WILD TALES GRAHAM NASH
LE MOT ET LE RESTE
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La disparition récente de David Crosby et la réapparition miraculeuse de Joni Mitchell m'ont fait redécouvrir le livre de mémoires de Graham Nash, le plus discret des trois musiciens du trio CSN. Cette chronique est un rattrapage puisque Wild Tales est sorti en 2013, publié par le Mot et le Reste, une référence.
Voilà une autobiographie passionnante qu’on ne lâche pas, qui se lit comme un roman découpé en 17 chapitres : Graham Nash qui a aujourd’hui plus de 80 ans a eu une vie incroyable. Ce petit Anglais du Nord est passé du rock and roll avec Bill Haley aux harmonies vocales des Everly Brothers, a créé The Hollies, un groupe majeur (juste derrière les Beatles et les Stones) avec Allan Clarke, son copain d’enfance dans cette Angleterre de l’après-guerre. Puis il a tout quitté pour vivre l’aventure californienne des années 60, participant à l’une des formations les plus extraordinaires de cette décennie.
Par l’intermédiaire de Mama Cass (The Mamas and The Papas), il découvre Laurel Canyon, haut lieu de l'avant-garde musicale de Los Angeles, rencontre en 1968 David Crosby des Byrds et Stephen Stills, séparé du Buffalo Springfield. Malgré le succès des Hollies, l’appel de la Californie sera le plus fort et sa voix se combine à merveille à celle des Américains créant une harmonie unique. Ainsi avec des styles différents se forme le trio CSN : virtuosité du perfectionniste Stills, le véritable leader, originalité de l’incontrôlable Crosby, talent d' auteur de pop songs de Nash...
Ce Wild Tales (un de ses albums solo de 1973) témoigne d’une vie de musicien-star, document sur une époque flamboyante, la décennie de tous les dangers et excès mais d’une créativité absolue dans tous les arts.
En 1969, c’est leur premier album dont nous découvrons en détail la genèse avec cette pochette épatante d’une bicoque abandonnée sur Santa Monica Bd avec un vieux divan installé devant, sur lequel les trois musiciens sont assis, dans le désordre. Une maison volatilisée juste après en avoir pris la photo, alors qu’ils voulaient précisément refaire le cliché, le titre annonçant Crosby en tête.
CROSBY STILLS AND NASH -FIRST ALBUM - YouTube
CSN est cependant conduit à s’adjoindre très rapidement un autre talent, une autre guitare, l’incontournable Neil Young, celui là même qui s’est toujours affronté à Stephen Stills. CSN deviendra CSN&Y. Neil Young n’est attaché à CSN que par une conjonction qui le singularise, car il a toujours été différent, The Loner dès le Buffalo Springfield où il rencontra Stephen Stills. Ses compositions se démarquent de celles du trio qui a pourtant fait ses preuves et signé un contrat solide et durable avec l'Atlantic d’Ahmed Ertegun. Car Stills est un musicien génial, un guitariste hors pair et le trio vocal surpasse l’entente vocale dejà exceptionnelle entre Nash et Crosby.
Sens mélodique affirmé, acrobaties vocales, harmonies raffinées, guitares virtuoses dans “Our Home”,“Carry On”, “Long Time Gone”, “Helplessly Hoping”, “Chicago”, “Déjà Vu”, “Teach your Children” jusqu’à ce vibrant "Ohio" “protest song” emblématique de leur fort engagement politique. Déjà dans les Byrds, Crosby cherchait à joindre au contenu socio-politique d'un Dylan une certaine audace harmonique, en intégrant aussi des influences indiennes dues à Ravi Shankar. Mais il écoutait aussi du jazz, Coltrane, Miles, Charles Lloyd. Par un juste retour des choses, Miles reprendra au moment de Bitches Brew son “Guinnevere”, titre que l’on entend à Woodstock avec les autres merveilles que sont “Suite Judy Blue eyes" ou “Wooden Ships”. L’anecdote raconte que Miles fut très désappointé quand Crosby lui fit savoir qu’il n’avait pas aimé du tout sa version!
Malgré un succès devenu très vite planétaire, le groupe va connaître bien des aléas, des "breaks" suivis de reformations éphémères, comme celle de mai 2013, où au Lincoln Center l'orchestre jazz de Marsalis joua 12 des morceaux les plus connus du groupe que Wynton avait arrangés.
Leur “éloignement” n’est pas une séparation, d’après Nash, ils restent un groupe, même s’ils sont allés voir ailleurs, formant l’un des mariages libres les plus réussis qui soient. Quand Stephen Stills et Neil Young enchaînent les disques en solo, Graham Nash, fidèle en amitié, enregistre des albums avec un Crosby au plus bas et à chaque fois se recrée leur alchimie. Avec Eric Clapton, Keith Jarret, David Crosby -qui vient de mourir après une vie pour le moins cahotique, faisait partie de ces "survivants" alors que dans le jazz, tant ont payé le prix fort pour des conduites aussi addictives. Graham Nash a commencé à toucher aux diverses drogues en débarquant à Laurel Canyon. Pas sûr qu’il ait eu une conduite plus sage, il livre ses mémoires desinhibées sur ses années folles de sex, drugs and rock and roll. Mais l'addiction la plus tenace de Nash, il l’avoue, c’est la musique beaucoup plus importante que n’importe laquelle de nos existences individuelles
Ainsise poursuit la vie de Graham Nash, moins intéressante musicalement après cette période inoubliable, mais on apprécie sa manière sans détour, son recul et son humour tranquille quand il dépeint son enfance de fils d’ouvriers, le Swinging London et la formidable éclosion du rock anglais, la liberté de moeurs, sa relation aux femmes et son histoire avec la grande Joni Mitchell qui l’incita à peindre. C’est avec Croz sans doute l’une des attaches les plus fortes de Nash. C’est d’ailleurs lui qui donna des nouvelles de Joni Mitchell, lors d’un concert à l'Olympia alors qu'elle venait d'être victime d' un A.V.C et hospitalisée à Los Angeles.
Ajoutons que le livre est illustré de photos magnifiques, car à ses qualités musicales, Graham Nash ajoute un autre talent artistique, celui de la photographie. On appréciera les gros plans de Judy Collins avec Stephen Stills, les portraits de Johnny Cash, de Joni Mitchell, de David Crosby sans sa veste frangée, du trio en train d’enregistrer “Marrakesh Express” en 1969, de Nash avec Jerry Garcia en 1971, Nash toujours avec sa Fender Stratocaster en 1974 pour un concert de CSN&Y, en train de sculpter son ami Croz…
On l'aura compris, ce livre est un coup de coeur qui m' a entraîné à faire un pas de côté en revenant sur une période où le jazz aussi était à l'honneur...
NB : Jetez un oeil sur la longue liste de remerciements, synthèse qui restitue précisément le déroulé de la carrière et de la vie de Graham Nash. Il a tenu à n'oublier personne, en toute honnêteté.
Sophie Chambon