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6 janvier 2023 5 06 /01 /janvier /2023 09:57

Disponible sur Arte.fr et dans les salles le 11 janvier 2023.

 

     En décembre 1969, Thelonious Monk débarque à Paris, étape d’une tournée européenne, pour un concert à la Salle Pleyel (le 15), et répond à cette occasion à l’invitation de l’ORTF pour une prestation en solo et un entretien avec Henri Renaud qui feront l’objet d’une émission télévisée, « Jazz Portrait » (31 minutes), réalisée par Bernard Lion et diffusée (en noir et blanc) le 28 janvier 1970.


    Le documentariste Alain Gomis  apporte aujourd’hui sa vision personnelle (et vivement controversée, on le verra) de cette rencontre dans ‘’Rewind & Play’’, montage de 65 minutes des rushes  de deux heures détenus par l’INA.
 


     « Les rushes qui ont été conservés nous montrent un Thelonious Monk rare, proche, en proie à la violente fabrique de stéréotypes dont il tente de s’échapper. Le film devient la traversée de ce grand artiste, qui voudrait n’exister que pour sa musique. Et le portrait en creux d’une machine médiatique aussi ridicule que révoltante. » indique le dossier de presse consacré au film coproduit avec l’INA, disponible sur le site Arte.fr et diffusé en salles le 11 janvier prochain.

 

« Renverser l’angle » des images


« Henri Renaud n’est pas journaliste, mais pianiste de jazz, pourtant il en endosse le costume aussi maladroitement qu’avec zèle, analyse Alain Gomis. Il développe sa vision fascinée d’un génie incompris, d’un artiste maudit avant la consécration... On sent bien qu’il est admiratif, mais le décalage est profond. Il semble lui-même le jouet d’un engrenage ».

     Convaincu de la nécessité de « se ressaisir des archives et leur donner de nouvelles lectures », le documentariste franco-sénégalais s’est ainsi attaché à « renverser l’angle avec lequel les images ont été filmées » et à « montrer la machine qui fabrique des points de vue tout sauf neutres et comment la télévision montre un musicien noir à cette époque ».

 

     Le montage sélectif effectué par Alain Gomis présente ainsi les différentes « prises » de l’interview de Monk (1917-1982) où l’on voit Henri Renaud (1925-2002) formuler ses questions, marquer des temps d’arrêt, hésiter, reprendre sa formulation. Rien que de très habituel dans ce type d’exercices pour un journaliste professionnel même si l’intervieweur occasionnel semble vraiment peu à l’aise dans cet emploi. L’amateur de jazz lui aussi se sent pris d’un certain malaise face au traitement réservé à Henri Renaud accusé par le réalisateur de « condescendance » vis-à-vis de Monk tout au long de l’entretien. Serait-il dans l’ignorance des liens amicaux existant entre les deux pianistes qui remontent alors à une quinzaine d’années : c’est Henri Renaud qui fit venir pour la première fois à Paris Thelonious Monk en 1954, qu’il considérait alors comme « un des artistes les plus puissamment originaux de notre époque » ? Serait-il aussi dans l’ignorance du caractère « taiseux » de Monk qui ne goûtait guère (un euphémisme) les interviews et cultivait l’art du silence comme personne, laissant plus d’un interlocuteur pantois, même le plus pointu soit-il ? Et encore passons-nous sous silence les commentaires haineux déclenchés par le documentaire sur la blogosphère où certains qualifient Henri Renaud de musicien « bourgeois » et « raciste » !

 

Monk et Renaud, des amis de longue date

 

    

     Les connaisseurs de Monk remarquent plutôt dans cet interview le regard amusé, empathique du compositeur d’Evidence face à un confrère qui « connaît la musique », respecté par ses pairs pour ses talents de musicien et de producteur (« Henri Renaud ? le grand genre » saluait Claude Carrière). Dans ''Blue Monk'' publié en 1995 par Actes Sud, Jacques Ponzio et François Postif écrivaient à propos de l’émission Portrait de Jazz : « il est évident qu’il (Renaud) connaît Monk depuis longtemps et que celui-ci l’apprécie ». Ayant visionné « Rewind & Play », les spécialistes de Monk contactés aujourd’hui par nos soins n’ont pas manqué de manifester leur « étonnement », leur « effarement » devant une telle relecture de l’histoire, devant une telle utilisation de rushes « simplement jetés en pâture au public ».

 

   

     Et la musique de Monk, me direz-vous ? Filmé au plus près, et disponible en couleurs avec gros plans sur un visage transpirant sous les projecteurs et sur les mains avec bagues aux petits doigts, Monk tel qu’en lui-même, fumant, s’abreuvant, joue en solo du Monk (Misterioso, Round Midnight…). Une heure de bonheur pur qui figurait sur le DVD publié par Mosaïc en 2011 en partenariat avec l’INA et présentant en bonus quelques images du séjour de Monk à Paris et des extraits de son entretien avec Henri Renaud, enrichis d’un livret éclairant. Un DVD hélas difficilement trouvable aujourd’hui. Pour paraphraser la loi de Gresham, « la mauvaise monnaie chasse la bonne ».

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo Jim Marshall & X. (D.R.)

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25 décembre 2019 3 25 /12 /décembre /2019 22:05

Les films Don Pauvros de La Manche, Hôtel Innova, Les Mi-Grateurs, Tué Mon Amour, Catalogue à Bruxelles, Mateau Rouge & Joe McPhee, Vive Campus

Jean François Pauvros (guitare), avec Tony Hymas, Keiji Haino, Arto Lindsay, Charles Pennequin, François Causse, Jac Berrocal, Gilbert Artman, Makoto Sato, Jean-Marc Foussat, Thierry Madiot....

