tout en naviguant dans la complexité des modes, des manières et des styles. C’est un bréviaire, un viatique, le mode d’emploi pour comprendre et apprécier ce que l’on appelle l’improvisation ( à ne pas confondre avec l’abréviation “impro” pratiquée couramment au théâtre en particulier).

Si vous êtes néophyte ou amateur peu éclairé, ce manuel très pratique que l’on peut emporter partout, vous donnera les clés du royaume de cette musique performative qui bouscule la temporalité, les idées reçues, une nouvelle façon de penser le son, l’espace, l’expérience temporelle et l’interaction personnelle.

Mais si vous étiez comme moi intéressée, étonnée à chaque fois, mais jamais fondamentalement convaincue, vous comprendrez d’où venaient vos réticences, vos objections. C’est le premier pas vers la l’appropriation et la connaissance, "cercle vertueux qui chasse l'ennui".

Avec un sens pédagogique affirmé que pourraient lui envier nombre d’enseignants, Corbett, non sans humour, use dans une première partie de métaphores triviales mais parfaitement accessibles pour définir les fondamentaux. En tentant une synthèse, on commence par se débarrasser des principaux obstacles comme le rythme, la durée, l’identification (qui joue quoi et comment), puis on se concentre sur la dynamique des interactions, le coeur du système et tout cela en temps réel, cet éternel présent  idéalisé. Parvenu à ce stade, on peut passer alors aux techniques avancées,  attentif au point de glisser vers d’autres voies d’audition.

 

Plus délicat, comment distinguer l’improvisation libre de l’improvisation structurée, du free Jazz ou même de la noise? Et aussi de ce que l’on nomme Polyfree, forme hybride entre improvisation et composition dont Steve Lacy a dessiné les contours pour sortir du piège de la routine. Intégrer des éléments prédéterminés pour permettre à la musique libre de ne pas l’être. “Eviter la cosmétique”, pour ne pas dénaturer cette pratique et rendre la musique inintéressante. 

Corbett conseille de choisir de façon tout à fait décomplexée, après avoir écouté les différents types de jeu, les musiciens qui vous correspondent.

Ajoutons pour finir une présentation claire, des jeux de typographie faciles à suivre, des photos des principaux artistes avec, en couverture le grand Evan Parker. Une bibliographie sélective, une liste des 20 premiers albums, plus les références de Polyfree, soit une liste de survie à emporter sur l’île déserte.

Que demander de plus? N’hésitez plus, suivez mon conseil, procurez-vous ce livre...

Sophie Chambon

Partager cet article
Repost0
9 juin 2022 4 09 /06 /juin /2022 22:51

Jeanne Michard (saxophone ténor), Natascha Rogers et Pedro Barrios (percussions), Maurizio Congiu (contrebasse) et Clément Simon (piano).
Studio Quaison 14-15 juillet 2021.
Parallel Records/Socadisc. Sortie le 3 juin.

    Au carrefour du jazz et des musiques latines, la saxophoniste ténor Jeanne Michard nous prend par la main pour un parcours transatlantique -ainsi que l’indique le titre de l’album- qui a pour étapes l’Amérique Latine, Cuba et New York. L’occasion de découvrir une saxophoniste ténor, tant il est peu de femmes à pratiquer cet instrument (il me vient à l’esprit dans la production récente l’américaine Nicole Glover. Strange Lands/Savant Records).

    Premier disque publié sous son nom, « Songes transatlantiques » propose uniquement des compositions d’une jeune artiste (pas encore 29 ans) qui témoigne d’une belle énergie assortie d’une sonorité veloutée. Nous voici immergés dans un univers latin des plus revigorants où se confrontent les instruments et les chœurs. Emmené par une saxophoniste qui ne baisse jamais la garde, ce quartet latin est promis à un bel avenir sur scène.

 

En concert :


    Le 17 juin au Studio de l’Ermitage (75020),


    Le 2 juillet à Angoulême pour le Respire Jazz Festival, (Abbaye de Puypéroux, 16190- Montmoreau),

 

    Le 3 juillet à Chantilly (69500) pour le TSF Jazz Festival,

 

    Le 23 juillet à Poët Laval Jazz Festival (26160).
 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo X. (D.R.)

 

 

Partager cet article
Repost0
26 février 2022 6 26 /02 /février /2022 19:02
INDIGO THE MUSIC OF DUKE ELLINGTON    JEAN MARC FOLTZ & STEPHAN OLIVA

Indigo The Music of Duke Ellington 

Jean Marc Foltz Stephan Oliva

 

VISION FUGITIVE - Label

Distribution L’autre distribution

Un album spontané et fraternel qui exalte la rencontre toujours renouvelée de deux musiciens à l’écoute attentive et complice. On suit les chemins du compagnonnage peu balisés de ce duo que nous aimons depuis vingt ans, toujours encouragé par Philippe Ghielmetti (alors Sketch), acteur du formidable label Vision fugitive, né de la complicité du guitariste Philippe Mouratoglou avec le clarinettiste Jean-Marc Foltz.

