Filmed at the Antibes Jazz Festival July 18-22,1961
Grâce à l’INA, nous pouvons revoir des concerts historiques filmés par Jean Christophe Averty à Antibes, en juillet 1961. 1h 45 d’un grand show, démonstration particulièrement convaincante de ce que pouvait être « The very essence of a genius ». C’est le tournant de la carrière de Ray Charles, ses premiers concerts en Europe avec ses très singulières Raelettes qui swinguent et twistent élégamment, et un formidable orchestre où excellent entre autres Hank Crawford, et David « Fathead » Newman.
Le festival d’Antibes-Juan les Pins, créé en 1960 par Jacques Souplet de chez Barclays, à la mémoire de Sidney BECHET qui venait de mourir, rencontra un grand succès dès sa première édition et allait influencer beaucoup d’autres festivals dont celui de Montreux, 7 ans plus tard. C’est Frank Ténot qui joua un rôle déterminant auprès du public français pour faire connaître Ray Charles. Ses débuts triomphants, lors de cette tournée en Europe révélèrent la large palette de son talent, qui couvrait tous les styles le jazz, le blues, la pop de Tin Pan Alley, les rythmes latins et bien sûr le R&B mâtiné de gospel ! Il vint à Antibes avec son orchestre de 8 musiciens (Philip Guilbeau et John Hunt (tp), Hank Crawford (as), David “Fathead” Newman (fl& ts), Leroy Cooper (bs), Edgar Willis (b), Bruno Carr (dm)) et ses chanteuses qui allaient devenir très célèbres The Raelettes. Ray Charles joua quatre soirs à Antibes, les 18, 19, 21 et 22 Juillet et chacun des concerts débute avec un ou deux instrumentaux comme « The Story » de James Moody, « Doodlin » d’Horace Silver, ou une de ses compositions comme « Hornful Soul ». The Genius apparaît comme un formidable pianiste, dents blanches et lunettes noires, se dandinant un rien comiquement sur son tabouret. Puis il chante jusqu’à la transe, de sa voix traînante et sensuelle, presque suave ce « With you on my mind » que répètent ses choristes inlassablement. Cette langueur du sud n’éteint pas la formidable énergie toute électrique, et ce sens canaille du blues urbain. Jazz, blues et soul, il a un tel talent quand il croone sur « Ruby » en geignant ou gémissement, et au piano transcende cette balade lente et désespérée. On est saisi par le miracle de cette voix qui arrive à transcender styles et genres, comme dans le traditionnel « My Bonnie», purement et simplement métamorphosé. On ne peut passer sous silence l’interprétation de ce qui allait devenir son hymne personnel, « Georgia on my mind » d’Hoagy Carmichael, accompagné à la flûte par David « Fathead Newman. Les deux concerts enregistrés les 18 et 22 juillet 1961 et les bonus présentant parfois les mêmes titres « Let the good times roll », sans oublier « Georgia » dans une version plus gémissante et enjôleuse, « What I’d say », « Sticks and bones », « I wonder».
Le producteur maître de cérémonie, André Francis devait avouer qu’un tiers environ du public connaissait les musiciens au programme du festival, le reste, en vacances sur la Côte d’Azur venait se détendre un soir. Le public, assis sagement dans la pinède, attentif- on se croirait aux concerts de Leonard Bernstein- s’électrise soudainement, comme possédé par ce « thrill » incroyable. Ces concerts agirent comme un détonateur et furent une révélation, le début d’une histoire d’amour avec la France et Antibes. Ray Charles qui mourut en 2004, y revint quatorze fois jusqu’en 2001. C’est le début d’une reconnaissance internationale pour celui que Sinatra considérait comme « le seul génie dans ce business ».
Le film tourné en 16 mm, a été restauré et sort en DVD pour la première fois, reconstituant ces différents concerts dans l’ordre de leur interprétation. Avec plus de 20 heures filmées, des coupures, des notes manquant aux débuts et ou à la fin de certaines chansons, il a fallu tout un travail de montage avec des extraits des concerts enregistrés à la radio, et des raccords d’images du public.
Ce Dvd nous permet de retrouver Ray Charles jeune, exubérant, irrésistible dans ses fantaisies vocales : une pointure du chant afro américain, qui avait vraiment le blues dans la peau. S’il suit le même rituel chaque soir, son show impeccablement rôdé et professionnel a inspiré des générations d’artistes et de chanteurs. Le chanteur noir le plus populaire sut exploiter les ressources de sa voix, tenir admirablement le tempo, en le ralentissant suffisamment pour garder son public (blanc ) en suspens. On ne peut résister bien longtemps à cet enregistrement live, qui appartient à l’histoire du jazz. Merci l’INA !
Sophie Chambon