Coffret de 2 DVD EDV 1489, La Huit / http://www.lahuit.com/

 

Sept films, du court-métrage Hôtel Innova de 1984 au long-métrage Don Pauvros de La Manche de 2015 en passant par des moyens-métrages, captations de concerts et portrait en images du Studio Campus (dont Jean-François Pauvros fut l'un des artisans majeurs) alors menacé d'expulsion.

Lillois de 1967 à 1980, puis à temps partiel de 1993 à 1999, votre serviteur a croisé la longue silhouette de Pauvros, d'abord dans sa vie d'étudiant lillois habitué de différents cafés de la place Philippe Le Bon où se fomentait le gauchisme pré et post soixante-huitard, et du côté des scènes de jazz et de musiques improvisées qu'il fréquentait en amateur nordiste, puis à Paris, et ailleurs, en professionnel-de-la-profession avant de redevenir l'amateur qu'il n'avait jamais cessé d'être. Souvenirs musicaux d'un concert, vers 1970, où le duo de Jean-François Pauvros avec le batteur Gaby Bizien assurait la première partie du groupe Perception (Didier Levallet, Yochk'O Seffer, Siegfried Kessler & Jean-My Truong). Pas étonnant que, quelques années plus tard, on retrouve Pauvros en duo avec Siggy Kessler (album «Phenix 14», 1978). Pauvros évoque d'ailleurs ce concert dans le livret qui accompagne ce double DVD, au cours d'une conversation d'une vingtaine de pages avec Guy Girard, Jean-Marc Rouget et Bertrand Loutte. L'occasion aussi pour moi d'évoquer le groupe de rock progressif Moebius, qui associait Pauvros et Bizien à l'Ami Philippe Deschepper. Mais c'est une autre histoire. Revenons, sans céder au chant des sirènes de la nostalgie, au sujet qui nous occupe.

   D'abord, sur le DVD 1, entièrement occupé par Don Pauvros de La Manche (66 minutes, 2015), une sorte de portrait-bilan qui scelle une connivence de plusieurs décennies entre le cinéaste et le guitariste. Éclats de guitare sur une plage déserte en début et fin de film (là où la guitare s'éteint, étouffée par le sable dont le guitariste la recouvre....), et au fil des séquences le blues, une mélodie (et une improvisation) avec Tony Hymas, une visite chez l'ami luthier médecin des vieilles guitares, une variation musicale avec Xavier Boussiron et sa bande autour des images du film Plan 9 From Outer Space d'Ed Wood (et de quelques autres films), une longue conversation près de la mer sur la genèse de la musique, et sur les mystères du welsh rarebit, spécialité culinaire nordiste (importée du Pays de Galles), et de son influence sur la musique. Et une séquence de work in progress avec le poète Charles Pennequin, une digression sur les vertus psychotropes de l'électrocution, un duo avec Arto Lindsay, bref quelques belles tranches de vie, vie d'un musicien toujours inclassable, et dont chaque rebond nous surprend, et nous captive.

   Le DVD 2 commence avec le court métrage Hôtel Innova (5 minutes, 1984), une sorte de diptyque où se succèdent une mélodie folky-bluesy et un rock'n'roll qui vire au free punk. Puis viennent Les Mi-Grateurs (42 minutes, 2000), périple musical écorché avec Keiji Haino ; Tué Mon Amour (3 minutes & 20 secondes, 2008), conversation littéraro-guitaristique avec le poète Charles Pennequin. Retour aux concerts avec Catalogue à Bruxelles (2 minutes & 45 secondes, 2016, filmé le 28 novembre 2007), une bouffée décapante de ce trio explosif ; Marteau Rouge & Joe McPhee (22 minutes, 2000, festival Musique Action, Vandœuvre-lès-Nancy, 1999), une grande bouffée de liberté musicale ; et pour conclure Vive Campus (15 minutes, 2000), une ode en forme de manifeste pour le Studio Campus, lieu de répétition et d'enregistrement du 11ème arrondissement de Paris (structure présidée par J.F. Pauvros), qui a vu passer Luther Allison, Joan Baez, Jean-Louis Aubert, mais aussi Éric Le Lann, Didier Lockwood, les Négresses Vertes, et des dizaines d'artistes du rock, de la chanson, du jazz, célèbres ou confidentiels. Comme une métaphore, en somme, d'un parcours d'absolue singularité : celui de Jean-François Pauvros.

Xavier Prévost

Un avant-ouïr et avant voir sur Vimeo

https://vimeo.com/351628836

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18 novembre 2019 1 18 /11 /novembre /2019 10:35

Film de Sophie Huber. Eagle Vision - Universal. Disponible en DVD et Blue-ray.

 

Alfred Lion « ne m’a jamais mis la pression », témoigne Herbie Hancock. C’était l’esprit de Blue Note résumé par une de ses signatures les plus illustres.
Dans le film documentaire consacré au label prestigieux à l’occasion de ses 80 ans, les jazzmen se plaisent à mettre en exergue cette liberté d’expression. Co-fondateur de la maison de disques le 25 mars 1939 à New York avec un écrivain, Max Margulis, et un poète, Emmanuel Eisenberg, Alfred Lion sera rejoint quelques mois plus tard par un camarade de jeunesse également berlinois et juif, Francis Wolff. Le duo Lion-Wolff prit totalement les rênes en 1940, en rachetant les parts de Margulis tandis qu’Eisenberg disparaissait dans un accident d’avion.  