Un label "indé" très autonome, à la signature affirmée : maquette et direction artistique de Philippe Ghielmetti, livret toujours conçu avec un soin particulier, pochettes peintes par Emmanuel Guibert . Cette fois, un imaginaire exotique est déployé avec cette représentation incarnée du blond et du brun, de Lawrence d’Arabie et de son ami le Shérif Ali (aux clarinettes). Allusion à cette vision fantasmée du “Caravan” de Juan Tizol, arrangé pour la circonstance par Stephan Oliva car ce tube a tout d’une scie tant il fut repris et souvent sans imagination.

 Quant à l’objet INDIGO, magnifique, il se décline autour de photographies de Duke Ellington at his best, illustrant un texte fort pertinent de Gilles Tordjman “Duke, duo: le jazz et son double” qui résume le propos du disque et de l’aventure duelle du pianiste Stephan Oliva et du clarinettiste Jean Marc Foltz. Comment ne pas être sensible à l’intelligence de ces lignes qui tranchent avec l’indigence des livrets actuels (quand ils existent) et la faible qualité des illustrations graphiques?

Cela commence en effet par une citation de Paul Valéry dans l’Idée fixe : “Un homme seul est toujours en mauvaise compagnie” soit le fil rouge de la méthode du Duke. Sa solitude se diffractait dans les singularités des solistes de son orchestre, particulièrement expressifs, les Bubber Miley, Cootie Williams, Rex Stewart, Jimmy Blanton, Paul Gonsalves, Johnny Hodges...avec lesquels il savait obtenir un échange révélateur.

Une fois encore, s’attaquant aux classiques comme avec leur Gershwin de 2016, le duo livre sa version ellingtonienne avec une certaine assurance, chacun ayant su trouver sa place dans l’univers de cet immense musicien. C’est une traversée réussie, une réinterprétation libre et fidèle à l’esprit du compositeur, en dix pièces assez courtes, plus méditatives que ludiques, teintées de recherches sur les couleurs mélodiques et harmoniques. Neuf thèmes du Duke et le final de son alter ego, Billy Strayhorn, l’admirable “Lotus Blossom”. On apprécie tout particulièrement comment les deux musiciens emboîtent dans un formidable “Medley” six thèmes livrés en fragments aux transitions et passages réussis, exquisement détaillés dans un minutage précis. Il y a de l’art dans cette restitution.

On ne saurait dire quel titre est le plus émouvant “The single petal of a rose”, “Reflections in D”, ou ce “Black and Tan Fantasy” qui a un petit air d’ "Echoes of Spring" avant de se muer en un chant funèbre. Comment ne pas admirer cette finesse chambriste qui parvient à restituer sans le moindre accroc, une musique conçue pour un grand orchestre? Une fois le répertoire choisi -et ce n’est pas une mince affaire, Foltz et Oliva savent rester au plus près de la mélodie, reprenant les standards dans leur substance même, les déconstruisant  subtilement (on songe au travail de Stephan sur les musiques de films, à sa relecture de Bernard Hermann) dans une épure qui restitue jusqu’au murmure final ces partitions trop familières.

Chacun plonge à la source de l’autre, n’intervenant que dans le désir d'en prolonger les traces et d’apposer son empreinte, étirant le temps dans un échange télépathique, sûr de la réponse du partenaire.  Dans le chant grave de leurs mélodies, tous deux, jouant avec le silence, maniant suspension et retrait, insistent sur la clarté et l’élégance du phrasé. Quels échos le piano de Stephan Oliva, singulier pluriel, réveille-t-il dans notre mémoire? A l’intérieur du son, comment Jean Marc Foltz trouve-t-il sa musique? On se souvient alors de leur travail dans Soffio di Scelsi, de cet usage du son comme d’une force cosmique essentielle, premier mouvement de l’immobile. En plongée au coeur du son, magistralement rendu par Gérard de Haro et son équipe de la Buissonne.

Ils arrivent à construire une musique qui semble venir d’une contrée lointaine et pourtant immédiatement familière, une musique forte et tendre, rigoureuse et poétique. Une véritable fascination se dégage de cette suite de mélodies qui s’enchaînent inéluctablement avec de légères variations, creusant un sillon connu, dans un écrin de textures tramées à deux, à la résonance rare. C’est une rencontre idéale, quelque peu somnambulique, le clair-obscur d’une musique de rêve éveillé. Captivant et obsédant.