L’aventure de Blue Note doit aussi beaucoup à deux hommes, Reid Miles, graphiste qui donna un style aux pochettes des albums, et Rudy Van Gelder, ingénieur du son, qui créa son propre studio d’enregistrement.
Les grandes heures du label -qui furent l’objet d’une passionnante somme écrite en 2014*- sont évoquées sur un rythme soutenu par la documentariste Sophie Huber. La cinéaste donne ainsi à voir sur scène et en studio Thelonious Monk, Miles Davis, Art Blakey et à entendre les témoignages d’Herbie Hancock, Wayne Shorter avec une mention spéciale pour Lou Donaldson, nonagénaire facétieux et volubile.
Patron depuis 2012 de Blue Note -désormais dans le giron d’Universal Music- Don Was entend inscrire sa ligne éditoriale dans l’esprit innovateur de ses fondateurs. Le hip-hop a droit de cité chez Blue Note comme fut dans les années 40 le be-bop -Monk y fit ses débuts- et la décennie suivante le hard bop et les expressions les plus modernistes portées par Eric Dolphy, Andrew Hill et autres Grachan Moncur III. Cette filiation est soulignée par des artistes-clés actuels de Blue Note, Robert Glasper et Ambrose Akinmusire. C’est l’un des enseignements majeurs de ce documentaire hautement recommandé.


Jean-Louis Lemarchand

 

'Blue Note Records: Beyond the Notes' by Sophie Huber :
https://www.youtube.com/watch?v=6D0uVDnCOR4&t=1s


Le Blue Note Festival se tiendra à Paris du 25 au 30 novembre avec notamment Madeleine Peyroux et Sarah McCoy au Trianon (25), J.S.Ondara à l’Elysée Montmartre (27), Gregory Porter à  l’Olympia (28).


*’Blue Note, le meilleur du jazz depuis 1939’. Richard Havers, traduction Christian Gauffre. 416 pages, 450 photos et fac-similés. 2014. Editions Textuel.

 

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28 février 2019 4 28 /02 /février /2019 06:53
Pierre de BETHMANN   Standards et MEDIUM Ensemble

PIERRE DE BETHMANN MEDIUM

LA HUIT DVD

www.lahuit.com

http://www.lahuit.com/fr/content/pierre-de-bethmann

2 films de GUILLAUME DERO

STANDARDS du Trio de PIERRE DE BETHMANN ET MEDIUM ENSEMBLE PARIS JAZZ FESTIVAL

Sortie le 5 février 2019

 

 

Premier des deux films de Guillaume DERO de ce DVD, le trio de Pierre de BETHMANN (Sylvain ROMANO à la contrebasse et Tony RABESON à la batterie) joue avec des standards. Ce projet donne visiblement beaucoup de plaisir au pianiste : avec deux pareils compagnons, véritables puits de culture, le choix de standards est un parcours amoureux, auquel il faut donner du sens, une recréation envisagée avec humilité, sans déformer les lignes pour le plaisir… Choisir par exemple la chanson de Laurent VOULZY “Belle Ile en mer, Marie Galante” parce qu’elle est tout simplement belle et qu’elle se prête-ce qui se vérifie admirablement, au cadre du jazz. On ressent très bien la diversité des influences et traditions avec d’Ivan Lins “Começar de novo” sur un rythme dédoublé ou la “Forlane” du Tombeau de Couperin de Ravel qui respecte la mélodie, l’exprime clairement avant de se lancer dans l’improvisation. Ce qui montre une belle déférence, une distance teintée de respect.

"La forlane" est un choix peut être moins évident que “Le chant du partisan”, qui, sur près de dix minutes, retravaille le rythme, lancinant puis intense avec un solo formidable de Sylvain Romano. Tony Rabeson n’est jamais en reste, un des magnifiques percutants du jazz, qui aux balais est de la plus grande finesse. Le pianiste lui même avec ce trio donne la pleine mesure de son amour du rythme dans un jeu volontiers très rythmé et percussif. La caméra qui se fixe sur le jeu, les mains, les gestes plus que sur les visages.

Un très bon et beau concert enregistré au Théâtre de St Quentin en Yvelines le 23 Mai 2017. 

On suit à présent dans un autre projet très différent mais complémentaire de son activité de musicien, le travail de l’ensemble Medium.

Sixième étape d’un projet initié il y a près de vingt ans, en 2002, ILIUM que le pianiste Pierre de BETHMANN a développé en diverses formules du quartet au sextet avant de se lancer dans un ensemble de 12 solistes.

Alors que vient de sortir le 3ème album de Medium Todhe Todhe, après Exo  et Sisyphe, la HUIT nous livre un concert enregistré en live au festival de Paris, au Parc Floral, le 6 juillet 2014.

Ce formidable ensemble, composé quasi exclusivemement de soufflants, avec un vrai vocabulaire de solistes aguerris mais à l’“ego mesuré” selon les mots du chef, fait sonner le collectif sur ses compositions reéarrangées pour entrer dans ce projet d’écriture à long terme. On entend successivement Stéphane Guillaume au ténor dans un long solo passionnant et free, Sylvain Beuf à l’alto dans une intervention d’un autre lyrisme, plus coltranien, et enfin le saxophoniste ténor David El Malek tout aussi convaincant; dans cette formation très masculine, la chanteuse Chloe Cailleton tire son épingle du jeu, sans se livrer à des élucubrations vocales trop appuyées, sa voix se fondant dans la masse sonore du collectif, son chant se tressant dans les autres timbres instrumentaux, ou se détachant dans les interventions en duo avec Stéphane Guillaume, à la flûte cette fois.