 

Sophie Chambon

Partager cet article
Repost0
6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 17:20
LE DON    PABLO CUECO

 

LE DON PABLO CUECO

Dessins de ROCCO

 

Qupé éditions

www.qupe.eu

 

Don mystérieux, Loi unique, Éthique sanguinaire, Mission magnifique, Cycles mortels, Destin impitoyable... Ces mémoires d'un tueur, adepte forcené de la contre-vélorution, enchanterons le mal-pensant qui sommeille en chacun de nous. Un roman noir à l'humour outre-noir.

 

Le Don est un livre original et vraiment très drôle. Jubilatoire même, passée la surprise de premiers chapitres déroutants, voire glaçants qui exposent le “coming out” d’un tueur en série, en masse serait plus juste, qui met au point une école du crime et réussit sa petite entreprise de démolition en chaîne si j’ose dire car cela commence avec l’élimination de la catégorie des cyclistes.

Une sévère opération de nettoyage à sec dès le début et la cadence ne fait que progresser, à force d’ingéniosité et de travail dans une frénésie exponentielle, une folie des grandeurs qui a tout du plan de masse.

Le tableau est saisissant, grinçant, essoré de toute compassion pour les victimes, même innocentes qui ne le  sont peut-être  pas tellement, dans le fond. Et le tueur et son armada a vite des circonstances exténuantes. Se livre-t-il à quelques règlements de compte en dézinguant de plus en plus de socio-types ? 

Notre tueur ou plutôt notre auteur excelle à mettre en jeu autant qu’en joue notre histoire sociale. Il parvient à donner forme et épaisseur à un projet extravagant avec une jouissance manifeste quand il va voir du côté de l’humaine condition dans ses aspects les plus tordus. Il y a même du militantisme chez celui qui finit par devenir le Robin des Bois des EHPAD- c’est la cause la plus longuement développée dans ce roman et l’actualité toute récente souligne une certaine justesse de ses observations. Ses petits vieux, vite intouchables, cabossés par la vie et démolis un peu plus en institution, sont bien résolus à ne pas se laisser faire, à mourir dignement c’est-à-dire rapidement et proprement s’ils sont condamnés ou à se battre, en devenant les parfaits disciples du maître. 

La réussite majeure de l'auteur, son tour de force est de se tenir au plus près des émotions et de la colère de son personnage principal. Ce qui fait qu’il n’hésite pas à le rendre tour à tour détestable, déroutant dans son fonctionnement psychologique, et même attachant car il ne ménage pas les rebondissements : il y a du feuilleton dans la succession de ces 41 courts chapitres ( de La révélation première-rien à voir avec Le Don nabokovien, jusqu’à La canonisation précédant L’épilogue logique) avec un suspense appelant la suite.

On sent que Pablo Cueco biche en clignant de l’oeil à ses lecteurs! Il aime le polar, il y a fait ses classes, on le dirait du moins, pourtant ses deux livres précédents n’ont rien à voir avec le genre, Pour la route et Double vue chroniqués sur le site. Dans son petit théâtre social, on voit assez vite où vont ses préférences, car une certaine empathie avec son tueur le mène au choix du “je”. ll devient vite difficile de ne pas éprouver une admiration stupéfaite pour cette mauvaise graine, ce gibier de potence et ses méthodes expéditives, radicales mais si ingénieuses. A la manière d’un Lupin, expert de la rocambole, d’un Lacenaire, il met au point un art du geste parfait qu’il peaufine en permanence.

Comment alors ne pas s’inquiéter de ce qui va lui arriver? On pressent en effet que plus dure sera la chute ( pardon du jeu de mots) et qu’il va se faire prendre, au terme d’une cavale ingénieuse, d’une fuite par les toits qui est proprement cinématographique. Mais par un rebond dont ce maître conteur a le secret, et avec l’aide d’un “bavard” inspiré, on évite un dénouement tragique et moral qui aurait tout gâché! Pablo Cueco dont les convictions anarchistes s’expriment au long du livre mêle finement roman policier à la Jim Thomson (The killer inside me), néo-polar au sens de Manchette auquel on peut penser par la description au scalpel de certaines exécutions, humour noir et révolte sociale.

Le style, vif et musclé ne dédaigne pas les belles phrases et les énumérations à la Perec. Autrement dit, Cueco fait des phrases mais n’oublie pas de raconter une histoire formidablement drôle. Un roman très mauvais genre plus que conseillé de cet artiste qui a toutes les cordes à son arc ( ou son zarb plutôt)!

 

Sophie Chambon

 

Partager cet article
Repost0