Le filmage est au plus près, en gros plans serrés sur les mains des instrumentistes, les isolant en plein effort : la section rythmique intense et nerveuse, ne relâche jamais la tension mais sans la moindre esbroufe, Franck Agulhon toujours vif mais comme assagi dans ce contexte et Simon Tailleu très concentré. La caméra sait aussi enregistrer les mouvements d’ensemble sur de très beaux tutti et saisit comment le pianiste fait swinguer son Fazioli.

Toutes ses longues pièces sont entrecoupées d’une interview de Pierre de Bethmann qui explique clairement son travail (interview et solo au studio ALEA à Ivry sur Seine, le 22 juillet 2014). On comprend mieux qu’avec son insistance charmante, le pianiste joue ce qu’il aime quand il est touché à vif, que l’émotion surgit tout en ne lui faisant jamais perdre de vue la cohérence. Et ça sonne toujours car tous les musiciens s’y retrouvent. A ce stade de l’histoire de la musique, alors que tout ou presqu’a été dit, écrit, joué, il demeure excitant de se réapproprier des influences disparates, de donner des propositions nouvelles, retravailler la forme, la conception du rythme, des “détails harmoniques”. Et de trouver la juste place du passage à improviser alors que l’écriture est volontairement complexe, avec multiples ramifications où les solistes doivent se couler et s’intégrer. Des contraintes fortes mais stimulantes pour des musiciens de talent qui y trouvent leur compte et leur justification. Une histoire avec des acteurs qui évoluent sur une syntaxe dont aucune règle n’est immuable.

Pierre de Bethmann révèle ainsi sur la distance, ce qui le motive et l’agit. Ressource, énergie, intensité que son physique peut révéler. Cette flamme qui le consume, c’est le plaisir addictif de jouer.

Sophie CHAMBON

 

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18 octobre 2018 4 18 /10 /octobre /2018 07:32
ANDY EMLER MEGAOCTET A MOMENT FOR

ANDY EMLER MEGAOCTET

A MOMENT FOR

Album disponible le 5 octobre 2018 sur le label LA BUISSONNE / PIAS  http://www.labuissonne.com

Parution le 16 Octobre du DVD du film de Stéphane Jourdain AU SON DE SA VOIX par La HUIT, avec captation du concert du Mégaoctet au PARC FLORAL le 24 JUIN 2017

http://www.andyemler.eu/dvd-andy-emler-au-son-de-sa-voix-production/http://www.andyemler.eu/dvd-andy-emler-au-son-de-sa-voix-production/

 

Ce DVD convient à tous ceux qui veulent voir et entendre du live, mais aussi à ceux qui recherchent une analyse précise du compositeur, plus pointue évidemment que la meilleure chronique. Quel meilleur critique que le pianiste lui même...

Merci à la Huit de nous donner ce témoignage de l'un des meilleurs pédagogues de cette musique.

Une leçon de musique plus encore que de jazz, en une heure de concert, comme si vous y étiez, bien mieux encore qu'en live au Parc Floral (pardon) car la caméra suit les musiciens de très près, multipliant les plans et gros plans sur chaque musicien, leur instrument, par exemple les crotales de F. VERLY, la trompette cassée et recourbée de Laurent Blondiau ( le Belge du groupe), les sourires échangés dans une formidable communion...

Le concert est commenté très sérieusement par Andy Emler avec tout de même des remarques malicieuses, toujours pertinentes du pianiste chef de meute, compositeur, orchestrateur, depuis "Die Coda" le morceau introductif de chaque musicien jusqu'au "Flight back" final, résultante de tous les thèmes entendus. Il explique pratiquement plan par plan (un régal) comment la musique se fait, évolue, se fabrique à 9, entre écriture et improvisation, sans que le public se rende vraiment compte du passage de l'un à l'autre. Il nous accompagne dans le déroulé de ce concert du Parc Floral qui commence au coucher du soleil et se termine à la nuit sans que l'on ait senti, là encore, la transition.

Un concert de près d'une heure, en 7 morceaux, qui fait la part belle à chacun des musiciens virtuoses, tous solistes qui composent ce grand format créé en 1989. Deux musiciens sont restés, de la mouture originale, le batteur Eric Echampard et le saxophoniste alto Philippe Sellam, mais beaucoup font partie du Mégaoctet depuis très longtemps. Voilà une génération de musiciens nourris de toutes les musiques du XXème siècle: une étiquette à rallonge qui inclut funk, binaire, jazz, metal, jazz rock, classique, ragamuffin, musique africaine sans oublier le goût des musiques répétitives mais improvisées! 

Quant à la signature du chef, elle pourrait se décomposer en un sens inné du groove ( ce terme intraduisible ) et un amour de l'écriture contrapuntique, une écriture savante qui "déménage" pour définir un langage où chacun se sent à l'aise dans l'ensemble. Un amour des citations ( Syrinx de Debussy dans "Five Series" ) et même autocitations (on apprend ainsi qu'Andy Emler place toujours un fragment de "J'ai du bon tabac" dans ses partitions. Il doit bien y avoir aussi des bribes de son cher Ravel). Une musique qui s'écoute avec les yeux comme dans le duo final de Verly et Echampard sur le rappel très festif "Crouch, touch and engage", titre et compo d'un album précédent qui rappelle les recommandations de l'arbitre de rugby avant la mêlée.

Dans cette suite de pièces, à la mise en place incroyable,  chacun dispose de "réservoir de notes" pour des petites impros, avec des gimmicks, comme ce son unique à la fin de chaque morceau, après le silence. Chaque morceau permet à un soliste de donner son maximum, avec une prise de risque sincère de l'improvisateur qui sait aussi écouter les autres. D'où des morceaux de bravoure qui mettent en valeur les soufflants, la rythmique, le pianiste seul restant plus en retrait .

Pour tous ceux qui aiment le jazz et la musique, un DVD absolument incontournable. S'il n'y avait qu'un DVD à garder ....ou plus généreusement, si sur la fameuse île déserte, on pouvait emporter des DVDs, il ferait partie de la précieuse liste.

 

Sophie Chambon

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6 mai 2018 7 06 /05 /mai /2018 10:17
Orchestre National de Jazz     Concert anniversaire   30 ans La Villette

 

Orchestre National de Jazz

Concert anniversaire des 30 ans à la Cité de la musique (Festival de Jazz à la Villette) 2 septembre 2016.

Coffret CD et DVD édition de luxe (disponible dès le 27 avril 2018)

ONJ records/ L'autre Distribution

Captation son RADIO FRANCE

Captation video Oleo

Onze grands orchestres au format variable entre dix et vingt six musiciens (pour seulement dix chefs dont un Italien, Paolo Damiani) ont vécu cette formidable traversée chronologique du jazz en France depuis François Jeanneau qui inaugura l'outil ONJ (http://www.onj.org), en 1986 au théâtre des Champs Elysées jusqu'au petit dernier, Olivier Benoît (2014-2018).

Quelques remarques préliminaires: l' ONJ de François Jeanneau a vraiment essuyé les plâtres avec une seul année de mandat, certains orchestres ont duré deux ans, les autres trois ; Daniel Yvinec, devenu le premier directeur artistique d'une formule renouvellée est resté cinq ans et Olivier Benoît, l'actuel titulaire, quatre ans. Claude Barthélémy est le seul à avoir eu deux mandats à différentes époques (1989-1991) et (2002-2005).

L'ONJ, subventionné par le ministère de la culture pour diffuser du jazz contemporain est le seul exemple de ce type en Europe, un outil de travail unique pour chaque génération qui monte.

La musique "passionne" le temps, l'aventure devient esthétique mais on ne prend pas toujours suffisamment en compte les risques encourus par chaque orchestre. Le chef ou D.A qui change régulièrement pour éviter la routine, est "responsable" du casting, du programme et de la ligne artistique. Autant dire que l'ONJ en a vu et entendu de toutes les couleurs : un formidable laboratoire expérimental, une machine trop onéreuse, l'arbre qui cache la forêt des autres grands formats, le tremplin idéal pour de nouveaux talents, un tableau idéal du jazz à un moment M...

Si cette institution est encore là et en pleine forme, continuant vaillamment à tracer sa route, après trois décennies d'existence, elle donne la possibilité aux musiciens, même de façon éphémère, de jouer comme dans un véritable orchestre (classique), dans la continuité. Comment ne pas y être favorable si elle légitime toutes les formes de jazz, cette musique des lisières, qu'elle met à égalité avec les autres grandes formes instituées? "Et que reste-t-il d'un orchestre quand il n'existe plus", se demandait déjà Vincent Bessières, pour les vingt ans de l'ONJ? La réponse nous est fournie en partie par ce coffret CD/DVD, restituant la mémoire de ceux qui ont vécu au sein de ces formations, qui ont entendu ces ONJ en leur temps, dans leur jus, et nos impressions, à nous qui écoutons et regardons cette restitution actuelle. Le principe et l'essence même du jazz.

Pour l'anniversaire de ces trente ans, l'ONJ a frappé fort avec un concert exceptionnel en deux parties, le 2 septembre 2006, lors du festival de jazz de la Villette, à la Philharmonie de Paris.

Après une première partie réservée à l'ONJ Benoît dans son programme Europa Berlin, il fut demandé aux chefs qui l'ont précédé de choisir une composition de leur répertoire et de venir la présenter avec l'ONJ actuel. C'est un peu court en somme, pour se faire à l'empreinte de chaque ONJ mais comment rendre trente ans en une seule soirée, aussi longue soit-elle? Cette compilation chic  compose un répertoire sensationnel, un instantané de la réalité plurielle des jazz, actualisés puisque joués par les musiciens du dernier ONJ. Des univers personnels, des projets vraiment originaux repris par des instrumentistes qui réinventent ces musiques. Les titres s'emboîtent comme dans un kaleïdoscope : s'il fallait en garder quelques-uns plus significatifs (difficile de choisir), on citerait les vocalises inouïes d'Elise Caron sur cet "à plus tard" à la dramaturgie marquée qui commençait le disque de l'ONJ Badault en 1991, le fascinant "Desert" d'Antoine Hervé, le "in tempo" de Laurent Cugny, le mélodieux "Argentiera" de Paolo Damiani, la surprenante "Valse 2" de Franck Tortiller qui carbure à mille temps.... 

On peut d'abord entendre le CD et ensuite se passer le DVD, réalisé par Josselin Carré, épatant! Il permet évidemment, après la présentation de chaque numéro par Arnaud Merlin de mieux fixer les solos ou les passages repérés au disque, d'en redécouvrir d'autres tout aussi remarquables : certains solistes sont très "visibles" comme le violoniste Théo Ceccaldi, omniprésent, mais on apprécie de revoir un Claude Barthélémy chevelu à l'oud avec le trompettiste Fabien Martinez (ici au bugle) sur le justement nommé "oud oud", le batteur Eric Echampard essentiel, le tromboniste invité Luca Spiler sur la valse de Tortiller, d'autres élèves comme lui du CNSM pour le vigoureux "Out" de Didiler Levallet, des soufflants comme les saxophonistes Alexandra Grimal, Hugues Mayot ...

Des bonus conséquents proposent une interview des dix chefs qui commentent leur expérience à la tête de leur ONJ. Leurs réponses à chacune des trois questions posées (vos trois plus fortes influences en matière de big band, le choix des instruments dans le casting, comment imaginez-vous le prochain ONJ?) proposent une réflexion toujours instructive à continuer, tout en racontant l'histoire de cette institution et du jazz à travers elle. 

Le livret, très soigné, comporte des indications discographiques précises avec vignettes des pochettes, des photos restituant les temps forts du concert, et un portrait rapide de chaque chef qui reprécise le contexte, évoque des souvenirs marquants de son ONJ.

Quelle façon avec ce bel objet de revivre cette aventure étonnante grâce à la précieuse contribution de ces "passeurs d'énergie". Indispensable document pour et sur le jazz...

 

Sophie Chambon

 

 

 

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28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 16:59
Sylvain Rifflet  Mechanics / Celebrating Moondog

SYLVAIN RIFFLET

 

Mechanics

Celebrating Moondog

2 films inédits

LA HUIT

Collection dédiée au jazz français et européen

Sortie DVD le 27 mars 2018

 

http://www.lahuit.com/fr/content/sylvain-rifflet-2-films

 

 

La huit présente deux films sur le travail du saxophoniste Sylvain Rifflet, révélant son goût des explorations expérimentales. S'il vient du jazz, il n'hésite pas en sortir pour mieux coller à l'époque en développant une véritable mécanique de groupe, aux rythmes cycliques et poétiques.

Le premier film, de Guillaume Dero (48'), intitulé à juste titre MECHANICS, montre un live au Paris Jazz festival du Parc Floral, le 11 juin 2013. S'intercalent aussi trois solos sans décor, où le saxophoniste dans son manteau rouge, actionnant les clés de son sax, nous offre "Double", "Tout dit" (Camille), O grande Amor ( Antonio Carlos Jobim). Les compositions du concert sont aussi interrompues par les propres commentaires du leader qui révèlent un registre large, mixant musique improvisée (l'apport du jazz), répétitive, pop, rock ...

Le concert est filmé au plus près avec de gros plans du flûtiste Joce Menniel, compagnon infatigable du groupe, ou le travail sur les percussions et métaux traités de Benjamin Flament, soutenu par la guitare de Philippe Gordiani.

On s'immerge ainsi dans ce rapport physique à l'instrument, à cette illusion sonore constamment entretenue par l'action réversible des musiciens qui endossent plusieurs rôles. Une véritable dramaturgie de la musique, pas seulement dans l'architecture des solos, mais aussi dans l'art de mener des ruptures franches et surprenantes.

Insolite, toujours imprévisible dans ses intonations, le saxophoniste invente ses pensées, prétendant à une certaine vérité quand tout est imaginé....

 

Si le concert commence par "2nd West 46th Street" de Moondog, ce n'est pas vraiment un hasard et nous passons ainsi tout naturellement, vers le second projet, un autre film d'Arthur Rifflet cette fois (51'), Perpetual Motion, a celebration of Moondog, qui reprend les tutti saccadés, caractéristiques du groupe, cette fois avec des enfants.

 

https://www.rythmes-croises.org/sylvain-rifflet-jon-irabagon-perpetual-motion-a-celebration-of-moondog/

 

Fasciné par la personnalité hors norme de Moondog, autrement dit Louis Thomas Harding, "clochard céleste" qui vécut dans la rue, à New York pendant trois décennies. Aveugle, habillé en Viking, il jouait dans la 6ème rue, et à ce jour, près de 800 partitions sont encore à déchiffrer.

Une quinzaine de morceaux sont repris par les musiciens, mitonnés"à leur sauce" avec des sons contemporains, pour les mettre en une sorte de "mouvement perpétuel" en 2013. Beaucoup de ces titres intemporels sont encore actuels From the JB n°2 Jazz Book avec changements d'accords et harmonies accrocheuses.

Le film bouscule la chronologie : duos en différents lieux, scènes de rue avec des passants, recréant ainsi les conditions véritables de jeu de Moondog. Des fragments saisissants montrent des ouvriers au travail, l'un en particulier déblayant la neige avec une pelle qui frappe en rythme le trottoir; il ya encore un mendiant secouant son gobelet, un Noir qui tape en plein milieu de la rue, sur des bidons en plastique sur un rythme 4/4.

Chaque année le festival de Banlieues Bleues mène des actions pédagogiques en Seine Saint-Denis. D'où l'intervention de plusieurs chorales collégiennes de Bobigny et La Courneuve. On assiste ainsi aux premières et dernières répétitions avant le concert final, qui eut lieu le 12 avril 2013 à Bobigny, salle Pablo Neruda. Histoire de voir le travail en cours, l'évolution et l'implication des participants. Ajoutez à tout cela une interview de Moondog lui-même, en 1971, où il explique comment il écrivait la musique qui lui plaisait, aux rythmes avant-gardistes en 5/4, 7/4, sur des harmonies et mélodies du XIXème siècle. D'où son surnom en Grande Bretagne de "Beethoven du beat".

Un document passionnant, sur le vif, qui donne à entendre "Heat on the Heather", "Askame", "Santa Fe" avec Eve Risser, "Elf dance" avec kalimba, guitare et sacs plastiques. Le groupe est en effet constitué des fidèles auxquels s'ajoute la pianiste Eve Risser et le saxophoniste Jon Irabagon.

 

Un DVD absolument indispensable pour aller au plus près de la façon dont travaille le saxophoniste, investi d'un beau projet de musique, et d'un véritable désir d'oeuvre qu'il est en train de façonner. Pour preuve, rappelons le parcours de DJANGO d'OR 2008, catégorie nouveau talent, à Meilleur Album de l'année 2016 aux Victoires du jazz...

 

Sophie Chambon

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28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 16:35
Francesco BEARZATTI  Woody Guthrie  / Tina Modotti

 

LA HUIT DVD

Avec Mezzo et Banlieues Bleues

Sortie le 27 mars 2018

 

http://www.lahuit.com/fr/content/francesco-bearzatti-2-films

 

Premier concert capté par Stéphane Jourdain pour la Huit, This Machine Kills Fascists est un projet du Tinissima Quartet, après l'évocation de Tina Modotti et Malcolm X.

Le transalpin Francesco Bearzatti, à la tête d'un extraordinaire quartet, se lance dans l'évocation de Woody Guthrie, à l'origine du "protest song", qui aura une grande influence sur Bob Dylan et nombre de musiciens américains. Le programme célèbre la force de l'engagement de celui qui avait écrit sur sa guitare "THIS MACHINE KILLS FASCISTS". Entre blues et frénésie, le concert commence avec "Okemah"/ "Dust Bowls", retraçant les tempêtes de sable et l'exode des fermiers vers l'ouest chassés par les banques, continue avec un "Hobo Rag" à la rage punk,sur les équipées de ces vagabonds du rail (hobos) menacés par les serre-freins, et se termine par une ode aux anarchistes italiens exécutés "One for Sacco &Vanzetti".

La Huit continue à explorer en musique la biographie d'artistes inspirés et rebelles et le film de Guillaume DERO suit le concert du cinquième album du saxophoniste et clarinettiste italien , consacré à la photographe Tina Modotti (1896-1942), transposant en musique ses "aventures, douleurs et passions"; une suite dont la couleur évolue d'une pièce à l'autre selon que Bearzatti utilise le saxophone ou la clarinette.

Témoin du Mexique post révolutionnaire des années 20, où, après une carrière au théâtre en Californie, elle se réfugie avec le grand photographe Edouard Weston qui a quitté femme et enfants pour elle. Si le studio qu'ils ont créé à Mexico a du succès, elle s'engage auprès du peuple mexicain et continue à oeuvrer jusqu'en URSS avant de rejoindre les rangs des républicains espagnols...Une vie extraordinaire de sacrifices et d'aventures.

Nés tous deux nés dans le Trentin, elle ne pouvait qu'inspirer Francesco Bearzatti. Les deux soufflants de front au premier plan, la caméra tournant autour du leader, le trompettiste Giovanni Falzone, obstinément tourné vers lui.  En fond de scène sur grand écran, les photos de cette artiste révolutionnaire prennent le temps d'exprimer le sujet, l'époque, les pays traversés, le parcours de la militante italienne, du Frioul à la Guerre Civile espagnole, des révolutions sudaméricaines, sans oublier la Russie des années 30. Une suite qui se regarde donc et s'écoute attentivement, une histoire racontée avec ferveur et fougue selon les chapitres ("America" et "Why?"). Les changements de rythme alternent selon les photos de groupes d'ouvriers ou d'enfants, de végétaux, des portraits singuliers aux cadrages surprenants sur des mains, "la femme au drapeau" devenue iconique, ou bien la machine électrique s'emballant au rythme du cliquetis des baguettes... Peu ou pas de temps morts, simplement ralentis avec l'archet de la contrebasse qui s'ajointe au saxophoniste. Du grand live!

 

 

Sophie Chambon

Francesco BEARZATTI  Woody Guthrie  / Tina Modotti
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20 octobre 2017 5 20 /10 /octobre /2017 09:08
LOOKING FOR ORNETTE

 Looking for Ornette

Un film de Jacques Goldstein, 2016

Complément « Ornette apparitions » Stéphane Jourdain

Sortie DVD le 24 octobre

La Huit

 

Ce double DVD présente une approche précise du saxophoniste texan, où l’auteur part à la recherche de ce fantôme qui hante le jazz, cette personnalité étrange, demeurée mystérieuse dont l’œuvre conserve intacte l’émotion d’une première écoute.

 

On entend cette phrase « Beauty is a rare thing…  Y être et ne pas être » de Ralph Ellison dans L’homme invisible , 1952. Il y a quelque chose de comparable dans la personnalité et la vie de ce musicien qui apparaît par intermittence. En 1959, quand sort The Shape of Jazz to come,  Ornette Coleman vit alors sous terre. A la surface, l’industrie du disque, florissante, est tenue par des Blancs qui affectionnent un jazz autre, celui de la West Coast. En une poignée d’albums, il fait émerger une autre musique si singulière qu’elle nous affecte encore. Une musique systémique, harmolodique, structurée qui inclut l’improvisation libre. On a parlé de free jazz, changeant la perspective musicale : « Ce n’est pas un autre jazz, mais une musique autre, créative» entend-on dans le documentaire. Phrase on ne peut plus juste, car aucun système n’est libre totalement. La musique d'Ornette est langage, progression, avec cette façon de passer d’une note à l’autre, de voyager entre des idées.

Avec l’aide de personnalités du jazz, de musiciens qui l’ont approché, ont joué avec lui, à travers des fragments (interviews, extraits de concerts anciens, jeu en live de musiciens dans les rues de NY, toutes ces pièces remontées de 2003 à 2016), il ressort un portrait en creux, passionnant car il éclaire la musique de ce saxophoniste qui continue à avoir une influence considérable, d’où le deuxième DVD, de 2016 de Stéphane Jourdain qui cerne dans Apparitions, la musique du saxophoniste Antonin Tri Hoang de l’ONJ Yvinek qui essaie de lancer des ponts, des connexions.

La musique d’Ornette Coleman n’est pas facile, Steve Lacy évoque un discours proche d’une technique de « destruction-reconstruction » mais si on s’immerge dedans, on finira peut être par lire un « jazz secret ». Ce qui peut demander un effort, du travail, car cette musique n’est pas facile, accessible à tous, rapidement, comme celles de Duke ou même de Miles (en apparence du moins).

Il faut élargir son champ d’écoute, accepter si ce n’est adopter, ce son nouveau, « cet air qui passe dans son sax et fait sens ». Il ne représente peut être pas un point de vue, un style mais simplement lui-même. Aldo Romano parle de sa légèreté, d’une fragilité qui en fait un « Douanier Rousseau du jazz », qui restera un mystère. Peut-être nous manque-t-il alors un approfondissement, à la façon d'Henri Georges Clouzot qui réalisa Le Mystère Picasso avec la complicité amusée du peintre. Comme Ornette avait le sens de sa valeur, il se faisait rare, demandant des sommes astronomiques et ne se plaignait jamais du chemin difficile qu’il suivait, qu'il s'imposait volontairement. Très pauvre, il lui arriva de jouer avec un saxophone en plastique et pourtant se souvient Joachim Kühn, il écrivait jusqu’à dix compositions par concert «  on vérifiait la mélodie et je faisais les accords ».

Tous ceux qui l’ont approché évoquent encore, comme la pianiste Myra Melford, un engagement de toute une vie, une ascèse qui conduit à la liberté et là, vraiment, on peut utiliser ce mot de « libre » de façon pertinente.

 

Sophie Chambon

LOOKING FOR ORNETTE
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18 octobre 2017 3 18 /10 /octobre /2017 16:17

LOOKING

FOR ORNETTE,

film de Jacques Goldstein

 

associé à

 

ORNETTE

APPARITIONS,

film de Stéphane Jourdain

2 DVD EDV 1489 /esc-distribution

 

Une sorte de portrait-fantôme de l'insaisissable Ornette Coleman, réalisé au travers d'extraits d'entretiens, et de musiques, où apparaissent Wadada Leo Smith, Steve Lacy, Roswell Rudd, Oliver Lake, Matthew Shipp, Roy Nathanson, Brad Jones, John Tchicaï, Paul Bley, Aldo Romano, Philippe Baudoin, James Blood Ulmer, Fred Cohen, Quincy Troupe, Myra Melford, Joachim Kühn, Antonin-Tri Hoang et le quartette Novembre.

 

Le film, sorti l'an dernier et projeté au festival Jean Rouch 2016, est une évocation de ce musicien de grande influence, mais sans descendance explicite. L'auteur-réalisateur a parcouru New York à plusieurs époques sans parvenir à placer le musicien face à sa caméra et à ses questions. Il le fait cependant revivre au fil des témoignages et des musiques, recueillis en première main ou issus de films existants, réalisés par lui ou par d'autres. Le résultat est une réussite : l'esprit d'Ornette hante ces réponses et ces musiques, et si le réalisateur a cherché le musicien, nous avons la sensation intime de l'avoir trouvé au travers de ce puzzle, qui comporte de grands moments de paroles et de musiques.

 

Ornette apparaît finalement, avant le clap de fin, dans un court extrait (30 secondes !) du documentaire de Fara C et Giuseppe De Vecchi sur Charles Lloyd (Le moine et la sirène, 2009). À la question de la journaliste qui lui demande « Avez-vous peur de la mort ? » Ornette répond « Je ne l'ai jamais rencontrée, qui est-ce ? …. »

 

Le film est introduit et conclu par un extrait du film Ornette-Apparitions, de Stéphane Jourdain, qui restitue un concert-création au festival Banlieues Bleues du quartette Novembre (Antoni-Tri Hoang, Romain Clerc-Renaud, Thibault Cellier, Elie Duris, avec le renfort de Louis Laurain, Pierre Borel, Yann Joussein, Geoffroy Gesser et Isabel Sörling). Et cette captation est précisément le second DVD contenu dans ce coffret (le son de ce second opus offre une alternative : stéréo ou multicanal 5.1). Bref, la pêche est bonne, les amateurs d'Ornette et de jazz d'aujourd'hui seront ravis de ramener ce double DVD dans leurs filets.

Xavier Prévost

 

Le film sera projeté à l'occasion de la lecture de Zeno Bianu, le 21 octobre 2017, au Musée du Quai Branly

http://www.quaibranly.fr/en/exhibitions-and-events/at-the-museum/jacques-kerchache-reading-room-events/event-details/e/dun-univers-funambule-37686/

 

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